Hong Kong, à un an du retour à la Chine

Εκτύπωση
Mai-Juin 1996

Le 1er juillet 1997, Hong Kong, dernier confetti de l'empire colonial britannique en Asie, sera restitué à la Chine après 155 ans de séparation. Et c'est bien d'un confetti qu'il s'agit puisque malgré les 237 îles qui constituent Hong Kong, la colonie ne compte que 6,4 millions d'habitants pour une superficie totale de 990 km2, c'est-à-dire moins que l'agglomération parisienne par exemple.

C'est en effet au traité de Nankin de 1842 que remonte la colonisation anglaise, lorsque, à l'issue de la défaite chinoise dans la première guerre de l'Opium, la couronne britannique s'appropria l'île de Hong Kong tout en s'arrogeant l'exclusivité de l'importation d'opium et de textiles sur l'ensemble du territoire chinois. Plus tard, toujours par la force, la colonie fut agrandie de nouveaux territoires mitoyens, en 1860 puis en 1898. Et ce fut lors de cette dernière extension, représentant 90 % du territoire actuel de la colonie, que fut signée la concession de 99 ans qui vient à échéance en 1997.

Le retour de Hong Kong à la Chine a bien entendu fait l'objet de longues négociations. Amorcées officieusement en 1970 sous le gouvernement du Premier ministre conservateur Edward Heath, celles-ci ont piétiné jusqu'à ce qu'en 1982 Margaret Thatcher prenne l'affaire en main pour aboutir deux ans plus tard à un accord-cadre qui règle l'essentiel des modalités de la passation des pouvoirs en 1997. Au terme de cet accord, Hong Kong deviendra alors une "région administrative spéciale" disposant d'un large degré d'autonomie, avec sa propre mini-constitution qui engage la nouvelle administration chinoise à respecter la libre entreprise, la liberté de commerce et la faible fiscalité en vigueur actuellement. La future région sera administrée par un exécutif nommé par Pékin, assisté à titre consultatif d'une assemblée législative élue. Mais, par-dessus tout, et cela a été le véritable enjeu des négociations, les innombrables sociétés occidentales à qui Hong Kong sert depuis des décennies d'avant-poste commercial et financier aux portes du marché chinois, conserveront l'essentiel des avantages économiques dont elles jouissent aujourd'hui.

Quant aux habitants de Hong Kong, leur sort est réglé par un système de quotas qui reflète assez bien les diverses strates de la société coloniale. Le gratin de la bonne société et de l'administration coloniale, soit environ 300 000 personnes, est d'ores et déjà assuré d'obtenir la nationalité britannique sans restriction. A ces privilégiés viendra s'ajouter une petite minorité de riches hommes d'affaire à qui Thatcher avait offert la possibilité de s'installer en Grande-Bretagne sous réserve d'y investir un capital minimum de 10 millions de francs. Ensuite viendront 2,2 millions de petits-bourgeois et auxiliaires divers de l'appareil colonial auxquels sera alloué, dans un premier temps au moins, un passeport spécial leur permettant de se rendre sans visa en Grande-Bretagne et d'y séjourner pour une durée maximum de six mois. Quant aux près de quatre millions restants, c'est très simple, ils n'auront droit à rien !

LA FARCE CYNIQUE DES "DROITS DE L'HOMME"

A en croire la presse et les politiciens britanniques, les relations anglo-chinoises n'ont cessé d'être troublées par les atteintes aux droits de l'Homme en Chine. Mais ces attitudes n'étaient que pour la galerie, et en particulier pour calmer les inquiétudes qui s'exprimaient à Hong Kong même. Car dans les faits, depuis 1984, les négociateurs britanniques ont passé bien plus de temps à se chamailler avec leurs homologues chinois à propos des contrats pour la construction du nouvel aéroport Chep Lap Tok de Hong Kong et du financement de la facture de plus de cent milliards de francs, qu'au sujet des droits démocratiques qui seront reconnus à Hong Kong après 1997.

