Tribune - Sarkozy fait son malin pour combien de temps ?

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Mai-juin 2007

$$WAvertissement : Les lecteurs de lutte de classe savent qu'il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire qui soumet des textes différents de ceux de la majorité aux votes de nos camarades, lors de nos conférences nationales. Ces textes sont systématiquement publiés dans nos colonnes. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée, c'est-à-dire en fraction. Ils s'expriment désormais régulièrement dans ces colonnes.

Cette tribune est rédigée indépendamment des autres articles de Lutte de Classe, et peut donc aborder, ou ne pas aborder, un sujet traité par ailleurs dans cette revue.

" Le choc, une catastrophe pour les salariés et les jeunes ", titrait l'Humanité à la Une, le lendemain du second tour de l'élection présidentielle. Et l'éditorialiste du journal du PCF poursuivait : " Une droite dure, ultralibérale, revancharde, qui n'a pas hésité à revendiquer les thèmes de l'extrême droite, entre à l'Élysée. Pour tous ceux qui, par millions dans le monde du travail et dans les quartiers populaires, ont à craindre de la politique qui s'annonce, pour tous les démocrates, les femmes et les hommes de gauche de ce pays, c'est un choc, une bien mauvaise nouvelle, difficile à avaler ".

La gauche, après avoir tant fait de Sarkozy un épouvantail dans l'espoir de rabattre ainsi les voix vers elle, incite maintenant à être catastrophé et pleurer défaite. Et elle n'offre aucune perspective aux travailleurs, si ce n'est de bien voter aux prochaines législatives.

Sarkozy et ses boat people

Sarkozy, candidat de l'UMP et aujourd'hui président de la République, avait chassé sur les terres de Le Pen dans sa campagne, après avoir multiplié les expulsions d'immigrés et roulé des mécaniques sur le plan sécuritaire contre la " racaille " des banlieues, quand il était ministre de l'Intérieur. De quoi cajoler les préjugés réactionnaires, encourager les abus policiers, flatter la morgue de petits patrons qui se croient tout permis. Et à coup sûr, rafler à Le Pen une partie de son électorat.

Pour ce qu'il prépare maintenant, Sarkozy est avant tout l'homme du grand patronat, dans la continuité des politiques des gouvernements précédents dont il a fait partie, sous Chirac. Son programme est un ensemble d'attaques contre les travailleurs préconisées par le Medef (restriction du droit de grève, nouvel allongement de l'âge de départ en retraite, précarisation de tous les contrats de travail...). Des attaques que la candidate socialiste avait mises elle aussi à son programme, en termes plus feutrés.

Après deux jours de vacances à bord du yacht d'une grosse fortune patronale, le nouveau président s'est empressé d'annoncer qu'il était prêt, pour mener à bien la tâche, à repêcher quelques socialistes : Kouchner, Allègre ou autres Védrine. Autre atout qu'il explore pour son jeu : la complicité des chefs du monde syndical, invités dans les bureaux provisoires du futur président, qui en sont sortis fiers d'une attention aussi inédite à leur égard et rassurés ! Aussi bien Thibault de la CGT que Chérèque de la CFDT. Les attaques prévues ne seraient pas engagées sans leur consentement, ou du moins leur consultation ! Ni Thibault ni personne n'a mis clairement et fermement sur le tapis les revendications de salaire et d'emploi de la classe ouvrière.

Le PS, à tribord toute !

Il n'a fallu que quelques minutes après la proclamation des résultats du second tour, pour que la défaite de la gauche sonne l'heure des règlements de comptes au Parti socialiste. Strauss-Kahn a déclenché le tir, proposant en direct à la télé ses services pour une " rénovation social-démocrate " du PS, que ni Hollande ni Royal n'aurait su mener assez loin. À droite toute, donc ! Et Hollande, peu après, de relancer la course poursuite en proposant de jeter par dessus bord l'étiquette socialiste ou même social-démocrate, pour fonder " un grand parti de la gauche " qui couvrirait " Tout l'espace de la gauche jusqu'au centre-gauche ou au centre ". Un parti " démocrate " en quelque sorte, qui rivaliserait avec celui que le second candidat de droite de l'élection présidentielle, Bayrou, tente de fonder.

