Situation intérieure

Εκτύπωση
Décembre 2006-janvier 2007

27 octobre 2006

I - L'année écoulée

Textes approuvés par 97 % des délégués présents au congrès.

Durant l'année écoulée, la situation politique a été marquée par un certain nombre de faits, les uns étant du domaine de la politique politicienne et les autres plus économiques et sociaux.

Sur le plan économique, il y a eu, malgré les statistiques officielles, une aggravation du chômage, surtout de la crainte du chômage. Ces deux phénomènes sont liés à la précarité des emplois. Les emplois précaires sont générateurs d'abaissement des revenus. Quand on travaille trois semaines par mois, et a fortiori une semaine ou un mois tous les trimestres, qu'on soit payé au smic ou même un peu au-dessus, on est un travailleur pauvre qui sûrement n'entre même pas dans les statistiques du chômage.

Pendant ce temps, les travailleurs qui ont un emploi, et même avec un contrat à durée indéterminée, y compris ceux qui appartiennent à la fonction publique ne serait-ce que sur les bords : les vacataires, les contractuels, etc., ont eux aussi la crainte de tomber dans le chômage, c'est-à-dire à terme, dans la misère.

Il y a donc ceux qui sont démoralisés parce qu'ils sont au chômage, et ceux qui le sont parce qu'ils craignent d'y être un jour ou l'autre.

Cela ne renforce pas la combativité, contrairement à ce que certains partisans du pire pourraient croire.

Devant cette situation, les syndicats ont beau jeu de ne rien proposer. Selon eux, c'est la base qui ne répond pas car lorsqu'ils appellent à une manifestation, à une lutte quelconque, une grande majorité des travailleurs ne répondent pas présents.

Le gouvernement avait installé le contrat nouvelle embauche apparemment sans réaction, car ce contrat divisait les travailleurs en ne s'appliquant qu'aux entreprises de moins de 20 salariés. C'est évidemment un contrat précaire s'il en est, pire que les contrats à durée déterminée, puisqu'un CDD de neuf mois par exemple, ne peut être rompu qu'à son terme. Avec le CNE l'employeur peut licencier à n'importe quel moment de la période d'essai de deux ans, du jour au lendemain, sans préavis, sans justifier de motif, et de cela découle une période de deux ans d'instabilité totale pour le salarié.

Mais, un peu trop aventuriste, le gouvernement s'est attaqué à l'ensemble de la jeunesse sans emploi et surtout étudiante, en essayant d'imposer un clone de ce contrat nouvelle embauche sous la forme du contrat première embauche, plus connu sous le nom de CPE.

Ce fut une quasi-révolte dans les facultés, dans les IUT, partout où les jeunes faisaient des études qui demandaient parfois des sacrifices, pour ceux qui étaient issus des milieux non favorisés, pour être mieux placés dans la course aux emplois. Lorsqu'ils ont découvert que deux, trois ou quatre ans d'études, ne conduiraient les moins de 26 ans, automatiquement ou quasi automatiquement, qu'à un emploi précaire de deux ans, ce ne fut pas mai 68 mais ce fut quand même l'ébullition dans les facultés et, à la suite, dans les lycées.

La marmite n'a pas explosé, mais le couvercle s'est soulevé et le gouvernement a dû céder, ce qui n'a rien ajouté à son image.

A cette lutte anti-CPE, nos camarades ont participé activement.

Sur le plan politique, rappelons que, l'année dernière, Chirac a cru bon de redorer son blason et celui de son gouvernement avec un référendum qu'il pensait peut-être gagné d'avance. Il aurait pu être dangereux de poser la question sous la forme «oui ou non à l'Europe ?». Mais la poser sous la forme «oui ou non à une constitution pour encadrer l'Europe ?» cela, ont dû penser ses conseillers, même les anti-européens n'auraient qu'une envie, c'est d'encadrer l'Europe, et il se dégagerait à coup sûr une majorité allant de l'UMP et des centristes au Parti socialiste pour répondre «oui».

Eh bien non, la réponse a été non ! Ce qui n'a fait que désargenter au lieu de redorer l'image de Chirac et de ses ministres. Evidemment il en a été de même des principaux dirigeants du Parti socialiste dont les électeurs ont été divisés. Dans l'opinion cela a été cependant moins visible que l'échec du gouvernement car, même si le Parti socialiste avait appelé à voter «oui», ce n'était pas lui qui avait pris l'initiative d'un tel référendum.

Nous en parlons ici parce que ce «non» a eu des suites politiques qui se font encore sentir aujourd'hui au travers des tentatives de «Collectifs pour un rassemblement anti-libéral de gauche» ou des «Collectifs unitaires et populaires», censés rassembler les «non de gauche» au référendum. Le PCF et la LCR s'y sont investis en tentant de les rassembler autour d'une candidature commune. Nous en verrons le résultat, provisoire, courant décembre.

Sinon, sur le plan de la politique politicienne, on a assisté simplement à une guerre de succession entre Sarkozy et les héritiers potentiels de Chirac. Ah ! Ce qu'on s'aime, sinon dans ce temps-là, du moins dans ces sphères-là !

Une émission de télévision récente nous a rappelé en images et en paroles, l'assassinat politique de Giscard d'Estaing par Chirac lors de l'élection présidentielle de 1981 où Mitterrand tira les marrons du feu et fut élu.

Il est vrai que le parti leader de la gauche, le Parti socialiste, nous offre un peu le même spectacle. Les prétendants socialistes à l'investiture de leur parti ont été nombreux. A ce jour, il n'en reste que trois et, mi-novembre, il semble que deux devraient être éliminés mais ce n'est pas sûr. Les péripéties au sein du Parti socialiste, peut-être moins sanglantes que ce qu'elles furent dans la droite et dont les coups de poignards restèrent en coulisses, furent cependant nombreuses.

Il y eut en premier lieu, la décision de soumettre le choix du candidat du PS au vote des militants, a-t-on prétendu. En fait, cela s'est transformé en vote des adhérents, lesquels allaient pouvoir acheter, y compris par internet, une carte de membre pour 20 euros leur permettant de désigner le candidat. Evidemment, cette grande braderie ne toucha pas les catégories les plus pauvres de la population pour qui 20 euros cela permet de vivre une journée, une fois payé le loyer.

Bien entendu, ces jeux qu'on ne peut qualifier d'olympiques que parce qu'ils se déroulent dans le ciel, loin au-dessus de la tête des simples mortels, ne nous ont pas concernés.

Pour parler plus simplement de nos propres activités, en dehors de la participation aux divers mouvements sociaux, petits et grands, qui se sont déroulés, elles ont été nos activités militantes habituelles.

Il faut faire une place un peu à part à nos caravanes d'été qui, pour habituelles qu'elles soient, ont été cependant un peu particulières par le sondage d'opinion qu'elles nous ont permis (nous y reviendrons plus loin).

Une partie de notre activité de cette année, activité qui n'est d'ailleurs pas complètement achevée, a été, comme à chaque élection présidentielle, la recherche de parrainages pour Arlette Laguiller, notre candidate que nous avons à nouveau choisie lors de notre congrès 2005. Candidate qui représente à la fois ce que nous sommes, et à la fois ce qu'elle représente dans l'opinion, car au cours des caravanes aussi, nous avons pu constater que sa popularité était restée sans faille. Nous avons aussi pu constater que nos camarades qui ont participé à cette activité et aux caravanes étaient partout bien accueillis au nom de notre organisation et de nos idées, au point que certains même nous ont félicités de ne pas avoir appelé à voter Chirac au deuxième tour de la présidentielle de 2002 et que d'autres ont tenu à ajouter qu'eux-mêmes ne l'avaient pas fait.

Notre bilan de l'ensemble de l'année dans le domaine politique, si on peut le tirer, est que nous n'avons rien perdu de nos forces malgré la démoralisation générale. Si nos effectifs n'ont guère augmenté, ils n'ont pas du tout diminué. En ce qui concerne notre rayonnement, nous le vérifierons à la prochaine élection présidentielle, mais celle-ci ne traduit pas seulement notre rayonnement, elle traduit aussi l'état d'esprit du moment des classes populaires par rapport à la droite et à la gauche. Nous reviendrons donc sur ce sujet plus loin.

II - Situation politique

Elle est incontestablement dominée, sur le plan de la politique intérieure, par les élections de 2007. La présidentielle bien sûr, mais aussi par les législatives qui la suivront immédiatement car les législatives conditionnent en grande partie la présence ou l'absence de certains candidats et l'attitude de leur parti dans la présidentielle. A droite, ce sont les Centristes et, à gauche, ce sont les Radicaux de gauche qui ont déjà choisi, et le PC, les Verts, voire tous les autres.

C'est un record de candidats. Il y en avait 6 à la présidentielle de 1965, 16 en 2002 et pour 2007 il s'en serait préparé 34 et il y en aurait, pour le moment, 22 plus ou moins annoncés mais qui n'arriveront pas tous jusqu'à la campagne.

Ce qui domine la présidentielle, c'est évidemment le fauteuil de la présidence. Mais un président qui n'a pas une majorité à lui ne peut pas grand-chose. Il ne se contente pas d'inaugurer les chrysanthèmes, comme sous la 3e République, mais il est limité aux représentations à l'étranger, plus protocolaires qu'efficaces.

Par contre, s'il a une majorité bien à lui, comme c'est le cas actuellement et comme ce fut le cas pour Mitterrand lorsqu'il fut élu, il a tout pouvoir. D'autant que la Chambre ne siège pas tout le temps et qu'une fois que les députés de la majorité ont voté les lois que le gouvernement leur demande, chaque député peut se retirer sous sa tente avec le prétexte d'aller vaquer dans sa circonscription.

Il y a ce qu'on appelle les majorités présidentielles, c'est-à-dire tous les partis, grands ou petits, que le candidat président éligible et, a fortiori, le président élu, traîne derrière son char. C'est le gros de ceux qui l'ont choisi au deuxième tour, et a fortiori dès le premier.

Chaque parti tente de monnayer son soutien au candidat du parti dominant de chaque camp, en échange de ce qui, aux yeux de ces hommes et de ces femmes politiques, compte le plus, c'est-à-dire les sièges de députés, de sénateurs, voire de ministres, qui représentent bien des places à se répartir, quoique moins nombreuses dans le cas où leur camp ne gagne pas.

Il n'y a qu'une place de président mais près d'un millier entre celles de députés, de sénateurs, de présidents de conseils généraux ou régionaux et de maires de villes importantes.

La monnaie qui sert d'échange à ceux qui vont renoncer à se présenter à la présidentielle ou qui promettent leur soutien dès avant le premier tour, est en premier lieu le nombre de circonscriptions électorales «gagnables» que le parti dominant va leur laisser. C'est-à-dire des circonscriptions où il ne va pas présenter de candidat contre eux et où il va s'efforcer de rallier toute sa majorité au candidat ainsi choisi, non par les électeurs mais par l'appareil.

La récente réunion des Radicaux de gauche est, à la fois, une franche rigolade et une franche illustration de ce fait. L'un de leurs dirigeants s'est exprimé à peu près dans ces termes : «renoncer à présenter un candidat, (il s'agit de Taubira), ce n'est pas un sacrifice pour nous», «30 circonscriptions gagnables -c'est-à-dire un groupe parlementaire- plus des places de ministres, c'est quand même mieux que 2,32% des voix à la présidentielle». Surtout qu'un mandat cela dure cinq ans ! Alors, depuis cette réunion des Radicaux de gauche, exit la candidature de Taubira, sauf si elle réussit à se présenter indépendamment.

