La crise de l’économie capitaliste

Εκτύπωση
décembre 2010

La réaction rapide des États impérialistes devant la crise bancaire déclenchée le 15 septembre 2008 par la faillite de la banque Lehman Brothers, une des plus grandes banques d'affaires aux États-Unis, la mise à disposition des banques de sommes colossales - de l'ordre de 3 000 milliards d'euros -, les prêts quasi gratuits des banques centrales aux banques, ont évité que la grave crise de confiance entre banques elles-mêmes débouche sur l'effondrement du système bancaire mondial. Celui-ci a redémarré, la spéculation aussi, et ce que les banques appellent « crise systémique » a été écarté. Mais les moyens utilisés pour se dépêtrer de cette phase de la crise financière ont fabriqué les éléments d'une nouvelle phase en train de s'aggraver.

Les sommes colossales injectées dans le système bancaire à cette époque sous les formes les plus variées ont encore amplifié la création monétaire à l'échelle du monde. Rien que les interventions des gouvernements européens se sont élevées à environ 1 800 milliards d'euros, soit 14 % du PIB européen. Alors que l'ensemble des monnaies et des crédits progressait déjà depuis le début des années 2000 au rythme de 13 à 15 % l'an, c'est-à-dire à un taux sans rapport avec l'évolution de la production qui stagnait, ce taux s'est envolé dans la deuxième moitié de 2008 pour atteindre 30 % en rythme annuel.

Les liquidités mondiales qui, en 1988, représentaient en valeur un peu plus de 8 % du PIB mondial, ont atteint en début 2009 un peu plus de 18 % de ce même PIB. La financiarisation de l'économie a franchi un important pas de plus.

L'envolée de l'endettement des Etats

Une autre conséquence des milliards déversés pour sauver le système bancaire a été l'envolée de l'endettement des États. Elle concerne tous les États sans exception.

La dette publique française a atteint, au premier semestre 2010, 1 535 milliards d'euros, 80,3 % du produit intérieur brut (en 2008, ce chiffre était de 67 % du PIB). Elle était en 2009 de 73,2 % en Allemagne, 85 % aux États-Unis, 96,7 % en Belgique, 115 % en Italie.

La dette publique est aussi ancienne que les États. Elle a de tout temps joué un rôle important au profit de la bourgeoisie.

Son accroissement brutal, conséquence des dépenses des États en 2008-2009 pour sauver le système bancaire et aider les grandes entreprises, résulte d'une double nécessité : celle des États d'emprunter pour faire face à leurs échéances et celle de la finance de placer ses capitaux.

Ce qui est une dette pour les États est une source de revenus pour les banques. La gestion de la dette souveraine est un des aspects majeurs de leur activité, et les intérêts payés sur cette dette, une source de revenus qui s'auto-alimente. Même pour payer les échéances de leur dette, les États sont obligés d'emprunter.

Dans le budget prévisionnel de la France pour 2011, le remboursement de la dette est devenu le premier poste de dépenses, dépassant l'Éducation nationale. Les intérêts seuls, c'est-à-dire la contribution de l'État aux bénéfices des banques, représentaient, en 2009, 43 milliards d'euros. Une somme du même ordre que le déficit annoncé de la caisse de retraite en 2018. Rien que cette somme, qui ne représente qu'une petite fraction de l'argent qui va des caisses de l'État dans les coffres-forts des capitalistes privés, suffirait donc pour équilibrer la caisse de retraite sur la base de son fonctionnement actuel et sans avoir à repousser l'âge de départ à la retraite ni à augmenter le nombre d'années de cotisation.

Le marché dit de la « dette souveraine », c'est-à-dire le marché sur lequel s'achètent et se vendent les papiers représentant les dettes des États (bons du Trésor, obligations d'État, etc.), est devenu un des rares marchés en expansion rapide. Ce marché, sur lequel une vingtaine de grandes banques d'affaires agissant pour leur propre compte et pour celui des groupes financiers représente la demande, est un marché hautement spéculatif. La spéculation consiste à parier sur la capacité des États emprunteurs à honorer les échéances de leur dette, et à établir le taux de l'intérêt à payer en fonction de ce pari.

La crise dite « grecque » en a donné l'illustration cette année. Le marché, c'est-à-dire les grandes banques d'affaires chargées du lancement des emprunts, estimant que l'État grec aurait du mal à faire face à ses échéances, a imposé des taux d'intérêt usuraires, aggravant ainsi les charges de la dette. C'était une façon d'obliger la population grecque à augmenter encore sa contribution aux bénéfices du système bancaire, représenté dans le pays, pour l'essentiel, par des banques occidentales, surtout françaises : le Crédit agricole, BNP-Paribas et la Société générale.

Le fait que les différents pays de la zone euro, bien que disposant d'une même monnaie, payent leurs emprunts à des taux différents, suscite de fortes tensions entre pays de la zone euro. Au plus fort de la « crise grecque », la Grèce ne pouvait emprunter qu'à un taux usuraire tournant autour de 12 %, alors qu'au même moment l'État allemand empruntait à des taux autour de 2,6 %.

La dette souveraine est devenue le vecteur d'une puissante force centrifuge qui, aux mois d'avril et mai de cette année, a menacé de se transformer en crise de la zone euro, voire de l'Union européenne elle-même. Elle a, en tout cas, fait exploser le pacte de stabilité inscrit dans le traité de Maastricht.

Ce traité a été un de ces compromis entre États aux intérêts différents qui jalonnent l'histoire de ce que les bourgeoisies appellent la « construction européenne ». Poussées par des nécessités économiques puissantes étant donné l'interdépendance des économies nationales européennes - dans la réalité, mondiale même -, les bourgeoisies européennes sont en même temps incapables de fondre dans un ensemble politique unique, dans une fédération européenne, la mosaïque d'États qui constitue l'Union européenne.

Il y a bien une monnaie unique - et encore, dans seize pays seulement sur vingt-sept -, mais pas un État unique pour la soutenir et pour mener une politique monétaire unique et une politique fiscale coordonnée.