Et pour cause, car si la cupidité de la bourgeoisie britannique ne fait aucun doute, la notion de droit démocratique n'a jamais eu cours à Hong Kong sous la domination britannique. La seule liberté qui y ait jamais été vraiment reconnue par l'administration coloniale a été celle de l'exploitation capitaliste. Et ce n'est certes pas au moment où il cherche à arracher à la Chine des concessions sur le plan économique que le gouvernement anglais va s'embarrasser de scrupules démocratiques qu'ils n'a jamais eus.

Le gouvernement colonial n'a en effet guère changé depuis le milieu du 19e siècle. Un gouverneur nommé par Londres Chris Patten, l'ancien président du Parti conservateur anglais expédié à Hong Kong en 1992 pour y assurer une transition sans à-coups détient pratiquement tous les pouvoirs, avec l'assistance d'un conseil exécutif qu'il choisit lui- même. Le conseil législatif, Legco, a un rôle purement consultatif.

Jusqu'en 1985, tous les membres de Legco étaient nommés par le gouverneur. Puis, dans le cadre des réformes "démocratiques" introduites par Thatcher, ses sièges ont été progressivement soumis à élection jusqu'à ce que la totalité du conseil soit "élue" à partir de septembre 1995. Mais derrière cette formule apparemment sans ambiguïté se cache une réalité bien différente. En effet, sur les 60 membres de Legco, 20 seulement sont élus directement par les 2,45 millions d'électeurs inscrits sur les listes électorales, 30 sont élus par des organismes professionnels représentant environ 100 000 personnes issues des classes moyennes aisées et 10 sont élus indirectement par les conseils municipaux. Les associations de défense des droits civiques de Hong Kong dénoncent par ailleurs le fait que sur les listes électorales se trouvent entre 300 000 et 500 000 noms d'électeurs qui ont émigré et ne participent pas aux élections. Autant dire que même lorsqu'il s'agit d'élire un conseil qui n'est après tout que consultatif, la moitié de la population adulte de la colonie est privée du droit de vote et, en particulier, la quasi-totalité des classes laborieuses.

Les maigres changements intervenus ces dernières années ne sont d'ailleurs pas venus tout seuls. Il a fallu la longue campagne des nombreux groupes de défense des droits civiques pour que les autorités coloniales desserrent un peu leur emprise sur le conseil législatif et consentent à une légalisation de fait de certains partis politiques, pour la première fois, en 1985. La majorité de ces groupes ont alors fusionné pour constituer le Parti démocrate, qui a remporté les élections en 1995 par une très forte majorité. Mais ce parti ne représente en fait pour l'essentiel que les couches moyennes des professions libérales et intellectuelles qui s'inquiètent du sort que leur réserve le retour de Hong Kong à la Chine, c'est-à-dire en fin de compte une autre fraction des couches privilégiées. Il est d'ailleurs significatif à cet égard que les seules négociations serrées qui aient eu lieu concernant la future organisation sociale de Hong Kong, en partie sous la pression du Parti démocrate, aient visé à obtenir des garanties pour les différentes associations commerciales et professionnelles qui contrôlent, entre autres, l'accès des nouveaux venus aux cercles aisés de la colonie.

Dans cette société élitiste ultra-riche, non seulement la classe ouvrière n'a jamais eu de droits civiques, mais elle n'a même pas droit aux miettes que les bourgeoisies des vieilles puissances occidentales laissent encore à leurs classes ouvrières. La couverture sociale des travailleurs est réduite aux allocations misérables accordées aux chômeurs les plus pauvres qui suffisent juste à payer le loyer subventionné d'un petit logement HLM mais pas à s'acheter de quoi manger. Il en résulte une misère massive et omniprésente, à deux pas de ces gratte-ciel rutilants qui sont autant de tributs aux profits gigantesques que les grands trusts doivent à l'existence de Hong Kong une misère qui, par exemple, a fait que 24 sans-abris ont été retrouvés morts dans la rue à la suite d'une récente vague de froid, et cela tout près des tropiques...

