Le Nouveau parti anticapitaliste a tenu son cinquième congrès les 9, 10 et 11 décembre 2022. Près de quatorze ans après sa fondation, le NPA en est sorti scindé en deux groupes principaux. Tous deux en revendiquent l’héritage et affirment incarner la continuité du projet politique de départ.
Cela n’a été une surprise pour personne. L’ancien candidat à la présidentielle du NPA, Philippe Poutou, avait annoncé publiquement lors de la fête régionale de Bordeaux, le 21 octobre, que la séparation était à l’ordre du jour. Et cette évolution ne date pas d’hier, puisqu’au précédent congrès, en 2018, les discussions principales concernaient déjà les problèmes internes. La tendance de direction « historique », incarnée par Alain Krivine, Philippe Poutou et Olivier Besancenot, n’avait alors recueilli que 48 % des voix, tandis que six autres tendances, qui contestaient à des degrés divers sa politique, recueillaient chacune des pourcentages relativement importants. Les dissensions internes avaient alors abouti au départ de la tendance Révolution permanente, qui vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle fondait une nouvelle organisation.
Cette cohabitation sous un même toit de courants menant chacun sa propre politique, déjà en vigueur du temps de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), avait franchi un degré supplémentaire en 2009 avec la transformation de celle-ci en NPA, affichant l’ambition d’être plus large et plus ouvert.
« Perdre en substance pour gagner en surface »
C’est par cette formule que Daniel Bensaïd, l’un des dirigeants de la LCR, résumait l’objectif recherché avec la création du NPA. Forte des 4,1 % des voix recueillis par son candidat, Olivier Besancenot, à la présidentielle de 2007, la LCR proposait d’accepter de perdre en substance politique pour lancer un parti aux contours politiques plus larges, le NPA, dans l’espoir que son petit succès électoral attire un public plus important.
En 2008, au moment du sabordage de la LCR au profit du NPA, Krivine expliquait : « L’idée de nous élargir un jour est une très vieille idée. Cela explique d’ailleurs que nous avons toujours eu une pratique unitaire. Jusqu’en 1995, nous n’avons pratiquement jamais fait campagne en notre nom. Nous avons fait la campagne Juquin en 1988, en retirant d’ailleurs ma candidature pour cela. […] Nous avons participé à tous les collectifs possibles en retirant nos candidats, voire notre sigle. »
Du point de vue des idées communistes révolutionnaires, la perte de substance sous prétexte de « voie unitaire » était une réalité depuis longtemps, si ce n’est depuis les origines de la LCR. Sa politique a toujours consisté à se raccrocher à toutes sortes de courants et de mouvements, pour peu qu’ils lui paraissent plus gros ou plus influents qu’elle.
Le plus souvent éloignés des idées communistes révolutionnaires, voire situés sur un tout autre terrain que celui de la classe ouvrière, ces courants ou mouvements étaient alors mis en avant par la LCR comme le point d’appui incontournable pour la « recomposition du mouvement ouvrier ». Le soutien, lors de la présidentielle de 1988, à la campagne de Juquin, ex-dirigeant du PCF stalinien, auquel Krivine fait allusion ici, s’inscrit dans cette politique. La LCR participa activement aux comités Juquin et fut la force militante au service de ce réformiste qui s’offrit cette petite parenthèse originale avant de finir au PS…
En diluant ses forces militantes dans des cadres « plus larges », politiques ou associatifs, la LCR prétendait radicaliser différentes luttes, anticolonialistes, antiracistes, et profiter de son investissement au sein de regroupements politiques ou au sein d’autres organisations, syndicales ou associatives, pour se développer. C’est presque immanquablement le contraire qui se produisait et, si la politique de la LCR « perdit en substance révolutionnaire » bien avant de lancer le NPA, elle ne gagna jamais très longtemps « en surface ».
