Rapport sur la situation intérieure (texte de la majorité)

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Décembre 2000

La situation économique et sociale a été marquée au cours de l'année 2000 par une diminution du nombre des chômeurs, mais les travailleurs privés d'emploi représentent encore, dans les statistiques officielles sous-estimées, plus de 9,5 % des actifs. Elle a aussi été marquée par l'entrée en vigueur de la loi Aubry II sur les 35 heures.

Les chiffres officiels sur le chômage ne rendent cependant pas compte du caractère des emplois créés, qui sont dans leur grande majorité des emplois précaires, en CDD ou en intérim, souvent à temps partiel, qui font que, malgré la "reprise économique", le nombre de travailleurs réduits à vivre avec des revenus inférieurs au SMIC n'a guère diminué, s'il l'a fait.

Cette "reprise économique" dont se gargarisent tous les commentateurs économiques de la bourgeoisie ne se traduit d'ailleurs pas par un taux de croissance nettement supérieur à celui des années précédentes, et encore moins par un taux de croissance correspondant aux gains de productivité. Ce qui a nettement augmenté, en dépit des fluctuations boursières, ce sont les profits engrangés par les grandes sociétés. Mais la bourgeoisie française, comme ses pareilles de par le monde, reste profondément malthusienne, comptant plus pour augmenter ses profits sur les opérations financières de toute sorte et sur l'intensification de l'exploitation du travail, que sur l'expansion de la production.

Tous les discours sur la "nouvelle économie" ne sauraient cacher qu'il s'agit là d'un secteur marginal, où la spéculation sur les bénéfices escomptés des "start-up" règne en maître, et dans lequel, pour quelques grosses fortunes réalisées par quelques "nouveaux" capitalistes, existe un prolétariat du e-commerce qui fait partie intégrante du monde du travail.

Contrairement à ce que l'on avait l'habitude d'observer dans les sorties de crise classiques du système capitaliste, la "reprise économique" ne s'est pas traduite au niveau national par une amélioration du rapport de forces en faveur de la classe ouvrière, en ce qui concerne les salaires. Le nombre des luttes grévistes pour la revalorisation des salaires n'a pas sensiblement augmenté ces dernières années (en particulier par rapport à l'année 1995, que nombre d'organisations gauchistes avaient voulu considérer comme le début d'une nouvelle période en ce domaine). Si, dans certains secteurs économiques particuliers (notamment ceux où le travail est saisonnier), les employeurs ont parfois plus de mal à recruter des salariés, faute d'offrir des conditions de travail, de vie et de salaire suffisamment attrayantes, parce que les salariés ont un peu plus le choix, cela reste sans conséquence notable dans les principales branches de l'économie. Un salarié, individuellement, n'a guère de possibilité d'augmenter ses revenus en changeant d'employeur. Et les luttes collectives suffisamment déterminées pour avoir des chances réelles de succès sont rares.

Comme par le passé, l'initiative sur le plan économique appartient toujours au patronat, comme l'a montré l'exemple de la prétendue "refondation sociale" prônée par le MEDEF, avec le projet du "PARE" , qui vise à faire pression sur les chômeurs pour leur faire accepter des emplois moins rétribués que leur travail précédent (même s'ils correspondent à leurs "compétences"). Ce projet visait plus directement les salariés moins mal rémunérés que ceux qui percevaient les plus bas salaires (et à qui les patrons ne pourraient guère proposer moins !). Mais en s'attaquant à une partie des chômeurs, c'est en dernière analyse sur toute la classe ouvrière qu'il se proposait de faire pression. Le gouvernement socialiste n'a pas osé, à quelques mois des élections municipales, entériner purement et simplement le texte initialement signé par le MEDEF, la CFDT et la CFTC. Mais Martine Aubry, alors ministre du Travail, avait pris soin, dès le début des discussions à ce sujet, de revendiquer la paternité des premières mesures visant à supprimer leurs allocations à ceux des chômeurs qui n'acceptaient pas un emploi plus mal payé que celui qu'ils occupaient. Et la manière dont Jospin a débloqué la situation avec le MEDEF montre dans quel camp il se place, et qu'il se prépare à accepter un texte qui ne vaudra guère mieux que le projet initial.

Les discussions sur le PARE ont d'ailleurs mis en lumière la politique des grandes confédérations syndicales dans la période actuelle. La CFDT et la CFTC (comme la CGC ultérieurement, après quelques réserves initiales) ont montré que leur ambition suprême était d'apposer leur signature sur un accord conclu avec le MEDEF. Mais la CGT et FO, qui ont dénoncé le contenu de cet accord, n'ont rien fait de concret pour essayer d'organiser une riposte d'ensemble des travailleurs, et elles ont la même attitude en ce qui concerne le problème des salaires.