La misère sociale s'est aggravée au point d'inquiéter l'hebdomadaire des milieux d'affaires locaux qu'est le Far Eastern Economic Review. En novembre 1995, par exemple on pouvait y lire : "La population est très mécontente du gouvernement. Dans certains secteurs, il y a un risque réel que l'agitation sociale se développe" soutient Michael Degolyer, professeur de Sciences politiques de l'université baptiste de Hong Kong. "Il est difficile de mesurer l'ampleur de cette tension. Des manifestations ont lieu quotidiennement devant le siège du gouvernement et les protestations locales deviennent plus virulentes, comme le gouverneur l'a appris à ses dépens en visitant une zone d'habitation temporaire fin septembre. Alors que près d'un millier de résidents protestaient contre les conditions de logement dans des maisons inondées et infestées de rongeurs, l'un des manifestants a lancé un rat mort en direction de Patten." Et la revue poursuivait en rappelant avec une certaine alarme les émeutes du 26 décembre 1981, lorsque des manifestations de jeunes chômeurs s'étaient attaquées à des voitures et à des Européens dans le centre de Hong Kong.

DERRIERE LE "MIRACLE" ECONOMIQUE

Milton Friedman, le gourou monétariste américain du thatchérisme des années quatre- vingt, a souvent présenté Hong Kong comme la quintessence de la libre entreprise capitaliste : "si vous voulez voir le capitalisme à l' uvre, allez à Hong Kong", avait-il coutume de dire. Il n'y a pourtant rien de miraculeux, ni même d'exceptionnel, dans l'histoire économique de Hong Kong, même pas la férocité de l'exploitation capitaliste, non seulement celle de Hong Kong, mais aussi celle de l'arrière-pays chinois.

D'ailleurs, ceux qui affirment, comme Milton Friedman, que la rapide croissance qu'a connue Hong Kong serait due à une économie "vraiment" libérale dans laquelle les entreprises ne sont pas "entravées" par une forte imposition et une montagne de réglementations, oublient de mentionner quelques "détails" qui ont une certaine importance. Par exemple, dans le domaine de la fiscalité, le gouvernement de Hong Kong peut pratiquer des taux d'imposition très bas parce qu'étant propriétaire de la totalité des terrains de la colonie, il a pu compenser la faiblesse de ses rentrées fiscales grâce aux ventes aux enchères de terrains qu'il organise régulièrement, tout en pratiquant par ailleurs une politique de loyer plus qu'avantageuse au profit des grandes entreprises. En fait de "libéralisme", à Hong Kong comme d'ailleurs dans tout le sud-est asiatique, c'est une intervention massive de l'Etat, sous forme de subventions indirectes dans le cas de Hong Kong, qui a été l'un des facteurs du prétendu "miracle économique".

Mais surtout, la prospérité de Hong Kong repose avant tout sur les relations très spéciales qu'elle entretient avec la Chine et qui se sont consolidées au cours des quarante cinq dernières années. Quand Mao Tsé-toung prit le pouvoir en Chine en 1949, les réfugiés essentiellement de milieux aisés ont fui Shanghaï et la province voisine du Guangdong pour Hong Kong, apportant toutes leurs possessions avec eux dans la plupart des cas. Lorsque les Etats- Unis imposèrent, sous le couvert des Nations Unies, un embargo complet contre le nouveau régime, une nouvelle vague de commerçants et hommes d'affaires chinois déferla vers Hong Kong, de sorte qu'en 1950 la population de la colonie avait presque triplé par rapport à 1946 pour atteindre 2,2 millions. Soutenus par le capitalisme anglais, financés par les banques britanniques et protégés par l'empire britannique, les capitalistes de Hong Kong créèrent des usines fabriquant pour l'exportation, qui eurent vite fait de contourner l'embargo imposé par l'ONU.

