URSS – Introduction

Εκτύπωση
novembre 1992 - trilingue

Ce 8 décembre 1991 où les trois présidents de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie - trois bureaucrates, arrivés au sommet de leurs républiques au travers de luttes d'appareil, avant d'être en situation de se faire consacrer par le suffrage universel - réunis en catimini à Minsk, ont signé un accord mettant fin à l'existence de l'Union soviétique est certainement une date symbolique. Comme l'est ce 31 décembre 1991 où, avec une solennité toute médiatique, Eltsine fit amener les couleurs de l'URSS des tours du Kremlin pour les remplacer par le drapeau russe. Au même moment Gorbatchev, jusque-là président de l'Union soviétique, dut quitter le dernier bureau qu'il occupait encore au Kremlin. Son poste venait d'être supprimé.

A cette date, l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, née cinq ans après la Révolution d'un traité signé le 30 décembre 1922 entre la République Socialiste Soviétique Fédérative de Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et la République de Transcaucasie, cessa juridiquement d'exister.

Cette date représente-t-elle pour autant l'achèvement de la désagrégation étatique et des transformations économiques et sociales qui se déroulent depuis plusieurs années dans ce qui fut, il y a peu, le plus vaste État du monde et le seul sorti d'une révolution prolétarienne victorieuse ?

De toute évidence, non.

Nous avons affaire à une évolution relativement lente, tout comme le fut en son temps le processus de transformations inverses dans les années qui suivirent la révolution.

Le processus de désagrégation étatique lui-même n'est pas terminé. Pas même au niveau de la défunte Union.

L'ex-Union soviétique n'a été certes remplacée que par une "Communauté d'États Indépendants", à l'existence juridique internationale floue et en évolution, sans organismes dirigeants communs autres qu'une réunion périodique de chefs d'État. L'Union étant morte juridiquement, sa succession a été prise par quinze États indépendants, qui ont tous été plus ou moins vite reconnus par la diplomatie internationale. Il faut cependant remarquer que, même sur ce plan, la signature de l'acte de décès n'a nullement réglé les questions de successions les plus élémentaires. Le sort de l'armée ex-soviétique en particulier et de son armement - y compris nucléaire - est loin d'être tranché. Les fracassantes déclarations d'indépendances monétaires n'ont pas suffi pour faire surgir des monnaies nationales, et encore moins des monnaies inspirant un minimum de confiance. Et derrière la question des monnaies, il y a celle de l'interdépendance économique de toutes les régions de l'ex-URSS.

Plus généralement encore, la réalité sociale, économique, humaine que recouvrait l'Union est loin d'être liquidée, bien que les liquidateurs se bousculent. Le processus d'éclatement se trouve pourtant assez avancé pour constituer - indépendamment même de toute dénationalisation, à peine entamée d'ailleurs - le principal facteur de désorganisation de l'économie construite sur l'association de différentes républiques. Mais pas encore achevé, puisque les chefs des différentes républiques, Eltsine en tête, se posent à chacune de leurs réunions la question de savoir ce qui peut être encore sauvé des liens économiques du passé (avec quel succès, c'est encore une autre question).

En même temps que l'héritage de l'ancienne Union se trouve loin d'être liquidé, les nouvelles républiques elles-mêmes sont loin d'être stabilisées. Le processus de désagrégation n'a pas attendu d'avoir fini son œuvre au niveau de l'Union pour commencer à tarauder les républiques qui en sont issues.

A commencer par la Russie, dont le devenir a le plus d'importance pour l'avenir, y compris pour l'évolution future des autres républiques. Même séparée des quatorze autres républiques, la Russie reste le pays le plus étendu du monde, parmi les plus peuplés aussi. C'est elle qui concentre sur son territoire le gros des richesses naturelles et du potentiel industriel de l'ex-URSS. Et bien entendu, il y a le poids de sa position géopolitique centrale par rapport à toutes les autres républiques et son rôle historique déterminant dans la formation de ce qui fut l'Union soviétique.

