Situation internationale (texte de la majorité)

Εκτύπωση
Décembre 2000

Introduction

La situation internationale a été, cette année encore, marquée par un très grand nombre de conflits de toute nature entre Etats ou à l'intérieur des Etats. L'événement le plus marquant des dernières semaines, qui a mobilisé la diplomatie internationale avec autant de publicité médiatique que d'inefficacité, est le soulèvement de la population palestinienne. Mais nombre de conflits se sont développés cette année ou perdurent depuis longtemps, faisant un grand nombre de victimes, dont personne ne parle, sauf quand l'enlèvement de quelques touristes focalise l'attention des médias sur tel ou tel lieu du globe dont on apprend, par la même occasion, à la fois la pauvreté et les antagonismes qui le déchirent.

De la Casamance, au Sénégal, dans l'Ouest africain, à la Somalie, dans l'Est, du Mexique aux Philippines, du Sri-Lanka à la Malaisie ou à la Papouasie, la carte du monde est parsemée de zones de conflits séparatistes. Plusieurs conflits armés en Afrique opposent des Etats entre eux, sans même parler de l'hostilité qui oppose depuis plus d'une demi-siècle le Pakistan à l'Inde, impliquant tout de même, par armées interposées, plus d'un milliard d'êtres humains et qui a conduit, l'an passé, à une nouvelle confrontation militaire au Cachemire.

La domination impérialiste, en fermant à une grande partie de la planète toute possibilité de développement économique, en aggravant les inégalités à l'échelle mondiale comme à l'intérieur de chaque pays, maintient la majorité des habitants de la terre dans un état de pauvreté qui est d'autant plus inacceptable que le niveau atteint par les forces productives pourrait permettre à tous les êtres humains de la planète de vivre correctement. La pauvreté, la polarisation des richesses, ainsi que les inégalités et les oppressions qu'elles entraînent, voilà en dernier ressort la cause de tous ces conflits.

Mais la responsabilité politique des grandes puissances impérialistes est plus directement engagée encore par le fait que, pour maintenir leur domination, elles ont posé partout et continuent à poser des bombes à retardement en jouant sur les oppositions nationales, ethniques et religieuses et, par là même, en les aiguisant. Elles s'appuient par ailleurs localement sur des appareils étatiques, souvent honnis par leurs populations, et qui cherchent souvent et trouvent parfois un assentiment sur la base d'idées réactionnaires comme l'intégrisme, la xénophobie ou l'ethnisme.

Au temps de l'affrontement entre deux blocs, tout cela existait déjà mais était en partie occulté car présenté comme un sous-produit de cet affrontement, ce qui n'était pas toujours le cas. Ce n'est plus le cas. Par ailleurs, avec le cours réactionnaire des choses, lié au recul du mouvement ouvrier conscient, bien des révoltes, au départ sociales, sont dévoyées par des forces rétrogrades vers des voies qui, au lieu de faire avancer les choses dans le sens progressiste, les font au contraire reculer. Il est significatif, par exemple, qu'il n'y ait pratiquement plus de guérillas armées qui éprouvent le besoin, comme dans le passé, de s'emparer du drapeau du progressisme, voire du communisme, fût-ce de façon caricaturale, pas plus qu'à part quelques rares survivances, il n'y ait de régimes qui continuent à se revendiquer de cette étiquette.

Etats-Unis

Les Etats-Unis jouent plus que jamais le rôle de gendarme de l'ordre international que, depuis la disparition de l'Union soviétique, personne ne leur conteste. Si l'Union européenne commence à affirmer un rôle indépendant dans le jeu politique mondial, ce ne sont certainement pas la laborieuse mise en place d'une "politique européenne de sécurité et de défense" (PESC) ni même la décision de se doter d'une armée européenne de 80 000 soldats, qui lui donnent les moyens de ce type d'ambition. Il est d'ailleurs significatif que l'homme choisi pour incarner l'unité européenne autour de cette politique soit précisément ce Solana qui avait sévi auparavant comme secrétaire général de l'OTAN, organisme totalement dominé par les Etats-Unis. Le rôle de figurant laissé à l'Union européenne dans le conflit du Moyen-Orient illustre le fait que la coalition hétéroclite de puissances impérialistes de seconde zone qu'est l'Union européenne est trop déchirée par ses rivalités internes, par l'incapacité de prendre des décisions communes, pour jouer un autre rôle, dans la jungle de la politique internationale, que celui de second couteau.

Malgré la disparition de l'Union soviétique, fait dominant de l'évolution de la situation internationale au cours des dix dernières années, que les commentateurs intéressés voyaient derrière chaque conflit des décennies précédentes, le nombre de conflits ne diminue pas. Quant au désarmement auquel nombre de conférences internationales continuent à être consacrées, comme au temps de l'Union soviétique, il s'agit toujours d'une sinistre plaisanterie. Malgré une certaine diminution du budget militaire des grandes puissances et de la production de leurs industries d'armement d'ailleurs de nouveau en croissance , le stock d'armes dispersées sur la planète demeure colossal. Le trafic d'armes reste florissant, alors pourtant que le monde impérialiste est privé de son "ennemi héréditaire". Cette réalité fait le deuil de toutes les affirmations pacifistes et de tous les courants politiques qui se bâtissent autour de ces affirmations. Tant que durera la domination impérialiste sur le monde, il n'y aura pas plus le désarmement qu'une paix durable.