Le traité de Maastricht, avec ses critères - sorte de règlement intérieur de copropriété -, est surtout marqué par la préoccupation des plus aisés des copropriétaires de ne pas avoir à payer les charges des propriétaires réputés mauvais payeurs. Les États les plus riches de la zone euro, l'Allemagne en particulier, refusaient par avance d'avoir à payer le déficit d'États plus pauvres. Partager la même monnaie, oui, mais chacun chez soi, sans responsabilité collective et sans solidarité. D'où les conditions imposées pour l'intégration d'un pays : un endettement inférieur à 60 % du PIB et un budget dont le déficit ne dépasse pas 3 %.

Ce sage règlement a été emporté par l'explosion de la dette publique. Il n'y a plus, dans la zone euro, un seul État dont l'endettement soit inférieur à 60 % du PIB. Il n'y en a plus un seul dont le budget soit équilibré. Le déficit du budget de l'État français, par exemple, dépassera cette année les 8,2 % du PIB, bien au-delà des 3 % autorisés par Maastricht, et son endettement, avec 80,3 % du PIB, est à confronter aux 60 % prescrits par les critères.

Devant la menace de faillite de l'État grec susceptible d'entraîner pour les États les mêmes réactions en chaîne que celles qui ont suivi la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008, les dirigeants des États les plus riches d'Europe, l'Allemagne en particulier, ont dû cependant, malgré leurs réticences à payer, réagir en catastrophe avec un plan de sauvetage finalisé le 2 mai 2010.

Ils ont fini par se mettre d'accord pour débloquer, en collaboration avec le FMI (Fonds monétaire international), la somme de 110 milliards pour la Grèce et mettre en place un « fonds européen de stabilisation financière » de 750 milliards d'euros pour le cas où, après la Grèce, le Portugal, l'Irlande, l'Espagne suivraient (et, pourquoi pas, l'Italie ?).

L'État grec a évité la faillite, et les banques, la menace que leurs prêts s'envolent en fumée. Mais là encore, la quantité de monnaie en circulation s'est accrue, la financiarisation s'est aggravée et, surtout, la population grecque doit payer le sauvetage des banques opérant en Grèce par un plan d'austérité drastique.

L'endettement des États est tel que, même en cas de sortie de crise - ce qui est loin d'être le cas -, un retour à l'équilibre des budgets prendra des années, si tant est que cela se réalise. Les États sont ainsi de plus en plus enchaînés au marché financier, même pour assurer leur budget de fonctionnement.

L'État français est contraint d'emprunter plus d'un milliard d'euros chaque jour - 400 milliards par an ! - pour faire face à ses dépenses. Mais plus il emprunte, plus il accroît ses dépenses par le paiement d'intérêts pour les sommes empruntées.

À des degrés divers, tous les États ont ainsi passé la tête dans le nœud coulant de la dette publique.

Les Etats sous la surveillance des grandes banques

Tous les États sont sous la surveillance de cette vingtaine de grandes banques d'affaires qui constituent le marché financier et de quelques grosses agences de notation qui représentent en réalité leurs intérêts.

Le simple fait de ne pas mener une politique d'austérité, c'est-à-dire de ne pas être capable d'imposer à sa population des mesures d'économies sur les services publics, sur le salaire des fonctionnaires et sur leur nombre, suffit pour que la notation d'un État soit dégradée et se traduise par un taux d'intérêt plus élevé sur les sommes empruntées. Seuls les États-Unis échappent dans une certaine mesure à cette pression car, si la spécificité d'avoir pour monnaie nationale la devise mondiale ne leur évite pas la méfiance du marché des capitaux, ils sont en situation de répercuter les conséquences de cette méfiance sur les autres économies.

La boucle est ainsi bouclée. C'est pour aider les banquiers que les États se sont endettés. La dette elle-même donne des moyens supplémentaires aux grandes banques de ligoter les États. La politique d'austérité menée par tous les États sans exception découle de cette pression du grand capital.

Pour différentes que soient ces politiques d'austérité d'un pays à l'autre, en fonction de la richesse de leur économie, de la capacité de leur gouvernement d'imposer des mesures plus ou moins draconiennes, elles ont partout le même contenu de classe : dégager une part croissante des caisses publiques à mettre à la disposition de la classe dominante. Une des manières d'y parvenir consiste à réduire l'imposition de la bourgeoisie. C'est ainsi qu'en France les exonérations, les allégements de charges, les niches fiscales diverses se traduisent par un manque à gagner de l'ordre de cent milliards d'euros pour le budget. Mais le choix de diminuer l'imposition de la bourgeoisie signifie que les politiques d'austérité survivront à la crise.

L'accroissement considérable de la masse monétaire mondiale et la nécessité impérieuse pour ses possesseurs de la placer engendrent pour ainsi dire mécaniquement des vagues spéculatives. Bien que des armadas d'économistes de la bourgeoisie aient disséqué les causes de la crise financière de 2008, bien qu'ils aient tous pointé la responsabilité de la spéculation et de la formation des bulles spéculatives, à peine la crise de confiance entre banques a-t-elle été surmontée que la spéculation est repartie de plus belle !

D'autres bulles spéculatives sont en train de se former. « La flambée de l'or fait craindre la formation d'une bulle spéculative » (Les Échos), « Les craintes de bulles obligataires refont surface » (Les Échos du 9 septembre 2010), « La flambée du coton fait souffrir les professionnels du textile-habillement » (Les Échos du 23 août 2010) : les titres de la presse spécialisée sont significatifs des mouvements financiers passant d'un produit financier à un autre, d'une matière première à une autre.

Les famines de la spéculation

Comme en 2008, un des aspects les plus odieux de la spéculation est qu'elle porte sur les produits alimentaires et a pris des proportions qui annoncent des catastrophes.

Les cours des prix des matières premières avaient atteint des sommets au printemps 2008. Depuis, les prix ont, certes, connu une décrue, sans jamais revenir cependant à ceux de la période précédente. Le pouvoir d'achat des populations dans les pays pauvres s'est donc réduit considérablement depuis 2008. Mais, depuis le printemps 2010, les matières premières alimentaires ont de nouveau connu une hausse des prix catastrophique : 60 à 80 % pour le blé, 40 % pour le maïs, 30 % pour le sucre, 33 % pour le riz, en l'espace de trois mois.

