5 novembre 2006
Texte approuvé par 99 % des délégués présents au congrès.
Ces derniers mois, la grande presse a beaucoup parlé de succès électoraux d'un certain nombre de formations d'extrême droite.
Mais avant tout, il faut faire une différence entre le fascisme, qui est un phénomène politique et surtout social, et les formations d'extrême droite qui restent sur le terrain politique.
L'extrême droite peut avoir des opinions qu'on peut considérer comme fascistes, car elles en présentent certains caractères idéologiques, mais le fascisme est une forme de domination de la bourgeoisie basée sur la destruction totale des organisations ouvrières, même réformistes et coopérantes.
Ce ne peut être le cas que dans des situations sociales et économiques de crise où la bourgeoisie a absolument besoin d'un tel régime et est prête à prendre le risque de l'installer au pouvoir, en mobilisant de larges masses, voire en les affrontant, c'est-à-dire à prendre le risque d'une guerre civile.
Sinon, les partis politiques d'extrême droite, même s'ils rêvent de prendre le pouvoir, ne sont pas forcément socialement fascistes, même s'ils espèrent le devenir. Ils ne peuvent en effet pas le devenir seulement par la voie électorale. Et, sur ce terrain, ils ne représentent pas un danger spécial actuellement. Il n'en irait pas de même dans un cas de crise économique et/ou sociale où, non seulement la bourgeoisie le jugerait nécessaire, mais aussi dans le cas où ces organisations ne recruteraient pas que des électeurs mais des gens, petits-bourgeois ruinés ou travailleurs déclassés, prêts à donner d'eux-mêmes, c'est-à-dire à en découdre pour détruire les organisations ouvrières. Cela ne pourrait se faire que si l'extrême droite pouvait construire un parti de masse ayant des organisations de combat.
Bien sûr, on peut envisager des dictatures militaires, ou des variantes des deux mêlées, mais, jusqu'à présent, dans les deux seules situations où nous avons connu le fascisme réellement au pouvoir, le fascisme italien et le nazisme allemand, il n'y est pas venu par un putsch militaire mais sur la base d'organisations de masse.
Alors ce qui se passe en Europe et ce dont nous allons discuter, c'est uniquement d'organisations d'extrême droite qui, pour le moment, ne représentent aucun danger de fascisme, surtout dans le contexte économique et international actuel, ce qui ne veut pas dire que cette situation ne pourrait pas changer un jour.
Ce texte ne discute donc que des organisations ou partis d'extrême droite, bien qu'ils apparaissent généralement sous des appellations plus présentables.
Lors des élections régionales qui ont eu lieu en Allemagne, en septembre 2006, dans le land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, le Parti national démocrate a recueilli 7,3% des suffrages contre 0,8% en 2002.
Le même mois, le parti des Démocrates de Suède, qui n'a obtenu que 2% des voix aux élections législatives à l'échelle nationale, a fait une percée en Scanie, dans le sud du pays, en atteignant 10% des voix et 20% aux élections municipales dans certaines communes (quatre conseillers municipaux dans la ville portuaire de Karlskrona qui compte 60000 habitants).
En Suisse, les «votations» sur les projets de loi visant à limiter le droit d'asile et les possibilités d'immigration ont recueilli 68% d'approbation, ce qui constitue un incontestable succès pour l'UDC (Union démocratique du centre), devenue aux élections législatives de 2003 le premier parti de la Confédération helvétique.
En octobre de cette année, en Autriche, les deux formations d'extrême droite présentes aux élections législatives ont totalisé 15% des voix.
En Flandre belge, si le Vlaams Belang (Intérêt flamand) a échoué avec 33,5% des voix dans sa tentative de conquérir la municipalité d'Anvers (une ville de plus de 450000 habitants), il n'en a pas moins progressé de 5,6% dans l'ensemble de la Flandre par rapport aux élections municipales de 2000.
Monter en épingle les résultats électoraux des formations qualifiées d'extrême droite est naturel de la part de la presse qui y trouve matière à vendre du papier. Cela ne déplaît pas aux grands partis classiques de la droite, puisque cela tend à accréditer l'idée que ces formations n'ont rien à voir avec eux. Cela sert aussi à la gauche réformiste, qui à défaut de défendre les intérêts des classes populaires, peut se présenter en rempart contre «l'extrémisme».
Deux remarques s'imposent quant à la réalité de ces progrès réels ou supposés de l'extrême droite.
