L'"Europe sociale" des gouvernants au service de leurs bourgeoisies... Au mieux, un alibi

Εκτύπωση
Avril 1999

S'il est un domaine où les différents Etats, où les différentes bourgeoisies, se refusent absolument à céder un peu de leurs prérogatives, c'est bien en ce qui concerne l'exploitation des travailleurs. A travers la mise en place des institutions européennes, les patrons cherchent bien à optimiser leurs profits en étendant leur marché protégé à l'ensemble de l'Europe, en renforçant leur emprise financière à travers le monde et les places financières internationales au moyen d'une monnaie européenne unique, quitte pour cela à s'entendre avec leurs voisins et acolytes, mais ils entendent aussi conserver la haute main sur la source "naturelle", nationale, de leurs profits.

Ainsi, ils ont admis peu à peu de s'accorder sur un mini-minimum de législation sociale en matière de sécurité au travail, par exemple. C'est ce qu'ils appellent les "bases juridiques de l'Europe sociale", qui contiennent surtout des vagues déclarations sur l'information et la consultation des travailleurs, sur l'égalité entre hommes et femmes face au marché du travail... Cependant, l'unanimité des Etats membres est requise dès lors qu'il s'agit de directives à prendre en matière de sécurité sociale, de protection sociale, de représentation collective, bref des principaux domaines du droit du travail. Et les salaires, le droit syndical, le droit de grève et celui de lock-out, sont explicitement déclarés hors de la compétence communautaire.

Il n'y a, dans tous ces textes, rien de contraignant pour le patronat, d'autant que les "directives" communautaires doivent encore être transposées dans les législations nationales, ce qui peut prendre des années.

Cette "construction" européenne s'est faite tellement exclusivement en fonction des besoins éprouvés par les capitalistes européens, les multinationales européennes, que les traités fondateurs n'évoquaient pratiquement pas d'autres préoccupations que marchandes, mentionnant tout au plus la nécessité de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail mais comme quelque chose qui découlerait tout seul du fonctionnement du marché...

Le temps passant et la perspective de la mise en place d'un marché unique de 374 millions de consommateurs se précisant, il est apparu à certains plus politique de jeter un peu de poudre aux yeux, vers la fin des années 80.

On s'est mis à "confirmer l'attachement des Etats membres aux droits sociaux", à rechercher "la meilleure intégration de la dimension sociale dans les objectifs et les actions européens". Une Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs a même été signée en 1989, qu'il est revenu à Mitterrand de faire mousser lors de la signature du traité de Maastricht. Mais Jacques Delors soulignait cyniquement : "Nous n'essayons pas de faire oeuvre d'avant-garde en matière de législation sociale", "Les mesures auxquelles nous pensons sont déjà en application dans trois quarts des Etats de la Communauté. Nous visons un minimum législatif".

Ce "socle social commun", comme ils disent maintenant, s'imposera en principe à tous lorsque le traité d'Amsterdam sera ratifié. Mais, encore une fois, il ne s'agit que de "principes directeurs" très généraux (ou de voeux pieux !), comme par exemple le droit au travail dans l'Etat de son choix, le droit à l'information, la consultation et la participation des travailleurs.

L'Union européenne s'est flanquée d'un "Comité économique et social" de 220 membres nommés, censés représenter les salariés comme les employeurs, et chargés de donner des avis. C'est à cela que se résume ce que les hommes politiques ceux qui en parlent entendent par l'"Europe sociale" : aucune réalité, mais la tarte à la crème des discours et des publications des politiciens partisans de l'Europe.

C'est l'assiette du pauvre au banquet des nantis, la charité des dames patronnesses.

Et même ce peu de "social" a évolué défavorablement. Les textes plus récents parlent beaucoup plus de "priorité à l'emploi" que de droits sociaux pour les travailleurs, et on sait comment cette "priorité à l'emploi" se traduit pour les hommes politiques bourgeois par des aides de toutes sortes, en espèces sonnantes et trébuchantes, pour le patronat... et en bonnes paroles chargées de faire passer des mesures anti-ouvrières pour les travailleurs.