Mais les négociations principales ne sont pas encore ouvertes, ou bien, si elles le sont, c'est dans le secret de cabinets ministériels, ou des salons de Matignon ou de l'Elysée pour la droite. Et pour la gauche, de façon plus banale, des rencontres dans un des sièges des partis concernés ou, pour éviter le regard des journalistes, dans un des restaurants de la capitale connus pour leur discrétion.

Les deux principaux partis qui ont à négocier à gauche sont, bien sûr, le Parti communiste et le Parti socialiste. Ils n'ont peut-être pas encore commencé, étant donné que le Parti socialiste n'a pas encore choisi (à la date de ce texte) son propre candidat et que c'est en grande partie avec lui ou elle que la négociation doit se mener ou tout au moins doit être cautionnée.

Le PCF, nous en parlons par ailleurs, ne peut pas rompre avec le Parti socialiste. Sa survie politique en dépend. Il ne peut parvenir au gouvernement qu'accroché aux basques du Parti socialiste. Il ne peut même, et c'est ce qui compte le plus pour lui, avoir suffisamment d'élus que grâce au Parti socialiste.

C'est par de tels cadeaux qu'on crée une majorité présidentielle. Bien entendu, à condition d'avoir, le jour du scrutin, les électeurs voulus.

Nous n'avons pas parlé de marchandages à droite car, pour le moment, les candidats potentiels fourbissent leurs armes, ou plus exactement aiguisent leurs couteaux, mais comme le font les cuisiniers en frottant leurs couteaux les uns contre les autres.

La télévision nous a déjà fait revivre la rivalité Chirac-Giscard, où Chirac fut celui qui fit définitivement tomber Giscard. Lors de la présidentielle de 1981, Chirac n'arriva cependant pas en seconde position, car Giscard le devança, et c'est ce dernier qu'affronta Mitterrand au second tour. Chirac fit une déclaration digne de passer dans les annales politiques. En gros, Chirac déclara que le candidat Mitterrand, du fait de son collectivisme et de ses alliances douteuses (le PCF), ne serait pas capable de gouverner la France et son économie et que ses idées fondamentales le contraignaient à voter pour Giscard.

Il conclut cette déclaration en conseillant aux électeurs de «voter selon leur conscience».

C'est le genre de soutien qui se fait, dit la sagesse populaire, au moyen d'une corde mais que Chirac accompagna, par sécurité, d'un coup de poignard dans le dos, car les militants du RPR ne se cachèrent qu'à peine pour appeler leur public à voter Mitterrand. Giscard raconte que lui-même avait téléphoné dans une des permanences du RPR en déguisant sa voix et qu'on lui avait dit ouvertement de choisir Mitterrand.

Aujourd'hui, la droite vit à peu près la même situation, sauf que si l'un des deux candidats, Sarkozy, est connu, sinon désigné, à l'heure où nous écrivons, celui que Chirac pourrait lui opposer ne l'est pas encore. Michèle Alliot-Marie serait sur les rangs et Chirac en sortira peut-être d'autres de sa giberne et, pourquoi pas, lui-même si cela pouvait faire perdre Sarkozy. Chirac peut penser qu'il y aurait peut-être encore assez d'électeurs «chiraquiens» pour qu'il manque quelques centaines de milliers de voix à Sarkozy et pour que celui-ci passe au premier tour derrière le candidat de la gauche et même derrière Le Pen. Ce qui donnerait un duel gauche contre Le Pen.

Le duel serait sans doute serré car toute la droite pourrait voter pour Le Pen contre la gauche. Ou peut-être pas, étant donné la crainte qu'inspire Le Pen à bon nombre d'électeurs, et qu'alors ce soit la gauche qui passe, rééditant ainsi contre Sarkozy le coup que Chirac avait fait contre Giscard. Mais, à la guerre comme à la guerre. Et Chirac pourrait bien offrir en sacrifice Le Pen ou la gauche au pays pour briser, ne serait-ce que provisoirement, la carrière politique de Sarkozy.

Mais tout cela, c'est bien sûr de la politique fiction en attendant le début de la campagne et que tous les protagonistes soient en piste. Enfin, il n'est pas absolument exclu que la négociation entre Parti communiste et Parti socialiste aboutisse à une candidature unique de la gauche, socialiste bien sûr, si le Parti socialiste et son candidat y mettaient le prix.

Evidemment, il est peu vraisemblable que Le Pen soit au deuxième tour et encore moins qu'il soit élu. Mais s'il l'était, il se comporterait comme un homme de droite, certes un peu plus vulgaire encore que Sarkozy, mais qui, sur le fond, ne gouvernerait pas autrement. Ou, si l'on veut dire les choses autrement, si Sarkozy est élu, il gouvernera, cinq ans, comme Le Pen le ferait. Car c'est l'économie, c'est-à-dire le patronat, qui domine la politique, et le grand patronat n'a surtout pas besoin d'un régime de couleur fasciste, facteur de troubles sociaux qui feraient du mal à la Bourse.

Nous aurons cependant à revenir sur tout cela lors de la campagne, voire dans les tout premiers mois de 2007.

III - PCF et PS

Pour comprendre les rapports de sujétion entre le PCF et le Parti socialiste, il faut remonter assez loin dans le passé, c'est-à-dire plusieurs dizaines d'années.

Lors du congrès d'Epinay de 1971, qui vit le renouveau de la SFIO sous le nom de Parti socialiste, Mitterrand déclara à ceux qui l'avaient porté à sa tête qu'il se faisait fort de réduire la puissance du PCF, au point de l'atteler au char du nouveau Parti socialiste sinon de l'enchaîner derrière lui.

En dix ans, cela s'est réalisé. On ne peut pas dire que c'était entièrement dû à la sagacité et à l'adresse, voire à la rouerie, de Mitterrand car les dirigeants communistes y ont mis beaucoup du leur.

Il y a quelques dizaines d'années, le Parti Communiste était puissant. Son électorat était important et même si son nombre d'élus à la Chambre des députés avait été parfois très réduit par les magouilles successives des lois électorales, ses électeurs étaient encore nombreux, au point qu'il dirigeait un grand nombre de municipalités y compris importantes.

A l'époque, on parlait encore de «ceinture rouge» aux portes de Paris. Le département de la Seine qui existait alors, comprenait à la fois Paris et cette ceinture rouge.

Dans les communes, la puissance du Parti s'exprimait par ses maires, ses conseillers municipaux, mais aussi toutes les associations populaires qui gravitaient autour de lui, dont il ne reste aujourd'hui pas grand-chose à part le Secours populaire. Il dominait, aussi, par ses militants de la CGT, bon nombre de Comités d'entreprises ou d'organismes semblables de grandes entreprises industrielles et commerciales, dont la plupart de ceux des Services publics, EDF, GDF, banques nationalisées, SNCF, etc. Ces comités d'entreprises représentaient une assise financière considérable. Les œuvres sociales des communes et des CE employaient, au total, des milliers de bénévoles mais aussi de salariés et encadraient les classes populaires, en particulier au travers de leurs enfants : crèches, garderies, colonies de vacances, maisons de jeunes, et même camps de vacances pour les salariés au travers de Tourisme et Travail.

Tout cela faisait vivre des coopératives créées pour être les fournisseurs des municipalités, de toutes les œuvres sociales, des Comités d'entreprises gérés par la CGT, et de nombre d'établissements scolaires qui dépendaient des municipalités communistes.

Ce n'était pas un électorat captif, comme peuvent l'être aujourd'hui les employés municipaux des communes encore aux mains du PCF (comme des autres partis). C'était un électorat conquis par l'activité populaire du PCF et le dévouement de ses militants. C'est d'ailleurs tout cela qui, aujourd'hui, manque aux quartiers populaires et contribue à la baisse de conscience sociale et à la démoralisation que l'on y constate ou que l'on subit.

Jacques Duclos était encore capable d'obtenir 20% des suffrages à la présidentielle de 1969.

La puissance, y compris matérielle du PCF se manifestait par le nombre de locaux, de permanences pour ses sections, ses fédérations qu'il avait un peu partout en France et, cerise sur le gâteau, par l'immeuble du Comité central de la Place du Colonel Fabien. Ce n'était pas du tout une construction dans le style stalinien néo-classique, mais conçue par l'architecte brésilien Oscar Niemeyer, le constructeur de Brasilia, qui en fit un modèle de modernisme, étudié dans ses moindres détails, dont l'exemple était l'entrée par le sous-sol pour être à l'abri d'éventuels émeutiers qui l'assailliraient, comme ce fut le cas, dans le passé, à plusieurs reprises pour l'ancien siège, lors des événements de Hongrie en 1956, par exemple.

Aujourd'hui, c'est devenu un monument que l'on peut non seulement admirer de l'extérieur mais que l'on peut visiter ou y faire un défilé de mode, ce qui était loin d'être le cas au début.

Le Parti communiste ne serait plus du tout capable de s'offrir un tel siège et il a même dû d'ailleurs le vendre en partie, ainsi qu'il l'a fait pour l'Humanité dont Lagardère est un des actionnaires. L'Humanité ne rapporte peut-être rien à ce dernier, mais l'immeuble est loué au PCF pour un loyer qui doit être assez élevé.

Le PCF n'a plus les moyens qu'il avait à l'époque et il vit largement au-dessus des moyens qui lui restent. Il a perdu -mais cela lui était déjà arrivé dans le passé du fait des tripatouillages des lois électorales- presque tous ses députés, au point d'être tout juste capable d'avoir un groupe parlementaire, ainsi qu'un grand nombre de ses municipalités, y compris de la ceinture rouge et y compris de villes importantes.

Donc, pour comprendre les rapports obligés de vassalisation du PCF envers le Parti socialiste, il faut comprendre cette évolution.

Le Parti communiste n'est plus un parti prolétarien, on peut dire depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ; il fait, comme le Parti socialiste, partie de l'appareil d'Etat de la bourgeoisie. Bien sûr, il y a eu toute la période de la guerre froide, mais durant ce temps il n'a perdu ni son électorat, ni même nombre de ses positions dans les rouages de l'Etat. En particulier au sein des entreprises nationales. Son déclin a en fait commencé bien plus tard, surtout avec le discrédit de l'éclatement de l'URSS, mais aussi avec l'annexion du Parti socialiste par Mitterrand et avec l'Union de la Gauche.

Le PCF, en perdant un grand nombre de ses militants, a perdu leurs cotisations, mais il a perdu aussi et surtout la majeure partie des ressources que lui procuraient les implantations décrites plus haut. Il a perdu aussi les ressources qui provenaient de ses élus. Car bien plus que ceux des autres formations politiques, les élus du PC reversaient une grande part de leurs indemnités au parti grâce auquel ils étaient élus.

Aujourd'hui, le parti ne peut plus vivre grâce à l'appui de ses militants, à leur rôle bénévole ou salarié dans les associations, les œuvres sociales et aussi à leur hégémonie dans la CGT qui leur donnait le contrôle des œuvres sociales de nombreux comités d'entreprises.

