Organiser la riposte contre le chômage, rassembler le camp révolutionnaire

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Janvier 1999

Texte de la minorité

Malgré l'optimisme de commande affiché tour à tour par le gouvernement, les patrons, les politiciens ou les médias, la situation des classes laborieuses n'a pas connu d'amélioration sensible durant l'année écoulée. Le très léger recul du nombre officiel de chômeurs est contrebalancé, et même au-delà, par l'augmentation de celui des travailleurs précaires.

Les fléaux du chômage et de la précarité sévissent donc toujours aussi durement. Ils pèsent directement sur les trois millions de chômeurs complets ; sur les quatre millions de chômeurs intermittents ou partiels (CDD, intérimaires, temps partiels involontaires) ; sur les dizaines de milliers de travailleurs dont l'entreprise a un plan de réduction d'effectif et de licenciements en route ; sur les familles ouvrières (probablement la grande majorité d'entre elles) qui ont un ou plusieurs membres eux-mêmes au chômage ou en statut précaire. Mais ils pèsent aussi, même si c'est moins directement, sur tous les autres travailleurs par la pression exercée pour faire accepter des conditions de travail plus dures (flexibilité des horaires, intensité du travail accrue), et des salaires réels moindres. Sous couleur de diminution du temps de travail, la loi Aubry sur les 35 heures n'est rien d'autre que la codification de cette pression. Le chômage est bien aujourd'hui le trait dominant de la condition de vie des prolétaires de ce pays, de l'industrie comme des services, ouvriers comme employés, sans qualification comme techniciens.

Il est remarquable qu'un changement sensible dans la situation économique n'ait rien changé à la situation sociale, rien changé aux niveaux du chômage et de la précarité. La légère reprise qui a eu lieu en France depuis un an a sans doute bénéficié à une partie des couches petites-bourgeoises dont le niveau de vie s'est amélioré. Elle a bénéficié surtout aux capitalistes dont les profits, qui n'avaient déjà pas cessé de croître dans les années précédentes de relative stagnation, ont pris un nouvel essor. Pour l'essentiel les "plans sociaux" et l'annonce de nouveaux licenciements ou réductions d'effectif ne sont pas le fait d'entreprises en difficulté mais des groupes des plus importants et des plus prospères. La plupart des usines fermées ces derniers temps ne l'ont pas été parce qu'elles perdaient de l'argent, mais parce qu'elles n'en gagnaient pas assez aux yeux de leurs actionnaires. Là où les nécessités d'une production en augmentation exigeaient l'embauche de nouveaux travailleurs, ceux-ci l'ont été en CDD ou en intérim. L'industrie phare qu'est l'automobile en est l'illustration la plus frappante, avec par exemple Renault, dont la production s'est envolée grâce à l'emploi massif de travailleurs précaires alors qu'il licenciait (Vilvorde) ou réduisait ses effectifs propres. S'il fallait encore une démonstration qu'en ce moment ce ne sont pas les difficultés économiques mais la seule volonté d'accroître les profits qui pousse les capitalistes à aggraver l'exploitation de toutes les façons possibles, nous l'avons sous les yeux.

A la période d'euphorie dite des "trente glorieuses" a succédé, depuis le milieu des années soixante-dix, une nouvelle période, durant laquelle les contradictions du monde impérialiste, anciennes ou nouvelles, ont été plus marquées et plus apparentes, provoquant une série de crises diverses et successives. Pourtant, à travers les phases de récession, de stagnation ou de reprise qui se sont succédées, ou encore les crises financières ou (cet automne encore) les krachs boursiers, petits ou grands, les profits n'ont au bout du compte cessé de croître. Vue rétrospectivement, il est évident que la crise ou plutôt les crises, à commencer par la crise pétrolière d'il y a vingt-cinq ans, ont surtout permis d'utiliser les contradictions et les conflits inhérents au système capitaliste pour justifier idéologiquement et politiquement la guerre de classe exacerbée livrée par la bourgeoisie.