Si certains éléments techniques ou climatiques expliquent en partie cette hausse, le facteur fondamental en est la spéculation financière. En effet, malgré les grands incendies qui ont affecté la Russie, avec leurs conséquences pour l'agriculture, les récoltes et les stocks de céréales ne sont pas mauvais. La demande mondiale reste stable. La hausse des prix ne correspond absolument pas à une difficulté dans la production ou dans les échanges. Elle est la conséquence en particulier de l'arrivée sur le marché financier international de nouvelles masses de capitaux.

À l'automne 2010, un fonds spéculatif a pu racheter en moins d'une semaine 7 % de la production mondiale de cacao pour un milliard de dollars, dans le seul but de provoquer une hausse des cours et d'empocher un copieux bénéfice.

D'après un rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), seulement 2 % des opérations à terme sur le marché des matières premières se clôturent par des échanges de marchandises réelles.

Toute cette activité financière a un coût catastrophique pour les populations. Les prix alimentaires augmentent parfois de manière explosive, comme au Mozambique où, en septembre, le blé a connu une hausse de 25 %, tellement insupportable pour les populations qu'il y a eu des émeutes de la faim. Au Cameroun, en ce moment, certains parlent de « pénurie silencieuse ». On ne trouve plus sur les marchés locaux de bouteilles de gaz, de maquereaux, de sucre. Et quand on en trouve, c'est à des prix exorbitants. Par manque de viande et de poisson, les consommateurs se rabattent sur du njama njama (variété de légume) qui est passé de 50 Fcfa à 150 Fcfa. En Côte-d'Ivoire, la bouteille de 90 cl d'huile de palme est passée de 600 Fcfa, il y a un an, à 900 Fcfa aujourd'hui. La flambée des prix touche le lait en poudre, les œufs, les pommes de terre. L'igname reste hors de portée, sans parler de la viande.

En tout, depuis 2008, on estime que le nombre de personnes en danger pour cause de sous-alimentation est passé de 850 millions à environ un milliard. Voilà le résultat quasi mathématique de la spéculation financière

La seule différence avec la période 2007-2008, c'est que la spéculation porte sur des sommes globales encore accrues par la création monétaire des années 2008-2009.

Les bulles financières erratiques se substituent à l'inflation galopante

Contrairement aux craintes des milieux financiers, voire des dirigeants politiques des grandes puissances impérialistes, l'utilisation effrénée de la planche à billets ne s'est pas traduite, ou pas encore, par un retour à la forte inflation des années soixante-dix.

La crise de l'économie productive elle-même est un élément essentiel pour expliquer pourquoi la création monétaire massive ne se traduit pas par une inflation massive. Les crises économiques dans l'économie capitaliste se sont traduites, dans un passé plus lointain et jusqu'à la crise de 1929, non seulement par l'aggravation du chômage, par des fermetures d'usines, par une baisse du taux de profit, mais aussi par l'effondrement des prix. C'est généralement lorsque la reprise s'annonce, avec un accroissement de la demande à laquelle l'offre est incapable de répondre rapidement, que les prix ont tendance à augmenter et l'inflation à s'installer. L'économie des grands pays impérialistes n'est pas dans cette situation aujourd'hui. Les capacités de production sont largement sous-utilisées. Le chômage pèse sur les salaires. « Le scénario d'hyperinflation sera sans fondement tant que le monde sera en situation de sous-emploi, c'est-à-dire pour longtemps », affirme l'économiste Patrick Arthus, pour ajouter : « La seule source d'inflation a été finalement le yoyo enregistré sur les prix de certaines matières premières, à commencer par le pétrole .»

De surcroît, tout se passe comme si l'économie était cloisonnée et que la masse monétaire supplémentaire résultant de la planche à billets était entièrement absorbée par le système financier lui-même. En quelque sorte, elle sert aux groupes financiers à se livrer au gigantesque monopoly de la spéculation, à côté ou au-dessus de l'économie réelle. Il n'y a pas que l'attraction de la sphère financière elle-même, c'est-à-dire le profit que rapportent les capitaux placés, pour expliquer ce cloisonnement de fait. Le système bancaire lui-même y contribue largement. La politique de crédit des banques, en favorisant certains types de crédits, en en défavorisant d'autres, joue le rôle de gare de triage. Il est significatif que, malgré la débauche de liquidités, le crédit à la consommation en France a enregistré en 2009 un recul historique.

La Banque centrale américaine, la FED, vient de décider récemment, en guise de plan de relance, d'injecter 600 milliards à nouveau dans l'économie en rachetant des bons du Trésor américains. Mais cette somme énorme ne sera pas investie dans les entreprises américaines ou dans la production réelle puisque les marchés ne s'élargissent pas. L'essentiel de ces 600 milliards va être orienté, par les banques elles-mêmes, vers les placements attractifs existants. Déjà les pays dits émergents se disent victimes d'un afflux de devises, craignant des soubresauts spéculatifs sur leur monnaie ou sur les matières premières, le pétrole en particulier ou des produits alimentaires.

En donnant la priorité aux crédits qui, par une voie ou par une autre, aboutissent à des placements spéculatifs, le système bancaire non seulement favorise ces derniers, mais les amplifie. Et, les spéculateurs étant moutonniers, la politique de crédit du système bancaire favorise les engouements pour tel ou tel type de placement, c'est-à-dire pour la formation de bulles spéculatives, lourdes de menaces de krach. À l'inflation se substitue en quelque sorte la formation de bulles se déplaçant d'un produit financier à un autre, d'une matière première à une autre.

La combinaison de ces facteurs a abouti à ce que l'inflation à l'échelle mondiale soit estimée à environ 1 %, pour autant que ce chiffre, résultant d'un calcul sur l'ensemble des monnaies des grandes puissances impérialistes, ait un sens. Mais l'inflation ainsi mesurée serait la plus basse que l'économie mondiale ait connue depuis 1945.

Ce qui n'empêche nullement les hausses de prix, particulièrement pour des produits ou services qui concernent la population laborieuse, comme en témoignent en France, en plus du yoyo du pétrole, les hausses de prix des loyers ou du gaz et de l'électricité.

La sphère financière ne constitue pas un monde à part, déconnecté de l'économie productive. C'est la même économie. Les profits financiers viennent en dernier ressort de la plus-value, qui est partagée entre les secteurs productifs et le secteur financier. L'accroissement de la part du secteur financier, conséquence de la stagnation, voire du recul, des investissements productifs, en devient aussi un facteur aggravant.