Le rôle de gendarme planétaire qu'assument les Etats-Unis passe cependant rarement par des interventions militaires directes, bien que les dix dernières années l'aient tout de même vu intervenir directement en Somalie, débarquer en Haïti et mener de véritables guerres contre l'Irak ou contre la Serbie. Mais, échaudés par les guerres de Corée puis du Viet-Nam, les Etats-Unis sont très prudents dans leurs interventions militaires directes, vis-à-vis de leur propre opinion publique, en évitant celles qui peuvent leur coûter la vie de leurs soldats. Washington joue sur une large palette, allant des pressions sur les gouvernements à l'appui donné à des interventions militaires effectuées par d'autres, sans parler des sanctions économiques. En dehors même de Cuba, soumis à un embargo total depuis quarante ans, ou de l'Irak qui subit le même régime depuis une dizaine d'années, l'an passé, plus de soixante dix pays ont dû payer, par des sanctions économiques, le fait d'avoir déplu aux Etats-Unis. Mais le rôle de gendarme planétaire consiste surtout à surfer sur les vagues, à composer avec les multitudes de forces opposées qui s'affrontent de par le monde. Mais même les formes les plus douces de l'intervention impérialiste constituent un facteur d'aggravation des antagonismes.

Proche-Orient

Si la révolte de la population palestinienne prend une telle importance dans la politique internationale, c'est évidemment parce que le Proche-Orient est une zone stratégique pour l'impérialisme et que l'Etat d'Israël, contre lequel est dirigé ce soulèvement, joue un rôle particulier dans cette région. Nous avons pris position, à de nombreuses reprises ces temps-ci, sur ce qui se passe en Israël et dans les territoires occupés. Rappelons simplement que nous sommes pour le droit des deux peuples, israélien et palestinien, à coexister dans cette région. Ces deux peuples ne sont cependant pas aujourd'hui dans une situation équivalente. Non seulement Israël dispose d'un Etat alors que le peuple palestinien n'en a que la caricature avec l'"Autorité palestinienne", mais c'est précisément l'Etat israélien qui constitue la force d'oppression la plus directe, qui empêche le peuple palestinien d'accéder à une existence nationale. De surcroît, l'Etat d'Israël étant devenu le principal agent régional de la domination impérialiste, il attise la haine des populations de toute la région qui souffrent, à un degré ou à un autre, de cette domination. Les antagonismes nationaux occultent l'antagonisme social ou, plus exactement, si une des causes fondamentales du soulèvement palestinien réside dans la pauvreté, dans la gravité du chômage, dans le sous-développement économique imposé aux zones dans lesquelles vivent les Palestiniens, la révolte contre cette situation prend d'autant plus facilement la forme d'une lutte contre la seule oppression de l'Etat d'Israël que c'est dans ce sens que l'orientent toutes les organisations et les Etats réactionnaires qui se posent en dirigeants du combat des Palestiniens.

Les dirigeants politiques d'Israël ont une responsabilité majeure dans le fait que les deux peuples se retrouvent dans une impasse sanglante. Car cela en est une pour les deux peuples, pour celui qui est opprimé mais aussi pour celui qui opprime. Cette responsabilité découle directement de cette forme de nationalisme qu'est le sionisme, partagé peu ou prou par les principales forces politiques du pays.

Rappelons que, dès l'apparition du sionisme à la fin du siècle dernier, les marxistes révolutionnaires, et en particulier ceux d'origine juive, ont toujours dénoncé l'impasse que ce courant représentait pour la population juive elle-même, victime d'oppressions, de ségrégations et de pogroms dans cette partie orientale de l'Europe où le sionisme est né et qui était alors sous la domination partagée de la Russie tsariste et des empires allemand et autrichien. Les marxistes révolutionnaires ont toujours proposé aux éléments les plus conscients de la population juive la perspective de s'intégrer dans le combat du prolétariat pour l'émancipation de la société de toute exploitation et de toute oppression et d'y jouer pleinement leur rôle, ce que certains ont fait.

Le marxisme révolutionnaire d'un côté, le sionisme de l'autre, ont toujours incarné deux perspectives opposées. Le premier propose la perspective de la transformation sociale, le second une terre promise impossible dans un système mondial dominé par l'impérialisme. La dégénérescence stalinienne, avec ses relents d'antisémitisme, et la dégénérescence subséquente du mouvement communiste mondial ont cependant progressivement obscurci cette alternative. Le stalinisme, en fermant la perspective de la révolution prolétarienne pour toute une période, a ouvert la voie au sionisme. Mais c'est surtout l'infamie du nazisme qui a donné à toute une génération de Juifs européens la conviction qu'en Europe, il n'y avait pas de place pour eux et que la seule solution était de se donner un territoire à eux.

Il n'est évidemment pas question de reprocher à la masse de ceux qui, avec la montée et l'installation du fascisme, pendant ou après la guerre, ont été contraints ou ont choisi de s'installer en Palestine, de l'avoir fait. Les infamies de l'impérialisme et le retard de la révolution prolétarienne ont créé bien des situations qui n'ont ouvert devant les peuples comme devant les individus que des impasses nouvelles.

Mais, une fois l'Etat d'Israël installé, la politique sioniste, de politique nationaliste proposée à un peuple décidé à se libérer de l'oppression, s'est transformée en une politique impérialiste. Si l'économie d'Israël est trop artificielle et trop étroite pour que l'on puisse la qualifier d'impérialiste autrement que par procuration, sa politique est une politique impérialiste. Dès lors que les dirigeants de l'Etat d'Israël se sont interdit la voie qui aurait permis à leur peuple de gagner la confiance du peuple palestinien et des peuples arabes de la région, ils ont été tout naturellement amenés à subordonner le destin du peuple juif à une adhésion sans réserve à la politique de l'impérialisme américain.

Une politique menée en direction des peuples arabes aurait dû avoir pour axe fondamental de les aider à réaliser l'aspiration de leurs classes pauvres à se débarrasser des régimes arabes réactionnaires et obscurantistes, s'appuyant sur des structures sociales surannées. Elle aurait dû offrir à ces peuples des perspectives de transformations sociales, ne serait-ce que celle d'un changement radical dans la propriété de la terre, ainsi que la conquête des libertés démocratiques. Une politique se situant clairement dans le camp des masses pauvres de cette région, pas seulement dans les discours mais aussi dans les actes, ce qui aurait impliqué l'opposition aussi bien aux régimes arabes réactionnaires qu'au-delà d'eux, à l'impérialisme.

