La situation est dominée à l’échelle internationale par la crise du capitalisme et par l’aggravation de la guerre sociale menée par la bourgeoisie contre la classe ouvrière et, plus généralement, contre les classes populaires.
Faute de direction révolutionnaire, le prolétariat, seule classe qui pourrait opposer au pouvoir de la bourgeoisie capitaliste son combat pour la direction de la société, est absent de la scène politique.
La guerre de la bourgeoisie contre les classes exploitées prend des formes variées dans les différents pays. Elle domine cependant les rapports sociaux à l’intérieur de chaque pays, comme elle marque les relations internationales.
À l’échelle du monde, ce n’est pas la combativité qui manque, ni les révoltes, voire les soulèvements ! De la combativité, il en faut aux classes populaires d’Algérie pour rester mobilisées pendant 36 semaines (au 25 octobre 2019). Il en a fallu aux masses soudanaises pour avoir la peau du dictateur Omar Al-Bechir.
L’aspiration à se débarrasser d’un dictateur ou d’un régime haï est un puissant facteur de mobilisation. Le problème de la société ne se limite cependant pas à savoir qui mettre à la place du dictateur déchu. Au pire, un autre dictateur prend le relais, comme en Égypte ; au mieux, c’est un régime plus parlementaire, comme en Tunisie, sans que les choses changent pour l’écrasante majorité des classes pauvres.
Il ne suffit pas de renverser un dictateur pour que cesse la dictature de l’argent, plus exactement du grand capital, sur la société. Les dictateurs sont comme les hommes politiques des pays qui se prétendent démocratiques : ils sont interchangeables.
Des différences fondamentales existent entre pays impérialistes et pays pauvres, entre pays dont la bourgeoisie pille et opprime et leurs victimes. Mais tous ont en commun, alors que la vie économique de l’humanité se trouve dans une impasse, que le prolétariat, au lieu de reprendre le combat contre la bourgeoisie, est en désarroi, sans boussole politique.
La gangrène du capitalisme se propage à toute la société, droits et morale compris, y compris à la classe sociale, le prolétariat, seule capable d’offrir à la société une perspective autre que la survie du capitalisme.
Face à la pourriture du capitalisme, les travailleurs, la classe ouvrière ne voient pas de perspectives politiques. Ni de vraies perspectives ni de fausses, du genre de ce que pouvait offrir, dans les années 1970, ici en France, le retour de la gauche au pouvoir.
La perspective de renverser le pouvoir de la bourgeoisie et de changer de fond en comble la société, qui a fait agir plusieurs générations du mouvement ouvrier, a presque complètement disparu de la conscience collective de la classe ouvrière.
Cette situation n’est pas nouvelle. Mais, pendant les quelque vingt ans entre le milieu des années 1950 et celui des années 1970, où, dans un riche pays impérialiste comme la France, l’économie capitaliste assurait à une majorité « le gîte et le couvert », tant qu’on trouvait du travail avec un salaire qui permettait de vivre, la situation objective elle-même semblait corroborer les perspectives réformistes.
Cette époque est finie. Mais, contrairement à la crise de 1929, cela ne s’est pas produit de façon brutale. Les illusions réformistes, l’idée qu’une certaine amélioration du sort des travailleurs était possible dans le cadre du système capitaliste, ont survécu bien après que la crise de l’économie a poussé la bourgeoisie à intensifier son offensive contre la classe ouvrière.
Comment aurait-il pu en être autrement alors que le PCF, les appareils syndicaux ont continué à rouler sur les mêmes rails réformistes ? Face à la crise et à l’offensive du grand capital pour en faire supporter les conséquences aux salariés, ils continuent à prêcher l’illusion que la crise de l’économie peut être surmontée avec une autre politique dans le cadre du système capitaliste.
Et, avec le déclin électoral du PC, bien d’autres illusionnistes sont candidats pour prendre le relais. Ici, en France, Mélenchon a tenté sa chance sans avoir réussi. Pire, l’extrême droite lepéniste est en train de s’imposer même dans l’électorat ouvrier.
La classe ouvrière a pris du retard face à la bourgeoisie. L’intensification de la lutte de classe dans les entreprises, comme les mesures antiouvrières des gouvernements, ont trouvé une classe ouvrière désarmée sur le plan politique.
Le poids des appareils réformistes et l’abandon du combat pour le renversement du capitalisme font que la crise et tout ce qui en découle apparaissent aux yeux des masses comme des faits objectifs, quasiment comme des catastrophes naturelles, où le mieux que l’on puisse faire, c’est de se protéger, de protéger sa famille, sa communauté.
On ne peut comprendre l’évolution réactionnaire de la vie politique et de la vie sociale, la montée dudit « populisme » dans tout le pays, si on ne comprend pas que sa dynamique résulte de l’absence de la classe ouvrière sur le plan politique. Qu’elle résulte du manque d’un parti implanté dans la classe ouvrière, défendant la perspective du renversement de la société bourgeoise.
Et c’est faute de cette perspective que les travailleurs, même les plus conscients des dégâts de l’économie capitaliste, même les plus combatifs, ne trouvent sur leur chemin que des démagogues.
Les dégâts du capitalisme ont jusqu’à présent éveillé surtout des inquiétudes, du dégoût, du désarroi sur le caractère nocif du système. « Il y a consensus sur les maux du capitalisme » (Joseph Stiglitz). C’est incontestable, mais il est significatif qu’un des hommes les plus en vue des milieux intellectuels ne trouve rien à en dire d’autre que ce que des millions de travailleurs, de pauvres et jusqu’aux moins politisés des gilets jaunes ressentent dans leur vie, dans leur chair.
Pour que la classe des exploités puisse se transformer en une force sociale capable d’abattre le pouvoir de la bourgeoisie et de transformer l’organisation sociale dans ses fondements, elle a besoin de conscience, d’organisations, de partis révolutionnaires. Toute l’histoire des rapports sociaux depuis deux siècles de pouvoir de la bourgeoisie montre à la fois cette nécessité, mais aussi les immenses difficultés de la tâche.
Au fur et à mesure de la formation et de l’accroissement du capital, « la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs » (Le Manifeste du parti communiste) : le prolétariat, la classe sociale susceptible de le renverser, pour créer une nouvelle forme d’organisation de la société.
Le développement du prolétariat s’accompagnait de celui du mouvement ouvrier, qui a grandi en menant des combats successifs qui l’ont amené de la réaction instinctive des bris de machines à la conscience de ses intérêts matériels spécifiques (mutuelles, syndicats, etc.), pour en arriver à la conscience de ses intérêts politiques dont le chartisme était en son temps l’expression la plus puissante.
Mais l’idée de son rôle irremplaçable dans la transformation de l’organisation sociale basée sur la propriété privée, l’exploitation et la concurrence, par une autre, supérieure, lui a été apportée pour une large part par des générations de militants et d’intellectuels issus des rangs de la bourgeoisie. Après les tâtonnements du « socialisme utopique », c’est le marxisme qui a donné à la classe ouvrière « la science de son malheur » (Fernand Pelloutier).
Dès le début, le capitalisme a cependant exercé une puissante pression dissolvante contre laquelle se sont heurtés les efforts d’organisation du mouvement ouvrier. Le Manifeste communiste, après avoir constaté que « la condition d’existence du capital, c’est le salariat », ajoute : « Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. » C’est « le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est l’agent sans volonté propre et sans résistance » qui « substitue à l’isolement des ouvriers résultant de leur concurrence leur union révolutionnaire par l’association ».
