L'Italie entre une gauche de gouvernement et une droite fascisante

Εκτύπωση
Janvier 1994

Écroulement, au centre, des partis démocrate-chrétien et socialiste qui formaient depuis des années l'ossature essentielle des gouvernements italiens ; affirmation, à gauche, d'alliances dites "progressistes" organisées autour du PDS (Parti démocratique de la gauche), c'est-à-dire l'ancien Parti communiste d'Occhetto ; progrès spectaculaire, à droite, du parti néo-fasciste MSI (Mouvement social italien), venant s'ajouter à celui déjà moins récent des "ligues" dans le nord du pays... Telle est la recomposition politique dont les élections municipales partielles italiennes de novembre-décembre 1993 fournissent l'ébauche.

Celle-ci marque sans doute une étape dans la longue crise politique que connaît le pays et dont les sommets de la bourgeoisie souhaitent qu'elle permette l'avènement de ce qu'ils nomment la "seconde république". Ils voudraient en effet tirer parti de cette crise pour faire passer un des vieux projets de la bourgeoisie italienne : réformer son système politique afin de tenter de disposer d'un exécutif plus "fort", plus indépendant des partis, plus rapide à répondre à ses souhaits et à servir ses intérêts.

Le changement du système électoral, l'abandon du système proportionnel pour le système majoritaire, plébiscité par le référendum du printemps 1993, censé marquer l'avènement d'un système politique plus efficace et moins corrompu, a été un des premiers résultats de l'opération.

Mais ce changement ne se fait pas sans casse. Il n'a été possible qu'à la suite d'une série de campagnes contre la "partitocratie" émanant de larges secteurs de la bourgeoisie et de l'appareil d'État lui-même. Après une crise marquée par les enquêtes des juges dits des Mani pulite (mains propres) qui ont mis à jour la corruption à grande échelle et le système de pots-de-vin systématiques présidant aux rapports entre les partis au pouvoir et le monde des affaires, c'est une grande partie du personnel politique ayant gouverné l'Italie pendant des années qui se retrouve désorganisée, discréditée, quand ce n'est pas en prison ou en tout cas sous le coup des enquêtes déclenchées par les juges en question. Ce fait, auquel s'ajoutent l'émergence de la Ligue du Nord et de ses tentations séparatistes et la poussée du MSI néo-fasciste, pose une interrogation quant au personnel politique dont la bourgeoisie italienne pourra disposer demain, en tout cas à droite.

Une "gauche" fourre-tout et glissant vers le centre

Dans l'immédiat, c'est surtout cet état de décomposition des forces politiques traditionnelles qui a donné aux regroupements constitués à gauche la possibilité de sortir vainqueurs de ces élections municipales. Car ces élections qui pourraient annoncer la venue au gouvernement d'une coalition de gauche ne témoignent pas, justement, d'une poussée à gauche réelle au niveau de l'électorat.

L'écroulement des partis traditionnels de la coalition gouvernementale apparaît d'abord comme le contrecoup, dans l'opinion, de scandales qui les ont non seulement éclaboussés, mais presque engloutis. Il s'y ajoutait l'introduction du système majoritaire, poussant à des regroupements tant à gauche qu'à droite, qui ne laissait pas grande chance à des regroupements trop petits.

En revanche c'est ce contexte qui a donné sa chance à l'ancien Parti communiste, transformé en Parti démocratique de la gauche (PDS - Partito Democratico della Sinistra). Cette transformation, vivement encouragée elle aussi par de larges secteurs de la bourgeoisie, a été on le sait le point d'orgue de l'évolution social-démocrate de ce Parti communiste, qui fut longtemps le plus fort d'Europe occidentale. Elle n'a pas été indolore puisqu'elle a donné lieu à la scission, à sa gauche, de la fraction la plus proche de la classe ouvrière et la plus attachée à l'appellation communiste, qui a formé le Parti de la refondation communiste (PRC). Au sein même du PDS, le secrétaire général Occhetto a été largement contesté, d'autant plus que dans un premier temps ce tournant n'a guère été récompensé sur le plan électoral.