Dans les années 1960-1970, le flot continu des réfugiés venus de Chine, en plus de la paysannerie locale qui fut vite arrachée à ses terres, fournit à l'industrie de Hong Kong une main-d' uvre bon marché et d'autant plus corvéable qu'elle vivait en grande partie dans l'illégalité. Les capitalistes britanniques délocalisèrent vers Hong Kong toute une série de fabrications, en particulier dans le textile. Dans la division du globe en sphères d'influence, Hong Kong a joué pour la Grande-Bretagne le même rôle que les Philippines, Taïwan et la Corée du Sud ont joué pour les Etats-Unis et le Japon. Avec cette différence néanmoins que Hong Kong fournit au capitalisme anglais ce qui fut pendant longtemps pratiquement la seule voie d'accès à l'économie chinoise. De sorte que les autres bourgeoisies impérialistes durent très vite elles aussi en passer par Hong Kong, en en payant le prix, bien sûr.

Quand, en 1978, en réponse aux ouvertures de l'impérialisme et à l'assouplissement de l'embargo américain, la Chine amorça son retour vers le marché mondial, inaugurant une politique de "porte ouverte", Hong Kong devint le seul canal pour le flot d'exportations venant de Chine. L'attrait des salaires extrêmement bas pratiqués dans la province chinoise voisine du Guangdong (le salaire ouvrier y est aujourd'hui encore de 8 F par jour contre 24 F à Hong Kong) entraîna le déménagement de presque toute la base industrielle de Hong Kong vers la Chine. Hong Kong devint tout simplement un gigantesque entrepôt servant au commerce entre la Chine et le reste du monde. Aujourd'hui, la ré-exportation en provenance de ou vers la Chine représente à elle seule 90 % du PNB de Hong Kong.

La position privilégiée de Hong Kong vis-à-vis du marché chinois a attiré d'énormes masses de capitaux vers la colonie. Les grandes entreprises qui voulaient se tailler une part des profits réalisables sur le marché chinois, mais ne voulaient pas se risquer directement sur un terrain inconnu et peu sûr, se sont installées à Hong Kong où elles peuvent compter sur l'appareil juridique, politique et financier de l'impérialisme britannique. C'est ce qui a engendré l'énorme gonflement actuel du secteur tertiaire à Hong Kong, en particulier du secteur financier.

Au total, le bilan pour Hong Kong de cette situation privilégiée, et du profit que la colonie en a tiré au cours de la période écoulée, s'exprime en quelques chiffres : plus d'un tiers des échanges commerciaux entre la Chine et le reste du monde transite par Hong Kong, tandis que les capitaux basés à Hong Kong (mais qui appartiennent à des sociétés du monde entier) représentent plus de 60 % des capitaux investis en Chine au cours des seize dernières années, essentiellement dans les "Zones économiques spéciales" créées dans ce but par Pékin, comme celle de Shenzhen aux portes mêmes de la colonie. Sans cette situation unique aux portes de la Chine dans le contexte hérité de la Guerre froide et du blocus de la Chine, sans l'afflux artificiel d'affaires et de capitaux qui en a résulté, et sans la possibilité qu'elle a eu d'exploiter non seulement la classe ouvrière locale mais aussi une partie non négligeable de la classe ouvrière chinoise, il n'y aurait jamais eu de "miracle" économique à Hong Kong.

LE CAPITAL INTERNATIONAL SE PREPARE A LA TRANSITION

Dans l'accord-cadre de 1984 et dans les avenants qui lui ont été ajoutés depuis, une part prépondérante est consacrée aux garanties offertes par le gouvernement de Pékin aux capitalistes opérant à Hong Kong.

Ainsi, une fois sous souveraineté chinoise, Hong Kong gardera-t-elle son fameux "environnement de réglementation minimale", avec son propre Conseil de la Monnaie (Currency Board, qui remplit une grande partie des fonctions d'une banque nationale) et sa propre monnaie qui conservera la parité fixe qu'elle a adoptée vis-à-vis du dollar américain depuis 1985. Ainsi les échanges commerciaux et financiers avec la Chine seront-ils protégés, du moins l'espère-t-on, du manque de fiabilité de la devise chinoise. De même, Hong Kong gardera sa Bourse, la plus importante de la région après celle de Tokyo, et le contrôle de son commerce extérieur, qui occupe la sixième place mondiale en termes de chiffre d'affaires.