Quant à Ségolène Royal, la seule réforme qui semble vraiment l'intéresser est celle du calendrier : que le parti la désigne tout de suite comme la candidate pour l'élection de 2012.

Pourtant, si le Parti socialiste a essuyé une défaite, inattendue dans un système voulu d'alternance où gauche et droite se passent grosso modo le relais depuis le début des années 80, au fil des consultations électorales, on ne peut pas l'attribuer au fait que le PS ne se serait pas montré assez à droite.

Forts du succès de la gauche aux élections européennes et régionales de 2004 (élections surtout marquées par une très forte abstention), qui permettait au PS de rafler la présidence de toutes les régions sauf une, et à Ségolène Royal celle de la région Poitou-Charente, les socialistes ont cru leur heure venue. L'usure du pouvoir, le mécontentement engendré par la politique anti-sociale des gouvernements Raffarin et De Villepin allaient automatiquement faire tomber les voix du monde du travail dans leur escarcelle, comme l'écœurement suscité par la politique de Jospin avait valu au PS la cuisante défaite de 2002. Il suffisait de chercher un complément de voix du côté de la droite, ou de la petite bourgeoisie qui fait souvent la différence en basculant d'un côté à l'autre. Sarkozy chassait sur sa droite, Royal aussi, puisant également dans le catalogue réactionnaire, affirmant que les enseignants ne travaillaient pas assez, que les régimes de retraite spéciaux seraient à " remettre à plat " (euphémisme pour ne pas parler de " suppression " comme son adversaire), les 35 heures " assouplies " et les jeunes primo-délinquants confiés à la psychologie des adjudants.

Le résultat n'a pas été à la hauteur des espérances. Malgré cinq ans de pouvoir de la droite, le score électoral totalisé des candidats de droite, classique ou extrême, était au soir du premier tour le plus fort depuis 25 ans : 63,57 % des suffrages, contre 57,13 % en 2002, 59,4 % en 1995, 51,10 % en 1988 et 49,3 % en 1981.

Certes Ségolène Royal s'en est sortie mieux que Jospin en 2002, avec 25,87 %, contre 16,18 %, et deux fois plus de voix que Jospin, vu la forte participation au scrutin cette année. Mais c'est surtout pour avoir acheté, contre des circonscriptions espérées gagnantes aux législatives, les désistements de Chevènement et de Taubira, qui au premier tour de 2002 s'étaient présentés tous deux dans l'espoir que la gauche " ratisse " ainsi plus large (ils avaient obtenu respectivement 5,33 % et 2,32 %). Les pressions au " vote utile " qui éviterait le séisme de 2002, ont apporté à la candidate socialiste une partie des voix que le PC et les écologistes, voire l'extrême gauche avaient eues il y a cinq ans. Tout au moins sur cette dernière a-t-elle récupéré des voix qui s'étaient détournées de Jospin en 2002 pour sanctionner sa politique gouvernementale.

L'espoir était maigre pour la candidate socialiste de combler la différence au second tour en promettant au deuxième candidat de droite, Bayrou, des postes de ministres pour les siens, voire lui-même. Mais qu'à cela ne tienne ! En 2002, il aurait fallu voter Chirac pour éviter Le Pen : on a eu Sarkozy au gouvernement ! Cette année, il aurait fallu voter Royal pour éviter Sarkozy, mais on nous a ensuite servi Bayrou ! L'électorat de celui-ci, n'a pas été suffisamment tenté... Ni Bayrou lui-même, qui ne comptait pas prendre le risque de partager la défaite du PS. Et ne parlons pas des notables locaux de l'UDF dont la grande majorité s'écartent aujourd'hui de leur leader et de son nouveau parti dit centriste, pour assurer leur réélection comme députés à l'ombre de l'UMP.

La promesse de Royal de gouverner avec une partie de la droite, désormais caduque, n'en est pas moins caractéristique des orientations politiques de la gauche.

Le PC, sous la ligne de flottaison ?