C'est l'introduction du système majoritaire d'une part, l'écroulement socialiste du fait des scandales d'autre part, qui ont sauvé le PDS et Occhetto. Ils ont fait du PDS, resté la principale force électorale de la gauche, le pivot indispensable de toutes les alliances qui se sont constituées en vue de ces élections municipales, et que le nouveau système électoral rendait obligatoires. L'électorat du centre, se détournant de la démocratie chrétienne, du parti socialiste et des divers partis atteints par les scandales - qui souvent d'ailleurs ne présentaient même plus de listes en tant que tels - n'avait souvent plus le choix qu'entre voter à droite, pour les ligues ou le MSI, ou bien voter à gauche, si l'on peut appeler ainsi ces alliances aux contours vagues organisées autour du PDS. Le fait est que, à toute une fraction de l'électorat, le PDS et ses alliés pouvaient désormais offrir une image plus rassurante, plus modérée et garante de stabilité politique et sociale, que le MSI ou les ligues.

Ainsi, plus que de poussée à gauche, il faudrait parler de la poussée à droite... du PDS et de ses alliances, désormais en position d'occuper la place du Parti socialiste et même d'une partie des partis du centre discrédités, et de rassurer une fraction de leur électorat. Au terme de son évolution, le PDS est devenu une force politique suffisamment incolore pour ne plus effrayer celui-ci et pour que les arguments anticommunistes ne fassent plus guère recette contre un parti qui ne se réclame plus ni du communisme, ni du marxisme, et à peine des travailleurs. Ajoutons que, bien souvent, les candidats au poste de maire mis en avant par les coalitions que soutenait le PDS n'étaient même pas des membres de celui-ci, mais des personnalités indépendantes ou des membres de partis comme les Verts ou la Rete (parti anti-Mafia constitué autour de l'ancien maire démocrate-chrétien de Palerme, Leoluca Orlando, en rupture avec son ancien parti, qui vient de retrouver son poste avec près de 75 % des voix).

L'attitude du PRC

L'attitude du Parti de la refondation communiste (PRC) mérite, dans ce contexte, une mention particulière. La constitution de ce parti, s'appuyant sur les militants et les électeurs de l'ex-PCI qui refusaient l'abandon de l'étiquette communiste, a montré que les aspirations - fussent-elles confuses - à un véritable bouleversement de la société et à une réelle opposition de classe, n'ont nullement disparu quoi qu'en disent Occhetto et les partisans d'une transformation du PCI en PDS.

Les premiers succès du PRC surprirent même les milieux politiques et journalistiques qui, comme dans tous les pays, avaient vite fait de considérer de telles aspirations comme un "archaïsme" désormais disparu et de célébrer ce qu'ils nomment la "mort du communisme". Il faut croire au moins que les choses n'étaient pas si simples puisque, en juin 1993, on a même vu les listes du PRC aux élections municipales de Milan et Turin dépasser en nombre de voix les listes du PDS.

Malheureusement il y avait loin de la politique des dirigeants du PRC à l'affirmation d'une opposition de classe radicale et continuant à se réclamer clairement du communisme, si bien qu'une part de ces succès, plus que l'expression d'une telle opposition, sont sans doute aussi le simple reflet des difficultés du PDS. Mais cette composante, communiste et de classe, est sans doute loin d'être négligeable dans l'électorat du PRC.

Mais le fait est aujourd'hui que les dirigeants du PRC ont pris prétexte du nouveau système électoral et de l'obligation où il les plaçait de rechercher des alliances sous peine de perdre des postes d'élus dans les conseils municipaux - ce qui pourtant n'aurait pas été bien grave ! - pour se fondre dans les coalitions constituées autour du PDS et confondre ainsi leur politique avec ce vague mirage d'une alternative "progressiste". Leurs choix politiques eux-mêmes ont ainsi contribué à ce glissement vers le centre de toute la gauche italienne, en ramenant au bercail du PDS et de son pôle "progressiste" ceux qui, au contraire, auraient pu souhaiter l'affirmation d'une opposition de classe.

