France - Les résultats de l'extrême gauche trotskiste

Εκτύπωση
Eté 97

L'extrême gauche a été créditée par le journal "Le Monde" de 552 000 voix dans les récentes élections législatives, de 636 984 voix par le ministère de l'Intérieur. Quant à nous, en totalisant les suffrages recueillis par le Parti des travailleurs, par la LCR et les candidatures qu'elle soutenait (à l'exception des candidats du PCF), par la Voix des travailleurs et par Lutte ouvrière, nous aboutissons au chiffre de 582 604.Les organisations qui se situent dans la mouvance trotskiste ont recueilli une part importante de ces suffrages : 553 979 voix.

Ces variations traduisent le flou de certaines candidatures classées par certains à l'extrême gauche, mais que l'on a bien du mal à considérer comme telles. A l'exemple, et c'est loin d'être le seul, du cas de Jean-Claude Brard, ex-PCF, député-maire de Montreuil, en Seine-St-Denis, qui est présenté comme un candidat de la CAP (Convention pour une alternative progressiste, où se retrouvent d'anciens cadres du PCF regroupés autour de Charles Fiterman), et qui est en même temps député PCF depuis plusieurs législatures, et comme tel classé dans les appa rentés du PCF. Il est d'autant plus hasardeux de le classer dans l'extrême gauche, qu'il n'assumerait certainement pas lui-même une telle classification.

Le Parti des travailleurs (qui se défend de faire partie de l'extrême gauche, mais dont la fraction qui l'impulse, la fraction dite lambertiste, se réfère au trotskisme) présentait 121 candidats qui ont recueilli, selon ses dires, un peu plus de 50 000 voix.

La LCR, 70 674 pour les 134 candidats qu'elle présentait sous son sigle. Mais elle soutenait par ailleurs 20 candidatures dites "unitaires" appartenant à d'autres formations telles les Verts, l'AREV (Association rouge et verte), la CAP, ainsi que 7 candidats du PCF, parmi lesquels Guy Hermier, membre du bureau national du PCF et tête de file des "refondateurs" de ce même PCF, ou encore Roger Meï, élu récemment dans l'élection partielle de Gardanne et réélu cette fois. Ces 7 candidats du PCF ont beau être compta bilisés par "Rouge" parmi les "candidats 100 % à gauche", on ne peut sérieusement faire figurer leurs résultats au bilan de l'extrême gauche... et considérer qu'il y aurait désormais au Parlement trois députés proches de la LCR et "100 % à gauche". La "Voix des travailleurs", présente dans 20 circonscriptions, a recueilli 10 077 voix.

Lutte Ouvrière, quant à elle, présente dans 321 circonscriptions, a recueilli 421 877, soit 75 % des voix de l'extrême gauche si l'on prend comme référence le chiffre donné par "Le Monde". Ces chiffres restent faibles. En comparaison avec les résultats des élec tions législatives de 1993, le PT fait état d'une légère progression sans fournir les indications qui permettraient de l'évaluer. La LCR indique que "là où ils se retrouvaient seuls, les représentants de la LCR obtenaient une moyenne de 1,26 % des suffrages exprimés... A titre de com paraison," précise-t-elle, "les candidats que nous soutenions en 1993 avaient réalisé une moyenne de 1,08 % des voix". La LCR ne présentait et ne soutenait alors qu'environ 80 candidats.

Les résultats de Lutte Ouvrière marquent une progression plus nette, puisqu'elle est en moyenne de 1 % par rapport aux élections législatives de 1993, où nous étions présents dans 247 circons criptions contre 321 cette fois. Dans 301 de ces circonscriptions, nous dépassons 2 % et nous obtenons plus de 4 % dans 40 d'entre elles, dont 7 où nous dépassons les 5 %.

Pour faibles qu'ils restent, ces résultats permettent, à leur échelle, d'évaluer et de comparer l'écho que recueille la politique de chacune des orga nisations se référant au trotskisme. Les élections, en permettant de s'adresser à une fraction importante de la population (un peu plus du tiers de l'électorat pour Lutte Ouvrière), sont aussi un moy en, imparfait il est vrai, de vérifier l'impact des idées et des orientations de chacun.

Le Parti des travailleurs (PT) a décidé de participer à ces élections dans la plus totale dis crétion, puisque son hebdomadaire, "Informations ouvrières", n'a même pas fait état du fait qu'il présentait des candidats, sans donner les raisons d'un tel silence. Même discrétion sur ses résultats. On a donc appris incidemment, en lisant "Informations ouvrières", que le PT avait recueilli un peu plus de 50 000 suffrages, dans un article destiné à expliquer que le PT refuserait les sommes qui lui reviennent à ce titre et qu'il verserait cet argent à un fonds de solidarité aux militants et aux victimes de la répres sion, fonds qui est... une création du PT.