Il y a plus de 180 banques dans le quartier des affaires de Wan Chai, y compris les cent plus importantes institutions mondiales. Se sentent-elles menacées par l'arrivée de la Chine à Hong Kong ? Quittent-elles Hong Kong ? Bien au contraire. Ainsi la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC), qui est contrôlée par des capitaux anglais et américains, est propriétaire de la troisième banque britannique, la Midlands Bank, ainsi que de la Banque de Hong Kong, la plus grande banque de la colonie. La HSBC, pour reprendre les propos pas très délicats de l'un de ses dirigeants, considère les 1,2 milliard de Chinois comme une "prune" qui vaut d'être cueillie... C'est pourquoi la HSBC a été l'une des quatre premières banques internationales à obtenir une licence pour s'implanter à Pékin. En fait, toutes les institutions bancaires importantes ont accru leur présence à Hong Kong au cours de ces trois dernières années. Et le fait que la Bourse de la colonie vient juste d'introduire de nouvelles règles de fonctionnement et la technologie nécessaire pour permettre aux opérateurs basés à Londres d'intervenir plus directement et surtout plus rapidement sur la place de Hong Kong, montre que les milieux financiers abordent la transition vers le retour à la Chine non pas avec crainte mais, au contraire, en comptant bien en profiter pour augmenter l'échelle de leurs opérations.

Sans doute la presque totalité des compagnies de navigation de Hong Kong battent-elles aujourd'hui pavillon libérien ou panaméen. Mais c'est pour exactement les mêmes raisons que les grandes compagnies des pays impérialistes. De même en ce qui concerne Jardine Matheson, le plus ancien groupe britannique de la colonie. 130 ans après avoir pris son essor grâce au commerce de l'opium, le groupe reste sous le contrôle de ses fondateurs d'origine, la famille Keswick, qui fait partie aujourd'hui des cent familles les plus riches de Grande-Bretagne. Si Jardine Matheson a déménagé son siège aux Bermudes en 1993, c'est uniquement parce que les autorités des Bermudes se sont montrées disposées, en échange, à promulguer une loi spéciale visant à protéger quatre sociétés de Jardine menacées d'être rachetées par des concurrents, ce qui aurait affaibli l'emprise des Keswick sur le groupe. Mais Jardine Matheson est toujours, et compte bien rester, l'employeur privé le plus important de Hong Kong.

Quant à la famille Swire, autre grande fortune britannique qui occupe la deuxième place dans la hiérarchie de la colonie grâce au groupe Swire Pacific, elle vient de réaliser un coup de maître en s'associant avec la société d'Etat chinoise CNAC pour constituer un groupe qui regroupe un monopole de fait du transport aérien sur Hong Kong avec le monopole d'Etat qui existe encore en Chine.

LES PRIVILEGIES CHINOIS : UNE HISTOIRE D'AMOUR AVEC HONG KONG

Malgré les occasionnelles revendications territoriales de Pékin sur Hong Kong, le régime chinois s'est toujours soigneusement abstenu de s'en prendre au statut de Hong Kong. Il lui aurait été pourtant facile d'occuper la minuscule colonie, qui n'a jamais été bien solidement défendue d'ailleurs, contrairement à Taïwan, ou même de faire pression sur elle en la privant d'eau à certaines époques (car toute l'eau potable de Hong Kong vient de Chine). Mais, au contraire, pendant la Révolution culturelle, par exemple, on a vu Mao Tsé-toung donner l'ordre à ses troupes de tirer pour empêcher des Gardes rouges trop zélés de pénétrer dans la colonie.