Les difficultés économiques, réelles ou amplifiées à dessein, ont d'abord servi de prétexte à la classe capitaliste, en France comme à l'échelle internationale, pour justifier les tours de vis qui permettaient de tirer toujours davantage de la classe ouvrière. La constitution d'une énorme armée industrielle de réserve, non seulement à l'échelle de la planète mais au sein même des pays développés, la précarité toujours accrue des conditions de vie du prolétariat, la remise en cause constante des améliorations ou des acquis précédents font bien l'essence du capitalisme. Si la lutte des classes exploitées ne l'y contraint pas, la bourgeoisie n'a aucune raison de modifier les règles, le régime et une situation qui assurent son maximum de prospérité.

Il est remarquable aussi que le changement politique, intervenu en France depuis un an et demi, n'ait pas non plus eu le moindre impact sur la situation sociale. Une nouvelle fois, l'arrivée de la gauche au gouvernement n'a pas modifié l'action de celui-ci, ni rétabli, ne serait-ce que dans une petite mesure, la balance en faveur des classes exploitées. Les promesses électorales immédiatement oubliées comme d'habitude, le gouvernement Jospin est dans la droite ligne de son prédécesseur Juppé sur tout ce qui peut être essentiel. La poursuite de la réforme de la Sécurité Sociale, y compris les menaces maintenues sur les régimes des retraites, à l'origine pourtant de la grève des cheminots et des services publics de 1995, n'est certainement pas la seule occasion de baptiser du nom de Juppin ou Jospé un gouvernement qui, tout comme son prédécesseur, continue les privatisations, telles celles d'Air France ou des Télécoms, accepte les plans sociaux et les réductions d'effectifs, dans des entreprises dépendant de l'Etat comme dans le privé, aux arsenaux comme aux Chantiers du Havre, maintient les subventions au patronat, sous le sempiternel prétexte de préserver l'emploi... ou sans prétexte.

Les zélateurs trop enthousiastes ont beaucoup parlé de la "méthode Jospin", qui permettrait de dissiper les malentendus et surmonter les difficultés dans lesquelles son prédécesseur s'était enlisé. Si le mot a un sens, ce n'est rien d'autre que la bonne vieille recette qui consiste à se servir de son étiquette de gauche, et du préjugé favorable qu'elle entraîne dans le monde du travail et surtout chez les organisations politiques ou syndicales qui prétendent représenter celui-ci, pour faire passer et accepter les mesures qui auraient normalement suscité la méfiance, voire une levée de boucliers, venant d'un gouvernement de droite. En cette fin d'année 1998 les mêmes qui s'émerveillaient s'inquiètent : la "méthode Jospin" s'émousserait. Il conviendrait peut-être davantage de s'émerveiller qu'elle ait pu faire illusion même un temps et que la chance ait accompagné Jospin pendant un an et demi.

Car ce gouvernement de gauche n'a même pas le prétexte, habituel à la gauche gouvernementale, d'être venu aux affaires à un moment de difficultés aggravées. La reprise économique est elle-même arrivée presque en même temps que Jospin à Matignon. Mais cette heureuse coïncidence, totalement indépendante de l'action d'un Premier ministre pas plus responsable de cet événement que de l'autre (dû à la "gaffe" de Chirac dissolvant sans y être vraiment obligé une assemblée nationale à majorité de droite), ne lui a pas servi à desserrer l'étau du chômage. La reprise est le prétexte pour les ministres de multiplier les avertissements aux travailleurs à ne pas compromettre la croissance par leurs revendications.