Il ne peut survivre à l'heure actuelle que grâce à un nombre suffisant d'élus. Des élus, c'est-à-dire des députés, des sénateurs, voire des maires de villes importantes ou moyennes. Mais son électorat n'est plus assez important pour lui permettre un nombre d'élus lui permettant de vivre non seulement sur le même pied qu'auparavant mais de survivre simplement. Non seulement l'Humanité est en déficit permanent, mais le PCF a dû aussi supprimer une grande partie de sa presse nationale et de province.

Or, pour avoir des élus, il est presque entièrement dépendant du Parti socialiste auquel son sort est donc lié intimement. Si le Parti socialiste présentait des candidats contre ceux du PCF dans toutes les circonscriptions du pays, le PCF n'aurait pratiquement plus aucun député et il en irait de même dans toutes ses anciennes mairies.

Bien sûr, le Parti socialiste y perdrait aussi. Mais il n'est pas dans la même situation. D'abord, politiquement, le Parti socialiste est prêt à tout sacrifier plutôt que de céder au moindre chantage du PCF, c'est-à-dire à la moindre pression -si même les dirigeants du PCF le voulaient- dans le sens des intérêts des travailleurs. Dans ce domaine, le Parti socialiste ne fera que ce qu'il décide, c'est-à-dire uniquement ce que la bourgeoisie exige de lui ou même réclame sans exiger.

Les dirigeants du Parti socialiste, non seulement les principaux mais même ceux qui sont secondaires, sont interpénétrés avec l'appareil d'Etat, évidemment par les élus mais aussi par les membres de l'appareil d'Etat et, sur le plan économique, social et familial, ils sont intimement liés avec la bourgeoisie elle-même. Ils le sont certainement infiniment moins que les principaux dirigeants des partis de droite, mais ils le sont quand même beaucoup.

Pour ce qui est de l'appareil d'Etat, les frères de Ségolène Royal nous en ont donné un petit exemple quoique tout à fait secondaire mais parfaitement révélateur : ce serait son frère aîné, nageur de combat et membre des services très spéciaux qui, paraît-il, aurait posé, ou contribué à poser, la bombe qui a coulé le Rainbow Warrior et tué un malheureux photographe qui n'était pour rien dans cette affaire.

Ce frère n'était sûrement pas n'importe qui aux yeux de Mitterrand et peut-être même de l'état-major. En effet, si les faux époux Turenge n'ont rien dit à propos de ce personnage, même par les maladresses dont ils n'étaient pas avares, c'est très probablement parce qu'il s'agissait de quelqu'un à protéger, de quelqu'un dont les liens avec les hauts sommets de l'Etat auraient pu être découverts. Ségolène Royal en était déjà très proche, par ses fonctions au secrétariat de l'Elysée, et on ne sait pas quel rôle jouait par ailleurs François Hollande.

On n'en finirait pas d'essayer de démêler l'écheveau qui relie les politiques, élus ou pas, à la bourgeoisie et à son Etat, non seulement à droite mais aussi dans cette gauche si proche du pouvoir. Mitterrand, nous l'avons assez dit, avait été onze fois ministre sous la IVe République. On rappelle aussi, qu'il était dans l'appareil d'Etat de Pétain à Vichy, et titulaire d'une malheureuse «Francisque», décoration suprême de ce gouvernement. De plus, c'était un habitué des coups fourrés, témoin la vraie-fausse tentative d'assassinat qu'il n'aurait évitée qu'en sautant les grilles, a-t-on dit à l'époque, des jardins de l'Observatoire.

Le Parti socialiste n'est pas aussi lié, mais il l'est quand même beaucoup, avec la bourgeoisie que les hommes et femmes des partis de droite le sont.

Cela par des liens familiaux et ceux des liens que l'on pourrait trouver dans leur curriculum vitae, tellement les dirigeants des grandes entreprises du pays et les dirigeants politiques sont une sorte de tricot, une maille à l'endroit ou une maille à l'envers selon les époques. De tout cela, on ne pourrait arracher un fil sans que tout vienne avec.

Ces partis n'ont pas vraiment besoin de militants de base ni même d'élus pour survivre. Les financements, quand ils sont au pouvoir, ils se débrouillent pour les avoir en échange de concessions. Et quand ils n'en sont pas à la tête, ils occupent quand même des positions stratégiques, moins importantes sans doute, mais quand même sources de prébendes dans un sens et de contrats dans l'autre. La mairie de Toulouse a été occupée par la gauche et par la droite mais l'aviation y a toujours prospéré et cela dure depuis la Première Guerre mondiale, Latécoère et l'implantation de l'aviation et de l'aéropostale jusqu'à EADS, en passant par Sud-Aviation, et la SNIAS familièrement appelée l'Aérospatiale.

Si la Lyonnaise des Eaux, actuellement Suez, a réussi à distribuer de l'eau plus ou moins potable au quart de la population française, ce n'est pas sans avoir corrompu quelques municipalités. On ne sait pas tout, mais on le sait au moins pour l'ex-maire de Grenoble, Carignon, qui lui n'a pas eu de chance et a fait de la prison pour cela. Ce qu'il n'a d'ailleurs jamais pardonné puisqu'il a fait de son «martyre» un livre aussi imbuvable que l'eau que les Grenoblois ont dû boire.

C'est peut-être le seul cas que l'on connaisse. Mais qui est sûrement loin d'être le seul, pour que la Lyonnaise des Eaux se soit chargée de purifier l'eau que boivent le quart des Français avant d'aller naviguer sur celles du canal de Suez.

D'ailleurs, cela dit en passant, on parle d'eau potable, mais c'est un mensonge. Avant la Deuxième Guerre mondiale, c'est vieux mais pas tant que cela, la définition officielle concernant l'eau potable était qu'elle devait être «une eau pure, exempte de germes et sapide», un mot technique pour dire «qui a bon goût». Aujourd'hui ce mot existe encore sûrement dans la définition des hygiénistes, mais n'est plus dans le langage courant, car les consommateurs l'ont oublié et les gestionnaires de l'eau des villes n'osent plus l'utiliser.

IV - LCR et PCF

La politique actuelle de la LCR, en tout cas depuis le «non» à la Constitution européenne, est d'essayer de s'unir avec le PCF pour une éventuelle candidature «à la gauche de la gauche», qui rassemblerait non seulement le PCF et la LCR, mais aussi ceux du PS sauf Fabius qui ont fait voter «non», c'est-à-dire la gauche du PS si elle existe, les altermondialistes, une partie des Verts, les écologistes type José Bové, et toute une série d'associations constituant la nébuleuse qui tourne autour de ce faux axe.

Le problème est que la LCR, par la voix d'Olivier Besancenot, exige du PCF et de Marie-George Buffet, de promettre de ne faire aucune alliance gouvernementale avec le Parti socialiste.

Marie-George Buffet aurait pu, ou pourrait volontiers, prendre la tête d'une telle coalition, si cela ramenait sur sa personne ces voix actuellement éparpillées. Cela la mettrait en meilleure situation pour négocier avec le Parti socialiste, lors des législatives, des circonscriptions «gagnables» que la direction du PS lui abandonnerait en fonction de son apport au second tour de la présidentielle, c'est-à-dire de son poids électoral au premier tour.

Il s'agit en quelque sorte, comme en 2002, d'une sorte de «primaires» entre le PCF, les Verts, voire la LCR, pour le nombre de circonscriptions que le PS distribuerait à ses soutiens. Les Radicaux de gauche ont déjà négocié avec le PS non seulement leur soutien au second tour mais leur absence au premier.

Evidemment, en cas de victoire de la gauche, cela s'assortirait, en plus, pour certains d'entre eux, dont le PCF, de quelques fauteuils, voire de strapontins ou de chaises, répartis selon l'influence sociale et politique, dans un gouvernement de la gauche.

En 2002, cela a été un échec, du fait que Le Pen est passé devant Jospin et que la défaite de la gauche aux législatives qui ont suivi n'a pas laissé grand-chose à partager. C'est ce que la sagesse populaire appelle «vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué». D'ailleurs, dans la situation présente, ce n'est pas la vendre, c'est se la disputer.

On ne sait d'ailleurs pas si la réédition des candidatures multiples de la gauche au premier tour, PS officiel, voire dissidents PS, PCF, Verts, ne lui sera pas aussi préjudiciable qu'en 2002.

Pour en revenir à la politique de la LCR, même si le fait de vouloir séparer le PCF du PS part d'un but qui n'est pas, en soi, critiquable, c'est l'espérer réellement qui rend cette politique erronée, car il était prévisible dès le départ qu'elle était vouée à l'échec dans les circonstances actuelles. De plus, sous la forme où la LCR le fait, elle est discutable. Elle ne pourrait trouver l'oreille d'une fraction des militants, des sympathisants et des électeurs du PCF qu'en demandant à Buffet de s'engager sur des objectifs sociaux compréhensibles pour l'électorat populaire. Des objectifs revendicatifs et sociaux simples et concrets à réclamer par le PCF au PS, voire à tenter de lui imposer mais sans réclamer au PC de rompre avec le PS. Ce qui n'est pas compris de l'électorat populaire très sensible à l'unité. Il n'est pas dit que ces objectifs seraient acceptés par Buffet et, encore moins, infléchiraient la politique du PS, mais cela pourrait peut-être être compris par le public de Buffet.

Bien sûr, une partie de la LCR croit tellement à la dynamique unitaire qu'elle imagine que la coalition espérée par la LCR pourrait dépasser, en voix, le PS. C'est une petite minorité qui se nourrit d'illusions mais qui ne pourrait qu'être affreusement déçue, le soir du scrutin et donc démoralisée, ce qui réduirait à néant tout espoir d'accrétion de la nébuleuse.

Le PCF ne peut pas, sous peine de disparition de la vie politique, c'est-à-dire sous peine de mort, séparer son sort de celui du Parti socialiste.

Il a essayé bien des fois, depuis 1971 où Mitterrand a annexé la SFIO pour en faire un nouveau parti socialiste. Le PCF a fait une alliance électorale avec le Parti socialiste, sous le nom de «Programme commun de la gauche». Mais il l'a payé en discrédit et aussi en se croyant trop fort.

N'oublions pas qu'en 1969, tandis que Duclos, le candidat du PC obtenait 21,5% des suffrages, Deferre, le candidat du PS, n'en obtenait que 5%. Et, en 1971, le PCF pouvait penser que c'était lui qui pouvait tenir la dragée haute au PS mais, à la présidentielle de 1974, le PCF s'aligna derrière Mitterrand qui fut le candidat unique -PS + PCF- de la gauche. Il ne fut quand même pas élu. Et en 1981, quand il fut élu, Marchais, qui se présentait contre lui, perdit avec 15,34% des suffrages, plus de 5 points par rapport aux deux législatives précédentes et presque un quart des suffrages de Duclos.

On ne peut faire l'histoire de tous les aléas de leur liaison orageuse mais, en 1981, lorsque Mitterrand a été élu, le Parti communiste a soutenu son premier gouvernement, celui de Mauroy, avec la participation de quatre ministres communistes. Mais la politique du gouvernement Mauroy était telle, avec entre autres le blocage des salaires, que le PC a partagé son discrédit. Ne pouvant le supporter, la direction du PC retira ses ministres, ce que l'opinion ne lui pardonna pas. Les ministres non plus d'ailleurs car ils devinrent des opposants.