Du côté du Parti communiste, Marie-George Buffet avait espéré requinquer son parti par une position - réelle ou supposée - de chef de file du " Non de gauche " au référendum de 2005 sur la constitution européenne. En faire " le " représentant des " non " de gauche. Avec 1,9 % des suffrages exprimés, presque deux fois moins que les 3,4 % de Robert Hue en 2002 et dix fois moins que le PC des années 70, quand Mitterrand s'était appuyé sur lui pour ramener les socialistes au pouvoir, c'est évidemment raté.

La victoire du Non avait été une claque personnelle pour Chirac, qui avait cru jouer fin en utilisant le référendum comme un plébiscite sur son nom, et une pomme de discorde entre PS et PC, voire au sein du PS lui-même. Mais le vent a singulièrement tourné pour les " victorieux " du Non. La droite du Non s'est fait voler ses voix par le candidat de la droite du Oui. Tandis que la gauche du Non a été phagocytée, au nom du " vote utile ", par la gauche du Oui.

Et ce n'est pas parce que la " dynamique du Non " aurait été brisée par la division en ses rangs. C'est aussi parce qu'elle ne représentait rien, ou surtout rien qui puisse aller dans le sens de la combativité. Au contraire, les propagandes des partisans du non de gauche avaient en commun avec celles du non de droite de brandir l'épouvantail d'une Europe qui serait la cause de délocalisations et régression sociale, au risque de ne faire qu'alimenter le chauvinisme. La dénonciation d'une politique anti-sociale qui serait plus dangereuse car décidée à Bruxelles, épargnait en partie le patronat et le gouvernement français, et n'offrait aux travailleurs que l'illusion d'en conjurer le sort par un bout de papier. À l'encontre de tout objectif de lutte, ici et maintenant.

Si glissement politique à droite on peut déplorer, le référendum chiraquien, quelle qu'en ait été l'issue, y a joué son rôle.

Sur le plan politicien, au jeu politique de " qui perd, gagne ", ou plutôt " qui gagne, perd ", on a compté ses abattis au sein de la " gauche du non ". Fabius n'a pas décroché la candidature du Parti socialiste pour les présidentielles. Mélenchon est rentré dans le rang. Bové a cru avoir un meilleur ticket que Marie-George Buffet ou Olivier Besancenot, mais a réalisé un faible score. Sa volonté affichée d'indépendance vis-àvis des partis ne l'a pas empêché de courir derrière la " mission " que Ségolène Royal lui proposait entre les deux tours ! Quant au Parti communiste, du fait que la LCR mettait à l'illusoire candidat commun la condition de ne pas chercher de places dans un gouvernement PS, il en a été réduit à partir en campagne derrière sa dirigeante Marie-George Buffet, mais sous l'étiquette aseptisée d'un rassemblement " de la gauche populaire et antilibéral " dont le PC était la seule composante. Ceux des notables du Parti communiste qui, prévoyant la déconfiture de l'opération et visant des alliances " novatrices " qui leur permettraient de sauver leur siège de député ou de maire, ont choisi d'appeler à voter Bové contre la candidate de leur parti, ne s'en sont pas mieux tirés. À Saint-Denis par exemple, municipalité communiste de la banlieue parisienne depuis fort longue date, dont le chef de file Braouzec a appelé à voter Bové, le Parti communiste n'a recueilli que 4,3 % et José Bové 2 %.

... mais rêve de larguer les amarres

À cette nouvelle déroute électorale du PC, il faudrait, écrit l'Humanité du 10 mai, chercher " des réponses neuves ". Un congrès extraordinaire du Parti est prévu à cet effet pour l'automne prochain. Trop tard pour se recycler d'ici les législatives, où le Parti communiste aimerait bénéficier de la clémence du PS pour sauver quelques sièges au parlement, mais sans grand espoir car le PS en basses eaux sera peu généreux. Assez tôt, espère tout de même le PC, pour se dessiner un meilleur profil d'ici les municipales. Car la perte de nouvelles municipalités atteindrait durement ses finances comme son appareil, et par ricochet l'influence qu'il conserve dans certains milieux populaires.

