Congo (ex-Zaïre) - Un pays pillé par les seigneurs de guerre et les trusts impérialistes

Εκτύπωση
Novembre 2003

Officiellement, la guerre en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) est terminée. Les armées étrangères, zimbabwéenne, namibienne et angolaise alliées du gouvernement et rwandaise, ougandaise et burundaise alliées des rebelles, ont en principe évacué le pays en 2002. Et depuis juin dernier, un gouvernement de transition censé préparer des élections d'ici deux ans est entré en fonctions après qu'un accord entre le gouvernement de Joseph Kabila, les principales composantes de la rébellion actuelle et l'opposition, eut été signé sous l'égide de l'Afrique du Sud. Cet accord prétend mettre fin aux affrontements sanglants qui depuis 1996 ravagent le pays et dont les populations congolaises, avec plus de trois millions de morts, ont payé le prix fort.

Pourtant, en dehors de la capitale et des régions avoisinantes, le Congo est toujours la proie des chefs de bandes armées qui, par-delà leurs alliances ou leurs rivalités du moment, ont en commun de vivre du pillage des fiefs qu'ils contrôlent avec la complicité des groupes industriels. De plus, certaines régions sont encore confrontées à l'anarchie sanglante des conflits ethniques que les protagonistes ont propagés et exacerbés pour servir leurs intérêts politiques et leurs trafics.

Le fait que les massacres touchent des régions dont le sous-sol regorge de richesses (or, diamant, minerais précieux comme le coltan, pétrole...) n'est évidemment pas un hasard. Depuis sa colonisation à la fin du XIXe siècle, le Congo et ses immenses ressources suscitent toutes les convoitises.

Un lourd passé colonial

Les malheurs du Congo commencèrent dans les années 1880. Alors que la France, l'Angleterre et l'Allemagne se lançaient dans la colonisation de l'Afrique, le roi Léopold II de Belgique joua sur leurs rivalités pour s'emparer, à titre personnel, d'un gigantesque empire dont la superficie - 2,4 millions de km² - égalait quatre-vingts fois celle de la Belgique. Tout en parant l'opération de buts humanistes, il fit main basse sur les prodigieuses richesses naturelles du Congo. Pour collecter l'ivoire, puis le caoutchouc qui poussait à l'état sauvage dans les forêts tropicales, la population fut réduite en esclavage. Sous couvert d'impôt en nature, elle fut soumise au travail forcé. Quant aux récalcitrants, ils s'exposaient aux tortures et aux mutilations. La fortune du roi fut assurée en quelques années, et les capitaux belges, mais aussi anglais, français et américains, qui s'étaient engouffrés derrière lui accumulèrent d'énormes profits, mais on estime à dix millions le nombre d'Africains qui périrent de cette barbarie.

Quant au tracé des frontières des différentes colonies, il ne reflétait que les rapports de forces et les marchandages entre les puissances impérialistes rivales. De ce passé colonial, le Congo, comme tous les pays du continent africain, a hérité un sous-développement économique mais aussi des frontières tranchant au milieu des peuples et entraînant des déplacements massifs de populations. De plus, pour assurer leur domination, les colonisateurs avaient su s'appuyer sur les clivages tribaux et ethniques. Quand ils se retirèrent, ils laissèrent derrière eux bien des tensions, faisant de l'Afrique une véritable poudrière.

Devenu indépendant en 1960, le Congo continua à payer un lourd tribut à ce passé colonial.

La situation actuelle trouve plus directement son origine dans les événements de 1994 qui secouèrent le Rwanda, petit État voisin du Congo. À l'époque, le Front Patriotique Rwandais (FPR), mouvement d'opposition armé, composé majoritairement de Tutsis rwandais vivant en exil et épaulé militairement par l'Ouganda et les États-Unis, renversa la dictature d'Habyarimana. Le FPR et son leader, Paul Kagame, s'emparèrent du pouvoir au Rwanda. Les restes de l'armée gouvernementale rwandaise (FAR) ainsi que les extrémistes hutus et les dignitaires de l'ancien régime, qui à l'annonce de la mort d'Habyarimana avaient déclenché des massacres contre les Tutsis et les opposants hutus modérés, s'enfuirent du Rwanda et se réfugièrent dans l'est du Congo voisin. Dans leur fuite, ils furent protégés face à l'avance du Front Patriotique par les troupes françaises, déployées dans le cadre de l'opération Turquoise, et par l'armée de Mobutu. Mais cet afflux de centaines de milliers de réfugiés rwandais au Congo contribua à déstabiliser l'ensemble de la région.

