A cinq mois de l'élection présidentielle, la campagne bat déjà son plein. Mais, paradoxalement, pour plusieurs partis, en particulier ceux qui ont des chances d'être présents au second tour, on ne sait pas au juste qui sera candidat.
Du côté de l'UMP, bien que le candidat ne soit officiellement choisi qu'au mois de janvier 2007, le suspense n'est pas insoutenable. Sarkozy se présente, au bas mot depuis deux ans, comme candidat naturel de la droite. Il a réussi à mettre la main sur cet atout décisif qu'est l'appareil de l'UMP et sa capacité de financement. Il s'efforce depuis plusieurs années de donner une certaine image de sa personne et de sa politique susceptible de plaire à l'électorat de droite : sécuritaire, anti-immigrés, anti-jeunes et, surtout, anti-ouvriers. Avec un zeste de démagogie susceptible de séduire une partie de l'électorat lepéniste, d'autant que les électorats de la droite et de l'extrême droite se recoupent largement.
Vers l'électorat d'extrême droite, le message subliminal qu'il envoie est qu'il vaut mieux voter pour lui, qui a des chances d'être élu et d'être en situation de mener la politique de Le Pen, plutôt que pour ce dernier qui, lui, n'a aucune chance d'être élu.
Vers les élus de l'UMP -il y en a des dizaines de milliers, des députés jusqu'aux conseillers municipaux, en passant par tous les étages intermédiaires-, le message qu'il envoie, c'est qu'il est celui qui peut leur faire reconquérir non seulement leur propre électorat, mais en plus une bonne partie de l'électorat d'extrême droite.
L'argument est susceptible de porter sur les élus des régions où l'extrême droite est forte et où l'élu local UMP passe de justesse devant le candidat lepéniste... ou rate la marche de justesse.
Mais aussi solide que puisse paraître la position de Sarkozy du côté de l'électorat qu'il vise, il n'est pas encore dit qu'il ait partie gagnée.
Lui qui a déjà quelques trahisons à son actif ne peut pas ignorer la capacité de nuisance de Chirac qui, manifestement, ne l'aime guère. C'est déjà avec l'appui de Chirac que Villepin a tenté sa chance pour supplanter Sarkozy en tant que candidat de l'UMP.
Après sa déconfiture face à la jeunesse révoltée par le CPE, Villepin est apparu écarté de la course. A ce qu'il paraît, cependant, il n'a pas complètement abandonné la partie, placé en embuscade et essayant de pousser Sarkozy à la faute.
Alors que Villepin semblait hors course, c'est Michèle Alliot-Marie qui annonçait ses penchants présidentiels.
Et voilà que Chirac lui-même laisse entendre qu'il peut bien se remettre dans la course.
Il est peu vraisemblable que l'un ou l'autre puisse prendre la place de Sarkozy, et ce n'est sans doute par leur ambition. Mais, en revanche, en maintenant le suspense sur sa propre candidature, bien après que Sarkozy a été investi par l'UMP, Chirac peut lui empoisonner son début de campagne et, peut-être, lui enlever quelques centaines de milliers de voix.
Ce n'est pas pour rien que Sarkozy vient de lever toute ambiguïté : même une fois désigné candidat pour la présidentielle, il n'a pas du tout l'intention d'abandonner ni la présidence de l'UMP, c'est-à-dire le contrôle de son appareil, ni le ministère de l'Intérieur. On ne saurait être trop prudent !
Du côté du Parti socialiste, nous sommes encore en pleine guerre des trois roses.
La grande innovation de ces élections, c'est la campagne interne au Parti socialiste qui précède la campagne électorale elle-même. Enfin, campagne interne, c'est une façon de parler. Car le Parti socialiste a eu droit, outre ses propres meetings tenus par les trois concurrents, à trois longues séquences à la télévision. La direction du Parti socialiste présente comme la preuve d'une démocratie innovante ces shows télévisés, qu'on peut difficilement appeler "débats" car les trois candidats à la candidature ne débattaient guère. C'est faire de nécessité vertu.
Lors des campagnes présidentielles précédentes, le Parti socialiste avait son "candidat naturel" : Jospin en 1995 et en 2002, Mitterrand les fois précédentes depuis 1974. Et lorsqu'avant l'élection de 1981, un autre dirigeant du Parti socialiste, en l'occurrence Rocard, s'était avisé de présenter sa candidature à la candidature du Parti socialiste, l'appareil du parti s'était chargé de le ramener à la raison. Rocard avait préféré se retirer avant même que Mitterrand annonce sa candidature.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure ces shows médiatiques ont éclairé les adhérents du Parti socialiste. Les commentaires des journaux du lendemain se sont occupés autant de la façon dont les trois candidats étaient habillés que de leur ton et de leur gestuelle, en essayant de trouver, sans toujours y parvenir, ce qui les distinguait les uns des autres.