Mais dans quel sens ce recyclage du Parti communiste ? Tabler sur la combativité de ses militants encore nombreux ? Se préparer à mobiliser le monde du travail, dont officiellement il se réclame, pour réagir aux attaques qui se préparent ? Pas que l'on sache. Comme chaque fois que le PC en prend un coup sur le terrain électoral, et prétend le surmonter en " rénovant ", c'est pour effacer encore un peu du souvenir du parti ouvrier et de combat qu'il fut. Et passer encore davantage dans l'ombre du PS. Les thèmes de réflexion de ce futur congrès devraient être précisés fin juin. L'Humanité insiste qu'il ne faudrait pas qu'il soit, comme au PS, un congrès de règlement de comptes. Même si Robert Hue a commencé à régler les siens... À moins qu'il ne prépare son passage au PS, via sa présence affichée aux côtés de Ségolène Royal, au meeting de Charléty ? Mais à en croire l'Humanité annonçant la préparation du congrès, il pourrait s'agir d'une vaste remise en cause, de l'étiquette communiste au parti lui-même. Pour se sauver du naufrage, le Parti communiste n'aurait plus qu'à se saborder ?

Plus de 5 % pour l'extrême gauche, pas de si mauvais augure pour l'avenir

Tandis que l'électorat du PC est tombé à 1,9 %, celui des Verts à 1,6 % et Bové à 1,3 %, celui de l'extrême gauche atteint les 5,4 %, du moins si on additionne les voix d'Arlette Laguiller (1,33 %) et d'Olivier Besancenot (4,08 %). Ce qui est légitime dans la mesure où leurs axes de campagne, si ce n'est leur style, étaient similaires. Le même programme, les mêmes mesures d'urgence pour la classe ouvrière popularisées déjà en 1995 par Arlette Laguiller - et reprises déjà par Olivier Besancenot en 2002 : interdiction des licenciements, contrôle des compte des entreprises, augmentation générale des salaires (300 e pour tous et smic net à 1 500 e tout de suite), arrêt des subventions et dégrèvements de charges pour le patronat et embauche dans les services publics... Un programme qui se veut celui des luttes de demain.

Certes, le total des scores de LO et de la LCR est bien en dessous des 10 % de 2002. Mais ceux-là étaient une exception, avec un vote sanction de la politique de Jospin. Nombre d'électeurs PC ou PS qui avaient manifesté leur mécontentement en votant pour Arlette ou Olivier, sont revenus au bercail et retournés plus probablement au PS qu'au PC. On retrouve cette année, malgré la pression dudit " vote utile ", un résultat analogue aux 5,3 % recueillis par notre camarade Arlette Laguiller en 1995 (alors seule candidate), avec son " programme d'urgence " pour les travailleurs.

D'anciens électeurs d'Arlette ont choisi cette fois de voter pour " le facteur " qui, à leurs yeux, défendait le même programme et leur semblait une " relève " plus jeune. Un sondage à la sortie des urnes de l'organisme CSA fait état de ce transfert de voix : dans son échantillon, il aurait trouvé 10 % d'électeurs d'Arlette de 2002, qui ont voté pour Olivier Besancenot en 2007. L'érosion du " vote utile "... ou prétendu tel par rapport aux électorats de 2002 des candidats de LO et de la LCR a probablement été semblable : le même sondage de CSA aurait évalué à 27 % le nombre d'électeurs d'Arlette Laguiller en 2002 qui auraient cette fois voté PS et 9 % qui auraient voté PC, contre respectivement 37 % pour le PS et 2 % pour le PC parmi les électeurs de 2002 d'Olivier Besancenot. Des chiffres qui ne donnent bien sûr qu'une vague indication, vu la faible taille des échantillons.

Soulignons enfin que la présence de José Bové dans ce scrutin permettait de voter pour lui à tous ceux qui, parmi les altermondialistes, rejetaient les " partis ", l'étiquette communiste, voire un programme trop tourné vers des revendications ouvrières. Elle rendait de ce fait plus clair le sens du vote pour l'extrême gauche.