Dans la situation actuelle, où la classe ouvrière a perdu une bonne partie de son ossature militante, où la majorité de ses membres, démoralisés par le chômage comme par des années de gouvernement "d'union de la gauche" ou de "gauche plurielle", ne croit plus à la possibilité d'améliorer son sort par la lutte, il suffit certes moins que jamais d'appeler à la grève générale pour la déclencher. Mais le rôle des organisations syndicales, si elles étaient vraiment soucieuses de défendre les intérêts des travailleurs, serait de préparer une telle riposte du monde du travail, par des mouvements limités, mais susceptibles d'apparaître aux yeux des travailleurs comme des succès, et par là même de leur redonner confiance en eux et en leurs possibilités. Or sur ce plan-là, ni la CGT, ni FO (les deux confédérations qui parlent encore de la nécessité de lutter) ne prennent d'initiatives, ne serait-ce qu'à la mesure de ce qui avait été fait au cours des mois précédant les mouvements d'octobre-novembre 1995.

C'est la mise en place des accords d'entreprise sur le "passage à la semaine de 35 heures" qui est à l'origine de la grande majorité des conflits sociaux observés ces derniers mois. Présentée par le gouvernement Jospin et les partis qui le soutiennent (y compris le PCF) comme une avancée sociale, cette loi n'est apparue aux travailleurs comme ce qu'elle est vraiment, c'est-à-dire une loi favorable au patronat, qu'au fur et à mesure de son application. Elle permet en effet de mettre en place l'annualisation des heures de travail, la "flexibilité", dont rêvaient les patrons. Et elle se traduit bien souvent par des horaires déments, sans égard pour la santé ou la vie de famille des travailleurs. Cette prétendue mesure sociale ne coûte pratiquement rien au patronat (qui bénéficie d'allégements des charges sociales et qui, dans nombre de cas, du fait de l'annualisation des horaires, n'a plus à payer de majorations pour heures supplémentaires). La "modération salariale" qu'elle propose sert d'alibi aux employeurs pour refuser toute augmentation. Et elle aboutit à aggraver considérablement l'exploitation à laquelle sont soumis les travailleurs.

Là aussi, la responsabilité des confédérations syndicales, sans qui de tels accords n'auraient pu être signés, est écrasante. Mais c'est que la loi Aubry, en obligeant le patronat à négocier avec les syndicats (y compris dans les entreprises où ceux-ci n'existent pas) pour pouvoir bénéficier des allégements de charges sociales, a aussi été un cadeau pour les appareils syndicaux.

La tendance à l'intégration des syndicats dans l'Etat bourgeois, à la recherche de la collaboration avec le patronat, qui est l'une des caractéristiques de l'époque impérialiste, ne s'est évidemment pas atténuée ces dernières années, bien au contraire. Et dans nombre d'entreprises on voit se développer des pratiques (remise de "chèques syndicaux" aux salariés, subventions de fonctionnement directes aux syndicats) qui montrent que de nombreux patrons sont convaincus que leurs intérêts bien compris exigent qu'ils puissent en cas de besoin s'adresser à des interlocuteurs syndicaux compréhensifs.

En dépit de cette évolution, le fait que le nombre de militants syndicaux se soit sensiblement réduit, comme les divisions de l'appareil cégétiste en courants multiples, offrent aux militants ouvriers révolutionnaires bien plus de possibilités qu'il y a quelques dizaines d'années d'occuper des responsabilités syndicales. Quand celles-ci correspondent à un rayonnement réel parmi les travailleurs syndiqués ou non, c'est évidemment une opportunité qu'ils ne doivent pas laisser passer, car ils doivent s'efforcer de faire en sorte que le syndicat reste malgré tout, pour le plus grand nombre possible de travailleurs, l'école de la lutte de classes. Mais d'un autre côté, ils ne doivent pas oublier qu'ils sont avant tout des militants politiques de la classe ouvrière. Le sort des luttes à venir de la classe ouvrière dépendra en premier lieu de la capacité des militants communistes révolutionnaires à permettre à leurs camarades de travail de prendre en mains leurs propres luttes, et à ne pas accepter qu'elles soient dévoyées par des appareils dont les intérêts ne sont plus, depuis longtemps, ceux de la classe ouvrière.