L'Union européenne compte plus de 16 millions de chômeurs recensés officiellement, soit environ 11 % de sa population active (21 % en Espagne, dont plus de la moitié en chômage de longue durée !), et ce fléau s'accompagne d'une prolifération des statuts précaires, des horaires "atypiques", etc. (32 % de l'ensemble des salariés, près du tiers, seraient en Espagne en contrats à durée déterminée).

A cause du chômage, la part des rémunérations salariales dans l'ensemble des ressources a reculé partout : en France, de 54 à 49 % ; en Italie, de 44 à 37 %, entre 1980 et 1995. Si bien que les statistiques européennes concluaient, en 1994, que "en moyenne, les 10 % des Européens les plus modestes se partageaient 2,6 % du revenu total. Les 10 % les plus aisés recevaient près de dix fois plus, soit 24 %".

Et tout cela dans ce bastion de pays riches que constitue l'Europe capitaliste !

Alors, face à cela, que peut-on attendre de textes élaborés par les responsables politiques au service des grands licencieurs, des grands profiteurs, que peut-on espérer d'une quelconque législation émanant des gouvernements gestionnaires de la société capitaliste, quels qu'ils soient ?

Quel culot, de la part de tous ces responsables politiques, d'oser parler d'"Europe sociale", alors que dans chaque pays ils oeuvrent à démolir les protections sociales qui peuvent exister, à faire reculer la législation du travail, à faire main basse sur les retraites des travailleurs pour alimenter la spéculation financière !

Nous voyons bien, en France, comment une législation présentée par la "gauche plurielle" comme favorable aux travailleurs, sur la réduction du temps de travail à 35 heures, constitue dans la réalité, dans ce contexte de chômage et de régression sociale, une nouvelle arme aux mains des patrons pour aggraver l'exploitation des travailleurs.

Un exemple venu d'Angleterre illustre ce qu'une directive européenne limitant à 48 heures la durée maximale hedomadaire du travail peut donner à l'usage, c'est-à-dire une fois "transposée", comme ils disent, dans la législation du pays. La loi anglaise d'octobre dernier apporte des éléments positifs, comme les deux semaines de congés payés annuelles qui s'appliquent désormais y compris aux temps partiels (il n'existait aucune obligation de congés payés dans la loi britannique), ou l'introduction des congés maternité pour toutes, et pas seulement pour le personnel fixe à temps plein. Très bien, dira-t-on, voilà qui remplace un vide juridique complet puisqu'il n'existait en Grande-Bretagne aucune législation limitant la durée du travail (sauf pour les enfants) ni sur les pauses ou le repos quotidien minimum.

Mais, même dans les branches qui ne sont pas exemptées d'appliquer cette loi, même là où cette loi doit donc s'appliquer, elle prévoit la possibilité pour les employés de renoncer au maximum de 48 heures hebdomadaires, par une simple déclaration signée une fois pour toutes. Ce qui fait que dans le bâtiment, les patrons se sont immédiatement précipités avec des déclarations à signer à la main, en menaçant les récalcitrants de la porte, et que d'autres employeurs ont carrément introduit cette renonciation dans le contrat de travail.

Pour couronner tout cela, le maximum de 48 heures est une moyenne calculée sur quatre mois, ce que nombre d'entreprises ont interprété, on s'en doute, comme une invitation légale à la flexibilité des horaires de travail. Comme on le voit, s'il s'agit de 48 heures d'un côté de la Manche et de 35 de l'autre, les patrons anglais ressemblent autant aux patrons français que Jospin et Martine Aubry ressemblent à Tony Blair.

La voilà, leur Europe "sociale" "Cette Europe [qui] sera le plus grand espace de liberté, de stabilité, de prospérité et de justice qui ait jamais existé", comme les dirigeants socialistes européens ont le cynisme de le proclamer dans leur manifeste électoral commun.