Mais jusqu’à la destruction du capitalisme, l’antagonisme persiste entre le collectivisme – au sens de l’intérêt collectif – de la classe ouvrière et l’individualisme de la bourgeoisie. Il ne s’agit pas d’un combat d’idées et de valeurs, mais du combat bien réel de deux classes sociales opposées. Mais les idées, les valeurs et les programmes ont en même temps une importance fondamentale dans l’affrontement des classes sociales.
Pour le prolétariat en tout cas, sa force sociale dépend de la conscience qu’il en a, alors que celle de la bourgeoisie repose sur le monopole sur le grand capital et sur les appareils d’État à son service.
L’effet dissolvant du capitalisme sur les organisations du mouvement ouvrier a pris au cours de son histoire de multiples formes. Il s’est traduit pour le mouvement ouvrier par une multitude de formes d’intégration de ses propres organisations dans le système capitaliste, ponctuées d’écroulements et de trahisons.
La trahison de la social-démocratie pendant et après la Première Guerre mondiale en a été une des expressions les plus graves. Plus grave encore aura été celle du stalinisme qui a transformé le seul État ouvrier durable, issu d’une révolution prolétarienne, en un pilier de l’ordre capitaliste à l’échelle du monde.
Le capitalisme décadent a exacerbé la contradiction entre l’évolution de la société, avec son économie de plus en plus centralisée et mondialisée, et l’individualisme poussé à outrance.
Les progrès scientifiques et techniques et leur utilisation illustrent cette contradiction. L’informatique, par exemple, capable de relier des hommes, des régions éloignées les unes des autres sur la planète, donnerait des moyens d’information et de gestion extraordinaires à une société humaine consciente de ses intérêts collectifs. Mais les ordinateurs les plus puissants, dont ceux de la plus importante société de gestion d’actifs du monde, BlackRock, sont utilisés pour mettre la multitude de données qu’ils sont capables de collecter pour conseiller leurs clients et actionnaires sur les placements les plus rentables. C’est-à-dire pour spéculer.
Jusqu’aux smartphones, qui tout en permettant de communiquer avec la terre entière, isolent leurs utilisateurs dans des bulles individuelles. Chacun est le nez non pas dans le guidon, mais sur l’écran !
L’alternative formulée il y a plus d’un siècle par Rosa Luxemburg, « Socialisme ou barbarie », prend un sens supplémentaire, s’ajoutant à la concrétisation de la barbarie au siècle dernier (deux guerres mondiales, le fascisme, etc.).
Les progrès scientifiques et techniques mettent à la disposition de la bourgeoisie dominante et de leurs serviteurs politiques des moyens supplémentaires. On peut spéculer aujourd’hui au millionième de seconde près, récupérer des données personnelles à l’échelle du monde au service du marketing, utiliser les réseaux sociaux et la reconnaissance faciale pour la répression, etc.
Et jusqu’au Vatican qui vient de consacrer un chapelet connecté qui, comme le précise le jésuite qui le présentait, allie « le meilleur de la tradition de l’Église avec le meilleur de la technologie ». Voilà réinventé avec la technologie moderne l’antique moulin à prières des moines bouddhistes !
Alors, l’alternative fondamentale devant l’avenir de la société humaine reste Socialisme ou barbarie : une organisation de la société en fonction des intérêts collectifs des hommes ou la perpétuation des rapports sociaux basés sur l’exploitation et l’oppression, s’appuyant sur « le meilleur de la technologie ».
Autres effets de la décadence du capitalisme : avant que la bourgeoisie conquière le pouvoir grâce à la violence révolutionnaire des masses populaires ou par des compromis avec les anciennes classes privilégiées, puis pendant la période ascendante de son histoire, elle a été capable de porter des idées progressistes. Une toute petite minorité de la bourgeoisie, notamment son intelligentsia, a été capable, en se préoccupant des problèmes sociaux, d’épouser les intérêts du prolétariat. De manière paternaliste pour les socialistes utopiques. De manière révolutionnaire pour une génération dont les meilleurs représentants étaient Marx et Engels.
La bourgeoisie, sa caste intellectuelle, n’en sont plus capables. L’intelligentsia a été transformée par le capitalisme en mercenaire de la grande bourgeoisie, destinée à servir dans le fonctionnement de son appareil d’État, mais aussi dans les médias et dans la culture.
Cela ne date certes pas d’aujourd’hui : l’intelligentsia bourgeoise n’a joué un rôle révolutionnaire, notamment en France, qu’à une époque où la bourgeoisie menait encore son combat contre l’ancien ordre social. Mais il y a plus d’un siècle déjà qu’un Lafargue, représentant du courant socialiste en train de se former, dénonçait la pusillanimité des intellectuels de son temps.
En Russie, en retard par rapport à l’évolution de la bourgeoisie d’Europe occidentale, une fraction de l’intelligentsia, de Plékhanov à Lénine et Trotsky, a permis le développement de la social-démocratie russe, puis du bolchevisme.
Des pays impérialistes jusqu’aux pays pauvres, non seulement aucune fraction de la petite bourgeoisie intellectuelle n’a joué ce rôle, mais elle a contribué à démolir le courant révolutionnaire du mouvement ouvrier, avant de gaver ce dernier d’idées, de valeurs qui vont dans le sens de la préservation de l’ordre bourgeois.
Dans les pays impérialistes, les intellectuels les plus en vue ont complété le rôle des appareils réformistes issus de l’aristocratie ouvrière, pour faire passer le réformisme comme seule politique possible pour le mouvement ouvrier. Ils ont joué un rôle d’intermédiaires entre réformisme stalinien et classe ouvrière. Les uns, du genre d’Aragon et de toute une armada d’intellectuels plus ou moins stipendiés par la bureaucratie soviétique, pour présenter le réformisme stalinien comme le communisme des temps modernes. Les autres, compagnons de route du genre de Sartre, pour « ne pas désespérer Billancourt ».
Dans les pays pauvres, explosifs après la Deuxième Guerre mondiale, c’est la même catégorie qui a joué un rôle décisif dans l’organisation des masses opprimées pour canaliser la révolte de celles-ci vers le nationalisme, progressiste ou pas. Les puissants ébranlements qui ont secoué le monde après la guerre ont abouti, de la Chine à l’Inde en passant par l’Indonésie et bien d’autres pays, aux régimes que l’on sait, tous intégrés dans le système impérialiste mondial en révolte autour des idées nationalistes.
La situation particulière des ex-Démocraties populaires a engendré une génération de militants d’origine intellectuelle comme, en Pologne, Kuron et Modzelewski, capables de se lier à la classe ouvrière et qui ont payé le prix de leur activité politique. Mais leur rôle n’a été, en dernier ressort, que d’amener la plus puissante succession d’explosions ouvrières dans l’Europe d’après-guerre, en 1981-1989, vers l’Église catholique et vers la bourgeoisie.
En 2013, Modzelewski titrait ainsi son autobiographie : Nous avons fait galoper l’histoire, confessions d’un cavalier usé. Il est mort (en avril 2019) en ne se reconnaissant pas dans le régime réactionnaire de la Pologne actuelle, mais sans s’être posé la question de l’évolution des choses dans son pays et surtout sans faire face à sa propre responsabilité.
On ne peut imaginer une renaissance des courants révolutionnaires sans la prise de conscience d’une partie au moins du prolétariat. Mais, à cette renaissance, ne pourront contribuer que des intellectuels qui, non seulement auront rompu avec leur petite bourgeoisie d’origine, mais qui seront capables de faire leur et d’assimiler le marxisme, les idées du communisme révolutionnaire.
Il est vain de spéculer sur le moment où la classe ouvrière recommencera à jouer un rôle politique et encore plus sur le lieu où cela se produira. Le capitalisme en crise rend la situation plus instable et plus explosive dans tous les pays.