En ce qui concerne la situation politique, la cohabitation Chirac-Jospin est entrée dans sa quatrième année, sans problèmes majeurs, bien que l'approche des échéances électorales (à commencer par les municipales de 2001), comme la survenue de nouveaux épisodes de l'une des innombrables affaires politico-financières en cours, puissent changer rapidement ce climat. Mais pour le moment, et pour autant qu'on puisse en juger à travers des élections partielles, ou à travers les innombrables sondages régulièrement publiés, le corps électoral semble faire preuve de stabilité.

En dépit de la crise survenue il y a deux ans au sein de l'extrême droite, celle-ci n'a pas disparu, et si des élections générales avaient lieu demain, on peut supposer qu'en additionnant les voix des courants lepéniste et mégretiste, on retrouverait sensiblement les scores du FN d'avant la scission. Mais l'extrême droite ne semble pas non plus avoir progressé, et surtout pas plus sur le terrain extra-parlementaire que les années précédentes. Ceux qui étaient les plus pressés d'accéder aux différentes responsabilités dans le cadre des assemblées nationale, régionales ou locales (les notables qui ont suivi Mégret) n'ont pas eu plus d'opportunités politiques que leurs rivaux d'y parvenir. Mais pour le moment (et bien que cela puisse vite changer en cas de crise politique et sociale), c'est toujours sur une stratégie électoraliste que misent les uns et les autres.

La droite parlementaire, qui n'a pratiquement jamais été réellement unifiée dans ce pays, est toujours aussi divisée. Cette division (qui a permis l'élection de Mitterrand à la présidence de la république en 1981 et 1988) pourrait bien lui coûter la mairie de Paris en 2001, voire la présidence de la république en 2002. Mais même si tel était le cas, cela ne constituerait en aucun cas un avantage pour les travailleurs, qui ont précisément déjà fait à plusieurs reprises ce genre d'expérience.

Du côté de la "gauche plurielle", tant le PCF que les Verts s'emploient à cultiver leurs différences, par rapport à leur public respectif, tout en s'employant à ne rien faire qui puisse être interprété comme une rupture de la solidarité gouvernementale.

Malgré leur prétention à incarner une autre façon de faire de la politique, les Verts apparaissent de plus en plus ouvertement comme une formation politicienne, bien plus préoccupée de se faire une place dans la classe politique que des problèmes d'environnement.

Quant au PCF, dont la participation au gouvernement depuis les élections anticipées du printemps 1997 constitue un record de durée (il n'était resté au gouvernement Mauroy que trois ans entre 1981 et 1984, et n'était resté associé au pouvoir que 38 mois dans la période 1944-1947, en comptant sa participation au "Comité Français de Libération Nationale" d'Alger), il ne critique la politique gouvernementale que dans la mesure où cela lui semble nécessaire pour ne pas être touché par le discrédit qui risque de toucher le Parti Socialiste lors des prochaines consultations électorales, mais n'a pas d'autre perspective que de s'accrocher aux basques du Parti Socialiste.

Le problème qui se pose aujourd'hui à nous n'est pas de choisir entre se préparer à jouer un rôle dans les luttes sociales qui surgiront un jour ou l'autre, ou utiliser les moyens de faire connaître notre politique, notre organisation et nos militants dans les campagnes électorales qui vont se dérouler en 2001 et 2002. Nous devons être capables de marcher sur les deux jambes. Mais bien évidemment, dans la participation aux prochaines campagnes électorales, c'est le point de vue des communistes révolutionnaires que nous devons nous efforcer de défendre.

Même si les élections municipales sont, quant à leur forme, des élections locales, c'est aux préoccupations de la classe ouvrière concernant la situation économique et politique nationale que nous devrons répondre. C'est bien parce que nous avons à ce sujet des désaccords profonds avec la LCR que nous n'avons pas pu conclure un accord analogue à celui qui avait permis une liste commune entre nos deux organisations lors des élections européennes de 1999. Car il n'était pas question pour nous de fusionner nos listes au deuxième tour avec celles de la gauche gouvernementale, ni d'appeler à voter pour elles. Il n'est pas question non plus de constituer des listes avec des mouvements ou des militants qui ne se situent pas clairement sur le terrain de la classe ouvrière et qui, d'ailleurs, n'ont aucune envie de s'afficher avec la LCR, et encore moins avec Lutte Ouvrière.

Affirmer l'existence d'un courant communiste révolutionnaire, fidèle aux idéaux de la révolution d'Octobre, se réclamant de l'héritage du bolchévisme, des quatre premiers congrès de l'Internationale Communiste, du trotskysme et du programme de fondation de la Quatrième Internationale, loin d'être un objectif dépassé, doit être au contraire au centre de notre activité.