Au-delà du positionnement des uns par rapport aux autres, ce qui est frappant, c'est l'extrême prudence de chacun. Rien, ou presque, de concret dans les promesses et, surtout, pas d'engagement qui pourrait être pris au sérieux au lendemain des élections.
Les sondages donnent Ségolène Royal largement vainqueure, mais ce ne sont pas les sondages qui vont désigner le candidat, mais un vote des adhérents. La meilleure chance pour elle est de passer dès le premier tour du vote interne au Parti socialiste. S'il y a un second tour, qui pourra deviner les reports de voix, sans parler des alliances secrètes et des coups fourrés ?
La "démocratie interne" du Parti socialiste a au moins l'avantage d'être une démocratie bon marché. Grâce à une récente campagne d'adhésion au Parti socialiste, il suffisait pour être membre de prendre contact avec le Parti socialiste -via internet- et de payer une cotisation de vingt euros pour une année, et on devenait adhérent de plein droit.
On peut se passer de ces formalités que sont les réunions, à la seule limitation près que, pour voter, il faut tout de même se manifester physiquement auprès de sa section. Il paraît qu'ils ont été 70000 à profiter de ces soldes !
Apparemment, le comportement comme le vote de ces adhérents nouveaux sont encore terra incognita même pour les dirigeants du parti.
En attendant que le candidat officiel du Parti socialiste soit désigné par les adhérents, le premier secrétaire se démène pour empêcher la multiplication des candidatures venant de l'ex-Gauche plurielle. Il a obtenu que le Parti radical de gauche ne présente pas de candidat et appelle dès le premier tour à voter pour le candidat socialiste. Pour ce faire, Hollande a fait une offre qui ne se refuse pas quand on est radical, de gauche ou pas : l'assurance qu'aux législatives, le Parti socialiste appellera à voter pour un candidat radical dans trente circonscriptions, permettant ainsi au Parti radical d'avoir un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale.
Mais, à peine les Radicaux de gauche ont-ils jeté Taubira par-dessus bord que Chevènement annonce sa candidature ! Est-ce pour la maintenir jusqu'au bout ? Est-ce pour faire chanter le Parti socialiste pour qu'il fasse à sa formation un cadeau similaire à celui fait au Parti radical de gauche ? C'est une des inconnues des semaines qui viennent. Mais il faut avouer que ce n'est pas des plus importants.
Côté Parti communiste, c'est encore autre chose. Là, on est sûr de l'identité de la candidate, en la personne de Marie-George Buffet. Mais il reste le suspense de savoir si elle se présente au nom du seul Parti communiste ou au nom du courant qui s'intitule "la gauche anti-libérale".
Ce n'est pas la première fois que le Parti communiste se présenterait au nom d'une identité plus floue en espérant attirer vers lui au moins une fraction de l'électorat qui ne se reconnaît plus dans le Parti socialiste ou, en tout cas, qui ne veut pas assumer sa politique au gouvernement.
La direction du Parti communiste a, en tout cas, déjà investi Marie-George Buffet comme candidate de la gauche anti-libérale. Un référendum interne au Parti communiste qui se déroule en ce moment doit confirmer cette décision.
Le hic, cependant, est que, dans cette gauche anti-libérale, il n'y a pas que le Parti communiste, bien que ce soit lui qui en fournisse une bonne partie de la base. Et les collectifs unitaires, les structures de base du courant anti-libéral, ne se prononceront qu'au début de décembre entre cinq candidats à la candidature : outre Marie-George Buffet, il y a José Bové, Clémentine Autain, Yves Salesse et Patrick Braouezec.
Une partie de ceux qui se revendiquent de ce courant n'est pas disposée à investir Marie-George Buffet comme leur candidate. Certains parce que, comme l'a affirmé José Bové à plusieurs reprises, un dirigeant de parti ne peut pas représenter l'ensemble du courant. D'autres, notamment ceux qui se revendiquent de la LCR, parce qu'ils demandent au Parti communiste non seulement de ne plus accepter de gouverner avec le Parti socialiste, mais aussi de ne pas passer "une alliance stratégique" avec ce dernier. Ce qui, en clair, signifie une alliance pour les législatives.
Autant dire que c'est demander l'impossible au Parti communiste !
