Ce texte est la traduction d'un article du journal Class Struggle, édité par l'organisation trotskyste américaine The Spark.
Il faut croire que le monde est vraiment petit pour ce qui est de la façon dont les capitalistes des différents pays justifient leurs décisions ou, plus exactement, de la façon dont les politiciens, voire les dirigeants syndicaux, les justifient pour eux.
Il faut croire aussi que la menace de délocalisation, au point de parler de "désindustrialisation", est agitée aux États-Unis de la même façon qu'en France, alors que, là-bas comme ici, il ne s'agit nullement de désindustrialisation ni d'une baisse de la production industrielle. Il s'agit simplement, pour les capitalistes, de faire faire de plus en plus de production par de moins en moins d'ouvriers, non pas en mécanisant plus mais en allongeant le temps de travail et en intensifiant son rythme.
La confédération syndicale AFL-CIO vient de publier un rapport intitulé Revitaliser l'industrie américaine, qui traite de l'importante diminution du nombre d'emplois dans ce secteur économique. Selon ce document, l'emploi industriel a atteint son maximum en juin 1979, il y a un quart de siècle. Il y avait alors 19,5 millions d'emplois dans les usines américaines. Aujourd'hui, on en compte un peu plus de 14,5 millions. La perte d'emplois s'est récemment accélérée : près de trois millions de postes ont été supprimés au cours des quatre dernières années. Et malgré la reprise économique qui a commencé officiellement en novembre 2001, cela fait maintenant (au moment où nous écrivons) quarante-trois mois que le secteur industriel perd des emplois sans discontinuer.
L'expression "perte" d'emplois ne décrit pas correctement la réalité. On assiste à un véritable effondrement du nombre d'emplois industriels, catastrophe dont les effets se font sentir dans tout le pays, dans chaque famille touchée par le chômage - d'autant que le secteur industriel n'est pas le seul à perdre des emplois.
L'AFL-CIO explique cet effondrement du nombre d'emplois par ce qu'elle appelle l' "érosion"de l'industrie américaine, qui serait liée à son "manque de compétitivité". L'AFL-CIO prétend qu'une part croissante de la production industrielle est externalisée et que les importations remplacent les produits qui étaient fabriqués aux États-Unis parce que les salaires et les autres coûts de production sont beaucoup moins élevés à l'étranger.
Le dernier rapport de l'AFL-CIO résume la situation de la manière suivante : "Les années soixante-dix ont vu l'émergence de concurrents internationaux qui, dans un secteur après l'autre, ont sapé la position autrefois dominante des industriels américains sur le marché intérieur et le marché mondial."Plus loin, le même document insiste : "La base industrielle des États-Unis subit une érosion. Un peu partout dans le pays, des usines ferment et des industriels détruisent leur propre capacité productive en externalisant la production à l'étranger, dans des pays où les salaires sont moins élevés."
Rien ne pourrait être plus faux.
L'industrie américaine victime de la "compétition mondiale"?
Dans l'économie mondiale, les États-Unis restent le pays industriel "dominant", avec plus du quart de la production industrielle mondiale. Aucun autre pays ne s'approche même de ce chiffre. La production américaine est de 50 % supérieure à celle de son principal concurrent, le Japon. Elle est aussi de 33 % supérieure à la somme des productions de l'Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne, les trois pays européens les plus puissants économiquement.
Non seulement les États-Unis sont la principale puissance industrielle, mais leur domination s'accroît ! Entre 1980, quand l'emploi industriel était presque à son niveau maximum, et 2000, les États-Unis ont accru leur part de la production mondiale dans la majorité des secteurs industriels. Selon l'Organisation de développement industriel des Nations unies (ODINU), les États-Unis arrivent aujourd'hui en tête dans treize secteurs industriels sur quatorze. Les comparaisons entre pays doivent évidemment être maniées avec prudence, car les critères statistiques diffèrent de l'un à l'autre, sans parler des problèmes de taux de change. Mais l'industrie américaine devance ses principaux concurrents avec une marge telle qu'on ne peut guère se tromper.