Le PDS au gouvernement ?

Si les élections législatives anticipées qui devraient se dérouler au printemps de 1994 confirment les résultats de ces municipales partielles, il est donc possible qu'on voie en Italie une coalition de gauche dominée par le PDS parvenir au gouvernement ; et cela, paradoxalement, à la suite d'élections plutôt marquées par la poussée à droite...

Ce serait alors la première fois qu'on assisterait à cette alternance dans un pays où la plus grande partie de la gauche, dominée par le Parti communiste, a été maintenue dans l'opposition depuis 1947, et où des coalitions dominées par la Démocratie chrétienne - en association le plus souvent, au moins depuis les années soixante, avec le Parti socialiste - ont exercé le pouvoir sans discontinuer depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais si le fait serait nouveau, au moins pour l'Italie, la politique menée ne serait, elle, certes pas nouvelle, et ce changement gouvernemental n'annoncerait rien de bon pour la classe ouvrière.

Quelle serait la politique de cette gauche de gouvernement, on peut s'en douter et d'ailleurs le secrétaire général du PDS Occhetto s'est lui-même chargé de préciser qu'elle poursuivrait pratiquement sans la modifier l'actuelle politique d'"assainissement économique" menée par le gouvernement de Carlo Azeglio Ciampi. Autrement dit, il assumerait pleinement la politique d'austérité que requiert la gestion, dans l'intérêt de la bourgeoisie, d'une économie capitaliste en crise profonde.

Mais on verrait alors la droite, rejetée dans l'opposition, mise en situation d'exploiter le mécontentement que cette politique ne manquerait pas de provoquer. Le fait est d'autant moins rassurant que cette droite pourrait être dominée désormais par les ligues et par un parti néo-fasciste pour qui ces récentes élections municipales ont déjà été, en fait, un succès considérable.

A droite (et au nord) la Ligue de Bossi

Car à droite, en revanche, le MSI et les ligues n'ont nullement hésité à se donner le visage d'opposants radicaux au "système des partis" et se sont montrés capables, eux, de capter un vote "protestataire". Et c'est bien évidemment le fait le plus préoccupant pour l'avenir.

L'ascension des "ligues", désormais unifiées au sein de la Ligue du Nord d'Umberto Bossi, n'est déjà plus un fait tout récent. Elle s'est accomplie ces dernières années grâce à une démagogie électorale basée sur cette "politique de l'écho" commune à la plupart des démagogues populistes, fascistes ou fascisants, et consistant à sélectionner les arguments et les slogans simplement parce qu'ils plaisent et "font mouche".

Bossi a ainsi constitué un fonds de commerce électoral où l'on retrouve la vieille opposition du Nord italien contre le Sud pauvre ("si le Nord, industrieux et travailleur, ne payait pas des impôts pour entretenir le Sud pauvre, paresseux et mafieux, nous serions aussi riches que la Suisse", telle est l'idée couramment colportée), ou contre l'administration centrale pléthorique et inefficace ("Rome la voleuse" qui encaisse les impôts mais restitue en échange bien peu en matière de services et ne ferait que nourrir des fonctionnaires paresseux et des parasites de la Mafia). On y trouve aussi tout simplement des arguments racistes contre les Méridionaux italiens venus dans le Nord "prendre le travail" des Lombards ou des Piémontais, ou bien contre les immigrés africains ou arabes (dits "extracommunautaires") dont Bossi déclare, à l'instar d'un Le Pen et des démagogues racistes que l'on voit fleurir dans toute l'Europe, qu'ils auraient mieux fait "de rester chez eux".