À partir du Congo, les milices hutues, qui n'avaient pas été désarmées, continuaient à mener des raids contre le nouveau gouvernement rwandais. Invoquant le droit de poursuite et la sécurité de ses frontières, celui-ci répondit en multipliant les incursions dans la partie orientale du Congo, et plus particulièrement au Kivu, pour traquer les auteurs de ces raids ainsi que les responsables du génocide contre les Tutsis.

Pour les trusts, la guerre civile n'est pas un obstacle aux affaires

Au Congo, jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, la dictature militaire de Mobutu avait pu compter sur un soutien sans faille et sur l'armement fourni par les États-Unis, la France et la Belgique, en contrepartie de sa complicité dans l'exploitation des richesses du pays. Mais les excès et surtout l'usure du régime commençaient à poser le problème de sa succession. L'occasion de son remplacement se présenta en octobre 1996 avec le soulèvement des Banyamulenge, ethnie apparentée aux Tutsis du Rwanda, dans l'est du pays. Opposant de longue date, Laurent-Désiré Kabila avait profité de la faiblesse du pouvoir central congolais pour se tailler un fief dans le riche Kivu. En se portant à la tête du soulèvement au nom de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), il put disposer de l'appareil militaire qui jusque-là lui avait fait défaut pour asseoir ses ambitions. D'autant que les rebelles bénéficiaient du soutien actif de l'impérialisme américain. Via les armées ougandaise et rwandaise engagées aux côtés de l'AFDL, les États-Unis approvisionnaient les troupes de Kabila en armes et munitions.

En sept mois, L-D. Kabila, qui se gardait alors d'opposer les " patriotes congolais " aux " envahisseurs rwandais " et à " la vermine tutsie ", comme il allait le faire une fois le pouvoir conquis, balaya les derniers vestiges du régime de Mobutu. Accompagné de soldats ougandais et rwandais, il fit son entrée dans Kinshasa, la capitale du Congo, en mai 1997.

Les groupes miniers américains, canadiens, britanniques et sud-africains, qui convoitaient les ressources du Congo, n'avaient pas attendu la chute de Mobutu pour faire valoir leurs intérêts. Pour financer leur guerre, les armées de l'AFDL et leurs alliés avaient besoin d'argent. Les trusts profitèrent de la situation pour signer aux meilleures conditions des contrats pour l'exploitation de l'or, du diamant, du cuivre, de l'étain et des minerais précieux comme le cobalt, l'uranium, le niobium, la cassitérite et bien d'autres. Ainsi, une composante du groupe canadien Lundin revendiqua l'exploitation du cuivre et du cobalt de Tenke Funguruma au Katanga. Quant à la société canadienne Barrick Gold, deuxième producteur d'or au monde, après la sud-africaine Anglo-American, elle manifesta son intérêt pour les gisements de Kilo-Moto, passés depuis sous le contrôle du groupe anglo-ghanéen Ashanti Goldfield. Une autre société canadienne, Banro Resources, se porta acquéreur de la Sominki (Société minière du Kivu) aux gisements riches en étain, en or mais aussi en colombo-tantalite (par contraction, le coltan, composant entrant notamment dans la fabrication des téléphones mobiles). Quant à l'American Mineral Fields, elle signa en avril 1997, un mois avant l'entrée des troupes de Kabila dans Kinshasa, trois accords miniers portant sur l'extraction du cuivre et du cobalt à Kolwesi et la construction d'une usine de traitement du zinc à Kiputshi, en échange de quoi elle avança 50 millions de dollars aux rebelles.

Les trusts français, présents depuis longtemps dans la région, lorgnaient également sur le sous-sol congolais, mais la France, après avoir été rejetée du Rwanda pour son engagement aux côtés du régime déchu d'Habyarimana, avait choisi de soutenir Mobutu jusqu'au bout. Dans la course pour s'approprier les richesses du Congo, ce choix mit les trusts français provisoirement hors jeu face à leurs concurrents du clan anglo-américain qui, eux, avaient opté pour L-D. Kabila.