La première, c'est qu'il ne s'agit pas de toute manière d'une poussée continue. Dans un passé récent, de semblables formations avaient obtenu des résultats plus importants dans un certain nombre de ces pays. Ainsi, en Suède, la Nouvelle Démocratie, qualifiée également d'extrême droite, avait recueilli il y a quinze ans 6,7% des voix aux élections législatives de 1991. Mais trois ans plus tard elle était retombée à 1,2%. En Autriche, si l'extrême droite a progressé par rapport aux précédentes élections législatives, elle est loin de retrouver les 27% des voix recueillis par le FPÖ, Parti libéral d'Autriche, en1999, sous la direction de Jörg Haider. En Belgique, si le Vlaams Belang est en progrès par rapport aux municipales de 2000, il est en recul de 2,5% si on compare les résultats des élections provinciales de 2006 aux élections au parlement flamand de 2004.
La deuxième remarque qu'il convient de faire, c'est que le terme «extrême droite», si largement utilisé, peut recouvrir des réalités sensiblement différentes. Le NPD allemand et ses gros bras aux crânes rasés, arborant des emblèmes qui s'efforcent d'évoquer le nazisme sans tomber sous le coup de la loi, et les Démocrates de Suède ont-ils en commun autre chose qu'une xénophobie... largement partagée par des formations auxquelles on n'applique jamais l'épithète «extrême droite». Depuis des années, le recul du mouvement ouvrier est allé de pair avec une progression des idées de droite. Cette évolution a évidemment eu aussi quelques retombées au profit des partis les plus réactionnaires, les plus xénophobes, encore plus sensibles lorsque leur audience électorale était très réduite.
Ce glissement à droite est cependant visible dans la manière dont la droite parlementaire française revendique son positionnement politique.
Lors de l'élection présidentielle de 1974, Arlette Laguiller pouvait s'interroger dans un meeting : «Quand on entend les candidats eux-mêmes, on peut se demander où est (la) droite... C'est à qui essaiera de se démarquer de l'étiquette infamante». Le futur président, Giscard d'Estaing, déclarait d'ailleurs au journal Le Monde : «Le véritable débat aura lieu entre le centre (c'est-à-dire lui) et l'extrême gauche (Mitterrand, pour Giscard)». Aujourd'hui les hommes politiques de droite revendiquent au contraire dans leur majorité cette étiquette.
Bien qu'il y ait dans les extrêmes droites de différents pays de réels nostalgiques du fascisme italien ou du nazisme, il serait faux de voir dans les succès récents de l'extrême droite allemande, ou dans le rôle joué en Italie par les «post-fascistes» du MSI (devenus Alliance nationale), une résurgence du passé de ces pays, qui virent respectivement les nazis au pouvoir pendant douze ans, et Mussolini pendant plus de vingt ans. On peut noter au contraire que dans les trois pays d'Europe occidentale qui ont le plus récemment connu des régimes dictatoriaux (la Grèce et le Portugal jusqu'en 1974, l'Espagne jusqu'en 1975) l'extrême droite se réclamant de ces régimes n'obtient que des résultats électoraux insignifiants. Mais les idées xénophobes n'y sont pas moins en progrès, et exploitées par le personnel politique de la bourgeoisie.
Distinguer une «droite républicaine» de l'extrême droite, comme la gauche réformiste a voulu le faire en France après les élections régionales de 1998, en distinguant les élus de droite qui avaient pactisé avec ceux du Front national pour l'élection des exécutifs régionaux, de ceux qui ne l'avaient pas fait, relève d'ailleurs de l'escroquerie politique. Il n'y a pas plusieurs types de droite, séparés par des frontières, ni dans un sens, ni dans l'autre. Bon nombre de responsables actuels de la droite parlementaire : Longuet, Madelin, Devedjian, Goasguen, sont des anciens d'Occident, un mouvement d'inspiration ouvertement fasciste des années soixante. Inversement, un nombre non négligeable de dirigeants de l'extrême droite sont issus de la droite parlementaire : Jean-Claude Martinez, venu en 1985 (après les premiers succès électoraux du FN) du RPR où il travailla aux côtés de l'ancien ministre Bernard Pons, Bruno Mégret qui quitta le RPR à la même époque à cause d'après lui, de sa «dérive à gauche», sans oublier Le Pen lui-même, qui fut député du CNI (Centre national des indépendants) d'Antoine Pinay de 1958 à 1962. Certains ont un itinéraire encore plus sinueux, tel l'actuel maire de Nice, Jacques Peyrat, successivement membre du RPF, du CNI, des Républicains indépendants de Giscard, du Front national, rallié au RPR en1996 tout en déclarant : «Je n'ai pas changé d'un iota et je continue de partager l'essentiel des valeurs nationales du parti de Jean-Marie Le Pen».