Les quatorze ans de présidence de François Mitterrand virent la lente dégringolade de l'électorat du PC, qui se débattait au bout de la ligne du Parti socialiste avec quelques soubresauts mais sans pouvoir détacher l'hameçon qui le retenait, ni éviter l'épuisette finale.

En 2002, le Parti communiste fut proche de sa fin et de passer de l'épuisette dans la poêle dont, en tout cas, il ne tenait pas la queue car, aujourd'hui, ce n'est plus du tout lui qui décide... ou qui influence en quoi que ce soit la politique du Parti socialiste. Ce n'était déjà pas vrai au temps du manœuvrier Mitterrand, mais c'est encore moins vrai à l'époque de ceux qui se disputent misérablement son héritage.

La politique de la LCR était donc vouée par avance à l'échec. Ce qui ne veut pas dire qu'Olivier Besancenot ne recueillera aucun suffrage. Peut-être même passera-t-il, de ce point de vue, devant Arlette Laguiller. Mais cela veut dire que sa politique récente et actuelle ne lui servira à rien.

Besancenot a eu beau se montrer, pendant des mois, sur les mêmes tribunes que Marie-George Buffet, Mélenchon du PS et quelques autres, il a recueilli un certain coefficient de sympathie de la part de la base du PCF tant qu'il était unitaire, mais dont il perdra probablement une grande partie dès qu'il sera opposé à Buffet à l'élection. Les militants du PCF le voyaient comme un soutien à Buffet, mais pas comme un adversaire.

Aujourd'hui, il en est encore à dire qu'il s'effacera s'il obtient la promesse que Buffet ne passera aucun accord de gouvernement avec le PS. Mais les dirigeants du PCF ne peuvent pas faire une telle promesse et la base du PCF non seulement ne fera pas pression sur sa direction pour qu'elle le fasse car la base veut la victoire, c'est-à-dire l'union, mais, de plus, attribuera vraisemblablement la responsabilité de la rupture à la LCR.

Bien sûr, la LCR majore les «victoires» qui se sont produites depuis un an ou deux, victoires qu'elle présenterait comme des «insurrections» selon ce que Besancenot aurait dit à une fête de la LCR à Bordeaux. «Insurrection» comme le «non» au référendum sur la constitution européenne, comme le rejet du CPE ou comme les émeutes des banlieues. Elle majore ces «victoires» et la radicalisation qu'elles auraient entraînée.

Certains y croient, parmi ses propres militants, et certains croient tellement aux vertus de l'unité qu'ils en viennent à penser que l'unité de la nébuleuse Buffet-Besancenot-Bové autour d'un candidat commun pourrait créer une dynamique telle qu'elle permettrait à ce candidat de passer devant celui ou celle du Parti socialiste.

C'est évidemment une illusion. A moins que ce soit une tentative d'unité avec Picquet et la minorité qui l'entoure. La LCR et Olivier Besancenot paient en partie les illusions qu'ils ont créées. Car une fraction de leurs militants n'en est pas à envisager sérieusement la candidature Besancenot et laissent ceux de la LCR qui en sont réellement partisans se charger seuls de la recherche des parrainages. Cela pourrait contribuer aux difficultés de Besancenot à en recueillir le nombre voulu.

Pour notre part, nous espérons sincèrement que d'ici la date limite il en trouvera suffisamment pour se présenter car nous espérons vraiment que l'extrême gauche soit représentée par nos deux candidats, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller.

V - Altermondialistes, anti-capitalistes, gauche anti-libérale

Tous ces mots sont des termes nouveaux pour désigner des réalités déjà très anciennes ou parfois, plus simplement, des mots sans véritable signification.

Aujourd'hui, altermondialisme, c'est pour ne pas dire anti-impérialisme. Se dire anti-libéral et anti-capitaliste, c'est pour ne pas se dire socialiste et communiste. Cela parce que ces «vieux mots» font ringard et qu'il faudrait s'adresser aux jeunes générations et aux post-soixante-huitards sans utiliser des termes passéistes.

Mais si l'on creuse un peu ce que ces mots nouveaux pourraient apporter, soit on retrouve les veilles notions, soit on ne retrouve rien de tangible.

Prenons «altermondialistes», qui désigne, en principe, ceux qui sont contre la mondialisation actuelle. On comprend les dégâts de la mondialisation. Mais comment veulent-ils la supprimer ou la limiter, voire imposer une autre mondialisation, ce que le terme «altermondialisme» semble vouloir dire ? Comment, et par quoi remplacer l'actuelle mondialisation ?

La mondialisation est accusée d'un certain nombre de maux, bien réels, comme le commerce inéquitable entre le Nord et le Sud, autre expression moderne pour éviter les anciens termes, paraît-il péjoratifs, comme «pillage des pays sous-développés» ou «exploitation des pays en voie de développement».

La mondialisation serait aussi la responsable du chômage en Europe occidentale, en Amérique du Nord, enfin dans tous les pays déjà industrialisés. Responsable par les délocalisations ou les investissements dans les autres pays ou dans les pays en croissance économique mais avec une main-d'œuvre sous-payée, comme la Chine.

Mais si l'on voulait obliger les capitalistes du monde dit occidental -ou «du Nord» comme on dit maintenant, car ils se trouvent, tous au nord de l'équateur-, à s'engager dans «une autre» mondialisation, comment s'y prendrait-on, et quelle société, quelle économie voudrait-on pour la planète ?

Il ne faudrait plus exporter les capitaux qui se trouvent en excès du fait de la flambée des profits dans les pays industrialisés, et il faudrait au contraire obliger les capitalistes à investir sur place ? Mais est-ce socialement possible ou utile ? Et comment ? Comme Lula ou Chavez, en gagnant les élections ? Lula a déjà déçu une grande partie de ses supporters altermondialistes et les décevra encore plus s'il n'est pas réélu, et Chavez ne saurait malheureusement tarder car la mondialisation est telle qu'on ne peut, on le sait déjà depuis un siècle, faire le bonheur du peuple dans un seul pays.

Les altermondialistes ne nous expliquent pas ce qu'on devrait changer dans le fonctionnement du capitalisme «nordiste» pour aboutir à ce que les capitaux se réinvestissent autrement.

Faudrait-il supprimer l'économie de marché, la concurrence, la recherche, effrénée ou pas, du profit ? Et par quoi remplacerait-on le marché pour réguler, même tant bien que mal, l'économie ? Faudrait-il revenir aux barrières douanières, au contrôle des changes ?

Doit-on simplement demander gentiment aux Etats de contraindre la bourgeoisie, c'est-à-dire de lui demander de se sacrifier dans une nouvelle nuit du 4 août ? Mais ce serait non seulement un abandon de ses privilèges mais un suicide collectif car les bourgeois ne peuvent investir et survivre que là où cela rapporte suffisamment de profit.

Est-ce par la pression de l'opinion publique qu'on le pourrait ? Autant essayer de téter la louve de marbre qui, à Rome, représente celle qui est censée avoir nourri Remus et Romulus.

Est-ce un objectif qui pourrait être donné aux luttes des travailleurs ? Mais les altermondialistes n'ont pas l'air de s'adresser à ces derniers et semblent plutôt les ignorer.

Ou est-ce simplement une démagogie à court terme, avec un simple objectif politique et électoral, pour trouver un point de chute auprès des réformistes. Ou bien, plus ambitieux et altruiste visant, répétons-nous, à remporter des succès électoraux déterminants type Lula au Brésil, ou Chavez au Vénézuela. En prenant l'Etat en main il serait ainsi possible d'obliger les capitalistes à se montrer raisonnables et, surtout, soucieux du présent et de l'avenir de la population du pays, voire de l'humanité entière ?

Mais est-ce croyable, qu'un quelconque Etat bourgeois, surtout d'un pays industrialisé où la bourgeoisie est une classe numériquement forte, puisse servir à cela ?

Il faudrait le modifier de fond en comble. D'abord rendre l'Etat moins cher, mais pas en supprimant les services utiles à la population, pour autant qu'ils appartiennent à l'Etat. Il faudrait supprimer l'armée et en tout cas l'état-major actuel, intimement lié par des liens personnels et surtout familiaux à la classe dominante. Il faudrait supprimer tout l'appareil judiciaire et pénitentiaire, mais le remplacer par quoi ? On ne sait trop, car les tribunaux populaires et les «camps de rééducation par le travail» ont laissé un trop mauvais souvenir. Il faudrait aussi, sans doute, remplacer une grande partie des enseignants, imprégnés de la culture de la bourgeoisie, culture qu'ils véhiculent vers la jeunesse... lorsqu'ils ont les moyens de véhiculer quelque chose.

A tout cela, les altermondialistes n'ont qu'une seule réponse : ce sont les exemples de Chavez, de Lula ; dans le passé les exemples étaient en remontant dans le temps, ceux du sous-commandant Marcos, des Sandinistes, de Che Guevara, de Castro, de Tito et même de Mao. Mais ces derniers aussi ont l'air passés de mode aujourd'hui. En effet, ils se disaient communistes, et d'ailleurs Castro le dit encore, mais c'est avec son dernier souffle.

Tout cela illustre la vacuité des idées altermondialistes. La seule différence entre ce qui se passe aujourd'hui et ce qui se passait à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, et que Lénine a appelé en 1916 «l'impérialisme» en le qualifiant de «stade suprême du capitalisme», c'est non seulement que le siècle écoulé a vu une révolution socialiste majeure qui s'est déroulée sur le sixième des terres émergées et qui a changé la face du monde pour trois quarts de siècle, mais qui ne s'est malheureusement pas étendue de la face au reste du corps. Mais par ailleurs, si l'on veut penser à ce qui s'est passé au sein même de l'impérialisme, ce siècle vit la fin des empires coloniaux qui a débuté un peu avant la moitié du 20e siècle, très peu de temps après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce fut en partie un sous-produit de la Révolution russe puis, plus tard, de la guerre mondiale elle-même.

L'impérialisme qu'a décrit Lénine exportait des capitaux aussi bien dans les plus forts des pays déjà industrialisés, et il pénétrait dans les plus faibles sauf les colonies où tous ne pouvaient pas pénétrer librement.

Au point que même en Europe occidentale, on pouvait parler de semi-colonies pour des pays comme l'Espagne, le Portugal, voire l'Italie, auxquels on pourrait ajouter l'Irlande, la Pologne et la Russie tsariste, les Balkans et quelques autres.

Donc, le seul fait nouveau à l'échelle mondiale, à part le phénomène des krachs boursiers colossaux comme celui de 1929, c'est la fin des empires coloniaux. Cette forme d'impérialisme que, bien sûr, Lénine connaissait mais qui est plus apparentée au pillage, au vol, aux rapines et à l'extorsion par la violence qu'au seul fonctionnement économique du mode de production capitaliste comme l'est l'exportation du capital financier.

Le marché, dans les pays industrialisés, n'était pas, et n'est toujours pas, extensible indéfiniment. Il fallait bien utiliser les profits à quelque chose d'autre que la seule consommation des classes dominantes, consommation de biens et de services de luxe qui, pour si choquante qu'elle soit, n'est rien quantitativement par rapport à la masse des profits.