Les partis soi-disant socialistes enveloppent cela avec l'hypocrisie qui les caractérise. Ainsi, le Parti des socialistes européens, qui regroupe, rappelons-le, les formations socialistes, social-démocrates et apparentées de l'Union européenne, accompagne son manifeste commun en vue des élections de juin d'un projet de "pacte européen pour l'emploi", dans lequel le secrétaire du PS français, François Hollande, a voulu voir supprimer toute référence au mot "flexibilité", qui a mauvaise presse, à propos de la main-d'oeuvre. Il préfère parler de "liberté de choix" des salariés... Comme si les salariés, en cette période de chômage, étaient libres de choisir. C'est toute une illustration : voilà la liberté qu'entendent laisser aux prolétaires le système capitaliste et ses défenseurs "de gauche", celle de subir les diktats patronaux... ou de devenir des chômeurs, pendant que les socialistes se voilent pudiquement la face.

Mais, depuis quand a-t-on vu les dirigeants des puissances impérialistes européennes se préoccuper de "social", ou des droits de l'homme ? Est-ce au nom de ces préoccupations qu'ils ont conquis l'Afrique au siècle dernier, qu'ils ont envoyé les peuples s'entre-massacrer sur les champs de bataille de deux guerres gigantesques trois fois en 70 ans entre la France et l'Allemagne , qu'ils ont fait donner leurs forces de répression contre le mouvement ouvrier, contre les grèves et les soulèvements de travailleurs, qu'ils ont fusillé les Communards et fait tout leur possible pour écraser la révolution des ouvriers de Russie en 1917 ?

Non, ces discours, les capitalistes les laissent à leurs politiciens. Eux, ils ne connaissent que les rapports de forces, et, en matière d'Europe puisque c'est d'Europe qu'il s'agit, leur Europe actuelle, faite de chômage et de misère, de régression et d'attaques contre les travailleurs, c'est le mieux qu'ils puissent proposer ! Face à cela, "l'Europe sociale basée sur des critères sociaux" que certains appellent de leurs voeux, les appels en direction de la gauche contre les traités de Maastricht, d'Amsterdam, etc., ne sont au mieux que des alibis.

Oui, il faudra imposer l'alignement des droits sociaux sur la législation la plus favorable aux travailleurs. Il faudra imposer des salaires minimum garantis alignés au moins sur ceux du pays où ils sont le moins misérables. A l'heure actuelle, il n'existe des minima salariaux nationaux légaux que dans 7 des 15 Etats de l'Union (8 bientôt avec la Grande Bretagne), horaires, journaliers, hebdomadaires, mensuels, ce qui rend les comparaisons délicates, même en euros. Mais leurs niveaux sont de moitié inférieurs environ en Espagne, au Portugal et en Grèce, par rapport au Luxembourg, à la Belgique, aux Pays-Bas et à la France.

Mais il est de l'intérêt de tous les travailleurs d'imposer une unification par le haut des conditions minimales de travail et de salaires au niveau de toute l'Europe. Et c'est pour cela que nous, révolutionnaires communistes, défendons ces revendications unifiantes dans notre programme, au nom de l'intérêt collectif de toute la classe ouvrière d'Europe contre la classe capitaliste, qui ne vise qu'à l'exploiter au maximum.

Nous n'oublions pas que le mouvement ouvrier s'est toujours battu pour une législation minimum du travail. Bien entendu, l'existence de lois protégeant un tant soit peu les travailleurs est préférable à son absence complète. Mais, même ce minimum-là est une question de rapport de force entre les travailleurs et le patronat, nous le savons tous, une question de combat de classe, bien loin du tranquille espoir que des parlements feront le nécessaire. Et ces objectifs sont, pour des révolutionnaires, avant tout des objectifs de lutte, sur lesquels préparer la mobilisation des travailleurs.

Nous pensons même que l'urgence de la situation des travailleurs, en activité ou au chômage, l'urgence créée par l'extension de la précarité et de la misère, imposent des mesures autrement radicales.

