La poussée électorale vers la gauche, qui s'est manifestée au premier tour des municipales, a été confirmée lors du second.
Pour particulières que soient les élections municipales, avec la part des problèmes locaux, le bilan, voire la personnalité du maire, la nature des alliances pour constituer des listes, le résultat de ces élections venant après dix mois de présidence de Sarkozy a exprimé un désaveu net du gouvernement de droite et de sa politique.
Cette poussée électorale vers la gauche s'est manifestée sur la base d'une forte abstention. Au deuxième tour, par exemple, le taux d'abstention, 38 %, a même été le plus élevé pour des élections municipales depuis la guerre. Une fraction importante de la population, notamment dans les classes populaires, se désintéresse des élections. Mais l'accroissement relatif du nombre de ceux qui se sont abstenus n'a pas affecté au même degré l'électorat de gauche que l'électorat de droite. Cette différence est, elle-même, un des éléments de la poussée vers la gauche.
Il apparaît, en effet, que l'électorat de gauche s'est plus fortement mobilisé que lors des dernières municipales, en 2001. Ce n'est pas le cas de l'électorat de droite. Même dans les villes où après le premier tour, la mairie de droite est apparue plus en danger que dans d'autres et où la participation a été plus forte au deuxième tour qu'au premier, il apparaît que ce sursaut de mobilisation était surtout celui de l'électorat de gauche.
Dans l'argumentation tendancieuse de la droite qui, pour masquer son revers électoral, répète qu'il s'agit d'un simple rééquilibrage, à côté du gros mensonge, il y a une once de vérité.
En 2001, la situation politique était à l'inverse de celle de 2008. Le gouvernement en place était celui de Jospin, aux commandes depuis quatre ans. C'est ce gouvernement qui était en train de prendre des mesures anti-ouvrières. C'est ce gouvernement qui perpétuait le blocage des salaires, qui laissait faire les licenciements dans les grandes entreprises - que l'on se souvienne de Renault Vilvorde, fermée au lendemain de l'accession de Jospin à la tête du gouvernement -, qui supprimait des emplois dans les services publics, qui privatisait plus encore que le gouvernement de droite de Balladur qui l'avait précédé.
Une partie importante de l'électorat de gauche, déçue par la politique de droite menée par ce gouvernement pourtant « de gauche », a marqué sa déception lors des municipales de 2001 en s'abstenant, sans même parler de la fraction, moins nombreuse mais significative, qui avait alors choisi de voter à l'extrême gauche.
Faut-il rappeler qu'un an après ces élections municipales, à la présidentielle de 2002, l'abstention de l'électorat de gauche avait coûté quatre millions de voix aux candidats du PS et du PC, Jospin et Hue. Et Jospin avait dû céder à Le Pen le droit de participer au deuxième tour.
Mais le mouvement dans le sens inverse qui vient de se produire fait plus que rééquilibrer la situation : la droite a perdu non seulement la plupart des villes qu'elle avait prises en 2001 mais aussi quelques autres qu'elle détenait depuis longtemps.
La leçon politique de ces élections est double. D'un côté, l'électorat de gauche avait des raisons de se mobiliser contre cette variante particulièrement cynique et provocatrice de la droite au pouvoir qu'est l'équipe Sarkozy-Fillon. Il s'est saisi du vote pour des listes de gauche comme instrument de protestation contre Sarkozy et sa politique. Cette relative remobilisation de l'électorat de gauche pour voter contre Sarkozy a profité principalement au PS. Elle a profité aussi, dans une moindre mesure, au PC, ainsi qu'aux listes « à gauche de la gauche », quelle qu'ait été leur composition, dans les endroits où elles étaient présentes.
De l'autre côté, une partie de l'électorat qui a porté Sarkozy à la présidence n'a pas eu envie de se mobiliser pour assurer l'élection de ses séides dans les municipalités. Il y a de tout dans cette frange de l'électorat de droite qui s'est détachée de Sarkozy. Sarkozy a essayé de toucher, dans les dernières semaines de la campagne, la composante la plus réactionnaire de cet électorat en ressortant de sa besace de démagogue les discours sécuritaires et anti-immigrés. Sans succès, apparemment, bien que cet électorat-là ne soit pas revenu pour autant vers le FN.
Mais il y a aussi, sans doute, parmi les déçus de l'électorat de droite, ceux qui ont été touchés par certaines des mesures rétrogrades du gouvernement comme, par exemple, les franchises médicales ou « l'oubli » de sa promesse d'améliorer, un peu, la situation des retraités.
À l'issue du second tour, le nombre de mairies de plus de 15 000 habitants détenues par la gauche est passé de 291 à 350, alors que le nombre de celles dirigées par la droite a reculé de 342 à 262. Une quinzaine de municipalités sont dirigées par le MoDem. Même le PC sauve les meubles. Parmi les villes de plus de 30 000 habitants, il en perd trois, mais il en regagne trois autres. Et, d'après les indications de L'Humanité, pour ce qui est des villes de plus de 9 000 habitants, celles dirigées par un maire du PC seraient passées de 86 à 91.
Mais, fait significatif : sur les trois villes de plus de 30 000 habitants perdues par le PC, une seule - Calais - a été reprise par la droite. Aubervilliers a été prise par le PS, et Montreuil, par l'écologiste Voynet.