Elle est cependant elle-même une fédération qui, lors des négociations du traité de la fédération, signé le 31 mars 1992, comptait sur son territoire vingt et une républiques théoriquement souveraines (après la vague de nouvelles déclarations de souveraineté, elle en compterait aujourd'hui quarante-six !). Auxquelles s'ajouteront peut-être des régions dont les dirigeants en sont encore à flirter avec l'idée de souveraineté, soit au nom de la spécificité de leur peuple, soit, de façon plus ouvertement cynique, au nom de leur refus de partager les richesses de leur sous-sol.

Quant aux autres républiques, ce qui se passe dans le Caucase, non seulement entre les républiques indépendantes de Géorgie, d'Arménie et d'Azerbaïdjan, mais aussi à l'intérieur de chacune d'elles ou bien sur leurs marches - où des mafias politico-militaires s'appuyant sur des aspirations nationales, réelles ou inventées, tentent de se tailler des territoires - montre que la future carte politique de l'ex-Union soviétique n'est encore nullement dessinée.

Le processus de dislocation de ce qui fut l'Union se double d'une aspiration de transformation sociale des couches privilégiées, reprise par les dirigeants politiques actuels de toutes les républiques issues de l'Union soviétique, à commencer par celui qui dirige la Russie, Eltsine. Ils prônent tous, avec plus ou moins de zèle et depuis plus ou moins longtemps, la liquidation de l'économie planifiée et le retour au capitalisme.

Bien que les mois s'égrènent depuis que ceux qui affichent le plus clairement leur volonté de transformations économiques et sociales dans le sens capitaliste sont arrivés au pouvoir politique - l'arrivée au pouvoir suprême d'Eltsine, concomitant avec la dissolution juridique de l'URSS est à cet égard une date significative - lesdites transformations sont loin d'être achevées et elles ne sont même pas, toujours pas, sérieusement entamées.

Paradoxalement, la crise de pouvoir, l'éclatement de l'URSS et l'anarchie qui s'ensuit, tout en étant parmi les principaux facteurs de démolition de l'économie planifiée, constituent aujourd'hui un obstacle devant les investissements des capitalistes occidentaux et, dans une certaine mesure, devant la formation d'une classe capitaliste autochtone (bien que, pour ce qui concerne cette dernière, ça ne soit pas l'obstacle principal). Mais, pour les uns comme pour les autres, à côté de cet obstacle-là, il y en a de bien plus puissants.

L'éclatement de l'Union soviétique n'est pas le résultat d'un puissant mouvement d'en bas ; d'une lutte de peuples pour leur libération nationale par exemple. Les aspirations, les revendications nationales existaient, à des degrés très divers suivant les peuples, leur passé, les conditions de leur adhésion et de leur maintien dans l'Union ; suivant aussi la façon dont ils avaient vécu la dictature de la bureaucratie qui a pesé sur tous les peuples, y compris sur le peuple russe majoritaire. Mais ces aspirations nationales ont surtout servi de prétexte, là où elles pouvaient servir, pour s'opposer au pouvoir central.

L'éclatement de l'Union soviétique est pour l'essentiel le fait de la bureaucratie elle-même. Il est l'aboutissement - ou plus exactement, la phase présente - d'une crise politique, commencée comme une crise de succession à la direction suprême telle que la direction politique de la bureaucratie en a connu à chaque succession, mais qui, cette fois, devint publique et s'étendit progressivement à toute la bureaucratie, affectant tout l'appareil d'État.

La disparition de l'Union soviétique n'a certainement pas été le but recherché par Gorbatchev et les protagonistes du début de la lutte pour le pouvoir. Mais ils ont déclenché un mouvement social - limité encore une fois pour l'essentiel à la bureaucratie et aux couches privilégiées - qu'ils se sont révélés incapables de maîtriser.

Comment ? Pourquoi ? La crise politique a été tout à la fois révélatrice de changements internes à la bureaucratie et le catalyseur d'une accélération de ces changements. Elle a été, aussi, révélatrice des changements intervenus dans les rapports de la bureaucratie avec le pouvoir politique qui la représentait. Lesquels ? Voilà les questions que nous voulons soulever dans ce numéro.