Cette politique n'aurait évidemment pas été facile à mener et aurait exigé des sacrifices. Mais des sacrifices, le peuple d'Israël a dû en consentir bien d'autres pendant ce demi-siècle qui s'est déroulé depuis la création de l'Etat d'Israël. Toutes les guerres cependant, les unes subies, les autres menées au profit des protecteurs impérialistes, n'ont contribué qu'à approfondir le fossé de sang entre Israéliens et populations arabes. Elles n'ont pas diminué les menaces, elles n'ont fait que les aggraver. En chassant de leurs terres, dans chaque guerre, un peu plus de Palestiniens, l'Etat d'Israël a fait que ce peuple n'a vraiment plus d'autre choix que de se battre. Et si, grâce à sa supériorité technique et au soutien de l'impérialisme, Israël a gagné jusqu'à présent toutes ces guerres, son peuple ne peut toujours pas savoir, après cinquante ans de présence sur cette terre, si ne viendra pas, un jour, celle qu'il perdra, sans rémission. L'impasse du sionisme annoncée par le courant communiste révolutionnaire se confirme de façon sanglante. Pour le malheur du peuple palestinien, comme pour celui du peuple d'Israël, comme d'ailleurs pour le malheur de toute l'humanité.

La première Intifada, dont l'Etat d'Israël ne venait pas à bout, l'a amené à tenter de se dégager du discrédit de la répression en offrant à Arafat la création d'une "Autorité palestinienne" avec pour contrepartie la tâche de maintenir l'ordre contre son propre peuple. Les dirigeants d'Israël, avec la complicité d'Arafat, ont joué sur l'ambiguïté de cette Autorité palestinienne. Le dirigeant palestinien l'a présentée comme une étape sur le chemin de la création d'un Etat palestinien alors que, pour les dirigeants israéliens, elle n'était qu'un moyen de le retarder. Le "processus de paix", dont tous les grands de ce monde réclament la reprise avec une touchante unanimité, n'est qu'un moyen pour faire perdurer l'oppression sur le peuple palestinien.

Ce peuple, dont la majorité pauvre est dispersée entre les camps de réfugiés du Liban ou de la Jordanie, dans les territoires occupés de Gaza ou de Cisjordanie ou en Israël même et qui n'accepte ni l'oppression ni la pauvreté qui lui sont imposées, représente une force considérable, qui pourrait devenir un important facteur révolutionnaire dans cette région du monde. Malgré la politique nationaliste des dirigeants palestiniens, ce sont les réactions de ce peuple et l'exemple qu'il a donné qui ont déjà entraîné dans le passé, successivement, la déstabilisation de la Jordanie puis du Liban. Mais, aussi bien l'OLP d'Arafat que le Hamas intégriste se refusent à incarner cette perspective. L'une comme l'autre sont des ennemis de toute politique qui pourrait unifier dans un même combat toutes les classes exploitées de la région, celle d'Israël comprise.

La violence nationaliste des uns ne fait que conforter la violence nationaliste des autres. Les quelques concessions, surtout verbales, des dirigeants israéliens artisans du "processus de paix" ont renforcé en Israël l'extrême droite et sa base populaire la plus déterminée à en découdre, celle des colonies juives implantées en Cisjordanie ou à Gaza. L'implantation volontariste et systématique de ces colonies, reliées entre elles, enserrant les minuscules territoires palestiniens dans un maillage étroit, ne pouvait que convaincre la population palestinienne qu'en guise de "processus de paix", on disposait des barreaux supplémentaires à sa prison. De manière symétrique, les concessions de l'Autorité palestinienne à l'égard d'Israël et, plus encore, son incapacité fondamentale à sortir de la misère la fraction de la population palestinienne qui est sous son contrôle renforcent l'influence des organisations islamistes. La combativité et l'esprit de sacrifice de la population palestinienne sont gaspillés faute d'autre alternative que l'acceptation résignée de l'oppression ou des affrontements perpétuels où s'exprime l'énergie des deux peuples. Nulle part dans le monde plus que dans ce Proche-Orient déchiré ne se fait sentir, aussi fortement, l'absence d'un courant communiste révolutionnaire capable de conduire l'immense énergie d'une population en révolte vers la perspective d'une transformation sociale.

Tout en cherchant à cautionner la fiction de la poursuite possible du processus de paix associant Arafat, les Etats-Unis laissent, pour le moment, carte blanche à Israël pour venir à bout de la vague actuelle de révolte. D'autant qu'ils ne semblent pas avoir à craindre, pour le moment, l'élargissement du conflit sur l'ensemble de la région.

Les chefs des Etats arabes voisins, qu'il s'agisse de l'Egypte ou de la Jordanie qui ont reconnu l'Etat d'Israël, ou de la Syrie qui ne l'a pas fait, n'ont nulle envie de s'engager dans une nouvelle aventure guerrière contre Israël. Ils ne semblent pas non plus avoir besoin, comme cela est arrivé à certains d'entre eux dans le passé, de dévoyer l'hostilité de leurs peuples vis-à-vis de l'impérialisme vers un conflit contre Israël.

La succession de Hussein de Jordanie, marionnette de longue date de l'impérialisme, s'est déroulée sans accroc, comme s'est déroulée celle, en Syrie, de Hafez El-Assad qui, lui, se donnait parfois des allures de contestataire.

Il n'y aurait le soulèvement des jeunes Palestiniens, les relations entre Etats de la région iraient plutôt vers la stabilisation.

Quant à l'Irak, les Etats-Unis ont de plus en plus de mal à imposer à leurs alliés européens le boycott de ce pays. Ce boycott infâme, qui fait payer à la population le prix de la dictature qui pèse sur elle, renforce en fait la position de Saddam Hussein. Ce n'est cependant pas par humanisme que les puissances européennes sont favorables à un assouplissement à l'égard de l'Irak. Elles sont intéressées par l'accès au pétrole irakien et aux possibilités commerciales que les revenus du pétrole pourraient leur ouvrir.