C'est qu'à côté de la compétition électorale gauche-droite, il y avait celle qui, à l'intérieur de la gauche, a opposé le PC au PS. Dans plusieurs municipalités dont le maire était du PC, dans la banlieue de Paris, mais également celle de Lyon et dans quelques villes de province, le PS a présenté ses propres listes et s'est lancé dans des primaires.
Ces primaires imposées par le PS ne lui ont pas réussi dans la plupart des cas. Dans la région parisienne, à part Pierrefitte, c'est le PC qui est arrivé en tête de l'électorat de gauche. Idem dans la banlieue lyonnaise. À Vaulx-en-Velin, par exemple, le maire apparenté PC est passé même au premier tour, ce qui ne lui était pas arrivé lorsqu'il était à la tête d'une liste Union de la gauche en 2001.
Mais dans quatre villes de la Seine-Saint-Denis, le PS, bien qu'arrivé derrière le PC au premier tour, s'est maintenu au deuxième tour en menant une véritable guerre à son allié de naguère. Aussi bien à Saint-Denis qu'à La Courneuve, Bagnolet ou Aubervilliers, le PS a manifestement misé sur l'électorat de droite pour fournir le nombre de voix qui lui manquaient pour prendre la mairie au PC. Dans trois de ces villes, la manœuvre n'a pas réussi. Saint-Denis, La Courneuve et Bagnolet ont gardé un maire issu du PC. Mais, à Aubervilliers, l'apport des votes de la droite a permis à la liste du PS d'enregistrer une victoire peu glorieuse contre son concurrent du PC.
C'est également une partie de l'électorat de droite qui, à Montreuil, a arbitré le duel opposant Dominique Voynet à l'apparenté communiste Brard.
Plusieurs dirigeants du PS ont pris leurs distances par rapport à cette entorse à ce que le PS et le PC appellent « la discipline républicaine », expression si souvent brandie contre les candidats d'extrême gauche.
Mais il serait probablement faux de parler d'initiatives locales. Il suffit d'entendre Ségolène Royal et quelques autres dirigeants du PS pour sentir que celui-ci est soumis à la tentation d'abandonner les alliances à gauche, principalement avec le PC, au profit d'une entente avec le MoDem. Plusieurs têtes de liste PS, comme Rebsamen à Dijon, ont intégré des politiciens du MoDem dans leurs listes avant le premier tour. D'autres ont choisi de les intégrer entre les deux tours.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que le PS, qui a tant fait dans le passé pour démolir l'audience électorale du PC, est préoccupé par ce retour de bâton et d'avoir perdu par la même occasion ce complément électoral qui lui donnait une chance de revenir au gouvernement. Ce n'est pas d'aujourd'hui, non plus, que le PS est soumis à la tentation d'abandonner la stratégie d'Union de la gauche pour trouver des alliés sur sa droite. Le MoDem est, en quelque sorte, l'incarnation de cette tentation.
Les résultats du MoDem dans ces élections municipales ne sont cependant pas tels qu'une éventuelle réorientation du PS vers lui puisse apparaître comme un pari gagnant. Mais d'ici les prochaines présidentielle et législatives...
Aussitôt leur succès acquis, les dirigeants de la gauche ont entamé le refrain : Sarkozy doit tenir compte de l'avertissement de l'électorat. Ils ont eu la réponse à leur injonction dès le soir du deuxième tour où Fillon a affirmé clairement que la politique engagée serait poursuivie. Fillon a même été relayé par d'autres, Raffarin notamment, qui ont attribué le revers de la droite au fait que les « réformes » ne seraient pas menées à un rythme assez rapide.
Si l'avertissement en reste aux seuls résultats des élections municipales, Sarkozy et compagnie continueront leurs mesures anti-ouvrières. Ils les accentueront même probablement, sachant que, sur le plan électoral, ils ont encore quatre ans devant eux et qu'ils ont intérêt à prendre les mesures les plus impopulaires dans les mois qui viennent, et pas dans les six mois qui précéderont la présidentielle et les législatives de 2012.
Et bien au-delà des petits calculs politiciens, il y a l'exigence du grand patronat. Les décisions qui sont déjà annoncées, comme celle qui consiste à repousser encore l'âge de départ à la retraite, comme l'assouplissement du contrat de travail, sont des exigences du grand patronat. Et si celui-ci ne tombe pas sur un os, le gouvernement s'exécutera.
Et puis, il y a le contexte économique général. Il y a la crise financière et ses conséquences prévisibles sur l'économie productive. Frappé par les conséquences des soubresauts de sa propre économie, le grand patronat et le gouvernement ne peuvent espérer sauvegarder les profits élevés des entreprises qu'en démolissant encore plus les conditions d'existence des travailleurs, en abaissant les salaires, en généralisant la précarité, en réduisant d'une manière drastique les dépenses sociales, pour pouvoir aider plus massivement encore le grand patronat.
Sarkozy peut jurer qu'il n'y aura pas de mesures d'austérité, il fera là où le patronat lui dit de faire. Quitte à embaucher une armada de prétendus intellectuels genre Attali, pour jongler avec la sémantique, en évitant les mots qui fâchent.
Mais ce ne sont pas les mots qui vont fâcher le monde du travail, c'est la réalité qu'il y a derrière. Si les mesures anti-ouvrières s'accentuent, si la crise s'aggrave, la classe ouvrière n'a pas d'autre choix, si elle veut se sauver de la misère et de la déchéance, que d'engager une lutte déterminée, explosive, contre le patronat et ses exécutants des basses œuvres du monde politique.
27 mars 2008