France - Interdiction des licenciements sous peine de réquisition !

Εκτύπωση
Mai 2001

L'avalanche des licenciements collectifs et des fermetures d'entreprises est un problème majeur pour la classe ouvrière. Les plans de suppression d'emplois annoncés en l'espace de quelques semaines concernent directement plusieurs dizaines de milliers de travailleurs et leurs familles. Ils concernent indirectement les travailleurs des entreprises sous-traitantes, sans parler des autres catégories sociales dont les revenus dépendent de la consommation ouvrière. Pour plusieurs villes, l'annonce de la fermeture prochaine de la principale, voire unique entreprise de la localité est une catastrophe qui affecte la quasi-totalité de la population.

Le nombre même des plans de suppression d'emplois, leur succession à un rythme rapide et le fait qu'ils soient annoncés par de grandes entreprises faisant partie de trusts puissants ou de riches holdings financiers et exerçant leurs activités dans les secteurs les plus divers sont la démonstration qu'il n'y a pas une seule entreprise dans ce pays dont les travailleurs puissent se considérer à l'abri de licenciements collectifs. C'est l'ensemble des travailleurs qui est menacé. L'exemple de Danone est significatif. Les grandes entreprises ne licencient pas parce que leurs affaires vont mal. Elles licencient pour faire plus de profits encore, en produisant plus avec moins de personnel. En réduisant leur personnel, elles augmentent l'exploitation de ceux qui restent.

C'est cette capacité d'accroître l'exploitation et de faire miroiter des profits futurs en croissance qui attire les "investisseurs", c'est-à-dire les possesseurs de capitaux à la recherche du meilleur taux de rémunération. Voilà pourquoi la simple annonce de futurs licenciements collectifs fait s'envoler les actions en Bourse des entreprises qui y procèdent. Voilà pourquoi l'annonce de ce qui est un drame, pour les travailleurs concernés et bien au-delà, se traduit pour ainsi dire instantanément par une hausse du prix des actions concernées et par l'enrichissement de ceux qui les détiennent.

La concurrence entre grandes entreprises n'est pas seulement une concurrence opposant leurs produits sur le marché mondial. C'est une concurrence à la profitabilité. Les capitaux vont vers les entreprises qui rapportent le plus de profit et qui promettent d'en rapporter encore plus dans l'avenir. Sous cet angle-là, toutes les grandes entreprises sont concurrentes entre elles, et peu importe ce qu'elles produisent.

Les licenciements collectifs, les réductions d'effectifs constituent l'aspect le plus visible de cette course folle. L'autre aspect, étroitement lié, est l'aggravation des cadences, l'intensification du rythme du travail, la flexibilité des horaires et le nombre croissant des travailleurs embauchés à titre précaire.

La concurrence entre grandes entreprises n'est pas un mécanisme économique au-dessus des classes. Elle se traduit par l'accroissement des revenus du capital au détriment des salaires. Il s'agit de la propension permanente de la classe capitaliste à accroître l'exploitation.

Cela fait bien des années, et en particulier depuis la campagne électorale de la présidentielle de 1995, que, parmi d'autres mesures vitales pour sauvegarder les conditions d'existence des travailleurs contre le rouleau compresseur du grand capital, Lutte Ouvrière met en avant la nécessité d'imposer l'interdiction des licenciements, sous peine de réquisition à l'encontre, en premier lieu, des entreprises qui font du profit et licencient quand même.

Si, aujourd'hui, cet objectif trouve un large écho, c'est qu'il découle de la situation elle-même et qu'il est le seul à protéger les travailleurs contre la perte de leur emploi.

Réquisitionner les entreprises, c'est réquisitionner les profits. Et réquisitionner les profits, c'est prendre aux actionnaires de quoi financer le maintien des emplois. C'est une mesure simple et, au fond, facile à imposer.

C'est la seule mesure susceptible de protéger les travailleurs, contrairement à ce que réclament les confédérations syndicales, comme "de véritables droits d'intervention sur les choix économiques des entreprises" ou "un droit suspensif des procédures de licenciement permettant aux salariés de contester la justification économique des fermetures d'entreprises..." (CGT) ou encore "un droit de saisine pour les syndicats" (FO). Quant à la CFDT, elle ne cherche même pas de ce côté-ci. Elle se contente de "plans sociaux améliorés".

Parmi les associations, ATTAC prêche benoîtement que le licenciement ne doit se pratiquer que comme "l'ultime recours" et propose de "rendre illicites les licenciements de convenance boursière". Mais qui en jugera ? Comme si on pouvait enfermer l'exploitation dans des règles morales ou des formules juridiques. Il ne s'agit pas de morale, il ne s'agit pas de prôner un "bon" fonctionnement pour l'économie capitaliste. Il s'agit de protéger les conditions d'existence des travailleurs.