Par ailleurs, l'augmentation considérable des titres représentant des dettes souveraines dans le bilan des banques et la qualité très différente de ces titres en fonction de la crédibilité de l'État qui les a émis font peser de nouveau sur le système bancaire la menace d'une crise de confiance. D'ores et déjà, en raison cette fois de la quantité de mauvaises dettes d'État, s'esquisse la situation aberrante qui s'est créée lors de la crise de liquidités de 2008 : malgré la quantité colossale de liquidités que détiennent les banques, leur circulation est ralentie sur le marché interbancaire. Or, la vie économique quotidienne est rythmée par une myriade d'opérations, d'emprunts, de crédits... Que le flot financier s'assèche, et c'est toute l'économie qui en est paralysée, comme elle a failli l'être après la banqueroute de Lehman Brothers.

Une des spéculations qui portent sur les sommes les plus importantes est celle sur les monnaies. 4 000 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur le marché des changes, 60 fois le montant quotidien du commerce international (d'après la Banque des Règlements Internationaux). Cette spéculation est inhérente au système monétaire mondial actuel, avec la fluctuation incessante des grandes monnaies les unes par rapport aux autres.

L'euro a, dans une certaine mesure, résolu le problème pour les pays européens appartenant à la zone euro. Mais lui-même est fluctuant par rapport au dollar, au yen, au yuan, et même par rapport à d'autres monnaies européennes non-membres de la zone euro, la livre sterling, le franc suisse et quelques autres.

Toute évolution prévisible ou anticipée du taux de change d'une monnaie par rapport à une autre déclenche inévitablement des déplacements d'importantes sommes d'argent.

La quantité de devises en déplacement, soit pour être placées dans les pays où la situation économique semble momentanément bonne (Brésil ou Chine), soit pour se mettre à l'abri, soit pour des raisons purement spéculatives, entraîne une volatilité des changes qui pèse sur le commerce international.

Mais les réunions au sommet, du G8 au G20, ont beau se multiplier, le FMI a beau mettre au centre des préoccupations de son assemblée annuelle la « résorption du désordre monétaire actuel », ces réunions se terminent toutes en fiasco. Si les grandes puissances déplorent toutes ce désordre, leurs solutions sont différentes, voire contradictoires. C'est que les variations de devises les unes par rapport aux autres ne sont pas seulement les conséquences de la spéculation, quand bien même celle-ci les amplifie.

La politique monétaire des États fait de la monnaie un moyen protectionniste, voire une arme économique, dans la guerre commerciale que se livrent les grandes puissances.

Le taux de change, une arme protectionniste

Pour relancer leur économie, les États-Unis en particulier mènent à l'intérieur une politique inflationniste d'argent facile et d'endettement, et, à l'extérieur, une politique de dollar faible susceptible de favoriser les exportations de marchandises américaines sur le marché international et freiner les importations. Mais, tout en menant cette politique protectionniste, ils essaient de faire pression sur la Chine pour lui interdire d'en faire autant.

Les États-Unis prétendent que, dans nombre de secteurs, la Chine inonde le marché mondial de ses articles bon marché en raison d'un taux de change trop bas de sa monnaie nationale, le yuan. C'est doublement hypocrite. Car, sur le fond, c'est faire bon marché de l'exploitation féroce de la classe ouvrière chinoise, des bas salaires et des conditions de travail infectes qui réduisent les coûts de production en Chine. Ces coûts ainsi comprimés par la surexploitation des ouvriers chinois profitent surtout aux groupes industriels occidentaux ou japonais, sans parler de Taïwan, de Hong Kong ou de Singapour, qui font produire en Chine pour le marché international, sans parler des grandes chaînes de distribution, en particulier américaines comme Wal-Mart. Et puis les États-Unis formulent ces reproches au moment où eux-mêmes mènent une politique de dollar sous-évalué.

Sans avoir encore obtenu une réévaluation du yuan à la hauteur de leurs exigences, les États-Unis ont déjà obtenu qu'il ne soit plus arrimé au dollar. Depuis juin 2010, il s'est apprécié de 2,2 %. Mais cela ne suffit pas aux dirigeants américains.

La presse à sensation décrit comme l'expression de la montée en puissance de la Chine par rapport aux États-Unis le fait que la Banque centrale chinoise détienne l'équivalent de 2 640 milliards de dollars (fin septembre), dont la majeure partie en monnaie ou en obligations américaines - la plus grosse réserve en dollars dans le monde en dehors des États-Unis. C'est cependant une présentation tendancieuse. Les dollars détenus par la Chine la rendent plus dépendante des États-Unis que l'inverse. Les États-Unis étant les maîtres de l'émission des dollars, ils ont les moyens de rejeter leur inflation sur les autres pays du monde, dont la Chine.

En d'autres termes, toute dépréciation du dollar, volontaire ou non, ronge les réserves accumulées par la Chine, qui n'a même pas la possibilité de les échanger contre quelque autre devise que ce soit sans de graves dommages pour son économie.

S'il est vrai que les relations entre la Chine et les États-Unis sont du genre « je te tiens, tu me tiens par la barbichette... », la Chine est plus vulnérable sur le marché mondial que les États-Unis qui continuent à le dominer.

Dans cette guerre des monnaies, les puissances impérialistes de second rang de la zone euro sont défavorisées. Le dollar, comme dans un autre ordre d'idées le yuan, repose sur un État national unique, capable de mener une politique monétaire. Les États-Unis, par exemple, font marcher en ce moment la planche à billets sous la forme du rachat par la banque fédérale (la FED) de papiers représentant des dettes des États-Unis. Cela a un double avantage : d'une part, de réduire leur dette et, d'autre part, d'affaiblir le dollar et par là de favoriser leurs exportations.

L'Europe, plus précisément la zone euro, n'a pas la même possibilité. Pour permettre à la BCE (Banque centrale européenne) de faire marcher la planche à billets, il faudrait un accord entre les seize pays de la zone et plus particulièrement entre les deux pays impérialistes qui la dominent, l'Allemagne et la France. Or, ces deux pays n'ont pas les mêmes intérêts. En raison de la structure de ses exportations, l'Allemagne est moins défavorisée que la France, et à plus forte raison que l'Italie ou l'Espagne, par le renforcement de l'euro.