La LCR cite d'ailleurs abondamment l'exemple de l'élection partielle de Bordeaux où la direction du PCF a préféré un candidat PS/PC plutôt qu'un candidat de la "gauche du non".
Autant le Parti communiste flirte avec la gauche anti-libérale pour l'entraîner dans son sillage, autant il n'acceptera pas, et il ne pourrait pas accepter, de ne pas s'allier aux législatives avec le Parti socialiste.
L'alliance avec le Parti socialiste est, de longue date, la stratégie fondamentale du Parti communiste. Faut-il rappeler que c'est avec cette stratégie, présentée comme la seule alternative face à la droite, que le Parti communiste a désarmé les travailleurs, les a détournés de la lutte de classe, le seul moyen véritable pour eux de peser vraiment sur les décisions politiques ? C'est en demandant à ses militants de défendre cette perspective que le Parti communiste les a dégoûtés de toute politique car, chaque fois que cette perspective s'est réalisée, sous Mitterrand et avec Jospin, les ministres du Parti communiste ont cautionné, aux yeux des travailleurs, les mesures anti-ouvrières du gouvernement auquel ils appartenaient.
Mais, aujourd'hui, on n'en est même plus là. L'alliance avec le Parti socialiste, ce n'est pas une stratégie politique, mais une question de vie ou de mort pour le Parti communiste.
Dans le passé, ce qui faisait la force du Parti communiste, c'était sa force militante et son audience électorale. Aujourd'hui, il a perdu une grande partie et de l'une et de l'autre. Sa force, aujourd'hui, se limite à ses milliers d'élus. Mais, aussi bien à l'Assemblée qu'à la tête des municipalités ou des conseils généraux, le parti ne dispose de ces élus que dans la mesure où ils sont élus avec le soutien du Parti socialiste ou, du moins, dans la mesure où le Parti socialiste ne présente pas de candidats contre eux.
Le Parti communiste peut tenir tous les discours que l'on veut vis-à-vis du courant anti-libéral -ce qui est d'autant moins difficile que les prises de position qui tiennent lieu de politique pour la gauche anti-libérale, le Parti communiste peut les partager sans difficulté-, il ne rompra pas avec le Parti socialiste.
A en juger par les déclarations de leurs porte-parole eux-mêmes, sous des dehors démocratiques, les collectifs anti-libéraux semblent se transformer, dans l'attente du choix du (ou de la) candidat(e) pour la présidentielle, en arènes de sombres bagarres, le Parti communiste cherchant à conforter son influence, et ceux qui ne veulent pas un rôle dominant pour le Parti communiste, à commencer par José Bové, cherchant à l'écarter. Et de soupçonner nombre de collectifs nouvellement apparus d'être des créations du Parti communiste pour favoriser le choix de Marie-George Buffet.
Nous n'avons pas la prétention de prévoir comment se concluront ces affrontements et qui ce courant choisira comme représentant, si tant est qu'il se révèle capable d'en choisir un sans éclater entre ses composantes disparates. Tout au plus pouvons-nous regretter que la LCR ait embarqué ses militants dans la prétendue construction d'un mouvement à partir du "non" de gauche au référendum sur la Constitution européenne et que, même maintenant, tout en ayant pris ses distances depuis la déclaration de candidature d'Olivier Besancenot, elle continue à faire semblant d'y croire !
Libération du 10 novembre 2006 rapporte deux réflexions, l'une d'Olivier Besancenot, l'autre d'Alain Krivine. Bien que ces réflexions soient présentées comme des citations, nous ignorons bien sûr si elles n'ont pas été déformées.
Olivier Besancenot, déclarant à Libération que, malgré sa candidature au nom de la LCR, il reste ouvert à la discussion, affirme que "pour l'heure, on aurait à gagner à présenter nos divergences au lieu d'afficher une unité de façade". Le constat ne vaut certainement pas que pour "l'heure", et il est dommage que ce soit seulement maintenant que la LCR s'en rende compte.
Alain Krivine est plus net encore et, pour tout dire, plus pessimiste quand il affirme : "Au sein des collectifs, une majorité de communistes sont pro-Buffet et tous les autres sont contre sa candidature. Il n'y aura pas de consensus et tout cela va finir en eau de boudin". Il est seulement dommage de s'en rendre compte après deux années qui ne pouvaient déboucher sur une autre issue mais qui, en revanche, ont fait perdre à la LCR un temps précieux pour trouver le nombre de parrainages nécessaires permettant à Olivier Besancenot de se présenter à l'élection présidentielle. Nous souhaitons cependant qu'elle y parvienne...
11 novembre 2006