Quant à l'Iran, l'assouplissement de son régime et surtout le rétablissement de ses relations avec l'Occident, engagés depuis trois ans, se poursuivent, bien que très lentement. L'impérialisme n'est certainement pas gêné par le maintien de la dictature, même sous l'égide des intégristes. C'étaient seulement les aspects antiaméricains de la politique iranienne qui ne trouvaient pas grâce aux yeux de Washington. L'Arabie saoudite, cette grande amie des Etats-Unis, n'est pas moins une dictature et n'est pas, non plus, moins intégriste.

Balkans

Dans les Balkans, l'événement de la fin d'année est la chute de Milosevic, présentée dans un premier temps comme une révolution alors qu'elle n'était qu'une grossière mascarade, même si elle s'est déroulée avec le consentement de la population. Les quelques heures de manifestations devant le Parlement et le saccage de la télévision nationale n'ont été qu'un procédé pour attribuer à une réaction populaire le basculement d'une partie de l'appareil d'Etat, de l'armée en particulier, dans le sens souhaité par l'Occident impérialiste. C'était surtout un moyen de dédouaner tout l'appareil d'Etat, et l'armée en particulier, de son engagement passé au service de la dictature de Milosevic et de son rôle dans la répression contre les minorités nationales, notamment albanaise, et dans les multiples guerres, en Bosnie, en Croatie, etc. Le nouveau président de la Fédération yougoslave, Kostunica, peut désormais se présenter comme un démocrate, arrivé au pouvoir grâce à une élection, appuyée de surcroît par une mobilisation populaire.

Le remplacement de Milosevic par Kostunica ne changera pas grand chose pour la population serbe, et encore moins pour les minorités nationales. Non seulement parce que Kostunica est aussi nationaliste grand-serbe que son prédécesseur, mais surtout parce que c'est sur le terrain du nationalisme qu'il veut forger un consensus national autour de sa personne. Son accession à la tête de l'Etat serbe débloque cependant une situation bloquée dans les relations entre les puissances impérialistes et la Serbie. Le boycott économique contre la Serbie n'imposait pas seulement des souffrances supplémentaires à la population serbe, ce dont les puissances occidentales se sont fait aisément une raison. Il posait des problèmes politiques aux dirigeants du monde impérialiste et dressait des obstacles économiques devant leurs trusts. Une fois faite la démonstration de force des bombardements, il était de l'intérêt de l'impérialisme de renouer avec l'Etat serbe, qui dispose de la force militaire la plus importante dans les Balkans si l'on ne considère pas la Turquie , afin d'en faire un gardien de l'ordre dans une région qui reste très instable.

En outre, l'embargo contre la Serbie n'arrangeait pas les affaires de ces trusts européens qui, depuis la guerre, lorgnent vers la région, et plus particulièrement vers les grands chantiers de reconstruction. Désormais, la voie est libre pour eux. L'Etat serbe ne pourra certes pas payer mais Bouygues et ses compères du BTP pourront compter sur le financement de leurs Etats nationaux et des institutions européennes au nom, bien entendu, de la "généreuse idée" d'aider la population serbe.

La population de la Serbie semble en espérer une amélioration de la situation économique, ce qui se fera au mieux de façon limitée. Mais il n'est pas difficile de prédire que le nouveau régime profitera des "nécessités de la reconstruction" pour continuer à imposer dans le pays des salaires qui se sont effondrés pendant la guerre. Les trusts occidentaux seront les premiers à profiter d'une main-d'oeuvre particulièrement bon marché.

Ce n'est pas pour rien que l'Europe, et la France en particulier, a été la première à reconnaître le nouveau régime et à recevoir son nouveau président lors du sommet européen de Biarritz. Elle essaie d'utiliser les moyens diplomatiques et politiques dont elle dispose pour assurer un petit avantage à ses propres trusts par rapport aux trusts américains. Pour ce qui est plus spécialement de la France, cela lui permet de renouer avec sa politique traditionnelle qui considère la Serbie comme sa zone d'influence, la Slovénie et la Croatie étant plutôt dans la mouvance allemande.

Le changement de régime à Belgrade donne aux puissances occidentales la possibilité de se dégager du Kosovo. Certains dirigeants américains en ont déjà ouvertement envisagé l'éventualité. Quant aux dirigeants européens, leurs vantardises à propos du rôle du contingent européen Eurocorps laissent penser qu'ils posent leur candidature pour continuer à assurer militairement le protectorat de l'ONU sur le Kosovo. Reste à savoir s'ils en auront les moyens. Ce qui est certain, cependant, c'est que le Kosovo n'aura pas le droit de décider de son propre sort qui se décidera par l'entente entre grandes puissances.

Jusqu'à présent, les puissances occidentales ont toujours refusé d'envisager aussi bien l'indépendance du Kosovo que son union avec l'Albanie, avec laquelle il partage la même langue. Les mêmes puissances impérialistes européennes d'ailleurs qui, dans le cadre de leurs rivalités, ont tant contribué à l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, sont bien plus réticentes devant l'indépendance des régions les plus pauvres de l'ex-Yougoslavie qui ne disposent, de surcroît, pratiquement d'aucune richesse naturelle. Si les chancelleries occidentales ont encouragé, au temps de Milosevic, les velléités d'indépendance du Monténégro par rapport à la Serbie, elles ont changé d'attitude avec le changement de régime à Belgrade. Elles n'ont pas envie de pousser à la multiplication de mini-Etats sans ressources, qui ne pourraient survivre que grâce au soutien financier des grandes puissances. Au mieux, le Kosovo aura un statut de république dans le cadre d'une Fédération yougoslave dont feraient partie par ailleurs la Serbie et le Monténégro. Mais il devra peut-être se contenter d'une autonomie à l'intérieur de l'Etat serbe.