L'instabilité financière a été portée depuis 2008 à des sommets sans précédent. Aux opérations financières fiévreuses succèdent de brusques ralentissements où le monde, inondé pourtant de monnaies, se retrouve au bord de la crise de liquidités. La spéculation sur les changes, un des éléments de l'instabilité financière, l'amplifie à son tour.

Si Sarkozy parle de la nécessité d'un nouvel ordre monétaire mondial, il ne fait qu'en parler. Étant donné les désaccords dans les intérêts nationaux, ce n'est pas demain que verra le jour un nouvel ordre monétaire international comparable à celui qui a été mis en place à Bretton Woods en 1944. Car, justement, si ce nouvel ordre a pu être mis en place, c'est qu'à cette époque les États-Unis étaient la seule grande puissance capable de mettre tout le monde d'accord en imposant sa volonté. S'ils restent la puissance économique dominante, ils ne sont plus dans le même rapport de forces, c'est-à-dire pas en situation d'imposer un système monétaire international correspondant à leurs intérêts, ou plus exactement de le consolider juridiquement. Car, dans les faits, ce sont quand même eux qui imposent leur loi mais à travers des affrontements et dans l'anarchie.

Il en va de même des tentatives de régulation ou de réglementation du système financier. Malgré l'échec d'un certain nombre de réunions internationales consacrées à ce problème (Bâle 1, Bâle 2), il n'est pas impossible que l'activité bancaire finisse par être un peu plus réglementée.

Rappelons que, dans le passé, pendant la période de la guerre notamment ou à la suite de la crise de 1929, les États sont intervenus pour imposer aux capitalistes, et dans leur intérêt même, un certain nombre de règles. Mais cela n'a pas empêché le capitalisme de rester le capitalisme... et les crises capitalistes de survenir quand même !

Avant la période de déréglementation des années Reagan et Thatcher, l'activité bancaire était réglementée notamment par la séparation entre les banques d'affaires et les banques de dépôts. Elle était strictement réservée aux banques. C'est seulement depuis la période de dérégulation des années quatre-vingt que les activités bancaires ont été ouvertes aux assurances, voire aux entreprises industrielles. En outre, tant qu'a existé le contrôle des changes dans les pays impérialistes, il donnait à l'État qui le pratiquait un moyen de réguler les déplacements de capitaux.

Les grandes « messes » internationales n'ont abouti cependant, pour le moment, en guise de réglementation, qu'à l'idée d'imposer aux banques de garder en réserve un pourcentage plus élevé de fonds propres.

Il n'est pas impossible cependant que les efforts de réglementation aillent plus loin. Ce ne serait certes pas la première fois que l'État, représentant des intérêts généraux de la bourgeoisie, serait contraint d'intervenir pour protéger les intérêts généraux de la bourgeoisie contre les intérêts privés des bourgeois.

Aux emballements anarchiques de la période de boom qui avait précédé la crise de 1929 ont succédé diverses réglementations. Celles qui se sont imposées pendant la Grande Dépression pour sauver le grand capital étaient cependant le fait d'États nationaux et s'intégraient dans une politique protectionniste et de repliements nationaux. Les réglementations ont été adaptées aux intérêts et aux spécificités de chaque bourgeoisie impérialiste. Elles ont pris des formes différentes aux États-Unis de Roosevelt et en Allemagne nazie.

Le problème d'aujourd'hui, en tout cas au stade actuel de la crise, est cependant d'éviter les repliements nationaux. 1929 a montré que ces repliements derrière des barrières protectionnistes, l'autarcie plus ou moins accentuée, ont aggravé la crise. Mais encadrer le système bancaire, élaborer des règles de fonctionnement à l'échelle internationale, suppose une gouvernance mondiale. Or, il n'y a pas de « gouvernance mondiale ». Tout accord doit avoir le consensus au moins des grandes puissances économiques.

La crise financière de 2008-2009 a été le dernier en date des rebondissements de la crise économique. Conséquence de la crise de l'économie productive, la crise financière en est aussi un facteur aggravant. Si l'histoire économique a retenu la crise de 1929 et la Grande Dépression qui s'en est suivie - de 1929 à 1932, la production industrielle mondiale diminua de 40 % -, il est plus difficile de mesurer les conséquences de la crise de 2008-2009 sur la production.

Mais la question se pose-t-elle ainsi ? L'économie est-elle en train d'éviter l'équivalent de la Grande Dépression ?

La perfusion financière ne guérit pas l'économie. elle pérennise l'agonie

Ainsi que nous l'avons rappelé dans le texte préparatoire au congrès de 2008 : « Ce qui distingue la crise financière actuelle des crises financières précédentes, c'est sa gravité, son extension planétaire et le fait d'avoir ébranlé le système bancaire mondial dans son ensemble.

Cette fréquence des crises financières ou boursières, plus ou moins graves, avec plus ou moins de répercussions sur la production, est en elle-même l'indication que la crise actuelle n'est pas le simple aboutissement d'un cycle isolé. Elle est en réalité la phase aiguë d'une longue crise rampante, commencée au début des années soixante-dix, qui s'est annoncée d'abord par une crise du système monétaire, pour se poursuivre par le premier choc pétrolier en 1973, avant d'aboutir en 1974-1975 à une première crise de surproduction et à un recul de la production dans tous les pays industriels. Pour la première fois depuis la fin de la guerre mondiale une récession qui se propageait à l'échelle de la planète montrait que les capacités de production se heurtaient aux limites du marché solvable. [...]

Depuis la récession 1974-1975, l'économie capitaliste a connu plusieurs périodes d'expansion entrecoupées de récessions. Mais elle n'a plus jamais retrouvé le niveau de croissance de la période antérieure. L'économie capitaliste mondiale n'est jamais sortie de sa longue crise rampante.