Faute de renaissance du communisme révolutionnaire, les explosions les plus violentes de la classe ouvrière et, plus généralement, des classes populaires ne peuvent déboucher sur quoi que ce soit qui fasse avancer le changement de l’ordre social.
Notre raison d’être, c’est de perpétuer ces idées sans les affadir, sans les diluer, de façon à ce qu’elles puissent redevenir l’instrument de combat dont les masses révoltées pourront s’emparer.
En tant que communistes révolutionnaires, aussi faibles que soient nos forces aujourd’hui, nous sommes optimistes pour l’avenir. Car, depuis que l’homme est sorti des âges primitifs, l’humanité a toujours su trouver le chemin pour assurer de plus en plus sa maîtrise sur la nature. Elle finira tôt ou tard par maîtriser sa propre vie sociale.
Le Moyen-Orient
Le Moyen-Orient n’est pas près de sortir de la situation de guerre permanente dans laquelle il est placé depuis des années. La volonté affichée des États-Unis de faire tomber le régime iranien menace de déboucher sur un conflit ouvert. Elle revient en tout cas déjà à donner à leurs alliés privilégiés dans la région un feu vert pour agir. L’Arabie saoudite en use en poursuivant une guerre meurtrière au Yémen où elle fait largement usage des armes américaines et françaises. Les dirigeants israéliens ordonnent des raids en Syrie sur des objectifs qu’ils considèrent comme des postes avancés iraniens. Plus que jamais, malgré leurs difficultés politiques intérieures, ils peuvent affirmer leur intransigeance vis-à-vis des Palestiniens, au point de projeter d’annexer officiellement la Cisjordanie.
Le retrait des militaires américains envoyés auprès des Kurdes de Syrie a été aussi un feu vert donné à la Turquie pour déclencher contre ceux-ci une nouvelle intervention. Comme toujours, le gouvernement Erdogan se lance dans une aventure guerrière comme un moyen de tenter de sortir de ses difficultés intérieures. Il pense ainsi recréer autour de lui l’unité nationale et restaurer son crédit mis à mal par la crise économique, comme on l’a vu lors des élections du printemps quand son parti a perdu les mairies des principales grandes villes. Peu lui importe, et peu importe aux dirigeants américains qui lui ont donné leur feu vert, si cela implique de nouvelles souffrances pour la population kurde et si cela risque de relancer la guerre des milices qui déchire la Syrie depuis des années, au moment même où elle semblait en passe de finir.
L’ouverture de ce nouveau front avec l’accord du gouvernement américain cache sans doute bien des calculs et des tractations secrètes, notamment avec la Russie, sur le partage des zones d’influence dans la région. En tout cas, elle souligne le cynisme de la politique des grandes puissances. Les États-Unis n’ont appuyé les Kurdes de Syrie que tant qu’ils avaient besoin de leurs combattants pour vaincre l’organisation État islamique. L’intervention turque leur rend service en leur évitant d’avoir à s’engager en retour en faveur de l’autonomie des Kurdes syriens, ce qu’ils n’ont jamais eu l’intention de faire. Les dirigeants impérialistes sont capables de s’affirmer pour la démocratie et le droit des peuples, juste le temps de les utiliser pour leurs propres objectifs avant de les livrer à leurs ennemis. L’histoire des luttes des Kurdes pour leur existence nationale est une longue suite de telles instrumentalisations par les puissances voisines, invariablement suivies de lâchages et de répressions violentes. Cela en fait l’otage de ces puissances, de l’évolution de leurs alliances et de leur utilisation par l’impérialisme. La politique même des dirigeants nationalistes kurdes, qui ne voient d’issue que dans la recherche du soutien d’un État ou d’un autre, les enferme dans cette situation.
Les premières victimes de la situation du Moyen-Orient sont les populations qui subissent les guerres, les bombardements et les massacres, contraintes maintenant de vivre dans des pays en grande partie détruits où des besoins de base comme la fourniture d’eau et d’électricité et d’un minimum de services publics, voire la simple possibilité de manger et de se loger, ne sont plus assurés. En Syrie et surtout en Irak, la relative détente qui a suivi la période de guerre ouverte suscite inévitablement dans la population des espoirs qui se heurtent à la réalité. Les lenteurs de la reconstruction, la corruption qui l’accompagne, le mépris des autorités entraînent en Irak des mouvements de révolte que les milices et les partis communautaires ont de plus en plus de mal à contrôler et auxquels répond une répression sanglante. Mais en Iran, frappé par les conséquences des pressions américaines, tout comme en Turquie, qui subit une crise économique violente, on est aussi au bord de révoltes que seule l’existence de régimes dictatoriaux et leurs surenchères nationalistes réussissent jusqu’à présent à empêcher.
Huit ans après ce que l’on a nommé les « printemps arabes », les raisons qui ont donné naissance à ces révoltes sont plus présentes que jamais et rendues encore plus pressantes par la crise mondiale.
Le régime tunisien, le seul qui a gardé une façade démocratique, n’a pu satisfaire aucune des aspirations des masses populaires, à commencer par celle d’avoir un travail et un salaire qui permettent de vivre décemment. En Égypte, le durcissement de la dictature militaire a été la seule réponse à l’aggravation de la situation des masses. En Libye, au Yémen et en Syrie, les interventions de l’impérialisme et des puissances régionales ont débouché sur des guerres et sur un chaos aux conséquences dramatiques.
Les mêmes causes continuent cependant de produire les mêmes effets. Au Soudan, les manifestations contre la dictature militaire n’avaient pas cessé ces dernières années, encouragées aussi par l’exemple des autres pays arabes. Mais fin 2018 c’est une véritable explosion sociale qui s’est produite à la suite de la décision du régime de tripler le prix du pain. Face aux manifestations, le dictateur Omar al-Bechir a dû partir, les sommets de l’armée prenant la relève pour mettre en place un simulacre de transition démocratique. Cette manœuvre, tentative de répéter ce qui s’est produit en Tunisie et en Égypte en 2011, n’a guère fait illusion. Les militaires n’ont pu faire cesser les manifestations qu’en recourant à une répression sanglante, marquée par le massacre du 3 juin et ses centaines de morts, avant d’instituer un gouvernement où quelques civils servent de couverture à la dictature de l’armée. Comme en Égypte, c’est cette armée, parrainée et financée par les riches bourgeoisies d’Arabie saoudite et des Émirats, qui est l’ultime recours pour la dictature de la bourgeoisie locale et de l’impérialisme.
En Algérie, on continue d’assister à un mouvement d’une ampleur et d’une durée rares. Le profond mécontentement social se tourne contre le régime et contre la corruption des clans au pouvoir. Le slogan « Système dégage » résume, comme cela avait été le cas en Tunisie et en Égypte, l’idée que c’est tout le système politique qui est à revoir car ne répondant en aucune façon aux aspirations de la population. C’est une revendication démocratique, au sens où les masses voudraient un régime politique qui les respecte, dans lequel elles aient voix au chapitre et qui satisfasse leurs droits élémentaires. Ce mouvement qui ne se reconnaît dans aucune force politique constituée a trouvé en lui-même suffisamment de ressources pour continuer depuis plusieurs mois à mobiliser la jeunesse et aussi une grande partie des couches populaires. En touchant toute la société, il encourage les travailleurs à s’organiser pour poser leurs propres revendications au sein de leurs entreprises, même si jusqu’à présent la classe ouvrière n’est pas apparue en tant que classe organisée et ayant ses objectifs propres. Pour le moment, les manœuvres du pouvoir politique ont été incapables de faire cesser une mobilisation dont l’importance lui interdit de recourir à une répression directe et violente. Cependant, elle reste une des éventualités auxquelles il faut s’attendre.