C'est que le PT avait choisi de continuer, comme si de rien n'était, la campagne pour l'abrogation du traité de Maastricht qu'il avait lancée avant que les élections soient annoncées, et qui devait se conclure par une manifestation nationale, à Paris, le 31 mai 1997. Une campagne menée aux côtés de quelques notables du PCF, tels Rémi Auchedé, responsable de la fédération du Pas-de-Calais du PCF, et Jean-Jacques Karman, adjoint au maire d'Aubervilliers, qui, au sein de ce parti, se situent en opposition à leur direction, lui reprochant de céder sur Maastricht et sur la collaboration avec le PS. Le PT côtoie aussi sur ce thème le Mouvement des Citoyens (MDC), dont des représentants étaient parmi les signataires de l'appel à la manifestation du 31 mai.

Si le PT s'est délibérément situé hors de ces élections, cela ne l'a pas empê ché de se mettre à la remorque de person nalités et de courants réformistes, n'ayant rien à voir avec les intérêts et les objectifs de la classe ouvrière, et qui n'incarnent pas, loin s'en faut, "l'indépendance de la classe ouvrière" dont les dirigeants du PT se veulent, par ailleurs, des défenseurs sourcilleux. La "radicalité" d'une telle campagne se limitait à la dénonciation vigoureuse de Maastricht, cause de tous les maux passés et futurs qui atteignent la classe ouvrière, c'est-à- dire qu'elle se situait exclusivement sur le terrain nationaliste. Celui des compagnons de campagne du PT, ceux issus du mouve ment stalinien comme des chevènementistes, mais sur lequel le PT se situait lui-même puisque, dans une lettre publiée dans "Informations ouvriè res" du 11 au 17 juin et signée par les principaux dirigeants du PT dont Pierre Lambert et Daniel Glucks tein, on pouvait lire que ce traité de Maastricht "consacre la fin de la souveraineté natio nale".

La LCR s'était donnée quant à elle, comme objectif, à l'issue de son dernier congrès, de réaliser un regroupement de la gauche incluant le PS, le MDC, les Verts, dont elle serait bien entendu partie prenante. Sa manière de participer aux Forums mis sur pied par le PCF en 1996, les relations affichées avec les "refondateurs" du PCF et entre autres leur chef de file Guy Hermier, montraient qu'elle cultivait l'espoir d'être parmi les composantes d'une telle coalition, avec la prétention d'en être l'aile gauche. Pour préparer, disait-elle, une telle perspective, la direction de la LCR avait établi une plate-forme intitulée "entente de l'es poir" ; le choix d'un tel titre était manifeste ment destiné à ne pas heurter ses éven tuels partenaires. Les 10 points qui figuraient dans cette plate- forme étaient à l'image du titre, d'un flou total qui ne se différenciait en rien des propositions du PS ou des Verts. Ils se situaient même en-deçà des propositions du PCF, du moins de celles qu'il défendait encore avant les élections.

La démarche de la LCR n'est pas nouvelle. Elle n'est que la énième variante des tentatives de "recom position" qu'elle échafaude, d'élection en élection. Une telle constance dans la recherche de combinaisons et d'alliances toujours avortées a fait que la LCR s'est trouvée absente de toutes les élections présidentielles depuis 1974, élections qui constituent un moyen de défendre sa politique à l'échelle nationale, et d'en vérifier l'écho.

En 1981, elle ne réussit pas à recueillir les 500 parrainages nécessaires, faute peut-être de réelle motivation de sa direction et du coup de ses militants, qui n'étaient pas très enthousiastes politiquement à l'idée de se présenter en concurrence avec Mitterrand, dont ils pensaient que la victoire im pulserait une "dynamique", à l'image de ce qui s'était produit, selon eux, en 1936. En 1988, elle se mit à la remorque de Pierre Juquin qui venait de rompre avec le PCF, dont il était un des porte-parole, et qui se promet tait de rénover la façon de faire de la politique. Ce dernier accepta volontiers le soutien zélé et sans contrepartie de la LCR. Et enfin en 1995, la direction de la LCR proposa jusqu'au dernier moment ses services à Dominique Voynet, en dépit du refus méprisant et répété de cette dernière.

Depuis des années on peut même parler de décennies la LCR tente d'infléchir le discours des partenaires auxquels elle désirerait se trouver asso ciée, en réclamant d'être partie prenante dans les débats nécessaires pour qu'à gauche, les idées se clarifient. Las, le succès n'est pas au rendez-vous. Mais aurait-elle réussi à modifier le discours du PS ou du PCF, pour ne prendre que les principales composantes de ce regroupement, que cela ne changerait rien. Le Programme commun signé par le PCF et le PS, puis par les Radicaux de gauche, à l'automne 1972 contenait bien plus d'engagements, bien plus précis, que n'en contient le programme (si l'on peut parler de programme) que le PS a mis en avant ces dernières semaines. Ce programme commun avait bien plus de quoi alimenter les espoirs ou plutôt les illusions des travailleurs et des électeurs de gauche que les dix points de "l'entente de l'espoir" de la LCR. On a vu ce que cela a donné, comme on pourra rapidement voir, dans les semaines et les mois à venir, ce que valent les engagements de Jospin et des socialistes. On ne coince pas des opportunistes, et les réformistes d'aujourd'hui en sont de bien minables avatars, avec des formules. Mais cette fois, il n'y a même pas de formules !