Les produits de luxe, donc chers voire extrêmement chers, ne suffisaient pas et ne suffisent toujours pas à absorber la masse des profits. Même la spéculation boursière n'y suffit pas non plus car le cours des actions ne peut pas gonfler indéfiniment sans créer une bulle financière aux parois si faibles que, à un moment ou un autre, à la moindre rencontre avec une épingle, elle ne pouvait qu'éclater, réduisant la bulle à l'état de loque vidée de ses profits. Au point d'ailleurs que la petite histoire nous dit que, lors de la crise de 1929, des millionnaires se seraient jetés du haut de gratte-ciel de Manhattan, sort malheureux mais volontaire, et précédant celui, involontaire, des malheureux qui en firent autant lors des attentats de 2001 contre les Twin Towers.

C'est pourquoi Lénine a expliqué, il y a déjà presqu'un siècle, que le capitalisme, sans changer de nature ni de fonctionnement, avait atteint un niveau de profits qu'il ne pouvait plus utiliser sur le territoire même de chaque bourgeoisie.

En effet, chaque bourgeoisie est née, a poussé et est enracinée sur un territoire qu'elle exploite à son profit par l'intermédiaire de l'Etat qu'elle a créé. Elle considère ce territoire comme sa chose, même si elle baptise ce territoire «nation» et se vante d'amener la prospérité à son peuple. Elle l'ose un peu moins aujourd'hui mais ne manque jamais de nous dire que c'est pire ailleurs. Et chacune a pu utiliser son Etat pour mener des conquêtes et des rapines aux quatre coins du monde, pour transformer des peuples en colonisés et pour l'utiliser aussi contre d'autres bourgeoisies de sa taille, pour des guerres de partage et de repartage des territoires coloniaux. Territoires où la concurrence des autres n'était pas tolérée, c'est-à-dire où la concurrence n'était pas admise et le capitalisme pas «libéral».

Lénine expliquait que les capitaux devaient s'investir ailleurs pour pouvoir rapporter, et ce nouveau stade n'était plus le stade colonial, il l'avait dépassé, c'était le stade de l'exportation des capitaux, d'un impérialisme nouveau où dominait le capital financier sur le capital commercial et industriel. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne coexistait pas avec l'impérialisme colonial. L'existence importante de ce dernier ne faisait que rendre plus âpres et plus violentes les rivalités inter-impérialistes.

Les banques avaient été inventées bien longtemps auparavant mais, à partir de cette époque, la fin du 19e siècle et le début du 20e, elles cumulèrent une croissance considérable et un filet qui enserre le monde entier dans ses mailles et ses ramifications. Les tentacules du système bancaire pénétrèrent partout, dans toutes les économies, dans toutes les industries existantes ou en gestation, dans toutes les autres banques. Elles créèrent des empires commerciaux énormes, avec le développement de véritables trusts commerciaux qui ne s'occupent que de la distribution.

D'abord principalement aux Etats-Unis puis, ensuite, non seulement dans tous les pays industrialisés, mais dans le monde entier.

Dans les pays pauvres, il y a très peu de pouvoir d'achat et le commerce est bien souvent le petit, tout petit commerce. En plein cœur de Mexico, des malheureux vendent des cigarettes à la pièce aux automobilistes arrêtés aux feux rouges. Le vendeur ne fait qu'un tout petit profit évidemment car tous les acheteurs connaissent le prix d'un paquet. Mais c'est ce petit profit qui les empêche de mourir dans un centre-ville où la mendicité est punie de prison. Et il n'y a pas qu'à Mexico.

Et pourtant, même dans ces pays, il y a des succursales de trusts commerciaux américains ou européens.

Evidemment, les altermondialistes vont nous dire que c'est dû à la mondialisation du commerce. Mais la pauvreté est due à quoi sinon à l'exploitation ? Et qui exploite le travail sinon la bourgeoisie pour laquelle des travailleurs produisent, qu'ils soient ouvriers ou paysans. La mondialisation n'est qu'un des aspects du capitalisme et de l'impérialisme qui n'est lui-même qu'un des stades du capitalisme, la mondialisation n'étant qu'un avatar de la fin des colonies. Mais on ne peut pas neutraliser cet avatar ou revenir en arrière, ce qui n'est peut-être pas souhaitable, sans tuer ou saigner à mort le capitalisme.

Mais c'est pour cela qu'ils se disent anti-capitalistes nous dira-t-on ! Mais si on est contre le capitalisme, de quelle société devons-nous êtrepartisans ? Une société dont le profit, l'exploitation de l'homme par l'homme auraient disparu mais cela serait le socialisme et le communisme ? Mais non, on ne peut pas s'exprimer comme cela, c'est trop vieux, c'est dépassé, c'est ringard !

Alors, ce qu'on cèle sous ces mots, c'est, ou bien, au fond, des idées ringardes et on est ringard soi-même, ou bien ce sont des idées qu'on n'ose pas défendre ouvertement, et encore moins expliquer.

Changer le capitalisme pour l'améliorer vraiment, cela nécessite de produire quand même, mais de produire sans exploiter quiconque, de produire rationnellement, pas de la façon anarchique dont le marché le fait, de préserver les hommes et la planète. Dans le domaine quotidien cela peut se comprendre et se décider localement mais pas seulement car ce serait revenir à un mode de production qui serait, lui, vraiment archaïque et générateur de pauvreté, de famine, voire de catastrophes. Même si l'on ne centralise pas à outrance, cela nécessiterait une planification économique succédant à l'expropriation des capitalistes et de la bourgeoisie. Si l'on prétend que c'est possible par l'Etat tel qu'il est actuellement, même mieux dirigé, ce serait tout aussi archaïque et même moyenâgeux, car ce serait un vrai conte de fées.

Et puis, nous expliqueront les écologistes et les météorologues, préserver la planète des effets de serre, des pollutions industrielles ou humaines, faire en sorte qu'il n'y ait pas de mégalopoles de 20, 30, 50 millions d'habitants, que certains pays n'aient pas 80% de leur population concentrée dans une telle mégalopole, tout cela ne peut être fait par un seul Etat. Cela demande une planification mondiale.

Même les écologistes le diront, qu'est-ce qu'un traité sur la pollution comme celui de Kyoto, si un seul pays et en l'occurrence les Etats-Unis, refuse de co-signer et donc fait écrouler le traité lui-même, car il est le principal pollueur et en tout cas celui qui pourrait donner vraiment l'exemple ? Le capitalisme s'est même approprié l'écologie car cela devient une industrie et que par ailleurs les Etats et les entreprises en viennent à vendre et à s'acheter mutuellement des «permis» de polluer.

Les altermondialistes, les anti-capitalistes, seraient-ils donc des communistes honteux ? Ou des communistes hypocrites, en un mot des menteurs, qui n'ont que du vent pseudo-contestataire à vendre, dans les campagnes propagandistes, voire pour certains, électorales, là où les autres candidats ne vendent, quand ils y sont vraiment contraints, que des promesses ?

Il faut quand même traiter à part les anti-libéraux, même si ce sont souvent les mêmes. Des porteurs de casquettes à trois visières : une anti-libérale, une altermondialiste et une anti-capitaliste. On pourrait même en ajouter une quatrième, pour ceux d'entre eux qui se disent écologistes.

Bien sûr, ils ont un certain succès d'estime parce qu'ils remuent des mots qui touchent la jeunesse parfois déçue du «gauchisme» politique. Nombreux parmi les plus jeunes sont sensibles aux méfaits de la société actuelle, à la pauvreté montante dans les pays industrialisés, au sort des peuples ex-coloniaux, des pays saignés à blanc par l'impérialisme et dont les jeunes hommes prennent des risques suicidaires pour essayer de rejoindre des pays qui, pour eux, sont l'Eldorado.

Les jeunes en sont touchés au point qu'un certain nombre d'entre eux veulent commencer, voire consacrer leur vie active, à travailler pour des organisations non gouvernementales, c'est-à-dire à parfois, pas toujours mais assez souvent quand même, envisager de reporter, voire de sacrifier une carrière possible, à faire la charité, à s'investir dans l'apport de technologies accessibles dans ces pays où un simple puits peut changer la vie d'un village.

Et même s'ils ne connaissent pas tous la formule, ils sont imprégnés du dicton qui se décline sous bien des formes : «Si tu donnes un poisson à un malheureux, tu le nourris une journée. Si tu lui apprends à pêcher, tu le nourriras toute sa vie». Ce dicton est un peu passé de mode parce qu'aujourd'hui les ravages que l'homme a faits à la planète font que des côtes qui nourrissaient autrefois des populations entières, ne reçoivent plus la visite d'un seul poisson et ne nourrissent plus personne.

Alors, on s'occupe des puits, des dispensaires en apprenant à quelques individus comment donner quelques soins. On leur apprend aussi à essayer de tirer profit de ressources locales, de la récolte des noix de karité par les femmes marocaines pour en faire de l'huile qui se vend très cher pour en faire des cosmétiques ou des shampoings, au point paraît-il d'être baptisée «l'or vert» ou encore à implanter des ateliers «d'art indigène» qui trouvent preneurs à bon prix en Occident. Cela sort peut-être quelques femmes ou quelques hommes d'une misère noire mais cela enrichit surtout L'Oréal ou ses concurrents ou encore quelques margoulins européens qui ont créé, dans certains pays africains, des manufactures d'arts premiers.

Tout cela peut sortir quelques individus d'un sort bien triste, mais ne favorise pas le moindre essor économique permettant à une population entière de sortir de la misère et du sous-développement.

Alors, on ne voit pas bien ce que veulent les altermondialistes. Ils veulent bien, semble-t-il d'après le nom qu'ils se donnent, de la mondialisation, c'est-à-dire de l'échange des capitaux, du rattrapage des pays industrialisés par les pays sous-développés, au moins partiellement, mais en évitant ses nuisances, ce qui malheureusement s'avère bien souvent impossible, avec en plus l'impossibilité sur les bases économiques actuelles, d'empêcher une minorité d'accaparer ou de voler ce que produisent les autres.

C'est pour se nourrir que des populations ravagent la faune des eaux fluviales ou maritimes. Mais c'est aussi pour produire un excédent ; un excédent qui ne reste pas aux mains de ces populations, et qui ne leur sert pas à créer des écoles, des hôpitaux, des infrastructures qui servent à tous, à former des enseignants, du personnel médical, des techniciens en nombre voulu. Non, cela va dans la poche de quelques cyniques, locaux ou pas. Car dans le domaine de l'exploitation, la mondialisation existe depuis longtemps, avec les pêcheurs qui se nourrissent parfois uniquement des têtes ou de ce qui reste sur les arrêtes des poissons qu'il pêchent, après qu'on en ait levé les filets pour l'exportation.

La mondialisation, c'est tout cela, nous dit-on. Mais cela, c'est le capitalisme, petit et grand. Si l'on accepte des échanges dans tous les domaines, même avec un échange qui ne soit pas inégalitaire, cela veut dire échanger des produits comme ceux de la pêche ou des matières premières contre des produits industriels.