Dans certains cas, l'augmentation de la part américaine dans la production mondiale a été spectaculaire. Dans le secteur du caoutchouc et des plastiques, par exemple, elle est passée de 18 % en 1980 à 26 % en 2000, et dans le secteur alimentaire de 18 % à 23 %. Mais ce qui est encore plus frappant, c'est la situation dans les secteurs qui sont censés avoir été laminés par la concurrence étrangère, notamment le textile et l'habillement, la sidérurgie et l'automobile. En réalité, dans ces secteurs, la part des États-Unis dans la production mondiale ne diminue pas. Au contraire, entre 1980 et 2000, la part de la production américaine de textile a augmenté, passant de 16 % à 19 % de la production mondiale ! En 2000, un cinquième de la production textile mondiale était réalisé aux États-Unis. Il en est de même dans l'habillement. Au cours des années quatre-vingt-dix, ce secteur (qui comprend les industries du vêtement, du cuir et de la chaussure) est passé de 18 % à 21 % de la production mondiale. Quant à la part des États-Unis dans la production de véhicules et de métaux, y compris le fer et l'acier, non seulement elle n'a pas diminué, mais elle a augmenté légèrement. Les États-Unis continuent à produire plus du quart de tous les moyens de transports du monde.
En d'autres termes, les États-Unis continuent à dominer l'industrie mondiale et, dans la plupart des secteurs, ont même accru leur domination.
Croissance de la production intérieure
Les commentaires sur les fermetures d'usines et l'externalisation laissent entendre que l'industrie américaine serait en déclin.
C'est tout simplement faux.
La production ne diminue pas, mais au contraire croît régulièrement. Entre 1973 et 2003, au cours des années où la capacité productive aurait été "détruite" selon l'AFL-CIO, la production intérieure des États-Unis a doublé. Dans les années quatre-vingt-dix, les usines qui étaient censées disparaître du paysage ont néanmoins augmenté leur production globale de plus de 40 %.
Bien sûr, nous venons de connaître une récession, et la production a décliné en 2001. Mais la récession a été suivie d'une reprise au début de l'année 2002, reprise qui s'est confirmée fin 2003. Au cours du premier trimestre 2004, le secteur industriel a connu son taux de croissance le plus élevé depuis quatre ans. Pourtant, le nombre d'emplois industriels n'a pas augmenté, lui, et de nouveaux emplois ont été supprimés.
Le problème n'est pas celui d'un prétendu "déclin" de la production ; le problème, ce sont les suppressions d'emplois.
Ce qu'il faut "revitaliser", pour employer le terme de l'AFL-CIO, ce n'est pas l'industrie. L'industrie se porte très bien, merci. Non, ce qui doit être revitalisé, ce sont les emplois. Si, au cours des trente dernières années, le nombre de travailleurs de l'industrie avait augmenté dans la même proportion que la production, il y aurait aujourd'hui environ 40 millions d'ouvriers dans ce pays - au lieu de 14,5 millions.
Que sont devenus les 25,5 millions de travailleurs qui auraient dû avoir un emploi dans les usines ? Une bombe à neutrons les aurait-elle désintégrés, supprimant ainsi la plus grande partie de la classe ouvrière du secteur industriel ?
Une productivité accrue et des travailleurs spoliés
Non. Dans les faits, les entreprises industrielles à la recherche du profit maximum ont tout simplement contraint des travailleurs de moins en moins nombreux à produire toujours plus.
Ce n'est un secret pour personne et l'AFL-CIO le sait très bien. Son rapport cite même des statistiques gouvernementales sur la vitesse à laquelle la productivité du travail a augmenté. Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, la productivité du travail augmentait de 2,8 % par an en moyenne. Dans les années quatre-vingt-dix, elle est passée à 3,9 % par an. Et en cette période de reprise et de "perte d'emplois", elle augmente peut-être encore plus vite.
Mais pour la classe ouvrière, cette augmentation de la productivité s'est surtout traduite par une intensification effrénée du travail.
Bien sûr, les capitalistes disent qu'ils ont obtenu une meilleure productivité grâce à leurs investissements en ordinateurs, robots et autres formes d'automatisation du travail. En réalité, les investissements industriels du secteur privé sont restés à un niveau relativement peu élevé au cours de cette période. Les capitalistes ont préféré s'acheter et se vendre leurs entreprises, en "investissant" dans des fusions et des offres publiques d'achat. Ce faisant, ils se préoccupaient peu de moderniser leurs vieilles usines délabrées et insalubres. En conséquence, les machines et les outils sont souvent très vétustes, comme le savent tous les ouvriers d'usine de ce pays.