Jospin n'a même pas osé, ou pas voulu, se saisir de la victoire inespérée de l'équipe nationale dans la Coupe du Monde, de son envolée subséquente dans les sondages, bien injustifiée mais qu'importe, et du battage sur les prétendues capacités d'intégration de la France, pour faire le geste attendu, et promis, envers les sans-papiers. Plutôt se laisser tourner sur la gauche par Pasqua lui-même, que de donner l'image d'un homme prêt à saisir une chance d'être fidèle à ses promesses envers les plus opprimés ! Le poids grandissant de l'extrême-droite (même si c'est jusqu'ici dans les urnes seulement) ne l'a pas incité non plus à prendre la seule voie qui permettrait réellement de la combattre : s'attaquer aux difficultés sociales de la population. Tout comme Mitterrand l'avait fait en son temps, la gauche gouvernementale préfère, plutôt que les combattre réellement, utiliser les épouvantails de Le Pen ou Mégret pour tenter de rallier derrière elle tous ceux qui sont sensibles au danger qu'ils pourraient représenter, notamment une partie de la jeunesse, et s'en servir pour ses jeux politiciens et électoraux.

En fait l'énorme chance de Jospin c'est d'avoir à sa botte une gauche plurielle, qui n'en revient toujours pas d'être revenue aussi vite au gouvernement : le PS bien sûr, mais aussi les Verts et le PCF. Et derrière cette gauche des confédérations syndicales qui, quelles que soient leurs critiques ou réserves obligées, ne veulent pas le gêner, ou même entendent profiter du passage de la gauche aux affaires pour gommer ce que leur image pourrait encore avoir de radical, comme le prouve le recentrage annoncé de la CGT et son rapprochement de la CFDT, recentrée elle-même à l'occasion d'un gouvernement de gauche précédent.

Dans ces circonstances il y a pour Lutte Ouvrière, et pour le mouvement communiste révolutionnaire, non seulement une place à prendre sur l'échiquier politique mais surtout des possibilités d'intervention dans la lutte de classe. A condition de maintenir une opposition déterminée à la bourgeoisie et à tous ses représentants, gouvernement compris évidemment, de gauche comme de droite, ouverts ou déguisés. A condition aussi de jouer son rôle de parti et d'oser proposer des perspectives d'action et de combat à l'ensemble du mouvement ouvrier.

Les résultats d'Arlette Laguiller aux élections présidentielles de 1995 et ceux de Lutte Ouvrière aux élections régionales de 1998 ont montré qu'une fraction des travailleurs et de la population regardaient vers l'extrême-gauche quand celle-ci maintenait des positions intransigeantes et sans compromission. Bien plus, une fraction des militants ou des ex-militants du PCF, des militants syndicalistes, des travailleurs politisés, placés devant le choix entre la "gauche plurielle" et LO, ont préféré finalement porter leur voix sur cette dernière. Ces électeurs ne sont pas plus la propriété de notre organisation que de leur parti précédent, leur préférence peut être momentanée et circonstancielle. Mais le fait qu'une fraction des travailleurs et des militants prêtent assez d'attention à ce que dit notre organisation et le montrent par un geste politique, ne serait-ce qu'électoral, ouvre à celle-ci, et à toute l'extrême-gauche (celle en tout cas qui peut se retrouver sur quelques positions intransigeantes essentielles), des perspectives nouvelles sur la scène politique et sociale.

L'accord LO-LCR en vue de présenter une liste commune pour les prochaines élections européennes, sur la base du projet de profession de foi déjà publié, est un sérieux pas en avant. D'abord parce qu'il peut permettre à l'extrême-gauche, sur la base d'un programme d'urgence contre le chômage, sur la base aussi d'une opposition déterminée à ce gouvernement, d'envoyer au parlement européen plusieurs députés trotskystes, de faire une nouvelle percée politique et d'augmenter sa crédibilité électorale et politique. Ensuite parce qu'il prouve, en tout cas aux yeux de la fraction des travailleurs et militants qui regardent vers nous, que les trotskystes ne sont pas voués pour l'éternité à leurs guerres intestines mais sont capables d'agir comme une force unique quand ils se trouvent d'accord sur l'essentiel. Enfin parce qu'il renforce l'existence et la crédibilité d'un camp révolutionnaire, clairement distinct et opposé non seulement à l'extrême-droite et à la droite, bien sûr, mais aussi à la gauche.