Et les produits industriels, comment empêcher de les vendre avec profit par ceux qui possèdent les usines ? Il faudrait peut-être les obliger à vendre avec profit sur leur marché intérieur et sans profit ou avec très peu de profit dans les pays sous-développés ? C'est ce que revendiquent certaines associations qui voudraient que les multinationales pharmaceutiques vendent sans profit les médicaments indispensables, en particulier contre le sida ou les maladies qui ravagent les pays tropicaux. Disons en passant qu'il y a bien d'autres maladies entraînant la mort ou la déchéance, et contre lesquelles il y a des médicaments trop chers.

Les multinationales pourraient, évidemment, vendre à prix coûtant ou même à perte dans ces pays-là, sans en mourir. Mais elles savent que, par ce biais, d'autres capitalistes revendraient ces médicaments un peu partout dans le monde, certains via Internet et d'autres par le jeu de la mondialisation, dans des pays industrialisés.

Les pauvres multinationales verraient alors leurs intérêts battus en brèche et leurs filiales ruinées. Exactement comme les producteurs de produits de luxe, les Dior, les Chanel, les Lancel, qui se plaignent des contrefaçons qui sont la plupart du temps identiques aux originaux mais beaucoup moins chères parce que produites dans des pays où le coût de la main-d'œuvre est faible, ce que d'ailleurs ne dédaignent pas ceux qui y font fabriquer lesdits originaux. Parfois même ce sont ceux qui produisent les originaux qui, à temps pas perdu, fabriquent les «copies».

De ce fait, les Etats où les douanes seraient paraît-il supprimées, y compris de l'Europe des 25, tout au service de ces copiés, utilisent leurs douaniers dans les aéroports, à toutes les frontières internes à l'Europe, pour fouiller les bagages et les coffres des voitures afin d'y détecter les contrefaçons. Ils embouteillent même les tribunaux pour sanctionner les acheteurs.

Alors, pour quoi se battent les altermondialistes ? Quels buts ont-ils ? Quelle société veulent-ils à l'échelle du monde ? Bien sûr, on ne leur demande pas de décrire par le menu une telle société, de même que nous, nous sommes bien incapables de décrire une société communiste. Mais au moins nous savons exactement ce que nous voulons supprimer, c'est-à-dire la propriété privée des grands moyens de production, mais il est difficile de savoir, sur ce terrain, ce que veulent ou revendiquent les altermondialistes.

Et que dire des organisations politiques qui se disent communistes, révolutionnaires, qui attachent leur wagon au train tiré par ces diverses locomotives, ce qui est d'ailleurs difficile quand ces locomotives ne sont pas tout à fait sur les mêmes rails ?

Les remarques et les critiques que nous faisons, ces communistes pourraient les faire. Mais non, ils veulent être dans le temps présent. Ils veulent saisir les airs à la mode et les vents qui passent. Et, pour cela, ils s'abstiennent de toute critique, sauf secondaire. Critique secondaire comme par exemple, éventuellement, leur reprocher de ne pas exercer la même pression sur le Parti communiste pour qu'il se distingue du Parti socialiste.

Et puis, il y a aussi le fait que toute cette nébuleuse dont nous parlons dans ce chapitre, aussi nébuleuse dans sa forme et ses frontières que nébuleuse par ses idées, est absolument hostile à l'idée, à la conception de parti : un parti, c'est tout aussi ringard que tout le reste et, de plus, tout comme le communisme, on a vu ce que cela donnait.

En effet, un parti serait selon eux, obligatoirement «dictatorial», quels que soient ses statuts. Un parti a un programme. Eux ne veulent même pas de programme car un programme s'imposerait à tous les militants. Or ils ne veulent rien subir et donc rien imposer. Rien ne doit descendre du haut vers le bas, tout doit s'élever du bas vers les sommets lumineux. Nébuleux je suis, nébuleux je veux rester.

Et la LCR, là-dedans, fait tache. Ses dirigeants ont beau protester de leur liberté de penser, de leur liberté d'action et de toutes les libertés que les autres voudraient, elle n'arrive pas à se lier vraiment à eux, ou plus exactement à les lier à son char. Des gens qu'elle voudrait bien entraîner et dont elle voudrait bien utiliser l'image. Ils ne veulent pas d'elle comme porte-parole, il faudrait d'abord qu'ils soient d'accord entre eux, et ils ne veulent pas non plus de son candidat même si par défaut ils voteront pour lui, et ne parlons pas de Marie-George Buffet, la candidate du PCF.

Quelqu'un comme José Bové aurait pu être un centre pour cette galaxie car toutes les galaxies, même si elles ne tournent pas autour d'un axe véritable, semblent le faire, mais toutes les nébuleuses ne sont pas des galaxies du moins telles qu'on les voit de la Terre.

VI - Ecologistes et/ou Verts

Un de leurs thèmes principaux est le combat contre les OGM, les organismes génétiquement modifiés, c'est-à-dire des organismes vivants, végétaux, animaux ou même champignons ou bactéries, dans le génome desquels on a introduit, par un ensemble de techniques qu'on regroupe sous l'appellation de «génie génétique», un gène ou des gènes appartenant à une autre espèce, même lointaine.

Un tel gène (ou ces gènes), peut donner à l'organisme receveur la capacité de synthétiser des protéines diverses qui pourraient lui conférer des moyens de défense qu'il n'aurait pas naturellement, par exemple anti-parasitaires, ou anti-bactériens ou encore capables de modifier sa croissance, sa sensibilité à la sécheresse ou au froid, en un mot d'augmenter sa résistance envers tous les facteurs défavorables de son environnement.

En fait, cela fait une douzaine de milliers d'années que c'est par des modifications du génome des plantes et des animaux, par des croisements, des hybridations ou encore une sélection artificielle des caractères, c'est-à-dire des gènes qui les portent, donc par de véritables manipulations génétiques, que l'humanité a inventé l'agriculture et l'élevage. Aucune plante alimentaire et presqu'aucun animal élevé pour la consommation ou l'usage humain ne se trouvait à l'état naturel sous la forme où l'agriculture et l'élevage les ont finalement domestiqués. Les plantes alimentaires ou industrielles, les animaux d'élevage ont été modifiés au fil des années par une sélection artificielle des caractères anatomiques ou physiologiques existant chez les géniteurs ou l'un des géniteurs. Une sélection où l'on faisait et où l'on fait encore se reproduire entre eux les descendants possédant les plus proches des caractéristiques souhaitées et on a recommencé ainsi de suite, au fil du temps, de génération en génération.

Bien sûr, les hommes laissaient aux mécanismes reproductifs naturels le soin de transmettre les gènes voulus, dont ils ignoraient d'ailleurs l'existence, même s'ils étaient loin de connaître et de comprendre les mécanismes reproductifs en question.

La différence avec le génie génétique est que la sélection ou l'hybridation transmettaient de grands morceaux d'ADN c'est-à-dire de chromosomes, morceaux de chromosomes voire des chromosomes entiers contenant de nombreux gènes, par fécondation naturelle, puis artificielle d'ailleurs, au lieu de faire, comme le génie génétique, pénétrer un gène précis dans les cellules d'un tissu particulier, voire des cellules germinatives. Le génie génétique est plus précis, plus efficace et somme toute plus rapide que la sélection artificielle (la sélection naturelle n'est pas le fait des hommes) et de plus, ne sélectionne pas des caractères dommageables en même temps que les caractères utiles recherchés.

Donc, sur le plan technique ou scientifique, le génie génétique et ses produits, les OGM, ne sont pas fondamentalement différents de l'agriculture, de l'horticulture et de l'élevage, c'est-à-dire de la sélection artificielle, des hybridations ni des différents traitements physiques sur les graines, comme par exemple, les soumettre au froid avant de les planter. Sauf qu'avec ces techniques où la reproduction naturelle intervient, on fait se reproduire des organismes relativement proches sur le plan biologique. Sinon les fractions de chromosomes qui fusionnent avec un autre chromosome ne pourraient pas être transférées par la sexualité. Par le génie génétique, on peut arriver à ne transférer qu'un seul gène.

Les anti-OGM disent que, par ces techniques du génie génétique, on fait courir des risques à la population, voire à l'humanité, car on ne sait pas vraiment ce que l'on transfère qui peut passer sur d'autres organismes lorsqu'on fait des essais et qui passe finalement dans les aliments. Et si quelqu'un le sait, ce sont les multinationales qui commercialisent ces OGM.

Sur ce terrain, ils n'ont pas tort. Mais ils s'adressent aux vieilles peurs anti-scientifiques de l'humanité qui a la crainte de l'apprenti sorcier et qui, dans toute expérience sur le vivant, voit le risque de faire surgir un Frankenstein.

En fait, le principal et le seul véritable problème est essentiellement que la société puisse contrôler ces multinationales ou ces producteurs, et les empêcher de faire courir des risques à la population ou à la nature simplement pour la recherche du profit. On n'en finirait pas de citer tous ceux qui, avant même qu'on parle de génie génétique, ont introduit inconsidérément certaines espèces animales ou végétales hors de leur milieu d'origine et entraîné des catastrophes écologiques. Pêle-mêle, on pourrait citer l'introduction des lapins en Australie, d'une algue prolifique sur les côtes françaises de la Méditerranée, les amateurs de tortues américaines carnivores dont ceux qui les ont achetées et finissent par les craindre, se débarrassent dans nos campagnes, ou encore ce biologiste qui, pour se débarrasser des lapins de garenne qui déshonoraient son parc, a introduit le virus de la myxomatose non seulement dans son parc mais dans la France entière. Bien sûr qu'on peut craindre les apprentis sorciers, mais ce sont les amateurs qui sont le plus à craindre. On a à craindre les multinationales mais pas les scientifiques compétents.

En effet, des organismes génétiquement modifiés peuvent être tout à fait utiles, de la même façon que les techniques d'agriculture ont permis à l'humanité des progrès fantastiques. Pour ne citer qu'un seul exemple, les techniques physiques citées plus haut ont permis de planter des blés dits d'hiver, c'est-à-dire qui puissent être semés dans des régions froides comme la Sibérie ou le Canada où le blé ne pousserait pas naturellement ou en tout cas n'aurait aucune valeur pour faire du pain.

Et ce que disent de leur côté les défenseurs des OGM est parfaitement vrai. Le génie génétique pourrait servir à préparer des plantes alimentaires qui pourraient être semées et croître dans des pays où celles qui poussent dans les pays différents ne pousseraient pas, comme sous les tropiques par exemple ; ou d'autres pourraient résister à une humidité trop forte, résister à certains parasites ou à certaines infections. De plus la sélection artificielle peut, et cela arrive souvent, sélectionner un caractère utile, mais avec lui, des gènes défavorables.

Le génie génétique permet aussi de guérir certaines maladies. Par exemple, les retards de croissance graves aboutissant à des malformations, des nanismes, ont pu être traités par l'hormone de croissance qui était très efficace, mais que l'on extrayait d'hypophyses de cadavres et qui, dans certains cas, a transmis des prions responsables de la maladie mortelle de Creutzfeld-Jacob. Le diabète entraîné par l'insuffisance de sécrétion d'insuline, et qui peut avoir des conséquences très graves, fut longtemps traité par l'insuline extraite de pancréas de porc. Aujourd'hui on produit l'hormone de croissance et l'insuline par génie génétique.