1998 : retournement d'alliance

Aujourd'hui encore, il est difficile de savoir qui prit l'initiative de la guerre qui éclata quinze mois après l'entrée en fonctions de L-D. Kabila. Le fait est qu'en décidant de renvoyer chez eux les milliers de soldats rwandais et ougandais qui l'avaient aidé à prendre le pouvoir et qui restaient sur le sol congolais, Kabila précipita les choses. Fruit de ce retournement d'alliance, une nouvelle rébellion, téléguidée par les dirigeants rwandais et ougandais, éclata dans le Kivu en août 1998.

Appuyés par les armées rwandaise, ougandaise et burundaise, les rebelles du Mouvement de Libération du Congo (MLC) et du Rassemblement Démocratique du Congo (RDC) gagnèrent rapidement du terrain, annexant les unes après les autres les régions les plus riches du pays. En quelques jours, les combattants atteignirent les portes de Kinshasa. Invoquant les accords de défense des États de l'Afrique australe auxquels le Congo venait d'adhérer, L-D. Kabila en appela à l'aide extérieure contre les envahisseurs étrangers. L'Angola, le Zimbabwe et la Namibie répondirent présents. Leur intervention militaire stoppa l'avancée des rebelles et de leurs alliés étrangers.

Cependant, aucun des camps ne put remporter une bataille décisive. Dès lors, le Congo s'installa dans la guerre et dans une partition de fait. L'Ouest et le Sud étaient tenus par le gouvernement et ses alliés, tandis que le Nord et l'Est, aux mains de la rébellion et de ses parrains, étaient partagés en trois zones contrôlées par le MLC, allié de l'Ouganda, et par deux fractions rivales du RCD, l'une pro-ougandaise, l'autre sous l'influence du Rwanda. Le seul point d'entente de ces mouvements étant le pillage des ressources du pays avec l'aide intéressée de leurs soutiens étrangers.

Le Congo livré à la rapacité des bandes armées

Dans ce conflit, chacun des États protagonistes poursuivait ses propres objectifs. Au Rwanda et au Burundi, les régimes à dominante tutsie, régulièrement menacés par les milices hutues et les ex-FAR repliées au Kivu depuis 1994, pouvaient légitimement invoquer la sécurité de leurs frontières ainsi que la protection des minorités tutsies congolaises. En réalité, les arguments humanitaires et sécuritaires visaient à masquer d'autres appétits. En occupant militairement et durablement un vaste territoire s'étendant au nord, à l'est et au sud du Congo, l'Ouganda, le Rwanda et dans une moindre mesure le Burundi se créaient des voies d'accès à d'importantes ressources (bois précieux, productions agricoles, ivoire, or, diamants) et surtout à des gisements de matières premières stratégiques comme le coltan et la cassitérite. Ainsi au Kivu, les forces rwandaises ne firent pas seulement régner la terreur pour faire la chasse aux milices hutues, elles firent également main basse sur les énormes stocks de coltan de la Sominki (Société minière du Kivu) ; plus d'un mois fut nécessaire pour assurer leur transport vers Kigali, la capitale du Rwanda.

L'Ouganda se trouvait dans la même situation que ses alliés rwandais. Depuis longtemps, le régime de Museveni était aux prises avec une rébellion opérant depuis le nord-est du Congo. Mais la sécurisation de ses frontières ne fut pas la seule motivation de son intervention dans cette région. Pour le gouvernement ougandais, l'accès aux richesses du nord-est congolais constituait également un moyen de relancer à bon compte une économie défaillante et d'alléger sa dette. Tout en assurant l'enrichissement personnel de ses membres, l'état-major ougandais y contribua en exportant de grandes quantités d'or et de diamants et en percevant de lourdes taxes sur les biens pénétrant dans le nord-est du Congo. Devenu tout-puissant dans cette région, le général Kazini créa même une nouvelle province, le Kibali-Ituri, dont le tracé recouvrait assez précisément la carte des gisements aurifères de Kilo-Moto. De même, le groupe Victoria, créé pour la circonstance par des proches de Museveni, devint un intermédiaire privilégié des trusts occidentaux pour le commerce des diamants, du café et de l'or. Pour avoir refusé de partager le lucratif marché du diamant avec les Rwandais, ce groupe fut d'ailleurs à l'origine, en juin 2000, d'affrontements sanglants entre les forces rwandaises et les forces ougandaises pour le contrôle de la ville de Kisangani, plaque tournante pour les diamants de contrebande.