Cette démagogie a eu son succès auprès de la petite bourgeoisie aisée du Nord qui se détournait des partis de gouvernement, et notamment de la Démocratie chrétienne empêtrée dans les scandales. Bossi a d'ailleurs de toute évidence recueilli des soutiens financiers auprès de toute une fraction de la bourgeoisie du Nord, pas mécontente de pouvoir s'en servir comme d'un moyen de pression sur le gouvernement lui-même. Enfin, elle a aussi remporté des succès dans une fraction des couches populaires touchées par la crise, la fraction la plus dépolitisée et dépourvue de conscience de classe qui pouvait voir dans un vote pour Bossi un moyen d'exprimer une protestation contre le "système" et de brouiller les cartes d'un jeu politique de plus en plus loin de ses préoccupations.

Malheureusement pour Bossi, le choix de la démagogie régionaliste, fait initialement sur la simple base de l'écho rencontré dans sa région d'origine - la Lombardie - obérait aussi ses chances de donner à son parti une ampleur nationale. La Ligue lombarde est bien devenue la Ligue du Nord. On a bien assisté à des tentatives de Bossi de rectifier le tir en proclamant qu'il n'est nullement partisan d'une sécession de l'Italie, mais de la création d'une "Italie fédérale" divisée en trois, et qu'il n'a rien contre les gens du Sud à condition que chacun reste chez soi... On l'a vu tenter de créer, au Sud et au Centre, des "ligues" couleur locale et même trouver des noms pour les régions qu'il envisage de créer : selon lui l'Italie devrait être ainsi, aux dernières nouvelles, fédérée entre "la Padanie" au Nord, "l'Étrurie" au Centre, et une troisième région ne méritant pas d'autre nom que celui, générique de... "Sud". Mais chacune de ces tentatives provoque des réactions de la base "nordiste" qui entraînent de la part de Bossi de surprenantes volte-face.

Bien sûr, un Bossi ne serait pas à une contradiction près, mais le fait est que toutes ces palinodies se révèlent impuissantes à lui faire conquérir l'électorat du Sud et du Centre, et l'on comprend évidemment que, quelles que soient ses contorsions, une Ligue du Nord qui proclame que le Sud coûte trop cher et que Rome est "une voleuse" ait du mal à séduire dans ces régions-là !

Si le parti de Bossi a pu conquérir en juin la mairie de Milan, s'il atteint couramment 30 à 40 % des voix aux diverses élections dans le Nord, il se cantonne donc jusqu'à présent à 7 ou 8 % sur le plan national et s'empêtre entre des déclarations contradictoires sur la "sécession" ou la "fédération" qu'il veut ou ne veut pas suivant le public auquel il s'adresse. Et en tout cas l'ascension de la Ligue du Nord a laissé à découvert, au Centre et au Sud de l'Italie, tout un espace politique qui vient d'être occupé par le MSI néo-fasciste.

Les succès du MSI

Le MSI, qui depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale regroupe les nostalgiques du fascisme mussolinien, a toujours recueilli depuis lors de l'ordre de 4 à 6 % des voix, avec des pointes de 8 à 10 % à Naples et dans le Sud. Mais il est resté jusqu'à une période récente confiné dans un ghetto par les autres forces politiques, y compris celles de la droite, pour qui il était réputé infréquentable, si l'on excepte l'éphémère tentative de l'intégrer à une majorité gouvernementale de droite, opérée en 1960 par le gouvernement Tambroni. Celle-ci provoqua en réaction les violentes manifestations de juillet 1960, qui se soldèrent par l'abandon de ce type de tentative et le début de ce qu'on a appelé "l'ouverture à gauche", c'est-à-dire le passage de majorités de centre droit à des majorités de centre gauche.

Mais c'est justement cette situation qui a progressivement changé ces dernières années et qui a permis aux néo-fascistes une sortie du ghetto. Elle s'est manifestée par des attitudes comme celle de Cossiga, président de la République jusqu'en 1992 et lui aussi grand pourfendeur, sur la fin de son mandat, du "système des partis", que l'on a vu par quelques gestes démonstratifs affirmer que, pour lui, le MSI est désormais un parti comme les autres. Elle s'est accompagnée d'une réhabilitation plus subtile et discrète de l'époque fasciste dans des articles de presse ou dans des déclarations de personnalités évoquant par exemple sur un ton nostalgique leur jeunesse à l'époque de Mussolini.