Ceux parmi les réformistes qui se prennent pour les plus radicaux vont jusqu'au droit de veto des organisations syndicales ou des comités d'entreprise sur les licenciements !

Eh bien non ! Il ne s'agit pas de trouver un moyen de plus, parmi tant d'autres qui existent déjà, d'associer les organisations syndicales aux décisions patronales. Il ne s'agit pas d'étudier aux côtés des patrons si les licenciements sont justifiés. Ils ne le sont en aucun cas ! On peut et on doit interdire tous les licenciements à condition d'oser toucher aux profits, aux dividendes, aux revenus de la bourgeoisie. Sorti de là, de toute façon, il n'y a pas de solution favorable pour les travailleurs.

Oh, parmi les entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs, il y en a qui prétendent ne plus réaliser de profits ! Ne parlons même pas des entreprises qui, comme Valéo, se présentent cyniquement en déficit comptable parce qu'elles font figurer dans leur passif les provisionnements pour des plans sociaux futurs. AOM ou Air Liberté assurent qu'elles sont en faillite virtuelle. Possible. Mais, pendant des années, ces entreprises ont rapporté du profit à leurs actionnaires, à ceux qui y ont placé de l'argent, comme le baron Seillière, détenteur du plus gros paquet d'actions d'AOM. Aujourd'hui, les actionnaires ont retiré leurs capitaux, ou se préparent à le faire, pour les placer ailleurs. Eh bien, il n'y a pas de raison que ce soit les salariés qui paient pour les canards devenus boiteux de l'économie capitaliste ! Il faut faire payer les actionnaires sur leur argent placé ailleurs, dans d'autres entreprises, elles rentables.

Dans des périodes de crise, dans des périodes de guerre, les gouvernements bourgeois savent intervenir de façon contraignante dans l'économie et aller jusqu'à réquisitionner des entreprises pour leur imposer un certain type de production ou pour réglementer l'usage qu'elles font du profit. Eh bien, du fait de l'avalanche des suppressions d'emplois et des conséquences graves qui en découlent, la société est en situation de crise !

Si le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires, ce n'est pas pour des raisons de difficultés techniques, mais parce qu'il est corps et âme du côté des actionnaires. Ce n'est pas un choix économique, c'est un choix de classe. Alors, l'interdiction des licenciements sous peine de réquisition, il faudra l'imposer aussi bien au gouvernement qu'au patronat.

Comment ? Ce qui est manifeste, c'est qu'on ne peut pas compter sur l'action des députés ou des ministres du Parti Communiste pour contraindre le gouvernement Jospin à agir dans ce sens. Le Parti Communiste justifie depuis des années sa participation gouvernementale par son prétendu rôle d'aiguillon. Eh bien, depuis quatre ans qu'il est au gouvernement, il n'a jamais menacé Jospin de lui retirer son soutien si celui-ci ne prenait pas les mesures qui s'imposent pour protéger les travailleurs contre les licenciements collectifs. Sans le Parti Communiste pourtant, Jospin n'a pas de majorité pour gouverner.

Maintenant que l'émotion est grande dans la population laborieuse, le Parti Communiste choisit de s'agiter sur ce terrain. Mais il s'agit pour sa direction de dégager sa responsabilité, et pas de mener la lutte jusqu'au bout pour interdire les licenciements.

Pourtant, le PC reste encore le parti dont les militants dans la classe ouvrière sont les plus nombreux. Nombre de ces militants sont mal à l'aise devant les tergiversations de leur direction et ses acrobaties pour se maintenir au gouvernement tout en tentant de ne pas perdre tout crédit dans le monde du travail.

Une politique claire et volontariste de la part de la direction du Parti Communiste redonnerait, pour commencer, le moral à ses propres militants et contribuerait par là même à changer le rapport de forces.

A l'heure où nous écrivons, nous ne savons pas encore comment seront préparées les manifestations prévues le 22 mai par la CGT et le 9 juin par plusieurs organisations politiques dont le PC et LO, ainsi que par des organisations syndicales, notamment celles de Danone, AOM et Marks & Spencer. Nous ne savons pas, en particulier, si le Parti Communiste qui, après avoir envisagé d'appeler lui-même à une manifestation nationale centrale, s'est rallié aux initiatives en cours, y consacrera toutes ses forces et toute sa capacité militante.

Mais il faut que ces manifestations soient des succès. Il faut que chacune d'entre elles soit une étape dans une mobilisation générale du monde du travail. Car la seule façon de faire reculer tant le patronat que le gouvernement, c'est que ces manifestations se succèdent, qu'elles prennent de plus en plus d'ampleur, qu'elles mobilisent un nombre croissant de travailleurs. Pour obliger le patronat et le gouvernement à utiliser une partie des profits des entreprises à maintenir des emplois et pas à les supprimer, il faut leur faire peur ; il faut les convaincre qu'il vaut mieux céder rapidement plutôt que de risquer d'avoir à céder bien plus.