Cet accord a été voulu et proposé par LO à la suite des élections régionales du printemps dernier. Avec lui, et pour l'heure, la LCR est ramenée sans ambiguïté dans le camp de l'extrême-gauche, quelles qu'aient été ses raisons d'abandonner la recherche d'alliés au sein de la gauche plurielle. Sa conclusion sera un succès politique pour notre organisation. Il souligne l'intérêt et la possibilité pour Lutte Ouvrière d'avoir une politique vis-à-vis des autres groupes et courants de l'extrême-gauche révolutionnaire, ce que depuis des années elle se refusait à faire. Par politique il faut entendre la volonté d'explorer systématiquement les terrains sur lesquels les convergences seraient plus importantes que les divergences et permettraient de proposer actions ou activités communes. C'est ce que nous venons de faire avec la LCR à propos des élections européennes. C'est dans cette voie que nous devons continuer, et pas seulement au plan des élections.

Le plan d'urgence qui, sous cette appellation ou une autre, est mis en avant par notre organisation depuis plusieurs années maintenant, est plus que jamais d'actualité. Il présente les principaux objectifs immédiats qui devraient être ceux du mouvement ouvrier pour faire face à la menace primordiale du chômage. Si ce programme recueille dans ses grandes lignes l'approbation de bien des travailleurs et des militants, ce n'est pas le seul fruit de l'agitation de Lutte Ouvrière, mais parce qu'il s'impose presque de lui-même à tous ceux qui voudraient changer radicalement la condition actuelle du monde du travail : interdiction des licenciements, réquisition des entreprises qui licencient, budget de l'Etat consacré en priorité au développement du service public et non plus à subventionner les patrons, augmentation des salaires, retraites et minima sociaux, contrôle des travailleurs et de la population sur les comptes publics et privés.

Ce programme est au coeur de la profession de foi, et sera donc au coeur de la campagne commune LO-LCR pour les prochaines élections européennes. C'est parfaitement juste. Mais l'urgence et la gravité de la situation n'exige pas seulement une agitation, une propagande, des campagnes, électorales ou autres, en faveur de ce programme. Il faut les compléter par une agitation, une propagande, des campagnes sur les moyens qui permettront de l'imposer : la réunion de toutes les forces, inemployées faute de perspective ou dispersées actuellement dans d'innombrables batailles particulières, pour en faire une force unique qui permettrait de l'emporter en un combat général, les grèves convergeant vers la grève générale, les luttes devenant la lutte d'ensemble de tous les exploités.

Il est significatif que tous les mouvements sociaux, toutes les luttes de l'année passée, par-delà la particularité des revendications, aient toutes tourné autour du même problème fondamental, sinon tendu vers le même objectif. Les plus marquantes ou les plus spectaculaires : grève des enseignants de Seine-Saint-Denis pour des postes de profs supplémentaires, grève des pilotes d'Air France pour le maintien du nombre et des conditions de travail des navigants, grèves multiples de la SNCF pour l'augmentation des effectifs cheminots, grèves tout aussi nombreuses des conducteurs de bus pour plus de sécurité et davantage d'agents dans les transports en commun. Mais aussi les innombrables grèves plus localisées ou moins médiatisées contre des plans sociaux, des licenciements, des fermetures d'usines, l'augmentation des cadences, la flexibilité des horaires, ou encore pour des effectifs supplémentaires ou l'embauche de précaires, etc. Et pas seulement les mouvements dans le cadre des lieux de travail, mais aussi ceux hors des entreprises : le mouvement des chômeurs durant les premiers mois 1998 pour le relèvement des minima sociaux, voire le droit au travail ; celui des lycéens, il y a quelques semaines à peine, réclamant plus de profs, de surveillants, d'infirmières, de personnel de toute sorte ; ou encore les luttes des sans-papiers, ces précaires entre les précaires, se battant pour mettre fin à la clandestinité forcée qui les met pieds et poings liés au bon vouloir des patrons.