Il y a peu d'autres exemples dans le domaine médical mais il y en a, et il pourra sûrement y en avoir plus dans l'avenir, si toutefois les recherches voulues sont multipliées.

A quoi les anti-OGM répondent qu'on ne peut faire confiance ni aux sociétés agro-alimentaires, ni aux trusts pharmaceutiques.

C'est vrai ! Mais encore une fois le problème n'est donc pas les OGM, il est que la société et la population puissent avoir accès aux informations et les contrôler, et non seulement interdire de breveter le vivant mais qu'on puisse supprimer tout secret commercial.

C'est cette dénonciation fondamentale qu'il faut faire, et aussi mener une lutte qui s'en prenne à la toute-puissance du capital sur la société et pas à une technique particulière.

Aujourd'hui, pour développer les pays pauvres, on en est réduit à récompenser par le Prix Nobel l'inventeur d'une banque des pauvres et des micro-crédits. Mais ce n'est pas cela qui sortira ces pays du sous-développement.

Bien sûr, le génie génétique, par lui-même, ne fera pas mieux car ceux qui ont des capitaux pour faire de telles recherches ne les jugent pas forcément immédiatement rentables et ne les font que dans des domaines très rentables comme le maïs où les manipulations ne sont pas forcément indispensables ni même utiles.

C'est cela qu'il faut comprendre et dire qu'il ne faut pas laisser la société entre les mains de ces gens-là. Bien sûr, certaines techniques, certaines recherches peuvent être plus dangereuses que d'autres, mais la solution n'est pas de s'en prendre spécifiquement à une technique qui n'est pas pire que bien d'autres qui sont elles aussi aux mains du capital privé.

Lorsqu'on mêle des antibiotiques à l'alimentation du bétail, ce qu'ont dénoncé les écologistes et qui est aujourd'hui interdit (mais détourné), ce n'est pas du génie génétique mais c'est autrement néfaste pour la population, en risquant de créer des résistances qui sont déjà nombreuses. Lorsqu'on se sert des pesticides issus de l'industrie chimique, on les fait pénétrer dans les végétaux et consommer aux animaux. Ils pénètrent dans les végétaux pour lesquels on les utilise, mais aussi dans d'autres car les pesticides ignorent les frontières nationales, départementales ou communales. Le vent peut les emporter et les eaux ne s'en privent pas non plus. Et puis, il suffit d'aller au salon de l'agriculture pour voir comment l'élevage et la sélection artificielle peuvent aboutir à des monstruosités.

Tout cela, c'est évidemment le capitalisme, tout comme l'épuisement des nappes phréatiques pour faire pousser du maïs même là où il ne pleut pas assez pour lui fournir l'eau dont il a besoin. C'est un non-sens, d'autant plus que ce maïs sert en grande partie à la nourriture du bétail qui pourrait se contenter d'herbe, et c'est un gâchis anormal. Cela aboutit à ce qu'en mangeant un simple steak, on contribue à détériorer l'environnement, ce qui peut être bien plus grave que ce que ce steak apporte en protéines et en calories, souvent en excès dans nos pays.

De fait, les écologistes dénoncent tout cela aussi mais ils ne prétendent pas vouloir le supprimer. Même s'ils dénoncent le «marché», cela ne va pas plus loin.

Ceux des écologistes qui ne se limitent pas aux OGM, luttent contre bien d'autres choses : la pollution de l'air, la destruction de la couche d'ozone, les déchets de l'industrie et des ménages, la déforestation, la pollution des eaux des rivières, des fleuves et des mers, la pêche intensive... Oui, ils mènent beaucoup de combats justifiés. Mais l'essentiel de leurs combats consiste à dire à la population et aux consommateurs que c'est à eux d'agir, pour protéger la nature, d'acheter des produits non-emballés et ainsi de suite. Un des slogans que l'on voit à la télé est en substance : «Un petit geste multiplié par soixante millions devient une grande action».

Mais la société capitaliste, la recherche du profit -même pas du profit maximum mais du profit tout court-, le marché c'est-à-dire la concurrence loyale ou déloyale, c'est tout cela qui est responsable de tous les maux que combattent les écologistes.

Mais seulement très peu d'entre eux utilisent ces mots et disent quel est le véritable danger qui est derrière ceux qu'ils dénoncent. Les seuls qui le disent un peu, ce sont les gauchistes, qui font aujourd'hui profession d'écologisme parce que c'est plus à la mode et plus «rentable» que de parler de communisme.

VII - Notre campagne

Tous les camarades qui ont participé aux caravanes de cet été et tous ceux qui ont lu attentivement et quotidiennement le «Journal inter-caravanes», ont pu faire un certain nombre de constats.

Disons d'abord que beaucoup des remarques qui sont ressorties ont été semblables, du nord au sud et de l'est à l'ouest du pays.

Disons ensuite qu'il ne s'agit pas d'un sondage d'opinion mais de quelque chose de mieux qu'un sondage d'opinion. En effet, un sondage d'opinion est fait sur un échantillon d'environ mille personnes appartenant, dans des proportions plus ou moins bien définies, aux deux sexes, aux différentes classes sociales et aux différentes classes d'âge à partir de 18 ans.

C'est-à-dire qu'ils représentent, lorsqu'il sont bien faits, si c'est possible, un instantané des choix du corps électoral, à la date du sondage.

Notons qu'ils sont plus près de la réalité pour les grands partis que pour les petits. Parce que quand un petit parti n'arrive qu'aux environs de 5% d'intentions de vote sur mille personnes interrogées, cela en ferait environ cinquante qui pensent voter pour lui. D'un sondage sur l'autre, si le résultat ne varie que d'un point ou deux, cela ne représente pas forcément une variation dans l'opinion mais plus simplement la marge d'erreur sur un petit nombre de personnes.

Les instituts de sondage font donc des corrections en fonction du passé, des résultats des autres candidats, ou des restes des grands partis quand ils ont tout additionné. Mais pour nous, cela entraîne une très grande approximation.

En 2002, Arlette atteignit dans les sondages des pourcentages jamais atteints, 6,7 voire 8%, et Besancenot fut très bas ou même inexistant (cela parce qu'ils n'avaient pas de références sur lui, que les sondés non plus et que les sondeurs pouvaient placer une partie des scores présumés de Besancenot dans ceux d'Arlette).

Et puis, même pour les grands partis, quel est l'institut de sondage qui avait prévu que Le Pen passerait devant Jospin et ferait face à Chirac au deuxième tour ?

Ce que nous avons recueilli dans les caravanes provient d'un public auquel nous voulons nous adresser et que nous voulons défendre. Il n'est pas exactement notre public habituel, et ce n'est pas un échantillon de tout le corps social mais c'est un public ciblé.

Les itinéraires avaient d'ailleurs été choisis pour toucher principalement ces catégories sociales puisque nous cherchions des étapes dans des villes très touchées par le chômage, les licenciements et la précarité.

Ceux que nous côtoyons tout au long de l'année ne sont pas toujours ces catégories sociales-là. Nos camarades d'entreprise côtoient des salariés qui ont des emplois fixes et, lorsqu'il y a des intérimaires dans leur entreprise, ce n'est pas forcément ceux avec lesquels ils ont le plus de relations.

Lors des caravanes, les gens sont plus divers et, surtout, plus libres de nous parler qu'au sein des entreprises. Les pressions actuelles sur le monde du travail et l'intensité de ce travail font que les gens n'ont pas vraiment le temps ou la possibilité de tenir des conversations. Souvent, nos camarades en sont réduits à discuter avec d'autres militants syndicalistes, toujours les mêmes, et très peu avec les travailleurs en place car la maîtrise fait assez souvent la chasse aux délégués, et les travailleurs, surtout intérimaires, craignent d'être vus en train de parler à un délégué.

Lors des caravanes, les remarques qui venaient le plus souvent, si l'on excepte les partisans de Le Pen qui se trouvent aussi dans ces milieux-là et qui ne nous parlaient que peu, concernaient d'abord la situation, la crainte du chômage, pour eux-mêmes ou pour leurs proches, des intérims à répétition, qui ne se succèdent pas toujours sans trou, ce qui aboutit à des salaires de misère.

Si la discussion portait sur le plan politique, c'était neuf fois sur dix pour vomir la droite au pouvoir, son cynisme, ses mesures anti-ouvrières et le leitmotiv qui revenait, sur tous les tons et avec toutes les variantes possibles autour de la même conviction, c'était : «Il faut chasser la droite».

Lorsque nos camarades discutaient du gouvernement socialiste d'avant 2002, ils ne rencontraient pas toujours une compréhension immédiate car les souvenirs des mauvais coups de ce gouvernement s'évanouissaient avec le temps et son image se bonifiait en vieillissant, surtout à cause du rejet, augmentant de jour en jour, de cette droite abhorrée.

Si nos camarades rappelaient tout le passé du gouvernement socialiste, le fait qu'il avait privatisé plus que la droite qui l'avait précédé, les salaires qui avaient été bloqués par le premier gouvernement socialiste et n'avaient pas été débloqués par le dernier, que les 35 heures avaient eu du bon pour beaucoup de travailleurs, mais du mauvais pour beaucoup d'autres, ils finissaient par obtenir un acquiescement mais ne convainquaient pas vraiment.

Cela trompait parfois certains de nos camarades qui confondaient le désir de ne pas relancer la discussion avec un accord véritable. Si nous parlions des compensations larges pour le patronat, sur le dos des travailleurs et sur celui des contribuables, pour le petit patronat bien sûr mais, au travers des sous-traitants, pour le grand aussi, nos interlocuteurs arrivaient à se rappeler tout cela et admettaient que le Parti socialiste n'était pas le leur, surtout d'ailleurs les sympathisants communistes. Mais nos interlocuteurs disaient alors finalement : «Tu as raison, je sais, je me souviens, mais quand même la gauche c'est moins pire que la droite». Et souvent ils ajoutaient : «Je voterai pour le PS au deuxième tour pour chasser la droite» quand ce n'était pas : «Il ne faut pas revivre 2002 et par sécurité je voterai pour les socialistes dès le premier tour».

Ce n'était pas un sondage sur mille personnes, ce fut un sondage sur des milliers de personnes, avec lesquelles nous avons eu des entretiens, même courts, comme ce qui précède, mais entretiens qui ne se limitaient pas à une seule question.

Depuis la rentrée, même sans ouvrir beaucoup nos oreilles, nous pouvons entendre les mêmes propos venant des travailleurs, des militants syndicalistes, que l'on peut bien sûr taxer d'être influencés par le PCF ou par le PS, mais qui reflètent aussi une opinion générale.

C'est pourquoi, tout d'abord, nous risquons d'être laminés, comme nous l'avons été aux législatives de 2002 qui ont suivi la présidentielle. D'ailleurs toute la gauche avait reculé et la LCR avait été laminée aussi. Il n'y a qu'aux régionales surtout, et aux européennes de 2004, que la gauche a repris un peu des couleurs et s'est refait, et surtout aux régionales, de bonnes joues.

Cela dit, pour garder le moral pour notre campagne, on peut espérer, si l'on est bardé, comme il se doit, d'optimisme, une remontée de notre électorat. Mais c'est peu probable et, pour ne pas être déçus, ne nous faisons pas trop d'illusions.

Cette situation va bien sûr influer sur notre campagne.

