Avec la publication du rapport Spinetta sur le transport ferroviaire, le gouvernement Macron lance une offensive visant frontalement les cheminots et les usagers afin de faire place nette à l’arrivée prochaine de capitalistes dans les parties profitables du secteur.
L’ouverture à la concurrence du trafic voyageurs est en effet confirmée pour les TER de 2019 à 2023 et pour le TGV en 2020. Elle doit permettre aux capitalistes intéressés de faire main basse, sans investissement en formation, en matériel ou infrastructure, sur les secteurs immédiatement rentables. Cette mise à disposition générale d’investissements publics au profit du privé a déjà été largement préparée par les précédentes réformes de 1997, 2014 et 2016[1].
Spinetta propose aujourd’hui d’achever ce que les précédents gouvernements avaient alors jugé prudent de repousser.
Tout d’abord, il préconise la transformation de SNCF Mobilité, chargée du transport, en société anonyme en supprimant tout lien avec SNCF Réseau. La SNCF ne serait alors plus qu’un opérateur de transport parmi d’autres, privatisable à tout moment. En effet la SNCF, pas encore privatisée, a déjà les mêmes critères de rentabilité que n’importe quelle entreprise capitaliste, déjà largement prête à verser de larges dividendes à ses futurs actionnaires. Ainsi depuis dix ans, d’après Spinetta, « l’État fixe à SNCF Mobilité des objectifs de rentabilité élevés au regard de la pratique d’autres grandes entreprises de transport ou du secteur industriel (avec une rémunération du capital de 8,5 % après impôts). »
Ensuite, Spinetta propose de supprimer les 9 200 km de petites lignes jugées socio-économiquement non rentables, soit un tiers du réseau. Victime d’une absence d’entretien et de renouvellement des voies, impliquant des ralentissements permanents, cette partie du réseau n’intéresse pas les prédateurs du privé. Spinetta propose donc de fermer ces lignes afin d’"économiser a minima 1,2 milliard d’euros par an". Devant la fronde de ses amis présidents de région, Elisabeth Borne fait mine de rassurer. Mais en réalité aucun financement n’est prévu pour la régénération de ces voies. Rappelons que la seule diminution de l’impôt sur la fortune, dont bénéficie une poignée de nantis, coûte à l’État plus de trois milliards d’euros par an et que les dépenses d’armement augmentent de 1,7 milliard par an.
Mais le principal objectif du gouvernement est aussi et surtout de mettre au pas les cheminots, de leur imposer un recul considérable de leurs conditions d’existence. Tout d’abord, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, en cas de perte de marché par la SNCF, il veut obliger les cheminots concernés à accepter, sous peine de licenciement, le transfert à l’entreprise concurrente. Celle-ci pourrait alors imposer sa propre réglementation du travail, très régressive en termes de repos, d’amplitude de la journée de travail, au mépris de la sécurité des cheminots et des voyageurs.
Et puis, le gouvernement veut aller encore plus loin. Derrière la disparition, immédiate ou progressive, du statut des cheminots, il s’agit de supprimer les quelques garanties collectives qui subsistent en matière de conditions de travail, de rémunération, de retraite et de garantie de l’emploi pour les 150 000 cheminots. Ceux-ci n’ont pourtant rien de privilégiés, eux dont les salaires de base sont bloqués depuis quatre ans, qui travaillent bien souvent toute leur carrière en 3x8, les dimanches et jours fériés. Mais le patronat veut pouvoir licencier qui il veut, quand il veut, sans même avoir à donner de prétexte.
Le gouvernement prévoit aussi d’éclater encore davantage les travailleurs du rail, en filialisant, en externalisant et en privatisant de nombreuses tâches. Enfin, alors que la SNCF supprime 3 000 emplois par an, Spinetta veut, en outre, organiser des plans de départs dits volontaires qu’il chiffre à 5 000 emplois en deux ans.
Il s’agit donc d’une déclaration de guerre. Mais gouvernement et patronat du public comme du privé redoutent la réaction des cheminots. Espérons que cette crainte sera fondée. Les cheminots se sont défendus à plusieurs reprises. Tantôt à l’échelle nationale, lors de mouvements sur les retraites comme celui, victorieux, de 1995, ou contre la réforme ferroviaire en 2014 et la déréglementation du travail en 2016. Tantôt à l’échelon local, comme le prouvent différents mouvements parfois victorieux contre les suppressions d’effectifs ou les modifications de roulements dans la période récente.
À la publication du rapport Spinetta, la CGT cheminots, rejointe à ce stade par Sud-Rail, a appelé à une manifestation nationale le 22 mars, en même temps que l’ensemble des fédérations syndicales de la fonction publique.
Le gouvernement et la direction de la SNCF, après avoir commandé cette déclaration de guerre à Spinetta, font mine de vouloir discuter. Il s’agit évidemment d’une posture et d’un piège. Il n’y a rien à attendre de négociations. L’unique crainte des politiciens et des patrons est la mobilisation collective des travailleurs, dans la rue et par la grève.
L’attaque contre les cheminots fait partie de l’ensemble du plan antiouvrier du gouvernement et du patronat. Une défaite des cheminots en serait une pour l’ensemble des travailleurs. À l’inverse, leur riposte peut aussi sonner le signal de la révolte ouvrière. Dans cette épreuve de force, tous les travailleurs doivent être du côté des cheminots.
22 février 2018
[1] « Transport ferroviaire : vers l’ouverture à la concurrence », Lutte de classe n° 187, novembre 2017.