La mode de la réhabilitation des idées et des valeurs les plus réactionnaires fait bien sûr sentir ses effets, en Italie comme ailleurs. Mais il y a aussi là une démarche plus calculée de la part de certains hommes politiques de la bourgeoisie et de secteurs de l'appareil d'État. Certains de ceux-ci, comme la police et les services secrets, ont d'ailleurs toujours été gangrenés d'une façon notoire par des éléments d'extrême droite qui en faisaient des instruments de complots plus ou moins permanents et bénéficiant de protections évidentes. Et puis, pour des hommes politiques comme Cossiga ou en général la droite de la Démocratie chrétienne, le MSI est apparu comme un recours, un refuge possible à mesure que l'écroulement de leur propre parti apparaissait de plus en plus probable, ou comme une menace utile à brandir pour accélérer l'évolution du régime et l'introduction d'éléments de "pouvoir fort".

C'est ce contexte qui a mis le MSI en position de recueillir une partie des fruits politiques de l'éclatement des scandales et de l'aggravation de la crise économique, en mettant en avant notamment la petite-fille du "Duce", Alessandra Mussolini, ex-mannequin et modèle pour photos déshabillées promue - mais est-ce une promotion ? - au rôle de figure de proue du parti néo-fasciste avec pour fonction de banaliser la référence à Mussolini dans la politique italienne et de lui donner un visage plus avenant.

On en a vu l'effet dans ces élections municipales, où les candidats du MSI ont pu recueillir sur leur nom, notamment à Naples et à Rome, jusqu'à 40 % des voix. Une partie de celles-ci proviennent sans doute de la fraction le plus à droite de l'ancien électorat démocrate-chrétien, pour qui voter fasciste n'était désormais plus tabou. Mais une partie de cet électorat est aussi un électorat populaire de sous-prolétaires ou de chômeurs des faubourgs de Naples et de Rome, qui ont pu voir dans un vote pour le MSI le moyen d'exprimer contre le système, eux aussi, un vote "protestataire".

Bien sûr, ni le MSI - ni d'ailleurs la Ligue du Nord de Bossi - n'ont remporté dans ces élections de novembre-décembre 1993 le poste de maire d'aucune des grandes villes. Au second tour, qui ne concernait que l'élection directe au poste de maire, le nouveau système électoral ne laissait le choix qu'entre deux candidats. A Rome et Naples, où les électeurs n'avaient plus le choix qu'entre le candidat soutenu par la coalition de gauche et celui du MSI, le courant de votes vers le MSI n'a pas été suffisant pour faire passer à ses candidats les 50 % de voix nécessaires alors qu'une partie de l'électorat du centre, à un candidat du MSI, ne pouvait que préférer les candidats au visage on ne peut plus modéré des larges coalitions constituées autour du PDS.

Mais le secrétaire général du MSI, Gianfranco Fini - candidat à Rome - a pu, après ces élections, déclarer qu'elles avaient été tout de même pour lui une victoire. Et en effet, pour un parti jusqu'à présent marginal et isolé à l'extrême droite, on peut considérer ainsi le fait d'avoir recueilli au premier tour 36,2 % des voix à Rome (contre 9,7 % aux élections les plus récentes, les législatives de 1992) et 31,1 % à Naples (contre 9,5 % en 1992). Mais ce qui compte au moins autant, c'est que sur le plan politique, le MSI peut considérer qu'il est désormais réhabilité. On a pu noter, durant la campagne électorale, l'intervention d'un homme comme le magnat de l'audiovisuel Berlusconi qui, dans une déclaration à sensation, a certifié que s'il était électeur à Rome, il n'hésiterait pas à voter au second tour pour le candidat MSI, Fini. Selon les termes de Berlusconi, face au candidat de la gauche - qui, en l'occurrence, était d'ailleurs le "Vert" particulièrement anticommuniste Rutelli - Fini était tout simplement le représentant de cette "aile modérée qui peut garantir l'unité du pays" et de valeurs comme "le marché, la libre entreprise, la tolérance, la correction, le bon sens" !