L'Angola, pour sa part, devait faire face à la rébellion de l'Unita, installée dans la zone frontalière avec le Congo. En décidant d'intervenir militairement dans l'ouest du Congo, le régime de Dos Santos ne voulait pas seulement priver les maquis de l'Unita de leurs sources d'approvisionnement, en particulier des diamants qui leur permettaient de se fournir en armement, mais également protéger son enclave pétrolière du Cabinda, fragilisée par les activités du Front de Libération du Cabinda et la présence d'anciens militaires mobutistes.

Quant à l'intervention du Zimbabwe, présentée par Mugabe comme un devoir de solidarité panafricaine, elle avait d'autres ambitions. En effet, l'éclatement du Congo posait le problème de sa succession dans le rôle de gendarme à l'échelle du continent africain et suscitait des rivalités entre quelques États. Dotés d'une armée expérimentée et bien équipée, l'Angola et le Rwanda pouvaient prétendre au titre. L'Afrique du Sud était également sur les rangs. Le Zimbabwe, en concurrence avec cette dernière en politique comme en affaires, ne voulait pas être en reste. Cela n'empêchait pas le régime de Mugabe de poursuivre également des objectifs économiques. L'immense Congo offrait de nouveaux débouchés aux industries zimbabwéennes. De même, les ressources minières du Congo, celles du Katanga notamment, assuraient une complémentarité avec les propres ressources du Zimbabwe. D'ailleurs, en dehors de la défense de Kinshasa, l'intervention militaire du Zimbabwe porta principalement sur les régions minières de Lubumbashi et du Sud-Katanga, empêchant également les rebelles du RDC de s'emparer de Mbuji-Mayi, la capitale du Kasaï Oriental, région riche en diamants.

Outre de nombreux contrats conclus entre le gouvernement de Kabila et des entreprises zimbabwéennes, toutes dirigées par des militaires ou des proches de Mugabe, le Zimbabwe fit passer sous son contrôle la Gécamines, la plus importante société minière d'État congolaise. Mais en mettant la main sur de riches gisements, le Zimbabwe se plaçait en concurrent des intérêts occidentaux et sud-africains dans le secteur minier, et la réaction ne se fit pas attendre. Au lendemain de son intervention, la Banque mondiale bloqua la quasi-totalité des crédits promis pour financer la réforme agraire et le FMI durcit ses conditions à l'égard du Zimbabwe.

Un rapport accablant sur les prédateurs et leurs complices

Le pillage des ressources du Congo était devenu un fait tellement patent qu'en 2000, l'ONU mit sur pied un groupe d'experts chargé d'enquêter sur les filières et les bénéficiaires de ces trafics. Le constat est à ce point explosif que, dans le rapport final de cette commission d'enquête, la partie la plus sensible a été classée " confidentiel " et ne pourra être communiquée qu'aux membres du Conseil de sécurité. Cela n'empêche pas le rapport de contenir quelques informations instructives sur les filières de la contrebande qui finance les seigneurs de guerre opérant au Congo.

En ce qui concerne les " diamants de sang ", le document de l'ONU dénonce les multinationales comme le géant sud-africain De Beers qui, tout en prétendant s'interdire de commercialiser des " pierres de conflit ", ferment les yeux quant à la provenance de leurs approvisionnements. Deux sociétés belges, Sierra Gem Diamonds et Triple A Diamonds, sont également citées. Ces sociétés, qui ont pignon sur rue à Anvers, centre mondial pour le négoce des diamants bruts, appartiennent à de riches familles libanaises qui se fournissent en rachetant des pierres directement au Congo, sans trop poser de questions quant à leur origine. Des diamantaires israéliens sont également sur la sellette, notamment le neveu du fondateur de la Bourse de Tel-Aviv, un certain Dan Gertier. En 2000, sa société, IDI Diamonds, avait obtenu de L-D. Kabila l'exclusivité de la vente et des exportations de diamants congolais. Aujourd'hui, en compagnie de son associé Chaim Leibowitz, un bailleur de fonds du Parti Républicain aux États-Unis, il détient le monopole de la commercialisation de la production de la Miba (Minière de Bakwanga), société nationale congolaise.

