En portant coup après coup contre les classes populaires, le gouvernement se comporte ouvertement comme le bras armé du grand patronat.
Longue est la liste des lois et des mesures prises par le gouvernement contre les salariés et les couches les plus pauvres de la population et elle s'allonge de jour en jour. Malgré sa chute dans les sondages, le gouvernement Chirac-Raffarin essaie de faire passer en force toutes les mesures que le patronat lui demande. Et il en rajoute car, au-delà de l'exécution des exigences du grand patronat, il veut plaire à cette petite bourgeoisie réactionnaire qui constitue sa base électorale. Il sait évidemment que sa politique ne lui vaudra aucune sympathie parmi les salariés, les retraités, les chômeurs, victimes directes des mesures gouvernementales. Ce qui le préoccupe en conséquence, c'est de ne pas perdre du côté de l'électorat de droite au profit de l'extrême droite lepéniste. D'où la démagogie sécuritaire de Sarkozy. D'où toutes les mesures abjectes qui, à une période où avec l'extension du chômage s'étend également la pauvreté, visent à criminaliser les pauvres. D'où les petites phrases semées par les ministres, présentant les chômeurs comme des fainéants. Et il n'y a pas que les phrases: il y a aussi les mesures comme le raccourcissement de la durée d'attribution spécifique de solidarité. Mesure de pure démagogie en direction de l'électorat réactionnaire, mais qui se traduira par des conséquences catastrophiques pour ceux qui en seront les victimes. D'où aussi l'offensive subite contre la loi Aubry, dite des 35 heures. Cette loi comporte bien plus d'avantages pour le grand patronat que pour les salariés: une flexibilité plus grande des horaires, des cadeaux importants au détriment de la caisse de Sécurité sociale et du budget de l'µ. Malgré la déclaration du baron Seillière, les grandes entreprises ne tiennent nullement à ce que la loi soit purement et simplement abrogée - aussi le gouvernement ne l'abrogera-t-il pas. Mais il se prépare à supprimer les quelques avantages qu'elle contient pour certaines catégories de travailleurs. Et, surtout, là encore, la loi est prétexte à une débauche de démagogie anti-ouvrière sur le thème de la "France qui ne travaille pas assez". Venant des représentants politiques d'un grand patronat qui multiplie les plans de licenciements, au point que le taux de chômage est en voie de dépasser de nouveau les 10%, ce langage est une véritable provocation.
Malgré la morgue qu'il affiche, le gouvernement est pourtant fragilisé. Le nombre de voix obtenu par Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle grâce à la couardise de la gauche a certes donné à l'UMP, le parti de Chirac, la majorité absolue au Parlement. C'est cependant la majorité elle-même qui est fissurée. Il n'y a pas que l'UDF de Bayrou, associée en principe à la majorité, qui rue dans les brancards et qui critique la politique gouvernementale. Les voix discordantes du côté de l'UMP elle-même rendent la position du gouvernement plus fragile, au point que l'hypothèse d'un remaniement ministériel avant même les élections régionales est de plus en plus souvent évoquée par la presse. Comme quoi il ne suffit pas d'avoir une majorité écrasante au Parlement! Le gouvernement paye son attitude face aux mouvements sociaux du printemps et de l'été, comme d'ailleurs face aux conséquences catastrophiques de la canicule.
Car la grève du personnel de l'éducation nationale, les manifestations contre les atteintes aux retraites, prolongées par celles des intermittents du spectacle, ont commencé à le déstabiliser. Le mouvement n'a pas été assez puissant, assez ample pour faire reculer le gouvernement. Mais, finalement, le gouvernement ne s'en sort pas sans dégâts. Et, s'il n'y a pas eu en septembre une rentrée sociale chaude, il y a une accumulation de mécontentements dans la population.
La gauche réformiste essaie de capitaliser ces mécontentements pour en tirer profit lors des échéances électorales à venir.