Au Soudan et en Algérie, c’est une deuxième vague des mouvements nés en 2011 dans le monde arabe qui se produit. Cependant, l’expérience égyptienne est passée par là, dans laquelle l’armée a prétendu assurer une transition démocratique mais a fini par reproduire une dictature militaire pire que celle de Moubarak. Au Soudan, à peine sorti d’années de dictature des militaires, ceux-ci en fait de transition répondent au mouvement de masse par des massacres. En Algérie, les tentatives du chef d’état-major de l’armée de se présenter comme l’homme d’un renouveau démocratique suscitent d’autant plus la méfiance.
Par ailleurs, les courants politiques intégristes, qui avaient connu un essor dans une grande partie du monde musulman, sont aujourd’hui très discrédités. C’est le résultat de leur participation au pouvoir politique non seulement en Iran, mais aussi dans d’autres pays comme le Soudan où les partis intégristes ont été parmi les soutiens de la dictature et ont donné le spectacle de leur corruption et de leur mépris pour les masses. Là où ils se sont radicalisés en donnant naissance à des mouvements djihadistes prêts à exercer leur dictature sur les populations, comme en Algérie lors de la « décennie noire » et plus tard en Irak et en Syrie dans les territoires conquis par l’organisation État islamique, les courants intégristes laissent également un très mauvais souvenir. Pour autant, en l’absence de mouvements capables de les concurrencer, on ne peut exclure qu’ils reviennent en force.
Les masses qui se révoltent lors de cette seconde vague des « printemps arabes » y sont poussées par une situation que la crise et ses déclinaisons locales rendent de plus en plus insupportable. En même temps, aucun courant politique ne se montre en mesure de représenter leurs aspirations. Cela ne fait que rendre la nécessité d’une direction révolutionnaire plus évidente, et son absence plus dramatique.
Les États-Unis
La politique américaine continue d’être dominée par la personnalité de Trump, ses déclarations et ses tweets souvent stupides, parfois grossiers, toujours réactionnaires, et par les difficultés des démocrates à exister face à un tel démagogue. Lors de l’élection présidentielle de 2016, Trump était parvenu à toucher une partie des travailleurs blancs, un électorat traditionnellement plus favorable aux démocrates. La fidélité de cet électorat à son égard sera un des enjeux de la prochaine présidentielle.
Lors des élections de mi-mandat, en novembre 2018, les démocrates ont obtenu la majorité à la Chambre des représentants, mais pas au Sénat. Autrement dit, ils peuvent constituer une épine dans le pied de Trump, mais pas l’empêcher de mener sa politique, si tant est qu’elle soit différente. Ces derniers mois, avec l’élection présidentielle de novembre 2020 en ligne de mire, ils ont engagé au Congrès une procédure de destitution, qui n’aboutira peut-être pas mais vise à l’affaiblir, ou à montrer à leurs électeurs qu’eux-mêmes ne sont pas inactifs. Ils se sont également lancés dans la pré-campagne présidentielle. Bien malin, qui pourrait dire à ce stade qui l’emportera des primaires démocrates, puis de l’élection elle-même. Il est en tout cas notable que les candidats qui se réclament de la gauche (Bernie Sanders et Elisabeth Warren) ont le vent en poupe, en tout cas auprès de la jeunesse et des étudiants. Déjà en novembre 2018, les élections de mi-mandat avaient envoyé au Congrès des représentantes ayant soutenu Sanders en 2016 et étant favorables à ce que la santé et l’enseignement supérieur soient pris en charge par l’État. Certaines, comme la jeune représentante de New-York Alexandria Ocasio-Cortez, se réclament même du « socialisme démocratique ». D’un côté, ces succès électoraux, après celui, relatif, de la campagne de Sanders en 2016, traduisent le mécontentement de toute une partie de la population laborieuse et de la jeunesse face à un capitalisme toujours plus sauvage, toujours plus féroce, toujours plus aberrant. En même temps, leur projet n’a de socialiste que le nom. En tant que figures du Parti démocrate, ses avocats s’inscrivent dans la continuité de l’État bourgeois américain et de son rôle de puissance impérialiste, assumée par le passé autant par les présidents démocrates que républicains.
Les médias occidentaux rabâchent que l’économie américaine se porte bien. À en croire l’administration Trump, le chômage s’établirait officiellement à 3,7 %, au plus bas depuis 1969, à un niveau deux fois moindre que la moyenne des pays de la zone euro. En réalité, la situation de l’emploi ne s’améliore pas. D’abord, toute une partie des travailleurs le sont à temps partiel et sont, malgré un ou plusieurs jobs, sous le seuil de pauvreté. Alors que le taux de participation au marché du travail, qui mesure la part de la population qui a ou cherche du travail, était de 66 % en 2008, il est aujourd’hui de 62,7 %. Autrement dit, au moins 23 millions d’Américains, âgés de 25 à 54 ans, sont à l’écart du marché de l’emploi. Alors même que de plus en plus de personnes âgées, parfois septuagénaires voire octogénaires, sont obligées de travailler pour compléter leur maigre retraite, toute une partie de ceux qui sont dans la force de l’âge sont marginalisés, souvent après des années de précarité. Et pour ceux qui restent sur le marché du travail, les emplois créés par la nouvelle économie sont dignes du 19e siècle. Des reportages ont montré la vie de ces retraités qui emballent des colis chez Amazon pour arrondir leur pension ; ou de ces « travailleurs du clic », qui travaillent chez eux pour 30 cents par heure.
Dans ce qui demeure un des pays les plus riches du monde, l’espérance de vie baisse depuis trois ans maintenant, un fait inédit depuis la Première Guerre mondiale et l’épidémie de grippe espagnole. Les inégalités ne cessent d’augmenter. 1 % des Américains possèdent 40 % de la richesse nationale ; les 0,1 % les plus riches possèdent autant que les 90 % les plus pauvres. Comment pourrait-il en être autrement ? L’État n’a cessé, au niveau fédéral et au niveau local, de favoriser les plus riches. Depuis dix ans, le salaire minimum fédéral (7,25 dollars par heure, soit 6,50 euros par heure) n’a pas augmenté et les impôts payés par les plus riches ont été réduits. Dans la continuité de ses prédécesseurs, Trump a fait adopter une réforme fiscale allégeant les impôts des grandes entreprises et des plus riches de centaines de milliards de dollars. En 2018, les milliardaires ont en réalité été imposés à un taux moindre (23 %) que le reste de la population (28 %). Ces cadeaux fiscaux se traduisent par une dette publique record, de 22 000 milliards de dollars.
Trump a poursuivi sa guerre commerciale contre la Chine et, dans une moindre mesure, contre l’Union européenne. Cette année, des taxes ont visé des produits technologiques, en particulier dans les télécommunications, les firmes chinoises ZTE et Huawei. Les mesures protectionnistes sont adoptées à coups de trompette, et leur dimension démagogique vis-à-vis de l’électorat populaire américain est évidente. Dans de nombreux cas, il y a eu un décalage entre les mesures annoncées et celles effectivement mises en œuvre. Il est fréquent que les multinationales américaines s’opposent à une hausse des tarifs douaniers. Par exemple, Apple est certes en concurrence avec Huawei ; mais elle importe massivement de Chine et a demandé à ne pas être taxée. Les grandes firmes automobiles américaines veulent pouvoir continuer à acheter de l’acier bon marché. Boeing et Airbus sont certes en concurrence mais Boeing achète de plus en plus de pièces aux équipementiers européens (par exemple, pour 6,3 milliards de dollars en France en 2017, soit + 40 % par rapport à 2012). Boeing ne veut pas non plus d’une guerre commerciale avec la Chine, où elle vend de nombreux avions. Cependant, la guerre commerciale n’est pas qu’un effet d’annonce et ne relève pas seulement de calculs politiques. Elle traduit aussi une exacerbation de la concurrence entre les firmes capitalistes. Huawei ne produit pas seulement des smartphones mais est également en pointe dans les infrastructures de réseaux de télécommunication où elle concurrence directement les intérêts américains. Les États-Unis ont tenté de forcer la main de leurs interlocuteurs canadiens, mexicains ou chinois, pour des accords qui soient plus à leur avantage. Le spectre des années 1930, avec son protectionnisme acharné, est régulièrement agité. Et tout comme des incidents militaires peuvent déboucher sur une vraie guerre, on ne peut exclure que la guerre commerciale dégénère.