En fondant le NPA, la LCR et sa direction franchissaient cependant un pas supplémentaire en abandonnant ouvertement la référence au trotskysme, au communisme révolutionnaire, au profit d’une pluralité de références et de traditions du mouvement ouvrier et contestataire. Déjà réalisé dans les faits, l’abandon officiel de la référence au trotskysme était illustré par de nombreuses prises de position de Besancenot, par des articles se démarquant du bolchevisme, voire de la révolution russe. Cela permettait de rompre avec une référence historique communiste bien encombrante dans l’entreprise de séduction d’un milieu dont le radicalisme n’a rien de commun avec la classe ouvrière et son émancipation, mais se rapporte plutôt à la gauche sociale-démocrate, quand elle ne reprend pas des idées aussi réactionnaires que la décroissance, sous couvert d’« éco-socialisme ».
S’adresser à la gauche réformiste pour finalement la rejoindre
En jetant par-dessus bord l’héritage trotskyste, le NPA provoqua à ses débuts un petit engouement lui permettant de revendiquer plusieurs milliers d’adhérents et le ralliement de quelques intellectuels de gauche. Mais beaucoup n’y firent qu’une brève incursion. Il faut dire que le Parti de gauche, fondé au même moment par un Mélenchon en rupture avec le Parti socialiste, était un sérieux concurrent à la « gauche de la gauche », bien plus prometteur en termes de résultats électoraux.
La place convoitée par le NPA fut donc occupée par Mélenchon et, très rapidement, de larges pans du NPA rejoignirent directement la machine électorale du Front de gauche, mise en place par Mélenchon en association avec le PCF lors des élections européennes de juin 2009. Un des anciens dirigeants de feu la LCR, Christian Picquet, et son courant, la bien nommée Gauche unitaire, rejoignirent cette maison mère dès mars 2009. Une fois incorporé au Front de gauche, Picquet put ramasser quelques miettes à la table de Mélenchon, qui lui fit une place à ses côtés, lors de ses meetings de la campagne présidentielle de 2012. Il fit école, et la campagne présidentielle de 2012 vit d’autres dirigeants du NPA, dont une porte-parole, Myriam Martin, et l’ancien bras droit de Besancenot, Pierre-François Grond, appeler publiquement à voter Mélenchon et dénoncer dans une tribune au journal Libération le fait que le NPA renonce « à l’engagement pris lors de sa fondation de rassembler tous les anticapitalistes dans un parti de masse ». Puisque « tous les anticapitalistes » ne venaient pas vers le NPA et que le parti de masse semblait se construire ailleurs, ils suivirent fort logiquement le sens du vent et prirent leurs quartiers au Front de gauche, sous l’étiquette Ensemble.
Dix ans plus tard, les prises de position de Besancenot et de Poutou s’inscrivent dans la même logique. En mai 2022, leur tentative de se faire accepter par la Nupes en vue des législatives de juin, s’était soldée par un échec. La « gauche radicale » leur avait claqué la porte sur les doigts, préférant la compagnie du Parti socialiste. Cela n’avait pas empêché le NPA d’appeler à voter Nupes, voire à faire campagne activement pour ses candidats, sauf là où ceux-ci étaient manifestement trop compromis à ses yeux.
Si cette fraction dirigeante tient encore à l’étiquette NPA, c’est pour la placer de plus en plus ouvertement dans la perspective de l’union de la gauche, quelle qu’en soit la future appellation. C’est d’ailleurs à la gauche en général et à LFI en particulier que Poutou adressait ses déclarations au premier jour du congrès du NPA. Absent des débats de son organisation, il était sur le plateau de BFM le soir du 9 décembre pour plaider : « On peut bosser avec, on doit bosser avec La France insoumise. »
Dans une interview récente, Poutou en appelle à une candidature unitaire et large à gauche pour la prochaine présidentielle et définit ainsi ce que doit être le NPA : « Il nous faut un parti plus large, plus ouvert, qui se mêle de ce qui se passe dans la gauche antilibérale, du côté de La France insoumise notamment. » Bien malin qui pourra y voir une différence avec ce que le NPA proclame depuis sa fondation… si ce n’est la volonté d’avoir les coudées encore plus franches pour aller vers LFI, sans avoir à se justifier auprès d’autres courants du NPA plus enclins à y mettre des limites.
Deux NPA concurrents ?