Les campagnes d'Olivier Besancenot et d'Arlette Laguiller se sont ressemblées, pour le meilleur et pour le moins bon. Nous avons regretté une atténuation, dans la campagne de notre organisation, des critiques envers la gauche. Certes, c'est certainement la droite et les gouvernements sortants qu'il était juste de cibler en priorité. Mais sans édulcorer ce que s'apprêtait à faire la gauche. Or pourquoi évoquer dans des affiches une " gauche molle ", " trop faible avec le patronat " ? Ladite gauche, au service du patronat, n'avait pourtant jamais manqué, lors de ses passages au pouvoir, d'avoir une attitude ferme... contre les classes populaires ! De même pourquoi présenter notre programme comme des mesures qui devraient être celles d'un " gouvernement ou d'une présidence vraiment socialiste " ? Laissant entendre qu'un tel gouvernement hypothétique serait notre souhait. Jusque-là, les ambiguïtés " pédagogiques " étaient le fort de la LCR, et Lutte Ouvrière avait coutume et raison de les souligner. L'appel à voter au second tour pour Ségolène Royal, formulé à peine les résultats du premier tour annoncés, avant même d'avoir une idée des réactions des milieux populaires (ceux dont nous nous voulons solidaires justement), avant aussi de voir quelle politique Royal allait développer (et on sait maintenant que c'était : encore plus à droite, toute), a lui aussi tranché avec la fermeté passée de Lutte Ouvrière. Certes, toutes les tactiques sont envisageables. Arlette Laguiller a précisé qu'il n'y avait à ce deuxième tour " aucun vote utile pour les travailleurs ", que c'était " sans illusion " et " par solidarité avec tous ceux qui, dans les classes populaires, déclarent préférer " tout sauf Sarkozy ". Mais là justement on peut plus que douter que c'était opportun et juste pour préparer l'avenir qui était, est et sera (comme LO l'écrit d'ailleurs) de se préparer à lutter... quelle que soit la couleur du gouvernement, droite ou gauche. Or jamais dans une campagne passée, la gauche n'avait semblé à ce point sœur jumelle de la droite : choisissant pratiquement les mêmes thèmes que Sarkozy ; palabrant entre les deux tours avec l'UDF de Bayrou. Et les jours qui ont suivi le deuxième tour sont venus corroborer que c'est la gauche elle-même qui arrive de plus en plus difficilement à se distinguer de la droite, témoin cette petite brochette de " personnalités " socialistes, mais non des moindres, pour qui le " Tout sauf Sarkozy " vient de se muter en un ralliement, au nom du... " tout sauf être écarté du pouvoir ".

Mais l'essentiel est que nos campagnes électorales, la nôtre et celle de la LCR, aient réussi à populariser ces mesures d'urgences, ces revendications fondamentales du monde du travail qui pourraient être le programme des luttes de demain. Comme il a été marquant que, pendant la campagne, certaines luttes aient montré que les travailleurs n'étaient pas prêts à se laisser faire, voire prêts à prendre l'offensive sur des objectifs communs à tous, comme la grève des ouvriers de PSA Aulnay-sous-Bois qui, même si elle n'a pas été victorieuse, a montré que la lutte pour l'augmentation générale des salaires, 300 € pour tous, était à l'ordre du jour. Et il est important que sur un tel programme une fraction non négligeable des électeurs, sourde aux sirènes du " vote utile ", se soit reconnue.

Il faut continuer à le propager. Les prochaines élections législatives en seront l'occasion. Il eût été préférable de le faire ensemble LO et LCR, et pas forcément impossible (cela l'est bien, à titre exceptionnel dans un département, la Haute-Savoie). En tout cas il eût été juste que nous le proposions à la LCR, même si, sur le plan politique, les principales divergences demeurent entre les deux organisations : c'est sur le terrain de la lutte de classe et d'efforts pour faire naître un parti révolutionnaire et communiste de la classe ouvrière que l'extrême gauche doit s'orienter et qu'il y a des propositions à faire à nos camarades de la LCR plutôt que de laisser leur organisation garder pour cap la construction (illusoire qui plus est !) d'une " gauche de la gauche " large, " anti-libérale, féministe et écologiste " qui offrirait surtout à des politiciens de la gauche classique, de mouvance PC, PS ou Verts (on l'a vu avec le rassemblement hétéroclite de la gauche du Non) l'occasion de remettre sur la table des formules usées et trompeuses. Si cela se faisait, qu'au moins ce ne soit pas à l'initiative de l'extrême gauche !

Préparer les luttes de demain

Il s'agit maintenant de préparer le monde du travail aux luttes contre les attaques qui l'attendent de la part du nouveau gouvernement de Sarkozy et de lui donner des perspectives politiques, autres que de sauver à la gauche ses postes de députés pour soi-disant faire contre poids à Sarkozy.