L’aberration de la domination capitaliste s’est illustrée récemment. En Californie, en novembre 2018, des incendies géants avaient ravagé plus de 100 000 hectares, détruit la ville de Paradise (20 000 habitants), et fait 85 morts. Ces incendies avaient été causés par le mauvais entretien dont fait l’objet le réseau électrique. Récemment, face au temps sec et aux vents violents, le principal fournisseur d’énergie de la région, Pacific Gas and Electric (PG & E) a rapidement adopté une mesure drastique : il a coupé l’électricité à plus de deux millions d’habitants en Californie. De nombreux commerçants doivent fermer leurs portes, des habitants s’éclairer à la bougie, et les personnes sous dialyse ou assistance respiratoire sont menacées, tandis que les télés montraient des scènes d’accidents aux carrefours privés de feux rouges. PG & E a gagné beaucoup d’argent, mais a préféré arroser ses actionnaires plutôt que sécuriser ses installations, avec les conséquences qu’on voit. La Californie abrite les secteurs de pointe de l’économie américaine et se targue de mettre au point des innovations techniques les plus avancées ; cet État, dont on dit parfois qu’il est la cinquième économie du monde, est une sorte d’eldorado capitaliste. C’est une vitrine, mais dans l’arrière-boutique, on s’éclaire à la bougie !
Dans ce contexte d’offensive féroce de la bourgeoisie, les travailleurs prennent plus de coups qu’ils n’en rendent. Les résistances qu’ils offrent sont donc d’autant plus notables. Ainsi, les 48 000 salariés de General Motors sont maintenant en grève depuis le 15 septembre pour des hausses de salaires, une meilleure couverture santé, et de meilleurs contrats. Après six semaines de grève, une majorité de travailleurs de General Motors ont accepté l’offre de la direction, environ 40 % votant pour la poursuite de la grève. Si, sur la question des emplois, les travailleurs n’ont pas gagné, ils ont obtenu des concessions patronales sur les titularisations et sur les salaires. En tout cas, c’est la première fois depuis 1976 que, dans une des trois grandes multinationales automobiles, des dizaines de milliers de travailleurs font grève à l’échelle du pays. Cette lutte qui, pour une fois, n’est pas menée par la classe capitaliste mais par la classe ouvrière, est, aux yeux de millions de travailleurs, un gage pour l’avenir.
La Chine et ses relations avec les États-Unis
En s’adressant aux 90 millions de membres du PC chinois, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, Xi Jinping, dirigeant aujourd’hui incontesté du pays après l’élimination au fil des ans de ses principaux rivaux, s’est glorifié de ce « miracle de développement économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité » (rapporté par Le Monde), pour ajouter « la Chine a réussi à accomplir quelque chose que les pays développés ont mis plusieurs centaines d’années à réaliser ».
Le développement est incontestable. Cet immense pays, dépecé pendant un siècle, du milieu du 19e au milieu du 20e siècle, par les principales puissances impérialistes, frappé par des interventions militaires, voire des invasions : notamment britannique, française puis japonaise, étranglé, humilié, a réussi à se libérer de l’emprise directe de l’impérialisme et à se débarrasser des seigneurs de guerre et des castes parasites qui maintenaient l’écrasante majorité de sa population dans des conditions moyenâgeuses.
Le Parti communiste chinois (PCC) a été porté au pouvoir par la plus puissante révolte paysanne que l’Asie ait connue pendant et au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
C’est cette révolte paysanne qui a débarrassé la société chinoise de quelques-uns des aspects les plus moyenâgeux si complaisamment acceptés par les démocraties impérialistes au temps de leur mainmise sur la Chine (oppression sans limite des paysans par des propriétaires terriens, oppression abjecte des femmes, etc.). C’est en s’appuyant sur cette révolte qu’une équipe nationaliste sous étiquette communiste a réussi à mettre en place un État fort et centralisé, comme le pays n’en avait pas connu depuis un siècle.
Cet appareil d’État a permis à la Chine de tenir tête à toutes les tentatives de l’impérialisme de remettre la main sur elle. Tenir tête sur le plan militaire mais aussi résister au boycott économique.
Nous avons toujours considéré l’appareil d’État chinois, qui n’était pas issu de la révolution prolétarienne, contrairement à l’État soviétique, comme un instrument du développement bourgeois de la Chine, même à l’époque où il était allié à l’URSS et faisait partie du camp dit socialiste ; ou un peu plus tard, à l’époque où la Chine passait pour l’incarnation d’un communisme pur et dur face à l’URSS révisionniste.
Aujourd’hui, bien que le parti dirigeant porte toujours l’étiquette « communiste », le pays est devenu celui d’un capitalisme « sauvage », où a émergé une nombreuse bourgeoisie, issue en partie de l’ancienne classe bourgeoise qui a longtemps trouvé refuge à l’extérieur du pays et, en partie, de la bureaucratie d’État.
La raison fondamentale de ce « miracle de développement économique », dont parlait Xi Jinping, était cet étatisme qui a bâti les fondations de l’économie d’aujourd’hui sur le dos directement de la paysannerie en ses débuts et, au fur et à mesure que les paysans chassés des campagnes se prolétarisaient, sur l’exploitation de la classe ouvrière.
Ce sont l’étatisme et la centralisation qui ont permis à la Chine de se protéger de la mainmise directe de l’impérialisme et de développer son économie. Elle a pu le faire en s’appuyant sur une population nombreuse, sur laquelle le pouvoir central a pu prélever de quoi réaliser une sorte d’accumulation primitive, contrairement à tant d’autres pays sous-développés, y compris l’Inde où l’accumulation se fait en partie, certes, au profit de la classe privilégiée locale, mais, bien plus encore, au profit de la bourgeoisie impérialiste.
Dès sa mise en place, l’appareil d’État a eu un rôle ambivalent. Instrument d’oppression des classes populaires, et en particulier de la classe ouvrière, il a été un instrument de résistance face à l’impérialisme.
L’aspect « protection contre la menace impérialiste » a été déterminant pendant le tout début du régime de Mao, lorsque l’impérialisme, notamment américain, le soumit au blocus économique et à la menace militaire. (La menace se transforma en affrontement direct en Corée et fut près de l’être dans certaines phases de la guerre au Vietnam).
Mais, au fil du temps, tout en maintenant sa forme dictatoriale, le régime a autorisé puis favorisé l’accumulation de capitaux privés. C’est le développement économique dû précisément à l’étatisme qui a fait que l’État, d’instrument de défense contre l’impérialisme, est devenu en même temps le facteur d’intégration dans l’économie mondiale dominée par l’impérialisme.
L’appareil d’État lui-même a servi d’intermédiaire entre la bourgeoisie impérialiste et la Chine, mais sur la base d’un autre rapport de force, plus favorable au développement de la bourgeoisie chinoise que ce qui était dans les possibilités, et même dans la volonté, de la bourgeoisie compradore du temps de Tchang Kaï-chek.