Le MSI, ainsi muni désormais des certificats de moralité délivrés par un certain nombre d'hommes de la bourgeoisie, se doit évidemment de redoubler d'efforts pour se montrer "présentable". Ainsi Fini se déclare non plus fasciste mais "post-fasciste" car... né en 1952. Ce type de pirouette ne suffisant pas à faire oublier qu'il y a encore un an, il participait à des cérémonies de commémoration de la Marche sur Rome de 1922 avec salut romain et pas de l'oie, Fini s'est même rendu, a-t-il fait savoir, "en visite privée" aux fosses Ardéatines de Rome, lieu d'un tristement fameux massacre d'otages par les troupes de l'Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale, visite destinée évidemment à accréditer l'idée qu'il aurait rompu avec le passé fasciste. Enfin, dans une comparaison avec la politique française, le même Gianfranco Fini a déclaré qu'il y a un an il était Le Pen, mais qu'aujourd'hui il serait... Chirac !

Voilà, soit dit en passant, qui explique sans doute pourquoi les références à ces élections italiennes sont en général évitées par un Le Pen, mais aussi par un Chirac... Mais le problème est bien désormais celui de l'intégration à part entière du MSI dans le jeu politique. Celle-ci est rendue indispensable à la fois par le système électoral majoritaire désormais en vigueur, qui impose l'alliance entre les forces de droite, par le succès politique que vient de connaître le parti de Fini, et aussi par la nécessité de trouver un contrepoids politique au succès de la Ligue du Nord, dont les possibilités de dérive régionaliste, voire un jour indépendantiste, inquiètent sans doute dans l'immédiat bien plus certains secteurs de la bourgeoisie et de l'appareil d'État.

La reconversion douloureuse du centre

Tandis que tous les efforts de la prétendue gauche "progressiste" regroupée autour du PDS consistent à conquérir l'électorat du centre en vue des élections législatives du printemps, qui elles aussi auront lieu pour la première fois au scrutin majoritaire, à un seul tour et seulement corrigé par un peu de proportionnelle, on assiste évidemment à une série de manœuvres symétriques venant de la droite. Après la déroute de la Démocratie Chrétienne, un certain nombre d'hommes politiques, à commencer par des transfuges de ce parti, tentent d'éviter la victoire de la coalition qui se met en place autour du PDS.

Pour cela, il s'agit en particulier de tenter de reconstituer une force politique de centre droit évitant que les voix de ce secteur de l'opinion ne soient perdues, mais qui en même temps puisse passer des accords avec la Ligue du Nord d'une part, le MSI d'autre part. Une des tentatives dans ce sens est celle du même magnat de l'audiovisuel Berlusconi, en même temps patron du club de football Milan AC. Il vient de lancer son propre parti sous le nom de "Forza Italia" ("Allez l'Italie"), cri de guerre que l'on entend plutôt en général dans les tribunes des stades. Forza Italia, qui bénéficiera évidemment des fonds de Berlusconi et du soutien de son réseau médiatique, tente dès maintenant de passer des accords électoraux avec la Ligue du Nord et le MSI, qui selon les moments se font plus ou moins prier.

A côté de ce "parti" lancé comme un club de football, tentative qui pourrait prêter à rire si elle ne témoignait du bas niveau atteint par ce qu'on n'ose plus appeler le "débat politique", bien d'autres tractations se mènent. En particulier les divers courants de la Démocratie chrétienne - ceux qui sont encore dedans comme ceux qui en sont déjà sortis - se demandent de quel côté ils pourront retomber, avec qui ils pourront désormais passer des accords, ne serait-ce que pour conserver un pied dans ce parlement dont le mode d'élection risque d'agir comme un vrai couperet et ne pas laisser grand place, à droite, à d'autres forces que la Ligue du Nord et le MSI.