Un précédent rapport dénonçait également la contrebande de minerais rares, relevant que ces trafics ne pouvaient exister sans la complicité de certaines sociétés ou multinationales. Ce rapport estimait notamment qu'entre novembre 1998 et avril 1999, 2 000 à 3 000 tonnes de cassitérite et 1 000 à 1 500 tonnes de coltan furent prélevées dans la région du Kivu par les Rwandais et transportées avec " la complicité passive " de la Sabena, compagnie aérienne belge aujourd'hui disparue, et d'une filiale du groupe français Bolloré, spécialisée dans le transport.

Ces faits n'ont en réalité rien d'étonnant. Les capitalistes savent s'adapter à toutes les situations pour perpétuer leurs pillages. Ils peuvent même trouver leur compte dans les guerres et les conflits qui ensanglantent l'Afrique comme le reste de la planète. Ils savent manipuler les petits roitelets locaux comme les seigneurs de guerre, quand ils n'embauchent pas directement des mercenaires pour faire le sale travail, afin de s'assurer aux meilleures conditions un accès aux matières premières, et qu'en dépit des massacres, leurs affaires continuent à prospérer.

Les accords de paix n'empêchent pas les massacres

Au Congo, la situation politique a pris un nouveau tournant durant l'année 2000. Ne se révélant pas un agent aussi docile que le souhaitait l'impérialisme américain pour succéder à Mobutu, L-D Kabila était devenu la cible à abattre. Le 16 janvier 2001, il fut assassiné par un membre de sa garde rapprochée. Sollicité par les alliés de son défunt père, Joseph Kabila rentra précipitamment au Congo pour lui succéder à la tête du gouvernement.

Par le nombre d'États africains impliqués, cette guerre menaçait l'équilibre de l'Afrique, ce qui n'était pas pour plaire aux grandes puissances. Pressé par les États-Unis et leur relais sud-africain, Joseph Kabila s'engagea dans un " dialogue inter-congolais " qui devait non sans mal aboutir en 2002 aux accords de Sun City, puis de Pretoria, en Afrique du Sud. Aux termes de ces accords, Joseph Kabila acceptait de partager le pouvoir avec les différentes composantes de la rébellion et l'opposition ; il s'engageait en outre à préparer des élections dans un délai de deux ans.

Sur la base de ces accords, les troupes étrangères quittèrent le pays durant l'année 2002, mais la paix ne fut pas rétablie pour autant. Le gouvernement de Joseph Kabila se trouvait toujours confronté aux exactions des bandes armées installées dans l'est du pays et plus ou moins manipulées par les États voisins. De même, et contrairement aux engagements qu'il avait pris en contrepartie du retrait des armées rwandaises, il était bien incapable de désarmer les milices hutues agissant au Kivu. Enfin, il ne pouvait mettre fin aux conflits ethniques ; pas plus d'ailleurs que les milliers de soldats de l'ONU déployés, suite aux accords, dans l'est du Congo avec pour mission de désarmer les miliciens de tous bords.

En fait, dans la province d'Ituri, les affrontements continuent entre milices lendues et milices hemas, manipulées par l'Ouganda et le Rwanda, qui ont déjà fait plus de 50 000 morts au cours des cinq dernières années. De même, au Sud-Kivu, ce sont plusieurs milliers de villageois qui ont récemment dû fuir devant les milices hutues, laissant derrière eux des villages incendiés et des villes fantômes.

De plus, bien des régions continuent à échapper à l'autorité du gouvernement car si les dirigeants des mouvements rebelles ont accepté de négocier, ils n'entendent sûrement pas abandonner leurs fiefs et les profits qu'ils en tirent.

L'exemple de Jean-Pierre Bemba, homme d'affaires et dirigeant du MLC, est sur ce point édifiant. Fils du chef de file du patronat de Kinshasa sous Mobutu, il tomba en disgrâce après la prise du pouvoir par L-D. Kabila. Débarqué à Kisangani en 1998, sous la protection des militaires ougandais, il fonda le MLC. Par la force des armes, il s'appropria dans le nord du Congo un territoire plus grand que l'Allemagne, englobant la riche province agricole de l'Équateur. Il mit rapidement son fief en coupe réglée, avec la complicité du général ougandais Kazini. Après avoir vidé les coffres des banques de toutes les villes conquises par ses troupes, il organisa le pillage des ressources agricoles (notamment des stocks de café, dont la province assure 60 % de la production congolaise) et des ressources forestières de la région, ainsi que des gisements d'or et de diamants de la région de Kisangani. Aujourd'hui, se substituant à l'État, il prélève impôts et taxes pour son propre compte. De même, pour commercialiser leur production, il impose aux paysans des prix bien inférieurs à ceux pratiqués. Enfin, non content de s'enrichir personnellement, Bemba a encouragé ses troupes à en faire autant en se payant sur les populations " libérées ", provoquant dans le " Bembaland " un appauvrissement sans précédent.