Le Parti socialiste se pose comme le seul représentant d'une alternative au gouvernement actuel. Mais il aura du mal à faire oublier que c'est le gouvernement socialiste qui a préparé le terrain pour le retour de la droite. Pas seulement en raison de son attitude au deuxième tour de l'élection présidentielle, où il a appelé à voter pour Chirac sous prétexte de faire barrage à Le Pen alors que celui-ci n'avait strictement aucune chance d'être élu, même si Chirac n'avait dû recueillir que les voix de la droite. Mais, plus encore, en raison de toute sa politique pendant cinq ans. Une politique faite, déjà, d'une succession de mesures en faveur du grand patronat et au détriment des travailleurs, qui a contribué à dégoûter l'électorat traditionnel de la gauche au point que Jospin et Hue ont perdu quatre millions d'électeurs par rapport à leurs scores habituels. La droite n'a eu qu'à recueillir l'héritage et prolonger, en l'aggravant le cas échéant, une politique déjà engagée. Nombre de mesures prises par Raffarin ont été préparées par les fonctionnaires des ministères au temps de Jospin.
Or, un an et demi après avoir été écartés du gouvernement, les dirigeants socialistes n'ont toujours pas fait le bilan de leurs cinq ans à la tête du gouvernement. Ils n'ont toujours pas reconnu avoir subi une défaite électorale sévère pour avoir mené une politique anti-populaire. Ils n'ont toujours pas discuté en public devant l'électorat quelles sont les mesures qu'ils n'auraient pas dû prendre ou, au contraire, celles qu'ils auraient dû prendre et qu'ils n'ont pas prises.
Dans ces conditions, la seule chance de la gauche ex-plurielle dans les élections régionales et européennes qui viennent, c'est le gouvernement lui-même qui la lui offre. La politique de ce gouvernement vise tellement ouvertement à écraser les salariés et les couches populaires les plus pauvres qu'une partie de l'électorat qui s'est abstenue lors de la présidentielle pensera peut-être que la gauche est moins pire que la droite. Ce en quoi elle se tromperait. Car, si la droite peut être aujourd'hui aussi cyniquement anti-ouvrière, c'est qu'elle profite de la situation créée par la gauche elle-même. Et il est significatif que, même dans l'opposition, le Parti socialiste se garde bien de promettre que, s'il revenait au gouvernement, son premier acte serait de considérer les mesures du gouvernement de droite contre les classes populaires comme nulles et non avenues et qu'il les supprimerait.
Quant au Parti communiste, il n'est pas dit que sa cure d'opposition lui permette de regagner le crédit qu'il a perdu. Là encore, c'est évidemment la politique du gouvernement de droite qui lui donne les arguments pour essayer de capitaliser à son profit le mécontentement qui monte. Sa direction essaiera-t-elle de démontrer qu'il a réussi sur ce terrain, au moins dans une certaine mesure, en présentant aux régionales des listes séparées du Parti socialiste? L'avenir le dira.
Il y a évidemment des arguments en faveur de ce choix. La seule chance pour le Parti communiste d'être agréé par le Parti socialiste comme allié privilégié est qu'il démontre qu'il conserve une certaine influence dans les milieux populaires et sur une frange significative de l'électorat. Mais la démonstration pourra se retourner contre la direction du Parti communiste elle-même. Aussi, une partie au moins des dirigeants estime, par conviction politique ou par tactique électorale, qu'il vaut mieux que le Parti communiste et le Parti socialiste se présentent ensemble, pour que le Parti communiste conserve un certain nombre d'élus, notamment dans les conseils régionaux. Mais que le Parti communiste choisisse, dans les élections régionales qui viennent, de se présenter seul ou noyé dans des listes établies par le Parti socialiste n'est qu'un choix tactique. Et c'est bien là le fond du problème. L'une comme l'autre des deux tactiques sont destinées à servir une stratégie qui, elle, vise l'alliance avec le Parti socialiste. Car l'alliance avec le Parti socialiste - ce qui signifie une soumission au Parti socialiste et l'alignement derrière la politique qu'il mènera si, d'aventure, il se retrouve de nouveau à la tête du gouvernement - est la seule politique que la direction du Parti communiste a à proposer à ses militants, qui méritent mieux.