Pour le moment, nous n'en sommes, en quelque sorte, qu'à une pré-campagne puisque tous les candidats ne sont pas sur la ligne de départ. Nous ne parlerons donc pas, dans ce texte, de notre campagne proprement dite.

Nous allons seulement définir quelques grandes lignes pour en décider à notre congrès.

Tout d'abord, nous dirons ce que nous pensons et de la gauche et de la droite, sans rien cacher aux travailleurs de nos critiques et de nos idées.

Mais nous devrons considérer que nos critiques principales devront être dirigées contre la droite.

D'abord parce que c'est elle qui dirige le pays actuellement. Le gouvernement, c'est elle. Et pour les masses populaires dont nous voulons défendre les intérêts nous devons en faire une critique impitoyable. A l'heure actuelle, c'est elle qui représente politiquement les intérêts du grand patronat et, accessoirement, les idées du petit patronat, pour des raisons électoralistes, ainsi d'ailleurs que celles d'une fraction de l'électorat populaire qu'elle voudrait prendre à Le Pen.

Nous dirons aussi ce que nous pensons du Parti socialiste, du Parti communiste et de leur politique.

Nous devons cependant éviter de nous appuyer trop sur le passé, même récent, du gouvernement de la gauche plurielle. Le passé s'oublie, de jeunes électeurs ne l'ont pas vécu et au rappel des gouvernements de gauche qui ont précédé Jospin, sous la présidence de Mitterrand, seuls les militants sont sensibles.

Et ce que l'oubli, la mémoire défaillante, ne font pas, la politique de la droite le fait. C'est la droite au pouvoir qui fait la campagne électorale de la gauche.

La deuxième raison de porter principalement nos coups sur la droite est que la gauche ne l'emportera pas forcément car les jeux seront peut-être serrés et la droite est puissante. Si Sarkozy est au deuxième tour contre un ou une socialiste, il aura le soutien d'une grande partie des électeurs de Le Pen.

Il ne faudrait pas que l'électorat populaire puisse reprocher à notre campagne d'avoir fait perdre la gauche. En 2002, beaucoup nous en ont accusé. La présence du PC et des Verts comptait moins, à leurs yeux, que la présence de l'extrême gauche. Si la gauche perd, l'électorat qui voulait chasser la droite et qui en avait plus qu'assez, cherchera des responsables. C'est pourquoi avant de décider nous devrons bien étudier la situation et les rapports de force en présence. N'oublions pas qu'en 2002, si Le Pen avait eu la moindre chance de l'emporter, nous n'aurions sans doute pas eu la même attitude. Sarkozy n'est pas Le Pen, certes mais un candidat de gauche ne serait pas égal à Chirac.

De plus, nous sommes une petite organisation. Nous n'avons pas les moyens, non seulement d'influer sur l'opinion des classes populaires, mais nous n'avons même pas les moyens de nous défendre contre les accusations ou les calomnies. Nous ne sommes pas partout et ne pouvons pas répondre partout.

Lorsque nous nous expliquons en tête-à-tête, nous pouvons plus ou moins convaincre un interlocuteur, et encore, car on combat difficilement ce qui est plus un sentiment qu'un raisonnement. Mais nous sommes loin de pouvoir nous adresser à une fraction suffisante de la population pour changer l'opinion qu'on a de nous. Et il faut donc être politique. Bien sûr, nous le disons, un moindre mal est quand même un mal, c'est pourquoi nous ne devrons rien cacher de ce que nous pensons de la gauche. Mais comme l'écrivait en résumé Trotsky en juillet 1936 : «Nous ne sommes pas les protecteurs du gouvernement Blum mais nous préférons Blum à Tardieu et demander la démission du gouvernement Blum est une idiotie». Le slogan que Trotsky proposait était «il faut chasser les ministres radicaux».

Il est vrai qu'à l'époque, Trotsky considérait le PC et le PS comme des partis ouvriers.

En 1974, lorsqu'Arlette s'est présentée pour la première fois à la présidentielle, elle et Lutte ouvrière étaient inconnues. La droite était au pouvoir depuis 16 ans, dont plus de dix ans de pouvoir de De Gaulle. Mitterrand avait, en 1974, frisé la victoire.

En 1981, c'était pire, la droite était au pouvoir depuis sept ans de plus, c'est-à-dire 23 ans. Toutes les classes d'âge qui avaient 18 ou 20 ans en 1958, et celles d'après, n'avaient connu que la droite. Quant à ceux qui avaient été expédiés en Algérie, cela avait été par la gauche, bien sûr, mais la gauche, ils l'avaient en grande partie oubliée, étant donné que De Gaulle était arrivé en 1958 apparemment pour aggraver la guerre et pas pour y mettre fin. Il a fallu que pendant quatre ans il trompe un peu tout le monde pour y arriver en 1962.

Ni en 1974, ni en 1981, nous n'avons ménagé nos critiques contre Mitterrand. Nous ne citerons pas les déclarations d'Arlette durant la campagne, nous les avons éditées. Mais au deuxième tour, nous avons quand même appelé à voter Mitterrand devant le sentiment populaire. Notre formule était : «Sans illusions mais sans réserves, nous appelons à voter Mitterrand».

Lorsque nous disons cela, certains camarades pensent que nous nous préparons à appeler à voter pour la gauche au deuxième tour. Ils se trompent !

Bien moins que les autres fois, nous ne savons ce que nous ferons ou dirons au deuxième tour.

En effet, entre appeler à voter blanc, dire que nous ne donnerons pas de consigne de vote ou que, pour notre part, nous nous abstiendrons mais que nous ne ferons rien pour empêcher le candidat de gauche d'être élu ou encore que nous appellerons à voter pour lui (ou pour elle), il y a des nuances importantes. D'autant que nous ne connaissons pas, à ce jour, tous les candidats qui seront réellement en présence et qui ont une chance d'être au second tour, à part Ségolène Royal et Sarkozy, voire Le Pen comme certains le craignent encore.

Et c'est pourquoi nous ne pouvons, et ne devrons pas nous engager trop à l'avance ou même pas du tout, ni dans un sens ni dans l'autre, sur le deuxième tour.

Nous verrons, au cours de la campagne, la situation sociale, les propos des uns et des autres et aussi, si nous n'avons pas pu le prévoir à l'avance, quels seront les deux adversaires en présence, le soir du premier tour.

Dans cette élection, nous ne voulons rien dire qui puisse faire présumer ce que nous pourrions faire et surtout, au moment où cela sera possible, comme dans toutes les élections précédentes, de quelle façon nous le dirons.

Le plus important étant de ne rien dire qui puisse nous engager prématurément ni dans un sens ni dans l'autre car, pour nous, cette question est posée mais est encore entièrement ouverte.

VIII - Notre campagne et la LCR

Dans cette pré-campagne et la campagne, nous n'avons pas à polémiquer avec la LCR. Elle n'est en rien notre adversaire. Elle recrute, entraîne, s'associe éventuellement avec des gens qui pensent comme elle, qui sont d'accord avec elle et qui donc ne pensent pas comme nous, et ce ne sont pas ceux que nous cherchons à entraîner dans cette campagne ou à recruter. On pourrait en faire changer certains d'opinion mais individuellement et pas dans une campagne électorale.

Cependant, si nous ne polémiquerons pas avec la LCR, il n'en va pas de même vis-à-vis des organisations comme le PCF, ou comme des courants dont la LCR pense qu'il sont orphelins de parti, alors qu'ils sont opposés à toute idée de parti, comme les altermondialistes ou les anti-libéraux, et quelques autres. Ce qui est évidemment leur droit, mais qui est une des choses qui nous séparent d'eux et qui les séparent, eux, de la LCR.

Nous pouvons chercher à les convaincre, individuellement ou pas, mais nous ne chercherons pas à les faire voter pour nous en nous adressant spécifiquement à eux.

Nous aurons par contre à nous démarquer d'eux, à dire ce que nous sommes par rapport à eux, en quoi nous différons, voire dans les discussions individuelles autour de nous à faire la critique de leurs idées. Mais nous ne ferons pas une campagne contre eux car nous avons des ennemis communs, même si nous les considérons comme des réformistes.

Nous aurons donc ainsi, dans les discussions individuelles, à nous démarquer de la politique de la LCR, voire à la critiquer, comme nous l'avons fait par nos lettres critiques publiées dans LO, mais ce n'est pas la combattre électoralement.

Nous aurons certainement des questions, de la part de journalistes ou de certains de nos sympathisants, ou encore de ceux que nous rencontrerons au cours de notre campagne. Par exemple, pourquoi nous ne nous présentons pas ensemble, et qu'est-ce qui nous sépare de la LCR et des autres. Nous aurons donc à y répondre.

L'expliquer, c'est ce que nous écrivons par ailleurs. C'est nos différences politiques. Nous n'hésiterons pas à nous proclamer, ouvertement et essentiellement, dans le camp des travailleurs alors qu'eux, non seulement ne le font pas, mais ironisent sur le «travailleuses, travailleurs» d'Arlette.

Tout cela, il faudra sans doute le dire. Mais il faudra dire aussi que, quel que soit notre score, nous souhaitons qu'Olivier Besancenot obtienne beaucoup de voix car l'opinion publique, les travailleurs dans leur ensemble, sous l'influence des médias, additionneront les voix d'Arlette et les siennes comme ils l'ont fait en 2002.

Si c'est un mauvais score, ce sera péjoratif, bien sûr. Si c'est un bon, eh bien, ce sera positif pour notre camp. Si Besancenot passe devant Arlette, toute la presse en parlera. Si Arlette reste devant Besancenot, comme en 2002, personne ne le notera vraiment, mais le score total sera noté, bon ou mauvais. Et s'il est bon, ce sera bon pour nous deux et aussi pour les idées que nous aurons défendues, même si Besancenot n'a pas défendu exactement les mêmes.

Oui, nous souhaitons qu'Arlette et Besancenot, quels que soient leurs scores respectifs, fassent au total le meilleur score possible. Imaginons, ce n'est qu'une hypothèse, que le total soit à nouveau de 10%. Cela aurait un sens politique important car même si au deuxième tour c'est le candidat socialiste qui l'emporte, il sera manifeste qu'une partie de l'électorat de gauche n'a pas craint de manifester de la défiance, voire de la contestation de la politique socialiste et, à sa suite, de la politique du PCF, même si une grande partie de cet électorat d'extrême gauche aura voté pour le candidat socialiste au deuxième tour (cela ne préjuge pas de ce que nous dirons ou ferons).

Bien sûr, les journalistes dits d'information ont des opinions politiques et, vu leur milieu social, ils sont plus proches de la nébuleuse altermondialiste, écologiste et autre, que du communisme, et leur cœur comme leur stylo iront plutôt vers Besancenot. Ce sont les aléas de la vie politique et il ne faut pas s'en alarmer à l'avance.

Disons en passant que nous ne comptons pas le score du PT dans l'extrême gauche parce que le PT ne se revendique aujourd'hui comme en 2002 ni du trotskysme, ni même de l'extrême gauche.

Et d'ailleurs, le total Besancenot et Arlette était de 9,97% (4,25% pour OB et 5,72% pour AL), et nous sommes parfaitement fondés de dire «très proche de 10%», voire «10%».

27 octobre 2006