En fait, les patrons ont réussi à augmenter la productivité en contraignant les ouvriers à travailler plus intensivement et plus longtemps. Quelquefois, ils ont réussi à augmenter la charge de travail en douce, en proposant, par exemple, des stages de motivation ou des groupes autonomes de travail, qui servent surtout à "motiver" les travailleurs à produire plus. Mais la crainte des licenciements et du chômage a été plus efficace que tous les trucs inventés par les patrons pour amener les travailleurs à sacrifier leur temps et leur santé au profit de l'entreprise.
Les entreprises ont imposé l'accélération des cadences, obligeant les ouvriers à travailler toujours plus vite, pour ensuite supprimer des postes de travail et contraindre ceux qui restaient à faire la même production.
Les travailleurs ont aussi été contraints de travailler plus longtemps, et pas seulement en faisant des heures supplémentaires. Les vacances, les congés, les jours pour convenance personnelle et les pauses ont tous été réduits, voire supprimés. De 1997 à 2000, la moyenne annuelle d'heures de travail est passée de 1 703 à 1 878 aux États-Unis. Cette moyenne est de 33 % supérieure à celle de nombreux pays européens, où les travailleurs bénéficient pourtant d'un niveau de vie plus élevé et de plus de temps libre.
Le plus souvent, les travailleurs américains n'ont pas eu le choix et ont dû accepter de travailler plus longtemps, parce que, depuis un quart de siècle, le niveau des salaires et des avantages sociaux n'a cessé de stagner ou de reculer. Les travailleurs se sont trouvés pris dans une spirale sans fin : les patrons, ne rencontrant aucune résistance, réduisaient les salaires et les avantages sociaux ; les travailleurs étaient alors contraints de travailler plus, ce qui encourageait les patrons à diminuer encore les salaires et surtout les avantages sociaux.
En résumé, les capitalistes ont pu augmenter considérablement l'exploitation de la classe ouvrière et lui voler une plus grande partie de son travail.
Pour les travailleurs, cette période a été un désastre. D'un côté, un nombre croissant d'entre eux a été réduit au chômage, n'a que peu ou pas de revenus et vit aux marges de la société. D'un autre côté, la vie de ceux qui ont un emploi est marquée par le surtravail, la fatigue, les maladies chroniques et les accidents, de même que par l'insécurité et la peur qui naissent de la menace permanente de perdre son gagne-pain en même temps que son emploi - menace que les patrons ne se privent pas de mettre à exécution quand ça les arrange.
Productivité et promesse d'une vie meilleure
L'augmentation de la productivité n'est pas un fléau quand elle correspond à une rationalisation de la production et à l'introduction de machines plus performantes. En fait, une productivité accrue pourrait non seulement élever le niveau de vie de l'ensemble de la société, mais aussi libérer l'humanité des tâches les plus pénibles. À la fin du XIXe siècle, les ouvriers qui travaillaient douze heures par jour et six jours par semaine trouvèrent le moyen de se mobiliser et de s'organiser afin de mener la longue et difficile lutte pour la journée de huit heures et, plus tard, pour la semaine de quarante heures. Le mot d'ordre des ouvriers d'alors était huit heures de travail, huit heures de sommeil, huit heures de temps libre. Ces luttes de la classe ouvrière lui permirent d'arracher une réduction des heures de travail et d'imposer un meilleur niveau de vie. Et en livrant ces luttes, elle parvint aussi à créer et à faire croître des syndicats puissants.
Aujourd'hui, la productivité est bien supérieure à ce qu'elle était il y a cent ans. Cela signifie qu'on pourrait encore réduire la semaine de travail, tout en augmentant le niveau de vie. Il n'y a pas de raison pour qu'au XXIe siècle les travailleurs soient encore enchaînés à leur lieu de travail. Nous pourrions avoir des journées et des semaines de travail plus courtes, des vacances plus longues, davantage de temps libre pour la famille, les amis, les loisirs et autres occupations - en d'autres termes plus de temps pour nous épanouir.
Mais pour atteindre cet objectif, la classe ouvrière doit lutter afin de prendre le contrôle des richesses de plus en plus grandes créées par son travail. Elle ne doit pas laisser les capitalistes engloutir des profits de plus en plus énormes aux dépens de ses conditions de vie et de travail. Ces profits, ce sont les travailleurs qui les ont rendus possibles, qui ont produit le surplus qui est à l'origine des investissements et qui ont élaboré les idées et les techniques qui rendent le travail plus efficace. C'est donc aux travailleurs d'en tirer profit.