En fait, les dirigeants chinois ont toujours vu en Hong Kong l'un des canaux par lesquels ils pourraient un jour normaliser leurs relations économiques et politiques avec l'impérialisme et, en attendant ce jour, maintenir le contact. A cet égard, si on ne sait pas grand chose sur la diplomatie secrète qui a entouré les négociations concernant Hong Kong, on en sait beaucoup plus en revanche sur Macao, colonie portugaise similaire par sa situation, à Hong Kong. Ainsi, après la Révolution des illets au Portugal en 1974, le nouveau pouvoir a en effet tenté d'obtenir de la Chine qu'elle récupère Macao. Celle-ci s'y est opposée en arguant que cela effraierait les capitalistes de Hong Kong. Puis en 1976 Lisbonne annonça, apparemment unilatéralement mais dans la réalité avec l'accord de Pékin, que dorénavant Macao serait traité comme un territoire chinois sous administration intérimaire portugaise. Trois ans plus tard, un accord secret qui ne fut révélé qu'en 1987, stipulait que le Portugal continuerait à administrer Macao jusqu'à ce que Pékin décide d'en reprendre le contrôle. En 1987, Pékin proposa la date de 1999, ce qui fut accepté sans discussion. Nul doute que le choix de cette date, deux ans après la réintégration de Hong Kong, a cette fois encore été dicté par la volonté de Pékin de ne pas effrayer les capitalistes de Hong Kong.

Quoi qu'il en soit, depuis des années, le poids des entreprises de Chine dans l'économie de Hong Kong ne cesse d'augmenter régulièrement. Nombre d'entre elles sont maintenant cotées à la Bourse de Hong Kong et encaissent les devises étrangères du commerce extérieur sans avoir à en passer par les institutions monétaires de Pékin. A la fin de 1994, elles représentaient 7 % de l'ensemble des capitaux investis sur la place boursière de la colonie, tandis que des sociétés d'Etat chinoises contrôlaient plus de 1 000 entreprises basées à Hong Kong.

Nombre de ces implantations ont bien sûr dû se faire en douce car les hommes d'affaires chinois n'ont pas de moyen légal d'exporter des profits et donc d'établir des sociétés à l'étranger. Ils ont trouvé une main secourable dans les hautes sphères des milieux d'affaires de Hong Kong. Tout le monde en Chine sait que cela se fait et comment, et Pékin ferme les yeux parce que cela l'arrange. D'autant que les sociétés d'Etats chinoises ont été les premières à donner le mauvais exemple, procurant ainsi à leurs dirigeants en Chine un mécanisme leur permettant d'utiliser (illégalement) des capitaux d'Etat pour créer des sociétés privées parfaitement légales à Hong Kong, habituellement sous le nom d'un parent. Ce n'est certainement pas une coïncidence si nombre d'entrepreneurs chinois opérant à Hong Kong sont des membres de la famille de Deng Xiaoping ou de son clan.

Un certain nombre de ces sociétés chinoises se sont développées au point d'atteindre une taille comparable à celle des entreprises les plus importantes de Hong Kong. Par exemple, la Citic (China International Trust and Investment Corporation) a été créée en 1979 pour l'importation de technologies et pour développer les investissements en Chine. Elle s'est rapidement installée à Hong Kong et s'est mise, tout au long des années quatre-vingt, à acquérir des parts dans diverses autres entreprises, comme la compagnie aérienne Cathay Pacific ou la Hong Kong Telecom, la compagnie téléphonique filiale locale du groupe anglais Cable and Wireless. En 1991, la Citic Pacific, la filiale de Citic à Hong Kong, était cotée en Bourse. Avec 43 % de ses actions encore aux mains de la société d'Etat-mère de Chine, elle offre à des partenaires de Hong Kong et d'ailleurs une voie directe pour investir en Chine, sans surprise peut-on penser parce que garantie par les relations de son PDG avec les hautes sphères de l'appareil d'Etat chinois.