Le gouvernement de Sarkozy qui se met en place ne sera pas forcément une droite " plus dure, antilibérale et revancharde " que ne l'étaient déjà les gouvernements Raffarin ou Villepin. Elle le sera autant. Et avec les mêmes hommes, sauf les recalés pour réduction d'effectifs (15 ministres seulement), pour ouverture aux femmes et aux transfuges de la gauche. Ce sera un gouvernement qui se prétendra fort, mais ne le sera pas plus que le gouvernement Villepin et son ministre de l'intérieur Sarkozy quand les jeunes descendus dans la rue l'ont fait se déballonner sur le CPE.

Le programme d'attaques contre la classe ouvrière est annoncé, dans la droite ligne de celles des gouvernements précédents, et va s'accélérer maintenant que, pour cinq ans, les échéances électorales nationales sont passées. Et il faut bien voir que, pour les mener à bien, Sarkozy utilisera toutes les démagogies et s'efforcera, quitte à en prendre un peu le temps, d'y associer les syndicats, ou une partie d'entre eux, voire d'amadouer les partis de gauche ?

Sur l'immigration ? Il risque, bien sûr de continuer les expulsions qui lui servaient de démagogie électorale, et contre lesquelles il faudra continuer à se mobiliser. Mais il pourra tabler sur le fait que la gauche elle-même n'est pas pour la régularisation de tous les sans papiers et partisane d'une limitation choisie de l'immigration. Sur la politique étrangère ? Il la fera couvrir par le " French Doctor " (un partisan de l'intervention militaire américaine en Irak). Et l'un de ses premiers gestes le jour de son intronisation, de faire lire dans toutes les écoles une lettre d'un jeune résistant exécuté, membre du Parti communiste, lui a même valu les félicitations de Marie-George Buffet. Mieux pour cultiver le patriotisme que le drapeau tricolore de Ségolène Royal !

Son premier ministre Fillon est le même qui avait été chargé par Raffarin de négocier avec les syndicats la réforme des retraites et de la sécurité sociale et avait obtenu la signature d'une partie d'entre eux, l'absence de réaction des autres, qui s'en seraient aussi accommodés si, notamment pour les retraites, la contestation n'était pas venue de la base ; sous l'impulsion d'ailleurs, en ce qui concerne les enseignants en 2003, de militants d'extrême gauche. Il prépare une nouvelle attaque contre les retraites, en commençant par les régimes spéciaux.

À son programme aussi, la limitation du droit de grève. Là également, même tactique : Sarkozy lui-même vient de promettre aux syndicats de ne pas le faire sans les consulter, remercié par Chérèque qui a donné en exemple la limitation du droit de grève à la RATP que son syndicat a contribué à mettre en place. Et pour faire passer la pilule, pour justifier aux yeux du grand public la limitation du droit de grève, Sarkozy propose comme première étape l'instauration du service minimum dans l'éducation, qui obligerait les écoles à accueillir les enfants les jours de grève.

Il ne faudra pas compter pour organiser la riposte, sur les dirigeants syndicaux qui se sont précipités dans le bureau de Sarkozy. Ni sur les dirigeants de gauche qui argueront de leur trop faible présence au parlement (faute aux électeurs !) pour mener la valeureuse bataille des amendements et prônera d'attendre jusqu'en 2012 la victoire d'une gauche recentrée.

La riposte ne pourra venir que des travailleurs. C'est à nous d'y contribuer, en continuant, et mieux vaut si possible ensemble LO et LCR, à propager le programme de défense des travailleurs que nous avons défendu dans la campagne électorale des présidentielles. En nous adressant aussi pour cela à tous les militants ouvriers combatifs : ceux du PC qui ont gardé leurs valeurs de lutte de classe et leur " compréhension du monde " mais que le prochain congrès devrait, à en croire L'Humanité remettre en cause ; aux militants ouvriers combatifs qui ne se reconnaissent peut-être plus dans aucun parti mais ne sont pas plus aveugles face aux atermoiements ou aux trahisons de leur propre direction syndicale.

18 mai 2007