La position des syndicats
Dans son rapport sur la "revitalisation" de l'industrie américaine, l'AFL-CIO affirme fièrement que "les ouvriers de l'industrie américaine sont les plus productifs du monde". Mais le recours à cet argument ne lui sert pas à encourager les travailleurs à obtenir une meilleure répartition des fruits de leur labeur, à lutter pour travailler moins et gagner plus. Au contraire, l'AFL-CIO n'utilise cet argument que pour répandre l'idée que les entreprises américaines ne sont pas compétitives sur le "marché mondial". Selon elle, les entreprises américaines "sont désavantagées par rapport à leurs concurrents pour de nombreuses raisons, notamment des taxes et des pratiques commerciales abusives, un dollar surévalué, de trop faibles incitations à l'investissement, un coût des soins de santé supérieur à ceux des entreprises étrangères qui bénéficient par ailleurs de subventions de la part de leur gouvernement".
En d'autres termes, l'AFL-CIO demande au gouvernement d'accroître ses subventions aux entreprises et de multiplier les abattements fiscaux et autres formes d'"incitations à l'investissement" qu'elles reçoivent déjà - et qui seront payés par une augmentation des impôts des travailleurs. D'autre part, quand l'AFL-CIO demande aux travailleurs de rendre "leur" entreprise plus compétitive, elle les incite ni plus ni moins à travailler encore davantage au nom de la productivité.
Dans son rapport, l'AFL-CIO dit implicitement ce que les dirigeants syndicaux disent clairement "à leur propre patron". On a pu le constater récemment lorsque le vice-président de l'UAW, Nate Gooden, s'est adressé au congrès annuel du Centre de formation national de l'UAW-DaimlerChrysler, qui réunissait les représentants du syndicat et de la direction à l'hôtel Bally's de Las Vegas (une ville évidemment tout indiquée pour ce genre de réunion). Selon lui : "Nous sommes engagés dans une guerre mondiale. Si nous faisons les efforts nécessaires, nous pouvons changer le cours des choses et devenir le numéro un d'une économie mondialisée... Nous ferons de notre mieux, et cela signifie que chacun de ceux qui sont ici présents doit se coller au boulot pour faire décoller l'entreprise".
Cela implique un certain nombre de sacrifices, ajoutait Gooden : "Nous avons dû supprimer des emplois... Des gens en ont souffert, mais nous avons sauvé la mise à une majorité de nos frères et de nos sœurs en même temps que nous sauvions DaimlerChrysler".
Les déclarations de Gooden peuvent paraître grossières, mais elles reflètent parfaitement la politique de l'appareil syndical qui encourage les travailleurs à faire des sacrifices pour le bien de "leur" entreprise. Même si cela signifie que certains travailleurs vont "souffrir", comme le dit Gooden, l'entreprise et les syndicats "sauveront la mise à la majorité" des travailleurs. C'est ce type de raisonnement qui a fait passer les effectifs de Chrysler de 120 000 en 1979 à environ 60 000 aujourd'hui.
La plupart des contrats signés aujourd'hui au niveau national et local entre patrons et syndicats comprennent d'importantes suppressions d'emplois. Dans l'automobile, les derniers contrats signés par l'UAW prévoient la suppression d'environ 38 000 emplois, victimes de l'augmentation de la productivité et des accords employeurs-syndicats. Presque tous les contrats signés, dans la totalité des secteurs industriels, contiennent des dispositions semblables et autorisent implicitement ou explicitement les entreprises à réduire les effectifs.
Au niveau local, les appareils syndicaux permettent aux patrons de supprimer les pauses des travailleurs. Un récent accord signé par le syndicat UAW de l'usine de camions DaimlerChrysler de Warren (Michigan) autorise la direction à réduire le temps de pause de 46 à 24 minutes et le temps de déjeuner de 30 à 20 minutes. Ce recul est un peu compensé par le fait que la pause déjeuner est désormais payée alors qu'elle ne l'était pas auparavant, mais cela signifie tout de même que les ouvriers ont moins de temps pour se reposer. Et cela permet à la direction de faire tourner l'usine vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
La réduction des pauses est aussi une façon d'accroître le temps de travail, ce qui se traduit par des suppressions d'emplois. Ce type d'accord permet à l'entreprise d'optimiser le fonctionnement d'une usine et d'imposer une flexibilité qui lui donnera la possibilité de fermer une autre usine dans l'avenir.