Dans d'autres cas, le montage adopté opère dans l'autre sens, par exemple, celui de la New China Hong Kong, une grosse société d'investissements créée en 1993 par un important homme d'affaires de la colonie, T.T. Tsui, qui n'a jamais caché ses ambitions de devenir l'homme fort de Hong Kong après 1997. Aujourd'hui, parmi les 54 actionnaires de New China Hong Kong, 13 sont des entreprises d'Etat chinoises, qui sont pour la plupart sous le contrôle direct du Conseil d'Etat de Pékin. L'armée chinoise, l'Armée populaire de libération, a également des actions dans la société de Tsui. Nul doute, qu'avec de tels amis, Tsui peut espérer faire une carrière politique à Hong Kong après 1997.

LES PERSPECTIVES APRES 1997

Les liens tissés entre l'Etat et les couches dirigeantes chinoises, d'une part, et les capitalistes locaux et internationaux opérant à Hong Kong d'autre part, sont maintenant sans doute assez développés pour que les différents partenaires puissent envisager de coexister et de fusionner encore davantage dans le cadre établi par les gouvernements anglais et chinois.

Evidemment, ce partenariat ne sera en aucune façon équitable. Aussi riches soient-ils, et certains ont amassé des fortunes considérables, les privilégiés chinois et leurs entreprises ne sont encore que des partenaires mineurs comparés aux grandes multinationales impérialistes. C'est ainsi que la relative faiblesse de la filiale de la Banque d'Etat de Chine à Hong Kong (malgré son gratte-ciel flambant neuf) a été soulignée récemment quand elle a dû renoncer à une émission d'obligations pour un montant de plusieurs milliards de dollars, parce que sa cote de solvabilité sur le marché était trop basse : elle s'était trop engagée dans les prêts immobiliers et les opérateurs du marché craignaient qu'elle ait accumulé des dettes non recouvrables.

Etant donné l'énorme concentration dans les domaines de la finance, des services et du commerce qui existe à Hong Kong, la future "Région administrative spéciale" gardera certainement son rôle passé, et sa source de richesse, en tant que porte de communication entre le marché chinois et le marché mondial, dans un avenir prévisible en tout cas. Mais ce sera une relation de dépendance. Comme cela a été le cas jusqu'à présent, ce n'est pas la main de Pékin mais celle de Hong Kong, fermement tenue par l'impérialisme, qui contrôlera les vannes de la richesse et du profit. Et tandis que la bourgeoisie chinoise celle de Hong Kong comme celle de Pékin d'ailleurs va certainement profiter de l'intégration de Hong Kong à la Chine, les principaux bénéficiaires seront, en dernière analyse, les requins impérialistes qui ont convergé sur Hong Kong au cours des quinze dernières années pour être en position de bénéficier des dividendes de la détente sino-américaine.

Quant à la classe ouvrière de Hong Kong, elle a certainement raison de s'inquiéter des conséquences de la restitution. Comme le dit Lee Cheuk Yan, un dirigeant syndical de Hong Kong : "La situation sera bien pire alors. Le Parti communiste chinois est impatient de se trouver au lit avec les grands capitalistes." Les débuts seront peut-être difficiles à cause de la poigne de l'Etat chinois que les multinationales occidentales se feront un plaisir d'utiliser pour écraser toute résistance, si besoin est.

Mais d'un autre côté, pour la première fois depuis la révolution prolétarienne chinoise de 1925-27, la classe ouvrière de Hong Kong sera de nouveau à même d'unir ses forces, comme elle l'avait fait à l'époque, à celles de la classe ouvrière chinoise. En développant la production dans les zones à main-d' uvre bon marché en Chine, les bourgeoisies impérialistes ont contribué à créer une nouvelle classe ouvrière jeune, qui vient grossir les rangs de la vieille classe ouvrière très concentrée des industries d'Etat. La classe ouvrière de Hong Kong pourrait apporter aux centaines de millions de travailleurs qui constituent la classe ouvrière chinoise ses propres traditions politiques et militantes. Et on peut souhaiter que, face à la course aux profits effrénée engendrée par la cupidité additionnée des impérialistes occidentaux et des capitalistes chinois, ce mélange se révèle un jour explosif.