Toutes ces luttes, petites ou grandes, défensives ou offensives, séparées, dispersées ou même sans conscience du lien qui les unit, vont pourtant dans le même sens, font bien partie du combat général des exploités contre le chômage et la surexploitation. Bien sûr, la première tâche des militants communistes révolutionnaires est de participer à chacune d'elles, partout où ils le peuvent, partout où ils se trouvent, dans les entreprises ou hors des entreprises, pour aider à ce qu'elle aille au maximum de ses possibilités, et contribuer à la participation pleine et entière à l'organisation et aux décisions de tous ceux qui sont partie prenante du mouvement. Mais le rôle de l'organisation politique est aussi de proposer à tous une perspective politique globale : le programme qui pourrait lier toutes ces luttes et rassembler leurs objectifs en un but commun et cohérent, la préparation de la lutte d'ensemble qui pourrait l'imposer.

Mettre nos forces à mener la campagne pour la liste LO-LCR aux élections européennes mais aussi à mener campagne pour populariser le plan d'urgence et préparer le mouvement d'ensemble : telle doit être, dans les mois qui viennent, l'orientation de Lutte Ouvrière. Ces deux tâches ne s'opposent pas. Elles se complètent au contraire. Mais la seconde ne se réduit certainement pas à la première, même si la première doit nécessairement conforter la seconde. Car populariser le plan d'urgence et préparer le mouvement d'ensemble exige de s'adresser à l'ensemble des travailleurs et des militants du mouvement ouvrier mais aussi à leurs organisations ; de savoir-faire des propositions à tous les militants qui grognent, regimbent ou refusent le cours pro-gouvernemental actuel du PCF, mais aussi de faire ces propositions au PCF lui-même, jusque et y compris à sa direction ; de savoir faire des propositions aux syndicats CGT (et aux autres) aussi bien qu'aux militants qui s'insurgent contre le recentrage proposé par Thibault et Viannet. Chaque militant peut défendre une telle orientation dans son secteur, mais il appartient à l'organisation d'en faire une politique proposée à l'échelle nationale.

Personne ne peut dire d'avance qui nous pourrions entraîner, dans quelle mesure et jusqu'où. Peut-être certains que nous n'attendons pas. Peut-être de ceux qui ont par ailleurs de grandes divergences avec nous. Peut-être peu de monde, voire personne. Mais il doit être clair aux yeux de tous les travailleurs et de tous les militants (et il dépend de nous de le rendre clair pour le maximum d'entre eux) que la politique de Lutte Ouvrière correspond aux intérêts de tous les travailleurs et non seulement d'un parti. Pour le rendre clair il faut la proposer publiquement et ouvertement à tous, militants et organisations. La notoriété et le poids acquis par Lutte Ouvrière ne garantissent pas que nous entraînions sur ce terrain d'autres militants, et encore moins les directions d'autres partis ou syndicats, mais cette notoriété et ce poids garantissent que LO peut faire ces propositions sans ridicule aux organisations qui se réclament du mouvement ouvrier, et chacun d'entre nous aux militants et travailleurs que nous côtoyons. Faire de telles propositions ne seraient pas un geste différent ou plus extraordinaire que celui d'appeler à voter pour la liste LO-LCR, ce que évidemment et naturellement, notre organisation et chacun de ses militants s'apprêtent à faire.

Si on ne peut faire autrement Lutte Ouvrière peut et doit tenter seule cette politique de front unique. La place acquise sur l'échiquier politique l'autorise. Mais elle ajouterait au poids mis dans la balance en s'associant le reste de l'extrême gauche et en particulier la LCR. Or, mener en commun campagne pour le plan d'urgence et collaborer pour proposer en commun aux autres forces et militants du mouvement ouvrier de préparer une lutte d'ensemble n'est pas non plus bien différent, dans la forme, de mener campagne en commun pour une liste commune aux élections européennes. Déjà l'axe politique de la profession de foi de la liste, et donc de la campagne commune, sera d'ailleurs le plan d'urgence.