La direction sortante du NPA a donc fait le choix de se séparer des courants oppositionnels regroupés autour d’une plateforme alternative lors du cinquième congrès. Elle a justifié ce choix en expliquant qu’il n’était plus possible de construire ensemble une même organisation, alors que « des fractions […] sont en réalité des organisations séparées et transforment le NPA en un front d’organisations ».
Sans même parler de courants ou de fractions structurés autour de textes politiques, les bases politiques larges du NPA permettent effectivement à de nombreuses contradictions de s’y exprimer. L’opportunisme politique qui consiste à tenter de peindre en rouge tout combat paraissant plus ou moins subversif, quelle que soit la légitimité de ces combats, conduit à former une organisation abritant presque autant de pratiques et de terrains de militantisme que de militants. De la cause LGBTI à l’écologie, voire à la cause animale, en passant par l’activité syndicale ou le féminisme et l’antiracisme, chacun s’investit dans la commission ou le secteur qui correspond le mieux à son milieu social ou à ce qu’il a envie de défendre. Et il le fait avec la bénédiction de la direction du NPA, comme elle le dit elle-même : « Nous considérons que nous devons construire les mouvements écologiste, féministe, LGBTI et antiraciste pour eux-mêmes, en y défendant notre vision de classe et notre projet révolutionnaire, mais en comprenant qu’en eux-mêmes ils portent des éléments de subversion du système qui sont positifs pour le genre humain et les combats du prolétariat. L’écologie sans anticapitalisme n’est pas du jardinage, c’est un mode de radicalisation qui conduit à comprendre les conséquences du système et à les combattre. » S’il est donc difficile pour le NPA de « faire parti », comme le déplorait une militante lors du congrès, cela ne date pas d’hier et n’est pas lié uniquement à l’existence de tendances politiques.
Nous pensons quant à nous que, pour défendre « la vision de classe et le projet révolutionnaire », le prolétariat a besoin d’un outil politique dont l’objectif soit la prise du pouvoir, d’un parti dont les militants soient tournés vers leur classe sociale et vers cet objectif. Un parti qui, s’il veut être efficace et ne pas être une assemblée de bavards ou de commentateurs, ne peut fonctionner que suivant les principes du centralisme démocratique du Parti bolchevique de Lénine.
Les militants réunis autour de Besancenot, Poutou et autres souhaitent sans doute mettre leur morceau de NPA en situation d’intégrer la prochaine mouture d’union de la gauche. Ils expliquaient en tout cas à la tribune du congrès que le déplacement du centre de gravité de la gauche française, du social-libéralisme de Hollande à l’antilibéralisme de Mélenchon, suscite des « dynamiques militantes » qu’il faut saisir en poursuivant « une démarche unitaire ». Poutou en est d’ailleurs l’illustration vivante, du moins au niveau municipal.
Quoi qu’il en soit, au congrès de décembre, les délégués de la majorité ont donc quitté la salle des débats pour ne plus y revenir et une conférence de presse réunissant quatre porte-parole, parmi lesquels Poutou et Besancenot, a officialisé la séparation. Dans le même temps, les tendances signataires de la plus importante des deux plateformes d’opposition, Urgence et actualité de la révolution, dénonçaient ce « choix irresponsable ». Ces tendances, parmi lesquelles Anticapitalisme et révolution, animée par Gaël Quirante, ou L’Étincelle, formée par d’anciens militants de Lutte ouvrière, s’érigeaient en continuateurs du NPA, dans le but d’être un pôle de regroupement « des révolutionnaires », selon eux but originel du NPA.
Ces tendances ne remettent pas en cause le NPA, son fonctionnement ou ses bases politiques. Durant le congrès, accusées de ne pas construire le NPA mais leur propre boutique, elles ont protesté de leur loyauté. Alors que la campagne de Poutou en 2022 préfigurait la suite et les législatives tournées vers la Nupes qu’elles critiquent, elles ont souligné leur implication dans « l’excellente campagne de Poutou » et leur contribution au relatif succès du NPA, qui aurait recruté 500 nouveaux membres, entre autres à la faveur de cette campagne. Il s’agit pour elles de convaincre l’autre moitié du NPA que celui-ci peut se remplumer et séduire sur ses propres bases, sans se fondre directement dans la « gauche de la gauche » réformiste.