Si l'ONU en vient à décider de remettre le Kosovo à la Fédération yougoslave, en évoquant sa propre résolution du lendemain de la guerre reconnaissant la souveraineté de Belgrade, on expliquera aux Kosovars que la Serbie étant devenue une démocratie, ils pourront toujours défendre leur aspiration à l'indépendance par la voie des urnes... On en dira autant aux Monténégrins si, d'aventure, la majorité d'entre eux souhaite se séparer de la Serbie.

Malgré la réconciliation en cours entre les puissances impérialistes et la Serbie, la situation reste instable dans toute cette partie des Balkans. L'Albanie et la Macédoine restent parmi les pays les plus pauvres de l'Europe, rongées, la première, par la corruption et les mafias et la seconde, par les revendications nationales de ses minorités, notamment albanaise, à l'intérieur, et par l'attitude hostile de la Grèce et de la Bulgarie voisines. Et quant à la Bosnie-Herzégovine, son Etat reste une abstraction de la diplomatie internationale tant elle reste une mosaïque de micro-pouvoirs recouvrant plus ou moins la mosaïque ethnique, dont les trois composantes, bosniaque, serbe et croate, restent séparées par des lignes de front plus difficiles à franchir que des frontières d'Etat. Signe que les forces militaires d'interposition sous l'égide de l'ONU, qui assurent l'ordre depuis les accords de Dayton de 1995, n'ont rien résolu : les centaines de milliers de réfugiés chassés de chez eux par les nettoyages ethniques n'ont toujours pas pu, ou pas osé, rentrer chez eux, dans le même pays pourtant.

La "stabilisation" impérialiste ne signifie, en tout cas pour l'Albanie, la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine, que le règne de clans corrompus, parasitant des économies délabrées et se maintenant par la force, en utilisant une démagogie irrédentiste. Pour leurs populations, il reste la misère ou la fuite vers l'Occident, "boat people" vers l'Italie, travailleurs clandestins en Allemagne ou en France, et souvent l'exploitation par des mafias de la drogue ou de la prostitution.

Ex-démocraties populaires

Intégrées à des degrés divers dans l'économie de l'Europe occidentale, les anciennes Démocraties populaires Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie sont toutes candidates à l'intégration dans l'Union européenne. Elles font partie d'une liste de demandeurs dans laquelle il y a, en plus d'elles, les trois pays baltes issus de l'Union soviétique, la Slovénie issue de la Yougoslavie, les deux îles méditerranéennes Chypre et Malte, sans parler de la candidature déjà ancienne de la Turquie.

Même pour les moins sous-développées des anciennes Démocraties populaires, la Pologne, la Tchéquie, la Hongrie, ainsi que la Slovénie, l'intégration signifie surtout la mainmise des capitaux occidentaux, allemands en particulier, sur leurs plus grandes entreprises et, par là même, sur leur économie.

Pour ce qui est de la partie la plus sous-développée de l'Est européen, l'"intégration" de ces pays ne signifie dans les faits que des fermetures d'entreprises, un niveau catastrophique du chômage, une paupérisation accrue, sans même qu'il y ait un afflux de capitaux occidentaux. L'économie des pays voisins de l'ancienne Yougoslavie a, en outre, été plus ou moins gravement affectée par la guerre de l'OTAN contre la Serbie, par les destructions des voies de communication et par les conséquences indirectes du boycott.

Si la pénétration des capitaux occidentaux a été favorisée, en particulier dans les quatre pays qui les intéressent le plus, il n'en est pas de même dans l'autre sens, pour l'exportation de la production de ces pays. Les barrières protectionnistes de l'Union européenne freinent en particulier les exportations de produits agricoles. Ce qui a des conséquences d'autant plus graves pour ces pays qu'en même temps, les anciens circuits d'échange entre pays de l'ex-COMECOM (zone économique plus ou moins unifiée de l'ex-bloc soviétique) ont été partiellement ou totalement détruits.

Pour les dirigeants de la Pologne, de la Tchéquie, de la Hongrie et de la Slovénie, l'intégration rapide de leurs pays respectifs dans le Marché commun apparaît dans ces conditions une nécessité vitale. Les institutions européennes sont cependant d'autant moins pressées que les puissances européennes n'ont pas toutes les mêmes intérêts à l'intégration des pays de l'Est et qu'elles sont loin d'avoir trouvé les méthodes et les procédures ayant l'assentiment de toutes. Même si les quatre pays de l'Est les plus avancés sur le chemin de l'intégration finissent par être admis dans l'Union européenne, cela ne changera évidemment pas le rapport de forces entre le grand capital des puissances impérialistes européennes et ces pays qui, avant la guerre, étaient des semi-colonies. Hors de l'Union européenne ou dedans, la position réservée à l'économie de ces pays est une position subordonnée, déformée en fonction des intérêts et des investissements des trusts occidentaux.

En outre, les institutions européennes posent à ces pays des conditions draconiennes pour être admis dans le Marché commun. En plus des mesures d'austérité habituelles concernant les budgets de ces Etats, ceux-ci devront liquider ce qui reste encore de l'étatisme de la période précédente. Le maintien de certains combinats industriels, non rentables suivant les critères capitalistes, ou encore le maintien de la gestion des logements par des organismes publics ou des collectivités locales ont évité, dans certains de ces pays, que la paupérisation soit insupportable.

Par ailleurs, les institutions de l'Union européenne ne souhaitant nullement prendre en charge l'agriculture des pays de l'Est, elles font pression sur eux pour qu'ils la "modernisent", ce qui, dans le cas de la Pologne par exemple où la petite paysannerie est numériquement importante, aura des conséquences catastrophiques.