Au cours de la dernière période, disons depuis l’accession de Deng Xiaoping au pouvoir en 1978, la Chine s’est de plus en plus intégrée dans le marché mondial. Sur le plan économique puis sur le plan diplomatique, elle s’est hissée au premier rang sur la scène internationale.
Elle reste un pays sous-développé par bien des aspects de son économie : cela se reflète, en particulier, dans le fait que, si le PIB du pays arrive au deuxième rang derrière celui des États-Unis, pour le PIB par habitant la Chine reste derrière le Mexique, l’Azerbaïdjan ou la République dominicaine ! (données du Fonds monétaire international en 2017). Loin devant l’Inde, cependant !
Bien que le développement économique relatif de la Chine soit dû aux efforts volontaires, mais plus souvent contraints, des masses ouvrières et paysannes, Xi Jinping peut se vanter du fait que la Chine domine aujourd’hui l’industrie mondiale de produits manufacturés. La Chine est aujourd’hui le plus grand producteur d’acier, d’aluminium, d’ameublement, de vêtements et même de téléphones mobiles ou d’ordinateurs (extrait de Vers la guerre, de Graham Allison).
L’enrichissement de la bourgeoisie locale, l’émergence d’une petite bourgeoisie relativement nombreuse, mais surtout la taille colossale de sa population, a conduit à faire de ce pays le premier marché mondial pour les voitures et les téléphones portables ; il compte plus d’utilisateurs d’internet qu’aucun autre pays. Aux dernières nouvelles, il y aurait 475 milliardaires chinois dans le monde, contre 16 en 2008 (Les Échos). Ce n’est pas sans raison qu’il y a eu, au cours des toutes dernières années, un engouement des multinationales des pays impérialistes pour le marché chinois.
Une autre face de cette même réalité est la fusion de capitaux de puissances impérialistes avec des capitaux chinois, étatiques ou privés. Avec l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale impérialiste, toute une partie de l’accumulation due au développement industriel se fait au profit de capitaux occidentaux ou japonais.
Mais cette intégration croissante qui renforce la dépendance de la Chine à l’égard de l’économie mondiale dominée par l’impérialisme se produit à l’époque d’un capitalisme en crise et de plus en plus financiarisé. Signe de la forme que prend aujourd’hui cette intégration, un numéro des Échos (31 juillet 2019) titrait : « La Chine, far-west des hedge funds ». Et expliquait : « Près de 9 000 gérants alternatifs sont en concurrence en Chine. Les fortunes se font et se défont d’une année à l’autre suivant les montagnes russes des marchés boursiers chinois. Face aux risques d’abus, les autorités commencent à réagir. » Si elles le font avec la même efficacité que les puissances impérialistes, des États-Unis à l’Europe, c’est mal parti.
Depuis plusieurs années, la Chine est appelée « l’atelier du monde » par les économistes. Mais cet atelier travaillait, pour une large part, pour des joint-ventures mélangeant l’État chinois actionnaire aux actionnaires privés de pays impérialistes, ou encore en sous-traitance pour de grandes multinationales attirées par la croissance du marché chinois, mais aussi par le fait que cette croissance était protégée par un régime dictatorial.
En tant que telle, pendant quelques années, la Chine a tiré en avant toute l’économie mondiale, et en particulier le secteur productif. Pour fournir aux sous-traitants chinois de trusts internationaux des matières premières, on rouvrit des mines de fer en Australie, des mines de cuivre en Bolivie, etc.
Mais la crise mondiale du capitalisme devait se répercuter sur la Chine. Cela a déjà commencé, pour le moment non par une chute de la production manufacturière, mais par le ralentissement de sa progression.
Les conséquences sociales d’un recul même relatif de l’économie chinoise risquent d’être catastrophiques pour les classes exploitées. Aussi dictatorial que soit le régime, il n’a pas les moyens de renvoyer les millions de prolétaires sous-payés dans les campagnes. La situation risque d’être autrement plus explosive que dans les pays impérialistes qui disposent d’un « matelas social ».
Or, le prolétariat chinois est aujourd’hui numériquement le plus important du monde. Les dirigeants chinois ont des raisons de le redouter, et pas seulement eux.
Dans son discours cité par Le Monde (cf. plus haut), Xi Jinping rappelle aux puissances impérialistes que, si le bateau chinois coule, le monde impérialiste risque de couler avec… Histoire de rappeler à ces dirigeants occidentaux que, face à la classe ouvrière chinoise, leurs intérêts et ceux du régime sont fondamentalement les mêmes. Il affirme : « Durant les soixante-dix dernières années, le succès de la Chine se résume à celui de la direction du Parti communiste chinois. En raison de l’étendue de son territoire et de la complexité de ses conditions nationales, la gouvernance de la Chine est une difficulté sans pareille. Sans un leadership centralisé, unifié et ferme, la Chine aurait eu tendance à se diviser et à se désintégrer, provoquant un chaos généralisé au-delà de ses propres frontières. »
La progression économique de la Chine et quelques-unes des manifestations de cette progression (notamment ce qu’on a appelé « la route de la soie ») alimentent les fantasmes d’un certain nombre d’économistes et de politologues. Certains, comme Graham Allison (l’auteur cité plus haut, professeur émérite à Harvard, conseiller de plusieurs secrétaires d’État à la Défense sous les présidences de Reagan, Clinton et Obama), dont la préoccupation est contenue dans le titre de son ouvrage Vers la guerre (en l’occurrence, la guerre entre l’Amérique et la Chine), affirment qu’entre une puissance montante et une puissance déjà établie, le conflit devient inévitable. Et d’appuyer ce raisonnement non seulement sur la progression de la Chine dans bien des domaines de la production, mais aussi sur sa compétence croissante dans le domaine technologique (sonde spatiale lunaire), sans parler de son renforcement militaire, dont le défilé militaire lors de la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la fondation de la Chine a servi d’illustration spectaculaire…
Il faut cependant souligner que cette puissance militaire est largement derrière celle des États-Unis : en 2016, la Chine allouait 216 milliards de dollars aux dépenses d’armement, alors que les États-Unis dépensaient 600 milliards de dollars. Les États-Unis comptent 11 porte-avions, la Chine en compte… deux. Les États-Unis déploient 200 000 hommes dans 800 bases militaires dans le monde, hors de leur territoire. La Chine possède une seule base à l’étranger (Djibouti).
Les zones de friction entre la Chine et les États-Unis, ou avec les alliés de ces derniers (Japon, Taïwan, Philippines, Corée du Sud), sont déjà là. Et il ne manque pas d’étincelles pour provoquer – ou pas – une explosion.
Il serait ridicule de tenter de prévoir par quel enchaînement de raisons les deux pays pourraient arriver à l’affrontement. Il est certain que c’est l’impérialisme qui en porte la menace.
L’origine de la Deuxième Guerre mondiale n’était pas du côté de l’URSS de l’époque, mais découlait des rivalités entre grandes puissances impérialistes. Une guerre entre les États-Unis et la Chine serait la troisième guerre mondiale.