La difficulté de définir une frontière entre l'extrême droite et la droite est manifeste quand on compare, en France, le langage de Le Pen et de Mégret, celui de de Villiers et celui de Sarkozy, ou en Italie lorsqu'on cherche à distinguer ce qui sépare Berlusconi de ses alliés «post-fascistes» de l'Alliance nationale, ou même d'Alessandra Mussolini, la petite-fille du «Duce», qui continue à se proclamer fasciste, et avec laquelle Berlusconi a signé un accord électoral à l'approche des dernières élections législatives.
Dans l'idéologie de l'extrême droite européenne au cours des vingt dernières années, il y a bien sûr des particularités locales.
Le Vlaams Belang se réclame d'un nationalisme flamand qui tire en partie ses origines de la longue subordination de la Flandre dans l'ensemble belge, illustrée par le fait que pendant tout le 19esiècle, le français a été la seule langue officielle du pays. Mais en zone francophone, l'extrême droite a tout de même une présence non négligeable, avec le «Front national» qui a obtenu plus de 8% des voix aux élections régionales de 2004.
En Italie, la Lega Nord de Bossi se réclame d'une Padanie (la région du Pô) qui n'a jamais eu d'existence historique, en dénonçant les aides données aux régions déshéritées du sud. Ce qui ne l'a pas empêché de participer au gouvernement Berlusconi, aux côtés des «post-fascistes» de Fini qui posent au contraire aux défenseurs des provinces méridionales.
Mais par-delà ces particularités locales, le fond commun de cette extrême droite, c'est la volonté d'imputer la responsabilité du chômage, de la régression des systèmes de protection sociale, de la crise du logement, à la population immigrée.
Cette démagogie xénophobe, anti-immigrée est d'ailleurs largement pratiquée par la droite classique, et pas seulement en France, où Sarkozy a entrepris en ce domaine de chasser ouvertement sur les terres de Le Pen et de de Villiers. Les propos d'un dirigeant de la CDU allemande, Jörg Schöhnbohm, déclarant que «le temps de l'hospitalité touche à sa fin», ou ceux d'un Aznar, l'ancien président du gouvernement espagnol, affirmant après que le Pape eut accusé l'islam d'être synonyme de violence : «Aucun musulman ne m'a demandé pardon pour avoir occupé l'Espagne pendant huit siècles», sortent du même tonneau. Mais malheureusement la gauche réformiste (et il n'y en a d'ailleurs pas d'autre) ne dédaigne pas toujours de recourir à ce type de démagogie, en particulier quand elle est au gouvernement.
Les commentateurs soulignent volontiers les résultats électoraux du Front national dans les régions et les banlieues déshéritées. Mais les électeurs du FN sont loin d'appartenir tous aux couches pauvres de la population. Il trouve aussi une bonne partie de son électorat parmi les possédants. La bourgeoisie, non seulement la grande au service de laquelle gouvernent les hommes politiques de droite ou de gauche, mais aussi la moyenne et la petite vis-à-vis desquelles ils ne sont pas avares de cadeaux, électoraux ou pas, ne souffre pourtant pas de la situation économique. Une grande partie de ces classes sociales est suffisamment hostile à la classe ouvrière pour voter FN, car toujours prête à considérer les travailleurs comme des fainéants et les chômeurs comme des parasites.
Le glissement à droite de la société s'exprime dans le fait que tout ce que le pays compte de nostalgiques du temps où le christianisme régentait la société, de la morale patriarcale, d'une époque où le patronat ne voyait pas ses prérogatives limitées par quelques lois dites sociales, veut entendre les hommes politiques parler un langage plus ouvertement réactionnaire. Les succès du Front national dans certains des riches villages viticoles d'Alsace, où l'on n'a presque jamais vu d'immigrés, sont significatifs de cette mentalité.
Il est vrai cependant qu'en invitant la population pauvre, démoralisée par le chômage ou sa crainte, la paupérisation ou sa crainte, et qui se sent abandonnée par tous les partis politiques qui participent ou ont participé au gouvernement, à tourner son mécontentement contre plus exploités qu'elle, plus opprimés qu'elle, le Front national a trouvé l'oreille des moins conscients de leurs véritables intérêts parmi les chômeurs et les travailleurs.