Le "transformisme"à l'œuvre

Les éléments les plus conscients de la bourgeoisie et de l'appareil d'État préfèrent sans doute pour l'instant tourner leurs regards vers ce que l'on n'ose plus guère nommer "la gauche". Le PDS, et les forces qu'il réussit à coaliser autour de lui, sont sans doute pour l'instant la meilleure garantie dont la bourgeoisie italienne puisse disposer. Au moment où les principaux partis qui ont gouverné l'Italie sont émiettés, le PDS fournit une force social-démocrate de rechange d'autant plus utile que la bourgeoisie italienne a besoin de poursuivre une politique d'austérité drastique aux frais des classes populaires, et a besoin de la garantie et de la collaboration des organisations syndicales et politiques ayant une influence dans la classe ouvrière. Le PDS est prêt à fournir sa garantie, et même au-delà, à cette politique. Il faut ajouter d'ailleurs que sans son soutien, sans sa collaboration étroite, toute l'opération de transformation du système politique aurait sans doute failli.

Le PDS va donc peut-être recueillir les fruits des efforts de plusieurs générations de dirigeants du Parti communiste italien pour faire de ce parti un parti de gouvernement à part entière : des efforts dont on peut dater le début il y a cinquante ans, en 1943, lorsque le dirigeant du PCI, Togliatti, de retour en Italie, déclara que la révolution n'était pas à l'ordre du jour, mais bien la construction d'un "parti de type nouveau". On voit de quelle "nouveauté" il s'agissait : un parti social-démocrate, prêt à exercer le pouvoir dans l'intérêt de la bourgeoisie, à soutenir sa politique anti-ouvrière et, en prime, à apporter son soutien à une opération de ravalement de la façade d'un appareil d'État et de gouvernement vermoulu, et à la mise en place d'un exécutif plus fort. Et ce succès tant attendu par le PDS, si même il se produit, interviendra peut-être au moment où la crise sera telle qu'il n'y aura plus, pour un parti social-démocrate parvenant au gouvernement, aucun fruit à recueillir.

La crise politique italienne est souvent décrite comme un épisode du "transformisme", ce procédé de gouvernement inventé en Italie au siècle dernier, même si le pays n'en a évidemment pas gardé l'exclusive, consistant à transformer par couches successives les partis d'opposition en partis de gouvernement. Mais alors la question n'est pas tant pour l'instant la réussite de l'opération "transformiste" effectuée à gauche. Malheureusement l'intégration du PDS - et même celle d'un Parti de la refondation communiste qui de plus en plus n'apparaît que comme son appendice - n'est que le couronnement d'une longue évolution. La question est de savoir dans quelles conditions un "transformisme" du même genre pourra compléter l'opération à droite, quel sera son véritable contenu et si vraiment la bourgeoisie italienne pourra alors disposer, pour sa stabilité, d'un système basé sur l'alternance au pouvoir d'une droite conservatrice et d'une gauche qui ne l'est guère moins.

Ligue du Nord et MSI : quel danger ?

Car c'est à droite que la crise a fait surgir des forces bouleversant le jeu politique, la Ligue du Nord et le MSI, dont rien ne dit encore si elles resteront vraiment contrôlables, et cela d'autant plus qu'elles sont en concurrence. Il ne suffit pas que le dirigeant du MSI proclame qu'il est désormais "Chirac" pour l'être vraiment - et même un Chirac d'ailleurs peut se demander aujourd'hui s'il a vraiment, à la tête de la droite française, l'avenir politique qu'il souhaiterait avoir.

Sans doute, dans l'immédiat, les dirigeants du MSI n'aspirent à rien d'autre qu'à cette intégration dans le jeu politique qui en ferait la force pouvant parvenir au pouvoir à la place d'une coalition de gauche ou de centre gauche discréditée, dans le cadre d'une république italienne "modernisée" à la façon gaulliste. Le plus grave ne serait alors pas, en soi, le fait que le parlement italien se remplisse d'élus membres du parti de Fini. Ce serait ce que cela signifierait comme régression, dans la population italienne, de la conscience de ce qu'a été le fascisme. Les succès du MSI, à côté de ceux de la Ligue du Nord ou en France d'un Le Pen, ou de leurs homologues dans d'autres pays, ne sont qu'un témoignage de plus de cette régression, de ce progrès d'idées réactionnaires en tout genre.