La LCR n'est pas prête à une telle collaboration extra-électorale ! Ses dirigeants répètent que l'accord LO-LCR est "purement électoral" ! Mais il y a six mois elle n'était même pas prête à cet "accord purement électoral" (et quelques semaines encore auparavant la majorité de LO non plus !). Aujourd'hui elle l'est parce que LO l'a proposé. Notre organisation doit continuer dans cette voie, et proposer à la LCR comme aux autres groupes d'extrême-gauche une collaboration et des activités et actions communes sur les orientations qui correspondent aux intérêts tant de l'extrême-gauche tout entière que de l'ensemble des travailleurs. Il doit être possible dans l'état actuel de nos forces et des positions politiques des deux organisations qu'elles interviennent conjointement dans la vie sociale et politique sur des points précis et se saisissent des événements sociaux comme, par exemple, les plans de licenciements ou encore l'agitation autour de la loi Aubry sur les 35 heures pour réagir ensemble. La campagne pour les Européennes est l'occasion d'établir les contacts, de provoquer des rencontres, de mettre sur pied des réunions non seulement entre les directions mais entre les militants de LO et de la LCR, et éventuellement d'autres qui sont prêts à participer à cette campagne. Il y aura certainement d'autres occasions que les seules élections de jeter les bases de liaisons, voire de structures, en vue de l'activité commune.

Avant de l'avoir proposée à la LCR, et à d'autres, et avoir exploré avec elle quelles formes pourrait prendre cette politique de front unique, il est impossible de savoir ce qui est possible ou pas : apparition commune dans les entreprises ou aux portes de celles-ci, dans les quartiers, dans les localités, réunions publiques appelées en commun, rencontres entre militants, regroupements et organisation des travailleurs intéressés, publications communes locales ou générales, etc. Tout cela ne serait pas différent, appliqué simplement à un autre projet politique, que ce que nous allons faire en commun pour la campagne électorale : réunions publiques et meetings, tracts et profession de foi.

Une telle activité commune ne ferait pas de LO et de la LCR une seule et même organisation. Mais elle irait dans le sens d'un rapprochement sur la base d'une politique consciemment décidée et partagée. De bons résultats électoraux ont sans doute beaucoup plus de chance de pousser dans cette voie, mais en revanche plus par la force des choses que sur la base d'une véritable orientation commune. Car 6 ou 8 % des voix et 5 ou 6 députés au Parlement de Strasbourg seront immanquablement attribués "au parti d'Arlette Laguiller et Alain Krivine". Et continueront de l'être, même si, une fois les urnes rangées, les deux organisations mènent des politiques différentes.

Il n'est pas souhaitable que, par exemple, à Strasbourg ou ailleurs, la LCR retourne à ses alliances avec des forces de la gauche bourgeoise. Il est même de notre rôle de s'efforcer de l'empêcher. Pour cela nous devons, au-delà de l'alliance électorale, continuer à proposer à la LCR une politique commune là où coïncident les politiques des deux organisations. Tout en développant séparément, et aussi longtemps qu'il le faudra, sa politique et son organisation sur les orientations qu'elle estime justes, LO doit maintenir la perspective de faire un jour un parti plus large et plus efficace avec les autres forces révolutionnaires, notamment trotskystes, qui peuvent se retrouver d'accord sur l'essentiel.

L'unité dans une même organisation n'est possible et souhaitable que sur la base d'une politique. Se considérer comme une tendance d'un futur parti révolutionnaire exige de s'efforcer à tout moment de tirer à nous les autres courants, non pour proclamer une unité artificielle, qui serait éphémère si elle faisait semblant d'oublier les divergences, mais pour développer toute l'activité commune que permettent les convergences. La situation du monde du travail et les nécessités de la lutte de classe nous donnent l'occasion de proposer cette politique à la LCR, et sans doute d'autres groupes moins importants. Nous avons le devoir de le tenter.

Le 9 décembre 1998