Cette situation de la gauche réformiste donne lieu à toutes sortes de manœuvres de couloir, dont certaines ont été portées devant l'opinion, comme la rencontre tenue au restaurant parisien Ramulaud, regroupant un certain nombre de personnalités issues aussi bien du Parti socialiste - parmi lesquelles des notables du Parti socialiste, notamment des ex-ministres - que du courant chevènementiste, des Verts et du Parti communiste, voire certaines individualités se réclamant de l'extrême gauche. Cette tentative est présentée comme destinée à rechercher une alternative à l'intérieur même de la gauche. Avec la déconsidération du gouvernement Jospin, un créneau s'est ouvert en effet devant des politiciens de gauche en mal de se débarrasser de "l'inventaire" des cinq années de Jospin: se présenter comme en rupture avec la politique poursuivie par Jospin et, plus généralement, en rupture par rapport à la politique des gouvernements socialistes qui, rappelons-le, ont été au pouvoir pendant quinze ans sur les vingt-et-une années passées.
C'est ainsi que, dans le passé, la trahison par la SFIO de sa promesse de terminer au plus vite la guerre d'Algérie et la déconsidération qui s'en était suivie avaient engendré le PSU. C'est ainsi encore que le nouveau Parti socialiste, né au congrès d'épinay sous l'égide de Mitterrand, était censé représenter une alternative à la vieille SFIO qui, après sa trahison sur la question de la guerre d'Algérie, avait piteusement capitulé devant de Gaulle.
L'affaire Ramulaud ne mériterait qu'un sourire amusé si elle n'était pas l'amorce d'une tentative visant à redorer le blason de la gauche réformiste pour la rendre un peu plus crédible aux yeux de l'électorat afin de reprendre, lors d'un retour éventuel au gouvernement, la même politique que celle menée par feu la gauche plurielle. Si elle échoue, des tentatives de ce genre-là, il y en aura d'autres. Mais, toute tentative présentée avec pour objectif de "construire une alternative à gauche en rupture avec le social-libéralisme" ou d'accoucher "d'une véritable opposition de gauche" sera inévitablement une tentative de réhabilitation d'une gauche en faillite, sous une autre étiquette. Que cette tentative s'amorce à partir de la rencontre de Ramulaud ou à partir d'autre chose, elle ne mérite pas la moindre confiance car ceux qui y participent trahiront les intérêts des travailleurs.
Il n'y a rien à attendre d'une recomposition de la gauche réformiste. L'expérience au moins des trente dernières années - mais, en réalité, bien au-delà - montre qu'il n'y a plus de place pour une politique réformiste au sens ancien du terme, c'est-à-dire d'un gouvernement de gauche au service de la bourgeoisie, certes, mais accordant quelques avantages aux travailleurs.
Ce que des gens comme ceux de la tentative Ramulaud appellent le "social-libéralisme" du gouvernement n'est pas un accident. Le grand patronat ne tolère plus aucune autre politique de "réformes" que celle qu'a menée Jospin, que mène encore aujourd'hui Blair et qui consiste, comme pour Raffarin, à appeler politique de "réformes" une politique servant les intérêts du grand patronat.
Chercher dans ces conditions une alternative pour la gauche à l'intérieur de la gauche, c'est cautionner des équipes de politiciens qui n'ont rien à faire de la défense des intérêts des travailleurs et qui, s'ils étaient au pouvoir, y mèneraient une politique proche de celle menée par le gouvernement Chirac-Raffarin aujourd'hui.
S'associer à ce genre de tentative, c'est s'associer à une entreprise de tromperie.
La seule "alternative politique" favorable aux travailleurs, c'est qu'ils retrouvent confiance en leurs propres forces et qu'ils pèsent eux-mêmes, par leurs actions collectives, sur le pouvoir politique de la bourgeoisie. Tout autre projet d'"alternative politique" n'est qu'entreprise de mystification.