Lors des débats du 9 décembre, plusieurs interventions au nom des différentes commissions leur ont reproché leur manque d’implication sur leurs terrains respectifs. L’un des intervenants, soulignant l’importance de « militer dans des cadres plus larges que le NPA », s’est désolé que les « jeunes n’aillent pas vers ça, parce qu’on les met à faire des tracts devant les usines », avec un mépris qui en dit long sur la place de la classe ouvrière dans ses propres préoccupations ! Face à cette série d’interventions, certaines des tendances visées ont protesté de leur investissement dans tous les secteurs et n’ont revendiqué ni le choix de s’adresser en priorité à la classe ouvrière, ni le fait d’y consacrer ses efforts militants plutôt que de les diluer en direction d’autres milieux sociaux et d’autres terrains. C’est pourtant l’un des problèmes essentiels qu’une petite organisation, aux forces limitées, devrait absolument poser, et poser en termes clairs, à ses militants.
Reconstruire une direction révolutionnaire
Le NPA, dans sa version Poutou-Besancenot, justifie son évolution de plus en plus décomplexée vers la gauche réformiste par la période de crise aiguë conjuguée à la montée de la réaction, qui nécessiterait de faire « tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas rester isolé » tout en conservant un « programme révolutionnaire ».
Mais cette volonté de ne pas s’isoler, de suivre les vents dominants – même si ce sont des vents dominants « de gauche » – le conduit à la capitulation politique. Pour n’en donner qu’un exemple, leur attitude face à la guerre en Ukraine en dit long. Dans un article paru dans L’Anticapitaliste du 5 janvier dernier, l’auteur affirme : « Toutes les forces démocratiques, en particulier en Europe orientale, ne peuvent que souhaiter un affaiblissement qualitatif, voire la chute du régime de l’autocrate Poutine, comme condition pour une paix juste et durable. » Malgré la petite phrase de circonstance qui suit sur « l’absence d’illusions envers les politiques des impérialistes occidentaux », voilà une position politique qui ne prendra à rebrousse-poil aucun parti bourgeois, qu’il soit de gauche ou de droite !
Si nous pouvons faire le même constat quant à la gravité de la situation pour la classe ouvrière, nous en tirons des conclusions opposées à celles du NPA. Au congrès de Lutte ouvrière, qui se tenait une semaine avant celui du NPA, nous écrivions dans nos textes d’orientation : « Depuis que Trotsky a écrit le Programme de transition, les luttes auxquelles les travailleurs ont pris part n’ont pourtant pas manqué. Mais nulle part ils n’ont pu les mener sur leur terrain de classe, et nulle part ils n’ont pu postuler pour le pouvoir. Cette perspective a partout été tuée dans l’œuf par le courant réformiste, dans ses variantes stalinienne ou nationaliste. »
Au moment où la crise mène la société au bord du précipice, et alors que la conscience de classe recule, il est d’autant plus nécessaire que les militants, peu nombreux, qui se situent dans le camp des travailleurs, consacrent tous les efforts à reconstruire cette conscience de classe, à redonner l’objectif de la prise du pouvoir à la classe ouvrière.
Cette perspective, c’est la perspective communiste révolutionnaire. L’abandonner au nom de la construction d’un parti plus large n’offre pas plus de perspectives à la classe ouvrière et traduit en réalité clairement l’abandon du combat pour le renversement du pouvoir de la bourgeoisie.
15 janvier 2023
Entretien avec Alain Krivine de Louis Weber et Claude Poliak, rapporté dans « Le NPA, LCR-bis ou ouverture à tous les courants de l’autre gauche ? », Savoir/Agir n° 5, septembre 2008.
Libération, 22 mars 2012.
Huffington Post, 7 janvier 2023. https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/en-2027-philippe-poutou-...
Mediapart, 11 décembre 2022.
« NPA : un pas en arrière pour des pas en avant ? », L’Anticapitaliste n° 141, décembre 2022.
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/npa-un-pas-en-arriere-p...
Mediapart, 11 décembre 2022.