La classe capitaliste a retrouvé, vers le début des années quatre-vingt-dix le niveau de profit d'avant la crise. Mais elle n'y est pas parvenue grâce à un nouveau dynamisme, de nouveaux élargissements du marché solvable, entraînant de nouveaux investissements productifs. Ce fut en menant la guerre à la classe ouvrière, en aggravant l'exploitation, en bloquant les salaires, en intensifiant le rythme du travail, en s'appuyant sur la crainte du chômage, pour réduire de manière drastique la part des salariés dans le revenu national de chaque pays. En France, pour l'ensemble des entreprises, la part des salaires bruts, y compris cotisations sociales des employeurs, s'est fortement réduite, passant de 73,2 % en 1982 à 63,4 % en 1998.

Mais - et c'est la marque distinctive de cette longue période de décadence du capitalisme -, même une fois que le taux de profit a été rétabli, les entreprises capitalistes n'ont été que très peu attirées vers les investissements productifs, et de plus en plus vers les placements financiers. Cette évolution, et ses multiples conséquences, que l'on résume sous l'expression "financiarisation croissante de l'économie", dessine la physionomie du fonctionnement actuel de l'économie capitaliste. Elle a mis en place tous les ingrédients de la crise financière actuelle. »

La fierté des dirigeants de l'économie et de la politique est d'avoir évité ce qui s'est produit après le krach du « lundi noir » puis du « jeudi noir » d'octobre 1929 où l'effondrement des valeurs boursières, entraînant une crise bancaire, a plongé l'économie dans la Grande Dépression qui n'a été surmontée que par la guerre. Mais l'histoire ne se répète pas à l'identique. Rien ne dit que la Grande Dépression sera évitée, même si elle prendra une autre forme. Dans la réalité, elle a déjà commencé... depuis le début des années soixante-dix !

En 2008-2009, l'économie mondiale a connu sa récession la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale. Le PIB mondial, qui avait augmenté de 4 % par an entre 1997 et 2007, a ralenti en 2008 pour se retrouver à - 0,6 % en 2009. Rappelons ici le caractère factice de cette croissance comme d'ailleurs de la notion de PIB elle-même. Le mouvement de baisse est cependant significatif. À titre de comparaison, le recul du PIB de la planète pendant la Grande Dépression des années trente a été estimé à - 3 % en 1930, - 4 % en 1931, - 4 % en 1932. Mais le chiffre relativement modeste du recul du PIB reflète mal l'ampleur de la crise. Plus significatifs sont les indices de la production industrielle : d'après l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), la baisse mondiale est de 13 % (12 % aux États-Unis).

La France, quant à elle, a connu la récession la plus importante depuis l'après-guerre, avec un recul de 2,6 % du PIB et une production manufacturière en chute de 12 %. L'investissement des entreprises, déjà très bas, a baissé de 8 %. Et s'il y a bien eu un redressement de la production industrielle depuis l'été 2009, la tendance s'est à nouveau retournée sans que le niveau de production ait réussi à rattraper celui d'avant la crise. En témoignent les capacités de production qui ne sont utilisées qu'à 75 % dans l'industrie manufacturière.

Selon les prévisions de l'OCDE pour 2011, la croissance dans les pays du G7 pourrait tomber à 1,5 %. Aux États-Unis, la production industrielle a baissé en septembre, pour la première fois depuis quinze mois, du fait de la baisse de production du secteur énergétique de 1,9 %.

Le niveau de chômage, qui reste élevé dans tous les pays, aura augmenté de 4 % en un an en France. En septembre 2010, en comptant toutes les catégories, Pôle emploi a enregistré exactement 3 999 200 inscrits : officiellement, le seuil des quatre millions de chômeurs n'est pas franchi !

C'est donc sans investir et sans élargir la production et le marché que les entreprises ont à la fois renoué avec des bénéfices fantastiques et accumulé des milliards en trésorerie. Au 30 juin 2010, les seules sociétés industrielles américaines disposaient de 840 milliards de dollars de cash dans leurs caisses. Les grands groupes industriels et financiers en France, les fameux CAC 40, dorment sur un « matelas » de 150 milliards d'euros. Cette montagne de cash et les dividendes déjà distribués ont été accumulés « à la force du poignet », pourrait-on dire, c'est-à-dire par l'aggravation quotidienne de l'exploitation des travailleurs.

Un des directeurs de la Banque d'Angleterre a récemment estimé que la valeur actualisée de toutes les pertes de production présentes et futures approcherait sans doute une année de produit mondial brut (PMB) : 60 000 milliards de dollars (46 700 milliards d'euros). Ce n'est évidemment qu'un ordre d'idées. Mais le désastre que cela représente est, par son ampleur, sans comparaison avec aucune catastrophe naturelle de ces dernières années, et probablement même pas avec l'ensemble de ces catastrophes. Mais il ne s'agit pas d'une catastrophe naturelle. Ce n'est ni le tsunami en Asie du Sud-Est de décembre 2004, ni le tremblement de terre en Haïti de janvier 2010, ni les inondations au Pakistan en août 2010. C'est le fonctionnement même de l'économie capitaliste.

Malgré des annonces périodiques sur la sortie de crise, le seul secteur qui en est momentanément sorti est la finance. « La demande mondiale fait toujours défaut », titrait le supplément économique du journal Le Monde début octobre, soulignant que les investissements productifs ont encore reculé dans les pays impérialistes. Comment pourrait-il en être autrement alors que non seulement les mécanismes propres à la crise, la pression du chômage, le rapport de forces en faveur du patronat réduisent la consommation des salariés mais que les politiques d'austérité des États amplifient cette baisse ?

Concentration des capitaux

Les profits retrouvés des grands groupes industriels reposent sur l'exploitation accrue, mais aussi sur l'élimination de leurs concurrents. « La demande mondiale », c'est-à-dire le marché, ne s'élargissant pas, la guerre des trusts les uns contre les autres pour se disputer les parts de marchés stagnants ou en diminution devient plus exacerbée. Il est significatif que l'événement qui a déclenché la crise financière de septembre 2008, la faillite de la banque Lehman Brothers, a été en même temps l'occasion pour Goldman Sachs d'éliminer son principal concurrent.

Loin de mettre fin à la concentration financière, la crise la renforce. Les quatre plus grandes banques des États-Unis possédaient 23 % des actifs bancaires en 1999, 38 % en 2007 et 47 % en 2009 ! Et plus significatif encore, en 2010, aux États-Unis, cinq banques (Goldman Sachs, Citigroup, JPMorgan Chase, Bank of America et Morgan Stanley) détenaient 96 % des 293 000 milliards de dollars de produits dérivés détenus par les institutions financières américaines.