La Russie - L'Ukraine
Il y a vingt ans, en succédant à Eltsine au Kremlin, Poutine avait, singeant Staline à propos des koulaks, promis de « liquider la classe des oligarques ». La population voyait cette classe comme le fruit pourri de l’effondrement de l’URSS, d’une décennie de chaos politique, de pouvoir central affaibli, de pillage effréné de l’économie par les clans et mafias de la bureaucratie avec, pour résultat, la paupérisation de dizaines de millions de travailleurs. Poutine ayant mis au pas ceux des super nouveaux riches qui en prenaient trop à leur aise avec l’État, celui-ci put s’affermir et une relative reprise économique permit à des dignitaires du régime et à des affairistes bien en cour d’accéder au palmarès mondial de la fortune. Selon le classement qu’en dresse Forbes, la Russie n’avait aucun milliardaire en dollars en 2000 ; huit ans plus tard, ils étaient 82. Et on en compterait 98 en 2019, malgré une stagnation de plus en plus notable de l’économie depuis la crise de 2008, et aggravée par les sanctions occidentales au prétexte de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
Un effet de la dégradation de la situation économique est que nombre d’affairistes petits et grands quittent le pays en quête de cieux plus favorables à leur enrichissement. Et qu’un des prototypes des oligarques, Arkadi Rotenberg, magnat du BTP et ami de Poutine, vient de faire reprendre par un géant semi-public, Gazprom, la société à laquelle il doit son enrichissement. Ce qu’il récupérera ainsi, il pourra aller le placer, dans la spéculation sans doute, mais dans un lieu plus sûr que la Russie, même quand on y dispose de la protection de son président.
Si le Kremlin a d’abord fanfaronné que, loin de l’affaiblir, les mesures de rétorsion de l’Occident stimuleraient l’économie en forçant ceux qui en ont les moyens à enfin y investir, le résultat, hormis le secteur agro-alimentaire, est bien différent. Et en tout cas loin de contrebalancer les coups portés à une économie russe à la fois contrainte à une certaine autarcie et toujours plus dépendante du marché mondial, de ses soubresauts et ralentissements, en tant qu’elle exporte principalement des matières premières.
D’abord parce qu’avec la crise mondiale qui s’aggrave, l’économie des puissances impérialistes et de leurs sous-traitants, les pays dits émergents, se détourne de plus en plus du développement de la production, ce qui fait que la Russie se retrouve à vendre moins facilement son gaz et son pétrole, et a donc moins de devises pour se procurer ailleurs ce qui lui fait défaut. Ensuite, parce qu’en Russie même des combinats qu’avaient repris des trusts occidentaux (Volkswagen, Renault, Skoda) ou des usines que Ford, PSA, Mitsubishi avaient créées pour produire des véhicules avec une main-d’œuvre qualifiée bien moins payée qu’à l’Ouest, réduisent leur production (GAZ à Nijni-Novgorod) et les salaires, suppriment du personnel (5 000 en trois ans chez AvtoVaz), voire ferment carrément.
Car la solvabilité de la petite bourgeoisie et de l’aristocratie ouvrière s’est réduite en Russie, comme – et pour les mêmes raisons dues à la crise – la capacité des marchés étrangers à absorber la production russe. Et l’industrie automobile n’est pas seule concernée.
Cela se manifeste par un endettement public-privé qui explose. Rien qu’entre 2006 et 2014 il a presque triplé, et si Poutine s’est récemment targué d’avoir un peu réussi à désendetter l’État central, cela ne vaut pas, bien au contraire, pour les régions, les particuliers et surtout les entreprises, dont la dépendance à l’égard du crédit et de ses pourvoyeurs étrangers s’est fortement accrue. Et si elle ne s’est pas plus alourdie, c’est en raison d’une faible participation de l’économie russe à la division internationale du travail, la crise actuelle restreignant d’ailleurs encore plus son insertion dans l’économie mondiale.
Les contrecoups et conséquences de la crise mondiale en Russie se manifestent, pour la population, par un renchérissement des marchandises, qu’elles soient importées ou pas, le retour du phénomène des salaires impayés et des coupes claires dans les budgets sociaux et les sommes allouées centralement au fonctionnement des services publics.
D’où un regain de réactions ouvrières. Elles restent certes isolées mais, c’est nouveau, ne concernent plus seulement les secteurs les plus exploités (BTP) et précaires (les migrants) du prolétariat ni ceux où le soutien de l’État, décisif, a presque disparu avec la fin de l’ère soviétique (métallurgie, construction de machines-outils, extraction minière, voire transports urbains). Des travailleurs qualifiés d’usines stratégiques (du complexe militaro-industriel) ont mené des grèves cette année, mais aussi des hospitaliers, le personnel des urgences médicales, des enseignants, etc. Chose nouvelle aussi, en tout cas depuis plus de deux décennies, des travailleurs sont venus aux manifestations « officielles » du 1er Mai en affichant leurs revendications concrètes, économiques et sociales, dont certaines mettaient en cause les conséquences de la politique des autorités locales ou centrales.
Le pouvoir central, qui avait attaqué de front la population en 2018 en repoussant fortement l’âge de départ en retraite, ce qui lui avait valu trois mois de contestation dans la rue, et surtout un discrédit visible dans de larges couches sociales, et d’abord parmi les travailleurs s’apprête, et pour les mêmes raisons, à lancer une nouvelle attaque contre la classe ouvrière.
Au prétexte que, selon le Premier ministre Medvedev, « nous vivons dans des conditions nouvelles depuis près de trois décennies (la fin de l’URSS) et que des actes datant de l’ère soviétique restent en vigueur et font très souvent que, tout simplement, le monde des affaires se retrouve pieds et poings liés », le gouvernement s’apprête, selon ses mots, à « passer à la guillotine » près de 20 000 normes réglementant l’activité économique, et en même temps à réduire de façon drastique toutes les possibilités d’inspection officielle du travail et des affaires. Car tout cela « nuit au développement du pays et bride l’économie ».
Ces mesures, comme celles sur les retraites, sont la réponse d’un pouvoir, confronté à l’aggravation de la crise dans le monde et en Russie, qui ne peut plus compter sur la (très relative) embellie économique des années 2000 pour s’acheter une (également relative) paix sociale.
Une réponse aussi brutale que les méthodes qu’il emploie à nouveau depuis quelques mois dans ses propres rangs, pour resserrer ces derniers, avec la valse des arrestations de responsables à tous les niveaux, y compris des généraux et des ministres. Le prétexte en est la lutte contre la corruption, et les victimes potentielles en sont innombrables tant cette pratique généralisée est consubstantielle à ce qu’est et reste la couche sociale dominante, la bureaucratie : un corps qui n’assure ses privilèges qu’en parasitant l’ensemble de la société. Reprenant une stratégie qu’avaient appliquée ses lointains prédécesseurs staliniens avec les bureaucrates de leur époque, Poutine cherche à s’assurer la fidélité des bureaucrates actuels en les tenant dans une crainte permanente, en espérant que cela assurera au régime une stabilité, que ces dernières années ont mise à mal.
En effet, avec l’aggravation de la crise dont elles aussi subissent les effets, la petite et la moyenne bourgeoisie des grandes villes ne soutiennent plus autant le Kremlin et son chef que lorsqu’ils lui semblaient garantir le développement des « affaires »… Au contraire, celles-ci devenant plus difficiles, les petits bourgeois supportent encore moins les prélèvements incessants qu’exercent sur le « business » des millions de bureaucrates dont Poutine est et se veut le chef. Et cela, sans que ses campagnes incessantes contre la corruption puissent donner le change, et surtout pas dans les couches aisées et favorisées de la population.
C’est ce qui explique le fait qu’aux municipales de cette année le pouvoir n’ait pas, à la différence de la fois précédente, laissé s’exprimer, même un peu, les candidats de l’opposition « libérale » (la plus ouvertement pro-bourgeoise, celle dont la figure de proue est Alexéï Navalny) et qu’il ait réprimé ou interdit les manifestations de ceux qui exigeaient le droit de choisir leurs candidats aux élections.