Constatons quand même que la "recomposition", l'entente recherchée par la LCR, a enfin vu le jour... mais sans elle, et sous forme d'un gouvernement qui ne se qualifie pas d'"union de la gauche" parce que la formule a plutôt mauvaise presse, mais qui en a l'allure.

La LCR n'est certes pas responsable de ce qui vient de se produire. Elle ne maîtrise pas les événements et les choix de partenaires qui font fi d'elle. Par contre, elle est responsable, au moins aux yeux du milieu qu'elle influence, et au- delà, auprès de ceux qui regardent vers l'extrême gauche, de la caution qu'elle apporte à des politiciens bourgeois prétendument de gauche que l'on retrouve aujourd'hui au gouvernement : les Chevènement, ancien ministre dans les gouvernements socialistes, notamment de la Défense entre 1988 et 1991, et désormais ministre de l'Intérieur, les Voynet, celle-la même qui, il y a à peine deux ans, refusait dédaigneusement l'appui de la LCR et qui se défendait alors d'être de gauche, les Hue, et encore les Jospin. Le rôle des révolutionnaires n'est pas d'accréditer, même avec des réserves, ces gens-là dans le rôle de représentants des intérêts de la classe ouvrière. Il est au contraire de préparer les travailleurs à leurs trahisons, à leurs capitulations futures.

La LCR est donc allée à reculons dans ces élections, en se plaignant de la mauvaise volonté de ses partenaires, se résignant à mettre sur pied, tant bien que mal, là où elle le pouvait, des can didatures "unitaires", ici avec l'AREV, là avec la CAP ou tel ou tel représentant d'un comité local, et dans quelques cas avec tous à la fois. Sur le plan électoral, ces candidatures n'ont pas fait la démonstration qu'elles permettaient de rassembler plus de suffrages, puisque, dans plus de la moitié des situations où les candidats de Lutte Ouvrière étaient confrontés à ces candidatures unitaires, ils ont obtenu de meilleurs résultats, et dans la plupart des autres ils les talonnent. La démonstration que "l'unité" sur un accord de circonstance, politiquement ambigu, avait au moins le mérite d'être électoralement payante n'a pas été faite, en dépit de ce que croient, ou répètent les dirigeants de la LCR.

La LCR a caractérisé la campagne de Lutte Ouvrière, du moins avant les résultats, comme étant d'un "anticapitalisme abstrait", ou encore d'un anticapitalisme "désincarné". Le reproche n'est pas nouveau. La LCR l'avait déjà formulé lors de l'élection présidentielle de 1995. A tout prendre, il vaut mieux pour des révolutionnaires mener une propagande anticapitaliste, même abstraite, que de se ranger, comme le fait la LCR, derrière ceux qui ne dénoncent le "libéralisme", ou encore "l'ultralibéralisme", que pour ne pas s'en prendre au capitalisme lui-même. Mais, en quoi faire de la propagande pour l'interdiction des licenciements, pour le contrôle des comptes des entreprises et de leurs dirigeants, dénoncer l'attitude de l'Etat à l'égard du patronat et des travailleurs, est-il abstrait ? Les camarades de la LCR opposent notre démarche à la leur, qui consiste à interpeller - en vain - les forces de gauche, afin, disent-ils, de s'inscrire dans une dynamique qui permettrait à l'extrême gauche de jouer le rôle d'aiguillon, et qui condamne en fait la LCR au rôle de la fameuse mouche d'un coche... qui se refuse à aller dans la bonne direction.

Notre démarche vise à peser sur les événements, afin d'ouvrir des perspectives aux luttes des travailleurs qui soient différentes des impasses proposées par les directions réformistes. Utiliser les élections pour peser sur les forces qui, de droite comme de gauche, dominent la vie politique, est un moyen qui peut aider à aller dans ce sens. C'est pourquoi il faut saisir chacune des occasions - et les élections en sont une, parmi d'autres - pour faire la démonstration que les révolutionnaires non seulement sont présents, mais que leurs idées, leur propositions se distinguent de celles des réformistes et qu'elles ne restent pas sans écho.

C'est de cette façon, même si ce n'est pas la seule, ni même la plus décisive, que l'on contribue à construire le rapport de forces entre les révolutionnaires et les adversaires des travailleurs, de droite comme de gauche.

Les résultats obtenus par Lutte Ouvrière, bien qu'inférieurs au nombre de voix obtenu par Arlette Laguiller à l'élection présidentielle de 1995 mais les conditions des élections législatives sont différentes marquent un progrès limité mais significatif.

Ces résultats sont insuffisants pour que cela puisse peser sur la situation politique, mais ils montrent que les idées que nous défendons gagnent du crédit dans une fraction de l'opinion ouvrière. Un crédit qui, nous le pensons, pourra aider les révolutionnaires à jouer un rôle dans l'orientation des futures luttes de la classe ouvrière.

C'est dans une telle perspective que nous avons situé notre intervention dans les récentes élections, et c'est à cela que prépare la politique que nous avons défendue dans cette campagne et dans les campagnes électorales précédentes.