La même guerre se déroule dans l'industrie. La reprise des opérations de fusions-acquisitions, une fois le spectre de la crise bancaire écarté, est l'expression de la puissante tendance à la concentration par absorption ou élimination des plus fragiles.

Elle s'est manifestée cette année par de grandes opérations dans le secteur minier. Le premier groupe minier mondial, BHP-Billiton, résultant déjà d'une succession d'OPA hostiles ou amicales, s'est déclaré prêt à débourser 43 milliards de dollars pour mettre la main sur le numéro un mondial de la potasse, PotashCorp. Avant même que l'opération réussisse, BHP-Billiton était déjà le premier producteur mondial de plomb, deuxième pour l'argent, troisième pour le cuivre et le nickel, quatrième pour les diamants bruts, sans parler de sa présence dans l'uranium naturel, l'aluminium, le fer ou le manganèse. Ayant été incapable de mettre la main sur l'autre mastodonte du secteur minier, Rio Tinto, malgré une offre fantastique de 150 milliards de dollars, BHP-Billiton a choisi de s'associer avec lui pour l'exploitation des riches mines de fer de l'Australie.

Les spécialistes s'accordent pour désigner la pharmacie et les télécoms comme les prochains terrains d'affrontements entre grands groupes pour en créer d'encore plus grands, capables de contrôler ces secteurs à l'échelle du monde.

Grand capital et béquille étatique

Il se peut que les « états généraux de l'industrie » d'octobre 2009 à mars 2010, pour bidon qu'ils aient été, n'aient pas été seulement un alibi pour Sarkozy, mais l'annonce d'une politique future. Cette politique industrielle se manifeste déjà par différentes initiatives plus ou moins avancées dans la réalisation, comme la création de « pôles de compétitivité » avec l'aide de l'État, la création de « fonds stratégiques d'investissement », le « plan voiture électrique » et les différentes formes de crédits d'impôt recherche. Sous ce gouvernement de droite, partisan proclamé du « marché libre », l'État est intervenu dans le sauvetage d'Alstom. Il est intervenu dans nombre d'opérations de fusions-acquisitions pour favoriser de grandes entreprises nationales. On ne parle pas de « nationalisations » mais de « patriotisme économique » !

En cas d'aggravation de la crise ou simplement de sa prolongation, cela se généralisera pour devenir, au minimum, un moyen de subventionner massivement l'industrie au nom du « combat contre la désindustrialisation » et donc de la « création d'emplois industriels », sans parler de tous les projets de subventions industrielles ayant pour prétexte l'écologie. La presse économique parle, par exemple, de « ruée vers l'éolien off shore » (Les Échos), justifiée par des préoccupations écologiques, soulignant en même temps que cela constitue « une mine d'or pour les fabricants de lignes à haute tension » pour raccorder les parcs éoliens au réseau. Marché que se disputent des groupes comme Alstom et Siemens.

Pendant qu'une part croissante de capitaux privés se tourne vers la finance, qui rapporte bien plus et sans l'immobilisation de capitaux propre aux investissements productifs, l'État devra prendre de plus en plus en charge le développement, voire le simple maintien de la production industrielle. Qu'il le fasse sous forme de nationalisations ou sous la forme d'aides ou d'apports divers destinés à financer ce que les capitaux privés financent de moins en moins, est au fond secondaire.

De même qu'au lendemain de la guerre le Parti communiste s'était chargé de présenter la politique de nationalisations comme un grand progrès, voire un pas vers le socialisme, si la gauche revenait au pouvoir elle se chargerait de justifier l'étatisme accru par l'intérêt des classes populaires. Ce ne serait pourtant qu'une nouvelle tentative de sauver le capitalisme contre lui-même. Ce serait, aussi, un pas de plus franchi dans le parasitisme du capital. Pendant que les capitaux privés dérivent vers la finance, c'est l'État qui se charge de plus en plus de faire tourner les secteurs producteurs de plus-value. Car rappelons-le : si les capitaux placés dans la finance participent au partage de la plus-value globale au prorata de leur montant - en réalité, depuis des années, au-delà de ce prorata - la plus-value est créée par l'exploitation dans l'activité productive. La spéculation permet d'accaparer une part de la plus-value créée dans l'exploitation mais ne permet pas d'accroître la cagnotte totale.

Nous n'avons évidemment pas à soutenir l'épisode étatiste du sauvetage du capitalisme. D'autant moins que, un peu plus ou un peu moins étatiste, le sauvetage du capitalisme ne peut se faire qu'au détriment des classes exploitées. La gauche, si elle revient au pouvoir, retrouvera peut-être des accents dignes de 1982 pour présenter les mesures économiques qu'elle prendra et les sacrifices que ces mesures impliqueront pour les classes laborieuses comme une nécessité pour elles.

Le fait que l'État et l'étatisme doivent courir périodiquement au secours du capitalisme privé souligne seulement le fait que le capitalisme comme la propriété privée ont largement fait leur temps.

L'attitude du grand patronat et les plans d'austérité des États indiquent clairement de quelle façon la classe capitaliste compte surmonter la crise. La réponse bourgeoise aux conséquences de la crise consiste, au mieux, à aggraver l'exploitation, directement dans les entreprises, par l'écrasement des salaires, l'aggravation des conditions de travail, ou indirectement par l'intermédiaire de l'État, par l'abaissement de la protection sociale, par la réduction des dépenses en faveur des services publics utiles à toute la population, par l'augmentation des impôts frappant surtout les classes populaires comme les impôts indirects, par la mise à la disposition de la bourgeoisie de toutes les caisses publiques, le budget de l'État mais aussi la caisse de retraite ou de l'Assurance-maladie. Mais rappelons que les solutions bourgeoises à la crise de 1929, pour variées qu'elles aient été entre le New Deal de Roosevelt et l'économie allemande sous le nazisme, ont toutes conduit à la guerre.