Et le pouvoir a été d’autant plus répressif que cette contestation de la petite bourgeoisie urbaine, même si elle reste sur le seul terrain politique de cette classe et dans le cadre choisi par ses leaders, pourrait être vue par d’autres couches et classes sociales comme une brèche dans le régime autoritaire de Poutine, comme une incitation pour la classe ouvrière à le contester au moment où il multiplie les attaques (emplois, conditions de travail, salaires…) contre elle.
En Ukraine, l’élection à la présidence de Vladimir Zelensky, qui apparaissait comme un outsider (par rapport au monde politico-mafieux aux commandes depuis la fin de l’URSS), voire comme un homme neuf, exprime d’abord le profond dégoût de la population de ce pays pour tous ceux qui l’ont gouverné en le pillant à qui mieux mieux jusqu’à présent.
Mais cela n’a en rien affaibli les positions ni la rapacité des clans mafieux et bureaucratiques, Zelensky étant d’ailleurs lié à l’un d’entre eux, sinon son poulain.
Cela a au moins semblé, un temps, mettre la nouvelle présidence en meilleure situation pour tenter de sortir de l’impasse sanglante de la guerre dans l’est du pays. Mais à peine Zelensky avait-il esquissé l’ébauche de ce qui pourrait servir de base de discussion avec les clans politico-militaires pro-russes qui contrôlent la majeure partie du Donbass, donc de la base industrielle et minière du pays, que les ultranationalistes ukrainiens, les bandes armées des oligarques qui guerroient à l’est et font des affaires autour de cette guerre, sont descendus dans la rue pour dénoncer un président prêt à trahir et à vendre le pays à Moscou.
C’en serait risible, si l’on oubliait les 13 000 morts de cette guerre, ses centaines de milliers de personnes déplacées, ses destructions car, au même moment, c’est aux États-Unis, en fait à Trump, que Zelensky, volontaire ou contraint, s’apprêtait à vendre ses services contre la reprise de livraisons d’armes pour combattre les pro-russes du Donbass.
Impuissant face à ses oligarques, faible devant les séparatistes qu’arme Moscou, soumis à Washington : il n’y a que contre sa population que le pouvoir ukrainien montrera sa force. Comme ses prédécesseurs. Et pour la même raison : défendre les intérêts des privilégiés et des possédants d’Ukraine, et plus encore ceux des grandes puissances.
Les pays dominés par l'impérialisme
Les effets de la crise du capitalisme sont particulièrement dévastateurs dans la partie pauvre de la planète. Par-delà leur grande diversité, ces pays ont en commun d’être sous la domination mondiale de l’impérialisme. « C’est pourquoi leur développement a un caractère combiné », pour reprendre l’expression de Trotsky, « il réunit en lui les formes économiques les plus primitives et le dernier mot de la technique et de la civilisation capitaliste » (Programme de transition).
Il y a évidemment des situations très différentes entre les pays désignés sous le nom de « pays émergents », comme nombre de pays d’Amérique latine ou d’Asie, qui sont semi-développés, mais par là même plus intégrés dans l’économie mondiale dominée par l’impérialisme et donc plus dépendants de celui-ci que les pays plus pauvres encore. Beaucoup de ces derniers sont, pour la plupart, en Afrique, quelques-uns en Asie-Pacifique, mais aussi comme Haïti, dans l’hémisphère américain.
Mais les explosions qui se produisent dans tant de pays situés aux quatre coins de la planète, du Chili au Liban en passant par la Bolivie, ont toutes pour fond commun la dégradation du sort des classes pauvres.
Il n’est pas question de faire le tour de ces explosions qui s’ajoutent à celles du Soudan ou d’Algérie, etc., dont nous parlons par ailleurs. Faute de militants sur place, expression de l’absence d’une internationale révolutionnaire, nous ne pouvons que constater ces explosions, ainsi que leur caractère chaotique et, au fond, désespéré, faute de perspectives.
Derrière la variété des revendications politiques, voire d’absence de revendications politiques autres que le départ des gouvernements corrompus, il y a partout la colère des classes sociales pauvres.
Ce qui se passe en Haïti est une des démonstrations que tant que le prolétariat n’est pas assez organisé pour intervenir sur la scène politique, la colère même tourne en rond et s’épuise dans des affrontements stériles entre cliques politiques par l’intermédiaire de bandes armées.
Nos camarades d’Haïti donneront leur analyse sur la forme que prend la colère dans le pays et sur l’axe politique de leurs activités militantes.
Nos camarades de Côte d’Ivoire rappelleront de leur côté comment se traduit concrètement le programme de la révolution permanente dans les conditions de ce pays et comment, dans l’activité politique quotidienne, même d’un embryon d’organisation, les perspectives communistes révolutionnaires sont mêlées avec des aspects d’un programme démocratique révolutionnaire (contre l’ethnisme, contre les nombreuses survivances du passé, dans la réalité sociale comme dans les têtes, ressuscitées par le colonialisme).
La crise du capitalisme peut prendre un tour plus violent encore dans la période qui vient. Le Monde du 4 octobre 2019 titrait : « Le piège de la dette se referme sur les pays pauvres ». Il précisait que l’endettement des pays en développement « a crû de 5,3 % à 7 810 milliards de dollars. La situation est particulièrement préoccupante dans les 76 pays les plus pauvres de la planète. Leur niveau d’endettement extérieur a doublé depuis 2009 […] et a même bondi au cours de cette période de 885 % en Éthiopie, de 395 % au Ghana et de 521 % en Zambie. » Toujours selon Le Monde : « De ce fait, les économies des pays pauvres sont devenues plus dépendantes des politiques monétaires des pays riches sur lesquelles elles n’ont aucune prise. Dès lors, elles sont plus vulnérables aux chocs extérieurs. » Le Monde cite à son tour un porte-parole de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) : « La dette n’est plus un instrument financier de long terme servant la croissance des pays en développement, mais un actif financier risqué soumis aux intérêts à court terme des créanciers. »
Le capitalisme pourrissant ne laisse pas d’autre avenir proche aux masses pauvres de ces pays que de crever littéralement de faim pour que s’enrichisse encore plus cette minorité de très gros capitalistes qui spéculent sur la dette de leur pays.
Aussi variés que soient les différents pays arriérés du point de vue de leur développement, aussi variés sont leurs prolétariats. Dans certains de ces pays, la classe ouvrière avait une longue tradition de lutte. Dans d’autres, la classe ouvrière est récente, sans tradition et parfois noyée dans un vaste sous-prolétariat.
La responsabilité du stalinisme est écrasante dans la dégénérescence de l’Internationale communiste, achevée par sa dissolution. Au début du prolétariat et de ses premiers combats, les idées et les politiques se transmettaient de proche en proche, de pays en pays, le prolétariat de chaque pays étant instruit par les expériences bonnes ou mauvaises du pays voisin. Le stalinisme a représenté une rupture brutale. Il a dénaturé de différentes manières les idées communistes dans les pays arriérés où le prolétariat avait un certain développement (Chine, Vietnam, etc.). Dans les autres, il n’a plus rien transmis, à part des insanités qui, toutes, tuaient dans l’œuf la possibilité d’une prise de conscience de classe.
Dans nombre de pays où la situation est explosive, le prolétariat aura à refaire le chemin de son émancipation. Mais il se relèvera !
Ce qu’on peut souhaiter est qu’apparaissent des militants issus de la classe ouvrière ou des intellectuels qui renouent avec la tradition révolutionnaire et se mettent au travail sur la base du marxisme. Aussi limitées que soient nos forces, nous avons le devoir de les aider de la seule façon possible : transmettre au mieux les idées communistes révolutionnaires.
25 octobre 2019