Cette régression du niveau de vie des populations n'est d'ailleurs pas réservée au " Bembaland ". C'est tout le pays que les exactions des bandes armées, alliées ou rivales du gouvernement, d'origine congolaise ou étrangères, ont rejeté des décennies en arrière. Et il n'y a pas que les balles et les machettes qui tuent : la faim, l'absence de soins, les maladies font également des ravages. Selon un rapport de Médecins Sans Frontières, dans certains districts de l'Est, la mortalité infantile décime actuellement 60 % des enfants de moins de cinq ans ! De même, alors qu'en 1990 le pays connaissait un taux de scolarisation de 90 %, à la fin de la décennie, 80 % des enfants du Kasaï Oriental (région pourtant riche en diamants) étaient privés de scolarité. Pour illustrer ce drame, dans son dernier ouvrage intitulé Les nouveaux prédateurs, la journaliste belge Colette Braeckman cite notamment le témoignage d'un prêtre auquel ses paroissiens ont demandé de faire des cérémonies la nuit car la plupart n'ont même plus de quoi se vêtir !

À bien des égards, le Congo résume l'évolution de l'ensemble de l'Afrique noire au cours des dernières années.

Les États mis en place par les ex-puissances coloniales étaient destinés à préserver fondamentalement la mainmise de l'ancienne puissance coloniale sur l'économie de ces pays, moyennant un pourboire jeté au personnel autochtone de ces États. Mais, dictatures ou régimes autoritaires, minés par la corruption depuis toujours, plusieurs de ces États sont en train de se décomposer malgré le soutien des ex-métropoles coloniales.

L'impérialisme belge, bien moins puissant que les impérialismes anglais ou français, a échoué dès le départ et la transition de la domination coloniale à l'indépendance s'est faite dans la violence et dans la décomposition étatique avant que, avec l'aide de l'impérialisme français, mais aussi américain, l'unité de l'État, devenu Zaïre, se soit réalisée sous la forme de la dictature de Mobutu.

Mais, aujourd'hui, ce n'est pas seulement au Congo que l'appareil d'État se fissure, voire se décompose, c'est aussi le cas au Liberia, en Sierra Leone, au Rwanda, au Burundi. Sans même parler de la Somalie où il n'y a même plus un semblant d'État central. La Côte-d'Ivoire est peut-être dans le même engrenage.

Si ces guerres internes, aussi stériles qu'interminables, sont une véritable catastrophe pour la population déjà pauvre, si cette dernière doit verser un tribut considérable aux bandes armées rivales, les groupes impérialistes, eux, ont trouvé les moyens de continuer le pillage de ces pays, voire de le porter à une échelle plus grande qu'auparavant.

La décomposition des appareils d'État n'a pas que des inconvénients pour le bon déroulement de ce pillage. A certains égards, au contraire : les trusts n'ont même plus besoin de composer avec le pouvoir central ni de corrompre ses différents échelons ! Il leur suffit d'acheter le chef de la bande armée qui contrôle la région pour la transformer en milice privée qui peut se permettre toutes les exactions qu'elle veut vis-à-vis de la population locale, à condition que la matière première convoitée - diamant, métaux précieux, essences rares, minerais - continue, via des intermédiaires et des sociétés écrans, d'affluer vers les grands trusts qui ont pignon sur rue dans les grandes démocraties occidentales. C'est une forme particulièrement barbare de la domination impérialiste sur la planète, mais elle en est partie intégrante.

La barbarie qui envahit toute une partie de l'Afrique, avec ses aspects les plus abjects au Congo, n'est pas une survivance des guerres tribales d'antan ni des mœurs héritées d'un passé lointain. Cette barbarie-là est celle du capitalisme et de l'économie du profit. Et son cœur, ses centres nerveux ne se trouvent pas au fin fond des forêts d'Ituri, mais dans les conseils d'administration des grands trusts à New York, à Paris ou à Londres.