Tous les partis représentant les différentes nuances des politiques restant sur le terrain de la bourgeoisie, du Front national au Parti socialiste et ses acolytes, partent de l'idée que ce qui est bon pour la bourgeoisie est bon pour l'ensemble de la société. Ils assènent tous, comme des vérités premières, des banalités du genre « il faut bien rembourser la dette » ou encore « en raison de l'allongement de la durée de vie, il est inévitable d'allonger la durée de cotisation ». Mais que ceux qui ont contracté la dette la remboursent donc !

Quant au déficit de la caisse de retraite, il pourrait ne pas y en avoir si la classe capitaliste continuait à verser leurs salaires aux travailleurs, même une fois que, l'âge venu, ils ne sont plus physiquement en état de se faire exploiter.

À la politique de la bourgeoisie face à la crise, il faut opposer une politique qui parte des intérêts vitaux de la classe ouvrière. La question fondamentale se pose ainsi : qui doit payer pour la crise et qui doit être protégé de ses conséquences ? En comparaison de cette alternative fondamentale, les nuances politiques n'ont qu'une importance secondaire.

La seule alternative politique : le renversement de l'ordre capitaliste

La période qui vient sera marquée par des attaques de plus en plus violentes de la bourgeoisie contre la classe ouvrière et sans doute plus largement encore contre les classes populaires. Les limites en seront définies par les rapports de forces. Les attaques de la bourgeoisie ne découlent pas d'une option politique particulière et encore moins de l'étiquette de l'équipe politique momentanément au pouvoir. Elles découlent de puissants intérêts de classe.

Le rôle laissé aux dirigeants politiques est d'appliquer la politique nécessaire à la bourgeoisie et de la justifier s'ils en éprouvent le besoin d'un point de vue électoral. Par-delà leurs étiquettes variées, tous les gouvernements d'Europe mènent une politique d'austérité plus ou moins grave, plus ou moins brutale. Ce seul constat indique les limites des promesses de changement au cas où le Parti socialiste arriverait au pouvoir par les élections de 2012, flanqué ou pas du Parti communiste et du Parti de gauche.

La bourgeoisie a toutes les cartes en main pour imposer sa politique face à la crise, mais en même temps elle fait la démonstration qu'il n'y a pas d'autre réponse aux conséquences de la crise sur la base de la propriété privée des entreprises et des banques qu'un nouveau renforcement de la toute-puissance des groupes financiers et la régression pour les classes laborieuses.

Le seul programme qui ouvre une perspective, c'est celui dont les différents objectifs, répondant aux problèmes cruciaux de l'heure du point de vue des classes exploitées, conduisent en même temps à la remise en cause de la domination de la bourgeoisie sur la société. Ce programme ne deviendra une force que lorsque les masses s'en empareront. Quand et comment ? Personne ne peut le dire aujourd'hui. Les attaques de la bourgeoisie déclencheront nécessairement des réactions plus ou moins violentes, plus ou moins conscientes, de la part des victimes de sa politique. Un véritable programme de lutte doit répondre aux questions soulevées par la lutte elle-même.

Lorsque la classe ouvrière se met en branle pour défendre ses conditions d'existence, un programme de lutte révolutionnaire devient indispensable.

Face au développement du chômage, catastrophique sur le plan matériel pour ceux qui le subissent et aussi facteur de décomposition sociale, il faut imposer la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire et l'interdiction des licenciements.

Face à la démolition du pouvoir d'achat des salariés, aggravée encore par les prélèvements de l'État et la détérioration des services publics, il est vital d'imposer l'échelle mobile des salaires et des retraites.

Face à la crise financière, il faut exproprier les banques, les unifier en une seule institution bancaire contrôlée par la population.

Et, surtout, face à l'irresponsabilité de la classe capitaliste, il faut contester sa mainmise sur l'économie et imposer le contrôle des travailleurs et de la population sur les entreprises et sur l'économie.

Il est inutile de tenter de deviner quand et sous quelle forme viendra une réaction de la classe ouvrière suffisamment massive pour modifier radicalement le rapport de forces avec la bourgeoisie. Mais la crise et ses conséquences constituent une rude école, et c'est la violence des attaques de la bourgeoisie qui pousse à la révolte.

Le mouvement de septembre-octobre 2010 malgré ses limites dues à la fois aux limites de la mobilisation elle-même et à sa direction syndicale réformiste, malgré la modestie des objectifs mis en avant et l'apparent échec même par rapport à ces objectifs modestes, est devenu une lutte politique, une réaction de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Elle a révélé aux yeux d'une fraction importante de la classe ouvrière, plus ou moins clairement, que la crise, la gravité des attaques de la bourgeoisie, ne laissent pas de place aux corporatismes et que seule l'action collective permet de retrouver la combativité et la conscience d'appartenir à une même classe sociale. C'est une leçon précieuse. Le rôle des révolutionnaires dans la période qui vient est de s'appuyer sur cette expérience collective, l'expliciter et montrer qu'elle indique la voie de l'avenir pour la classe ouvrière. À condition que la classe ouvrière ne se laisse pas détourner vers des impasses, à commencer par celle de l'électoralisme, les changements électoraux présentés comme une voie pour le changement.

La classe ouvrière vient de montrer, fût-ce pour le moment à une échelle modeste, qu'elle a la possibilité de peser directement sur la politique de la bourgeoisie par des moyens qui lui sont propres, les grèves, les manifestations. Il appartient aux révolutionnaires de défendre et populariser l'idée que mettre en avant des objectifs susceptibles de préserver les conditions d'existence de la « seule classe productive de la société » (Trotsky) est non seulement légitime mais nécessaire. Seule la classe ouvrière peut, en allant jusqu'au bout de la défense de ses intérêts matériels et politiques, mettre en cause la domination de la bourgeoisie sur la société.

Les tâches immédiates des révolutionnaires sont doubles : participer pleinement aux diverses formes de lutte de la classe ouvrière, mais aussi défendre en son sein par la propagande, par les discussions sous toutes les formes, le programme révolutionnaire, c'est-à-dire le programme qui, à travers le combat pour la défense des intérêts vitaux de la classe ouvrière, s'engage dans la lutte pour le renversement de l'ordre bourgeois. C'est dans le combat sur ces deux terrains que surgira le parti communiste révolutionnaire indispensable pour incarner et pousser cette lutte jusqu'à son aboutissement.

5 Novembre 2010