Une intégration prochaine de ces pays dans l'Union européenne faciliterait la circulation des marchandises comme, dans une certaine mesure, des hommes vers l'Europe occidentale. Elle approfondirait cependant leur coupure économique et humaine avec les pays situés plus à l'Est. Une des conditions posées par les institutions européennes est le renforcement de leurs frontières qui, en cas d'intégration, deviendraient les frontières de l'Union européenne. Pour peu que l'intégration des différents pays de l'Est soit étalée dans le temps, une frontière à la Schengen risque de séparer la Tchéquie de la Slovaquie qui, il y a dix ans, constituaient un seul pays ; la Slovénie, des ex-républiques soeurs dans le cadre de la Yougoslavie, dont la Croatie voisine ; ou encore couper la Hongrie des minorités hongroises, nombreuses, de la Roumanie, de la Slovaquie ou de la Voïvodine serbe.

Russie

En Russie, l'événement politique de l'année a été la passation de pouvoir sans heurt de Eltsine à Poutine. Cet ex-général du KGB, inconnu il y a deux ans, a donc succédé au vieux haut bureaucrate devenu pro-occidental. Poutine y a gagné un titre de chef d'Etat et Eltsine, la totale impunité judiciaire offerte par son successeur qui met à l'abri sa personne comme la fortune acquise par son clan en pillant les caisses de l'Etat.

L'avenir dira de quel pouvoir réel dispose le nouveau président de la Fédération de Russie. Il claironne sa volonté de "rétablir la verticale du pouvoir" et d'instaurer "la dictature de la loi". Mais, pour le moment, la verticalité se perd dans le labyrinthe des pouvoirs locaux et, quant à la dictature de la loi, elle est surtout celle des clans bureaucratiques et des mafias de toutes sortes.

Poutine a certes obtenu de la Douma une modification du statut des gouverneurs et des présidents qui dirigent les 89 "sujets de la Fédération" (régions, républiques et les deux capitales), qui ne siégeront plus au Conseil de la Fédération (une sorte de Sénat), n'auront plus d'immunité judiciaire et pourront être révoqués. De même, leurs assemblées respectives peuvent être dissoutes par le pouvoir central. Poutine a même créé une autorité censée chapeauter les pouvoirs régionaux en découpant le pays en sept super-régions avec à la tête de chacune un super-préfet nommé par lui et dont cinq sur sept sont des généraux ou hauts cadres issus du KGB. Mais si cela lui donne les moyens juridiques de contrôle, cela ne lui en donne pas forcément les moyens matériels. Les pouvoirs locaux les plus enclins à obéir au pouvoir central sont ceux des régions les plus pauvres et dont les finances dépendent du centre. Les autorités des régions les plus riches ne sont cependant pas plus contrôlées qu'auparavant, et Poutine se garde bien de chercher le conflit avec elles.

Si le nouveau président a aussi essayé de mettre au pas quelques hauts bureaucrates affairistes, en particulier certains de ceux qui ont mis la main sur la presse et les moyens d'information, cette tentative n'est guère concluante

La Russie reste, depuis le 1er octobre 1999, engluée dans la deuxième guerre en Tchétchénie, cette république dont les autorités narguent depuis plusieurs années le plus ouvertement le pouvoir central. Cette guerre aurait fait en un an 45 000 morts civils, 18 000 disparus, et l'armée russe de son côté aurait perdu plus de 10 000 soldats. L'armée russe contrôle Grozny, en grande partie détruite, et quelques autres villes du pays. Malgré la présence de 180 000 soldats, elle ne contrôle cependant pas l'ensemble du pays. Cette guerre, qui coûte très cher à la population tchétchène, coûte aussi à la population russe. Il faut noter qu'à part quelques déclarations de principe, l'Occident impérialiste laisse les mains entièrement libres au Kremlin pour continuer cette guerre.

Il n'y a pas eu de grands changements sur le plan économique cette année. La chute de la production semble s'être arrêtée car, à la suite du krach financier d'août 1998, le pays ne pouvant plus importer a dû relancer certaines productions locales. Ses recettes budgétaires ainsi que ses recettes d'exportation ont, en outre, profité de l'envolée des cours du pétrole et du gaz qui représentent 40 % des exportations du pays.

Mais les investissements demeurent insignifiants et le naufrage du sous-marin Koursk est symbolique de l'état d'usure dans lequel se trouvent machines et matériels. Le Premier ministre, Kassionov, a reconnu récemment que 70 % de tous les équipements industriels ont dépassé la durée de vie pour laquelle ils avaient été initialement conçus. La bureaucratie en décomposition continue à faire payer à l'ensemble de la population, et son pillage, et sa gestion à court terme. L'échelle de classement du niveau de vie de l'ONU vaut ce qu'elle vaut mais elle met le niveau de vie moyen en Russie en 71e position, après des pays comme le Pérou, le Mexique, la Malaisie ou même la Roumanie et les Iles Fidji, et sa production par habitant, plus loin encore en arrière.

Quant à l'avancement de ce que les dirigeants russes comme occidentaux appellent "les réformes", c'est-à-dire la transformation de l'économie dans le sens capitaliste, il fait du surplace depuis trois ans. Les capitaux occidentaux continuent à dédaigner la Russie, ne voulant pas s'investir dans un pays au fonctionnement économique incertain. Quant aux affairistes russes, ils continuent, comme ils le font depuis dix ans, à ne rien investir en Russie et à placer l'essentiel de leur argent dans les banques occidentales.

La contrepartie de la disparition de l'Union soviétique et de l'affaiblissement du pouvoir en Russie même, c'est que le Kremlin n'a plus les moyens de jouer efficacement son rôle de gendarme dans cette partie de la planète. Les Etats du Caucase ou d'Asie centrale issus de l'éclatement de l'Union soviétique restent dans la zone d'influence de Moscou qui maintient les régimes de certains de ces pays sous perfusion financière et militaire. Faute de moyens, Moscou essaie de préserver son influence en jouant sur les contradictions et sur les conflits. L'ensemble des républiques du Caucase reste une zone de tensions, entre Etats ou à l'intérieur même des Etats. Quant aux républiques d'Asie centrale, elles sont corrodées par les trafics, notamment de drogue, et par la montée de l'islamisme.