Mais ce glissement à droite n'a pour le moment rien à voir avec ce que l'on a vu en Europe dans les années qui ont suivi la crise de 1929, années qui précédèrent l'arrivée au pouvoir du nazisme en Allemagne en 1933, l'écrasement de la classe ouvrière autrichienne en 1934, et la victoire du franquisme dans la guerre civile espagnole de 1936-1939.
Dans ces trois cas, c'est l'existence même d'un mouvement ouvrier organisé et puissant qui était l'enjeu de la lutte dans une situation de crise économique. Pour mener son élimination à bien, la bourgeoisie avait besoin, à un degré ou un autre, des organisations para-militaires d'extrême droite. En Allemagne, les sections d'assaut, que le grand capital finançait depuis longtemps, jouèrent, en tant que police supplétive, un rôle essentiel dans la destruction du Parti communiste, de la Social-démocratie et des syndicats. En Autriche, ce fut à l'aide des organisations para-militaires de la Heimwehr que le chancelier Dollfüss vint à bout des organisations social-démocrates. En Espagne, le pronunciamiento militaire trouva une aide précieuse dans les milices de la Phalange et du Parti carliste. La victoire du fascisme en Allemagne, et de ses formes plus ou moins bâtardes en Autriche et en Espagne, ne fut possible que parce que les classes possédantes devaient briser une classe ouvrière qu'elles craignaient. De plus, dans le cas de l'Allemagne en particulier, il y avait la nécessité de mater la classe ouvrière pour pouvoir l'entraîner dans une guerre de revanche remettant en cause le traité de Versailles, ce qui était vital pour l'impérialisme allemand. Il existait alors dans le pays des organisations d'extrême droite comptant par milliers des militants suffisamment déterminés à cause de la crise pour s'engager dans ce combat, d'autant qu'ils étaient financés par les sommets de la bourgeoisie.
Aujourd'hui, s'il existe bien des petits groupes de nostalgiques du fascisme ou du nazisme rêvant d'imiter leurs homologues des années trente, il n'y a nulle part ces masses de petits-bourgeois appauvris, voire ruinés, devenus enragés, qui ont constitué le gros de la base sociale du nazisme.
L'extrême droite, dans les classes sociales où elle se recrute actuellement, n'a pas ces caractéristiques. En ce qui concerne la fraction des classes populaires qui vote à l'extrême droite, c'est plus la démoralisation que la rage, le rejet de toute politique que la volonté de trouver un débouché politique (fût-il trompeur) qui l'habite. Quant aux fractions de la petite bourgeoisie (ou de la moins petite) qui lui donnent leurs voix, leur extrémisme est un extrémisme de gens vivant bien, prêts à applaudir aux coups portés contre la classe ouvrière, mais pas à se transformer en soldats d'une quelconque contre-révolution.
Quant à la grande bourgeoisie, à laquelle appartient le dernier mot en ce qui concerne l'utilisation d'éventuelles masses fascistes, il existe certes dans ses rangs des racistes, non seulement vis-à-vis des Africains et des Maghrébins, mais aussi des antisémites, des intégristes, des gens qui peuvent être hostiles à toute collaboration avec les partis politiques se disant de gauche ou les confédérations syndicales ouvrières. Mais, en tant que classe, elle n'a vraiment aucune raison de vouloir briser le mouvement ouvrier.
Au-delà des mesures démagogiques destinées à flatter leur électorat, Le Pen, tout comme Sarkozy, devraient gouverner dans le cadre de ce que souhaite actuellement la grande bourgeoisie.
A l'échelle des quelques municipalités que le Front national a eu l'occasion de gérer dans le passé, y compris dans des grandes villes comme Toulon ou Orange, on a pu voir que ces succès électoraux n'ont pas changé grand-chose : des suppressions de subventions à quelques associations ou troupes artistiques cataloguées à gauche, quelques gestes symboliques destinés à illustrer la devise «Les Français d'abord», mais aucune régression catastrophique dans la vie quotidienne des travailleurs de ces villes. D'ailleurs, pas mal de municipalités UMP ont eu la même attitude envers les associations.
Quand bien même Le Pen accéderait demain, dans les conditions actuelles, à la présidence de la République, cela ne signifierait pas l'instauration d'un pouvoir fasciste en France, ni même l'expulsion de tous les travailleurs immigrés, dont le patronat a trop besoin. Evidemment, cela rendrait la vie un peu plus difficile à la classe ouvrière et, en particulier, aux travailleurs immigrés et aux chômeurs. Mais Sarkozy serait tout aussi capable d'en faire autant, et rien ne garantit le contraire.
5 novembre 2006