Un peu de délocalisation, beaucoup d'externalisation
Tout indique que c'est l'accroissement de la charge de travail qui supprime les emplois. Néanmoins, les dirigeants syndicaux continuent à dire que c'est la "délocalisation" à l'étranger qui supprime les emplois des travailleurs américains. Voyons ce qu'il en est. Il est vrai que ce phénomène se développe, mais il se développe surtout à l'intérieur même des États-Unis. De plus en plus d'entreprises où les salaires sont relativement élevés confient leur production à d'autres entreprises où les salaires sont inférieurs. Les patrons de la grande industrie vendent ou sous-traitent la fabrication ou le montage de certaines pièces à des filiales ou à des entreprises extérieures où les salaires et les avantages sociaux sont moins élevés. À l'intérieur des usines, le nettoyage, l'entretien et le contrôle de la production sont souvent sous-traités à des entreprises dont les employés sont moins bien payés.
Cette "externalisation" peut même prendre des formes extrêmes, comme le montre un contrat récemment signé par le syndicat UAW et la direction de l'usine de montage de jeeps de DaimlerChrysler à Toledo (Ohio). Aux termes de l'accord, les ateliers de carrosserie et de peinture, où travaillaient jusque-là des ouvriers embauchés par Chrysler, seront confiés à une entreprise "extérieure" qui fera le travail sur place, avec une main-d'œuvre moins bien payée, et qui pourra augmenter plus facilement la charge de travail.
Ce type d'externalisation se traduit le plus souvent par des suppressions d'emplois. Il contribue par ailleurs à entretenir le cercle vicieux des licenciements et de la concurrence d'une partie des travailleurs avec l'autre, c'est-à-dire exactement ce contre quoi les syndicats sont censés se battre. C'est cette concurrence qui fait baisser les salaires et s'envoler les profits des grandes entreprises. Oui, la concurrence existe, mais il s'agit d'abord et avant tout de la concurrence entre ouvriers que les patrons ont réussi à imposer ici, aux États-Unis, pour faire baisser les salaires.
En montrant du doigt l'étranger, en utilisant des arguments patriotiques et chauvins, les appareils syndicaux démobilisent la classe ouvrière et la détournent des luttes à mener. Convaincre les travailleurs que leur entreprise ne peut lutter contre la concurrence étrangère, c'est les convaincre qu'ils doivent aider leur entreprise à être compétitive, en acceptant des salaires plus bas et une charge de travail plus lourde.
Un certain nombre d'emplois sont partis à l'étranger, c'est vrai. Il est difficile de donner un chiffre, car le gouvernement ne dispose pas de statistiques sur ce sujet. Mais certains économistes estiment que cela ne représente qu'une fraction minime du total des emplois supprimés chaque année. Et puis, il ne faudrait pas oublier le phénomène inverse. Les capitalistes étrangers construisent aussi des usines aux États-Unis. Dans l'automobile, par exemple, Toyota, Honda, Nissan, Mitsubishi, Mazda, Mercedes, BMW ont tous des chaînes de montage, voire de véritables complexes industriels dans ce pays.
Mais peu importe le nombre exact d'emplois perdus à cause de la concurrence étrangère et des importations, il est négligeable comparé aux 25,5 millions d'emplois qui auraient été conservés si les capitalistes n'avaient pas réduit les effectifs comme ils l'ont fait depuis vingt-cinq ans.
De fait, si la classe ouvrière luttait pour contrôler les richesses de plus en plus grandes qu'elle produit et les utiliser à son profit, il y aurait du travail pour tout le monde.
Du travail pour tous
C'est là tout le problème. Et c'est cette lutte-là qu'il faudrait mener. Les patrons et les entreprises ne sont pas pris à la gorge ou menacés de banqueroute comme les syndicats et le patronat voudraient nous le faire croire. Non, ils sont de plus en plus riches. Et l'essentiel de leurs richesses a été créé ici, aux États-Unis.
La classe ouvrière a les moyens de prendre le contrôle des richesses de plus en plus grandes qu'elle crée par son travail et de les utiliser à son profit. En luttant contre le vol éhonté des fruits de son travail par la bourgeoisie, la classe ouvrière serait en mesure de donner du travail à tous.
Le 18 avril 2004