Chine et Corée

Les dirigeants chinois ont beau être les derniers à se réclamer officiellement du communisme, non seulement la Chine a la sympathie de l'Occident impérialiste, mais son régime est considéré par les milieux d'affaires comme un modèle par rapport à la Russie. Malgré des protestations purement symboliques après Tien an men, l'impérialisme est reconnaissant aux dirigeants chinois de maintenir l'ordre dans ce pays immense et peuplé, surtout dans une période où l'ouverture croissante aux capitaux occidentaux, le développement du secteur privé et l'enrichissement rapide d'une petite couche privilégiée entraînent une aggravation de la situation sociale. Le développement du chômage est explosif aussi bien du fait des suppressions d'emplois dans de grandes entreprises en train de s'ouvrir aux capitaux privés que du fait de la possibilité laissée aux paysans de quitter les campagnes et d'aller vers les villes.

Le décalage se creuse entre quelques régions qui attirent les capitaux, comme celle autour de Shangaï ou la zone économique autour de Hong Kong qui connaissent un taux de croissance parmi les plus importants du monde, et l'intérieur des terres de plus en plus sous-développé.

Malgré le caractère autoritaire du régime, étant donné la rapidité d'une évolution qui creuse les inégalités, ce pays, le plus peuplé du monde, pourrait peut-être redevenir le foyer d'explosions révolutionnaires qu'il a été dans le premier quart du vingtième siècle. Là encore, tout dépend de la capacité du prolétariat chinois, devenu sans doute un des plus nombreux du monde, à s'orienter vers des perspectives de classe.

L'assouplissement des relations entre les deux Corées, séparées par des barbelés depuis un demi-siècle, s'annonce depuis deux ou trois ans. Il s'est accéléré cette année et a été marqué par la visite du président sud-coréen dans le Nord et par la noria de dignitaires occidentaux qui défilent à Pyong Yang. Le changement rapide des relations entre les deux Corées reflète surtout un changement d'attitude de l'impérialisme américain qui, avec l'évolution de la Russie et celle de la Chine, n'a plus besoin d'entretenir la tension dans cette zone qui a été longtemps un des points les plus chauds de l'affrontement entre les deux blocs. Et il ne tient pas à voir la place prise par d'autres puissances impérialistes, le Japon en particulier.

Cela dit, l'unification des deux parties de ce pays n'est pas encore faite, et même si elle se fait, elle se fera difficilement. Même l'intégration de l'ex-RDA, l'Allemagne de l'Est, dans l'ensemble allemand a posé bien des problèmes et en pose encore, alors qu'il s'agissait de deux régions parmi les plus développées et industrialisées du monde. Les deux Corées, chacune à sa manière, font partie de pays sous-développés. La Corée du Sud connaît depuis plusieurs années une situation sociale explosive, avec des interventions sporadiques mais puissantes de la classe ouvrière. Ce que l'on peut espérer, c'est que l'unification donnera à ces luttes une autre ampleur et permettra aux deux fractions séparées de la classe ouvrière coréenne de s'unir dans la lutte.

Afrique

L'Afrique demeure le continent qui continue à payer le plus lourd tribut à la domination impérialiste sur le monde. L'économie de la plupart des pays d'Afrique noire continue à se déliter. Et leur production comme le revenu par tête ont reculé non seulement relativement aux pays développés mais même dans l'absolu. Pour profonde que soit la régression économique et sans limite la pauvreté de la majorité de la population, l'impérialisme continue à saigner le continent en adaptant simplement ses méthodes aux circonstances. Dans nombre de pays, à l'exploitation directe du temps de la domination coloniale, puis à l'exploitation via l'usure par les bailleurs de fonds internationaux, ont succédé des formes de pillage où l'impérialisme passe par les chefs de ces bandes armées dont la présence se généralise.

C'est qu'une bonne partie de l'Afrique noire s'installe dans une situation où les guerres ne sont plus un état momentané, accidentel, mais un état d'existence permanent. C'est le cas depuis plusieurs années du Libéria, de la Sierra-Léone, de la Somalie et du Soudan.

En Afrique centrale, les guerres civiles locales qui ont dévasté, tour à tour, le Rwanda, le Burundi, le Congo ex-Zaïre et le Congo ex-Brazzaville, ont conflué en une guerre régionale où, en dehors des bandes armées qui déchirent les pays ci-dessus, participent des troupes ou des bandes armées venues d'Angola, d'Ouganda, du Ghana, du Zimbabwé et de Namibie.

Les trusts impérialistes, incapables de faire assurer la continuité de l'exploitation des richesses minières immenses de ces régions par des Etats en déliquescence, ont appris à jongler avec les chefs de guerre, à les financer et à les armer. Aux compradores d'antan ont succédé les chefs de guerre compradores dont l'activité économique consiste à piller les richesses de leurs pays, en particulier minières, pour les canaliser vers les receleurs impérialistes. Pendant qu'à l'ONU ou dans les institutions européennes, on vote des résolutions contre les trafics d'armes, de diamants, de matières premières précieuses, ce sont, en dernier ressort, des groupes industriels ou financiers occidentaux qui sont à l'origine des trafics d'armes vers le continent africain, comme ils sont les receleurs en dernière instance des richesses de ces pays. Ces groupes impérialistes ont parfaitement adapté leur pillage à cette situation de guerre permanente qu'ils entretiennent, alors que le règne des bandes armées non seulement fait des dizaines de milliers de victimes, mais contribue à désorganiser et à affaiblir encore plus l'économie du continent africain.

Malgré une présence certaine de l'impérialisme américain, économique notamment en Afrique du Sud, l'Afrique reste pour l'essentiel la proie des deux principales ex-puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne. L'impérialisme français reste attaché à une forme de domination semi-coloniale, marquée sur le plan économique par le maintien de la zone CFA et sur le plan politique et militaire par ses interventions dans la sélection du personnel politique et militaire dirigeant des Etats des ex-colonies. L'intervention de l'impérialisme britannique a beau être plus discrète, Londres a une responsabilité majeure dans la guerre civile atroce qui a déchiré la Sierra-Léone et dont il n'est pas certain qu'elle soit terminée.