Mais la question est aussi de savoir si ce type de forces politiques qui pour l'instant restent dans le cadre électoral et parlementaire, peuvent en sortir à un moment ou à un autre : le fascisme de Mussolini a été, avant même d'être une force parlementaire, une force extraparlementaire formée de bandes armées par la bourgeoisie pour régler son compte au mouvement ouvrier et briser celui-ci physiquement, dans la rue et jusque dans ses maisons du peuple et ses bourses du travail.

Le MSI et la Ligue du Nord ne semblent pas manquer d'appuis du côté de la bourgeoisie, mais pour l'instant en tout cas, pas pour accomplir une telle tâche. Les organisations syndicales, les partis dits ouvriers se sont révélés jusqu'à présent tout à fait efficaces pour museler la classe ouvrière italienne, la ligoter et limiter ses réactions face aux offensives qui la visaient. Mais si le besoin s'en faisait sentir, c'est sans doute dans les rangs de la Ligue du Nord ou du MSI que la bourgeoisie italienne pourrait recruter les troupes de choc anti-ouvrières dont elle aurait besoin. Et cela pourrait se faire avec d'autant plus de facilité que la situation actuelle aura encouragé bien des idées réactionnaires et renforcé moralement bien des partisans de telles méthodes.

Tout cela dépend bien sûr, en grande partie, de l'avenir de la crise économique mondiale. Celle-ci a déjà joué son rôle dans la désagrégation politique. La bourgeoisie en a sans doute tiré parti pour modifier son système politique dans le sens qu'elle souhaitait, mais cette transformation intervient peut-être trop tard pour lui permettre d'espérer en sortir avec des gouvernements et un régime réellement plus stables. Et si la crise économique s'aggravait encore, il est probable que les quelques réformes qu'elle est parvenue à introduire à grand peine dans ses méthodes de gouvernement lui seraient sans doute finalement d'un piètre secours. La bourgeoisie italienne, avec sa situation économique précaire, son appareil d'État déliquescent, ses gouvernements instables, se révèlerait sans doute une fois encore comme l'une des plus faibles des bourgeoisies impérialistes, et pour cette raison d'autant plus sujette à la tentation d'avoir recours, pour résoudre ses crises, à des moyens extraparlementaires. Les mêmes raisons qui en ont fait, au lendemain de la première guerre mondiale, l'initiatrice du fascisme, pourraient resurgir avec force.

Alors, tôt ou tard, la classe ouvrière italienne risque de toute façon de ne pas avoir le choix. Tout ce que lui propose le PDS - et même finalement le PRC - est au fond de prêter son concours aux opérations d'"assainissement économique" qui s'accomplissent sur son dos, au motif que cela pourrait être pire si d'autres forces politiques s'en chargeaient. Mais le seul résultat est d'ores et déjà d'affaiblir la classe ouvrière, ses capacités de réaction, sa confiance dans ses propres forces et dans la lutte de classe, et de renforcer des courants réactionnaires qu'elle devra de toute façon affronter.

C'est dès à présent que la classe ouvrière a à se battre sur son propre terrain, celui où elle est forte : celui de la lutte de classe, sans faire aucune confiance aux manœuvres de chefs politiques et syndicaux qui ne savent que rivaliser avec ceux de la bourgeoisie dans l'art de la combinazione et ne rêvent que d'occuper des postes dans son appareil d'État. Et il lui sera indispensable de disposer face à cet appareil d'État, face aussi aux forces politiques réactionnaires qui sont en train de se renforcer, d'organisations qui soient vraiment les siennes, d'organisations prêtes à mener un réel combat de classe, et d'abord d'un véritable parti communiste, révolutionnaire et prolétarien.