Quand les travailleurs reprendront le chemin de la lutte collective, c'est la réquisition des entreprises qui licencient, la majoration des impôts sur les profits, la transparence des comptes des grandes entreprises et du fonctionnement bancaire qu'ils devront mettre en avant autrement dit, leur contrôle sur les grandes entreprises. Il ne faut plus laisser au grand patronat la maîtrise de la gestion de l'économie, il faut opposer le pouvoir économique des travailleurs, de toute la population laborieuse, au pouvoir économique et social sans partage du grand patronat. La démocratie politique est en fait à ce prix.

Les Etats-Unis socialistes d'europe seront bâtis par la classe ouvrière, avec les méthodes de la révolution

Pour le succès des luttes à venir, l'unification la plus poussée possible de la classe ouvrière à l'échelle européenne constituerait un avantage incontestable, ne serait-ce que l'avantage du nombre, de la force. Et, déjà, la suppression des frontières, la libre circulation des hommes et des marchandises, la monnaie unique même, pourraient être des progrès.

Certes, cela ne suffirait pas. Vu le rapport des forces entre prolétariat et bourgeoisie, c'est d'une haute conscience, d'une forte volonté politique communes que les travailleurs ont plus que jamais besoin. Et de ce point de vue, c'est le problème de la nécessaire renaissance du mouvement ouvrier qui conditionne la manière dont la classe ouvrière pourra affronter le problème de la mise en place des institutions européennes.

En tout cas, s'il est impossible de "réorienter l'Europe" le système capitaliste a amplement démontré son incapacité à se réformer lui-même pour autant les révolutionnaires socialistes et communistes ne peuvent en aucun cas mener une propagande politique consistant à faire de l'unification européenne un épouvantail. Ni laisser la moindre place aux ambiguïtés sur le terrain du nationalisme.

Aujourd'hui, vu le large consensus qui prévaut pour le moment sur cette question, on n'entend pas trop la démagogie chauvine sur le thème de l'opposition à l'Europe. Mais qu'en serait-il demain, si la crise économique, sociale, politique devenait particulièrement grave ? Aucune bourgeoisie n'est enchaînée à l'euro, et si un ou plusieurs gouvernements européens choisissaient de reprendre leur indépendance monétaire, ce serait pour mieux imposer des sacrifices à leur classe ouvrière. L'"intérêt national" serait alors invoqué face aux concurrents, plus que jamais. Le nationalisme, la xénophobie en seraient renforcés. Et les conditions du combat de la classe ouvrière n'en seraient pas facilitées, au contraire.

C'est pourquoi il ne faut pas tolérer le poison nationaliste dans les rangs de la classe ouvrière, même lorsqu'il se pare d'une rhétorique qui se veut "de gauche".

La classe ouvrière n'a aucun intérêt national à défendre. Les travailleurs n'ont pas de patrie, le Manifeste communiste le proclamait déjà.

Car ce n'est même pas seulement à l'échelle de l'Europe, mais à l'échelle du monde, que la société capitaliste a fait plus que son temps.

A l'époque de la Première Guerre mondiale, des révolutionnaires, dont Trotsky, évoquaient déjà l'économie du continent européen étouffée par sa fragmentation étatique et ses frontières. C'est vrai aujourd'hui de l'économie mondiale, livrée au chaos, aux crises et à une gabegie monstrueuse par le système capitaliste.

Incapable de surmonter ses propres contradictions, incapable de faire progresser l'humanité dans son ensemble, ce système de fous entraîne au contraire celle-ci dans la voie d'une régression générale et menace de la replonger dans la barbarie, quand celle-ci n'est pas déjà une terrible réalité en de vastes régions du monde.

Au cours de ce dernier demi-siècle, la bourgeoisie n'a été capable que d'accoucher d'une union circonstancielle de profiteurs, à l'échelle de quinze pays de la petite Europe occidentale, et cette Europe-là, celle des banquiers et des groupes capitalistes, est passablement pourrie. C'est une union de parasites sur le dos des travailleurs et des peuples, où règnent en maîtres l'exploitation, l'oppression, les inégalités, les dénis de justice, les obscurantismes de toutes sortes.

Seule la lutte ouvrière collective consciemment internationaliste peut sortir un jour l'humanité de cette impasse désastreuse.