Les deux principales ex-puissances coloniales, toutes les deux des impérialismes de second rang aujourd'hui, ont cependant de plus en plus de mal à assurer le maintien de l'ordre dans ce chaudron bouillonnant qu'est devenue l'Afrique. Sur le plan militaire, les interventions directes de leurs troupes cèdent le pas aux interventions des troupes d'autres ex-colonies de la région concernée. Ce sont, par exemple, des troupes agissant au nom des Nations unies et composées surtout de soldats nigérians qui sont intervenues en Sierra-Léone.

L'impérialisme français continue cependant à maintenir des bases militaires en Côte-d'Ivoire, au Sénégal, au Gabon et à Djibouti. L'impérialisme britannique comme l'impérialisme français, tout en restant accrochés chacun à son pré carré du temps de la domination coloniale, cherchent cependant de plus en plus à faire financer leur influence par les institutions européennes.

L'explosion ethniste qui vient de se produire en Côte-d'Ivoire et le processus qui y a conduit sont représentatifs de ce qui se passe dans un grand nombre de pays d'Afrique. Ce pays était pourtant considéré comme un des pays les moins pauvres de l'ancien empire colonial français. Un des principaux producteurs et exportateurs de cacao et de café, il était en outre la base avancée des groupes capitalistes français en direction des autres pays de l'Afrique occidentale. La chute du cours des matières premières a cependant mis fin au prétendu miracle économique ivoirien qui n'a, de toute façon, bénéficié, outre au grand capital français, qu'à une couche petite-bourgeoise compradore. Le miracle reposait en dernier ressort sur des travailleurs des plantations dont une grande partie venait du Mali, du Ghana, de la Guinée, du Bénin et surtout du Burkina-Faso voisin. Dans un contexte marqué, depuis plusieurs années, par le recul de la production et par la dévaluation du franc CFA, aggravant la pauvreté des couches laborieuses, la Côte-d'Ivoire est arrivée au bord d'une crise économique et sociale.

Elle vit aussi une crise politique liée à la succession toujours pas réglée de Houphouët-Boigny, dictateur pendant plus de trente ans avec le soutien de l'impérialisme français. Si Bédié a pu profiter de sa position de président de l'Assemblée nationale, qui en faisait le successeur constitutionnel, il n'a jamais eu le pouvoir de mettre définitivement hors course ses principaux rivaux, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et leurs clans respectifs. Pour consolider le pouvoir, il a déclenché une propagande xénophobe et ethniste marquée, notamment, par la suppression du droit de vote des Ivoiriens originaires du Burkina-Faso puis par l'invention de l'"ivoirité". Il a été rapidement relayé sur le même terrain par Gbagbo car cette démagogie faisait leur affaire commune contre Ouattara, originaire du Nord et accusé d'être burkinabé. Bédié chassé en décembre par le général Gueï, la propagande xénophobe et ethniste s'est poursuivie, distillée de haut en bas, relayée par une presse servile, avec la complicité des milieux dirigeants français. Paris a, en particulier, cautionné le fait que l'origine nationale, en réalité ethnique, soit un critère de sélection pour être admis comme candidat à l'élection présidentielle. Le choix d'écarter Ouattara du droit de se présenter à la présidentielle a fait des rivalités politiques une menace de guerre civile annoncée.

Cette menace s'est concrétisée au lendemain de l'élection présidentielle. La population a massivement réagi contre la tentative du général Gueï de se cramponner au pouvoir. Le choix d'une grande partie de la hiérarchie militaire de ne pas le soutenir a sonné le glas de sa tentative. Mais, à peine Gueï chassé, les affrontements entre les partisans de Gbagbo et ceux de Ouattara se sont transformés en affrontements ethniques, faisant des dizaines de morts, en particulier dans les quartiers populaires. Quelle que soit l'évolution ultérieure des choses, ces affrontements laisseront des traces catastrophiques, en particulier dans les quartiers populaires d'Abidjan où ont coexisté dans le passé, sans problèmes majeurs, des gens d'origines nationales et ethniques diverses.

Par ailleurs, si se poursuit la chasse aux Burkinabés, qui sont au moins deux millions en Côte-d'Ivoire, et si la pression violente visant à les faire partir s'amplifiait, était systématisée par le pouvoir central et se traduisait par un véritable "nettoyage ethnique", cela conduirait à une déstabilisation de toute la région. Le Burkina-Faso comme le Mali ou le Ghana sont des pays trop pauvres pour pouvoir supporter un retour massif des habitants de Côte-d'Ivoire originaires de ces pays.

Conclusion

La contradiction est plus criante que jamais entre une économie fonctionnant à l'échelle planétaire et la fragmentation de l'humanité du fait des frontières qui se multiplient, qu'elles se matérialisent par des barbelés matériels ou par ceux que l'on dresse dans les esprits. La montée des chauvinismes et des ethnismes s'ajoute aux oppressions de toutes sortes et à la misère d'une grande partie de la planète pour pousser hors de chez eux des millions d'êtres humains. Les organismes internationaux recensent 40 millions de personnes déplacées de par le monde, dont 15 millions reconnues réfugiées politiques. Ces chiffres sont probablement largement inférieurs à la réalité. Les camps de réfugiés, la fuite permanente, sont une forme d'existence pour une fraction croissante de l'humanité, comme l'est, pour un nombre bien plus grand encore, la pauvreté extrême, la malnutrition. Si ce n'est de la barbarie, c'est quoi, la barbarie ? La période exceptionnellement longue de "paix" impérialiste que connaît le monde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qui se prolonge depuis dix ans sans même la "guerre froide" entre deux blocs, montre, autant que l'ont montré les deux guerres mondiales, que l'humanité n'a rien à espérer de l'organisation capitaliste de l'économie et du système impérialiste qui en est l'achèvement. La transformation révolutionnaire de la société est une nécessité vitale pour toute la planète.