La situation économique internationale

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Décembre 1999

Texte de la majorité

L'année écoulée est considérée comme une bonne année par les commentateurs du monde capitaliste. La crise financière, qui a ravagé l'année précédente le Sud-Est asiatique puis la Russie, ne s'est pas transformée en krach généralisé. Quant aux dégâts pour la population laborieuse de ces régions, les usines fermées, le chômage aggravé, ce n'est évidemment pas le problème des financiers.

Des grandes puissances impérialistes, seul le Japon est en récession. On vante en revanche la situation économique des Etats-Unis et il en est pour affirmer qu'avec huit ans de croissance ininterrompue, la principale puissance impérialiste a connu une des périodes sans récession les plus longues de son histoire économique. L'Europe occidentale est un peu à la traîne, mais la France tirerait son épingle du jeu.

A en juger par les profits des grandes entreprises industrielles, la situation est, en effet, satisfaisante pour la classe capitaliste. Le mouvement ascendant du taux de profit, engagé depuis le début des années quatre-vingt, se poursuit. Il est payé par la dégradation que l'on sait de la situation des classes laborieuses, c'est-à-dire par l'exploitation accrue de ceux qui sont au travail pendant qu'une fraction importante de la classe ouvrière est réduite au chômage total, partiel ou intermittent.

En France, avec 12 % de chômeurs officiels, 6 % de contrats à durée déterminée ou d'intérimaires auxquels on peut ajouter ceux qui sont sous contrat emploi-solidarité et ceux qui ne se donnent même plus la peine de s'inscrire à l'ANPE, c'est entre un cinquième et un quart des salariés qui n'ont pas de travail, stable ou pas. Quant aux chiffres du chômage nettement plus faibles dans quelques pays comme la Grande-Bretagne, et surtout les Etats-Unis, même abstraction faite des jongleries statistiques, ils masquent mal le caractère précaire de l'emploi et, partant, l'abaissement drastique du pouvoir d'achat d'une proportion croissante de la classe ouvrière.

La bourgeoisie capitaliste continue à profiter du rapport de forces créé par le chômage pour accroître le taux d'exploitation par tous les biais à sa disposition : baisse des salaires réels, intensité accrue du travail, allongement de fait du temps de travail.

Pendant les années quatre-vingt, les profits accumulés ont alimenté, pour ainsi dire exclusivement, les circuits financiers. Ils continuent à le faire.

Depuis quelques années cependant, les activités productives apparaissent de nouveau aussi profitables que les activités financières.

La capacité des entreprises de production à dégager, de manière durable, du profit élevé n'est pas due à un mouvement d'élargissement des marchés comparable à la période qui a précédé la crise (quelques secteurs mis à part, dont ceux surtout liés à l'informatique). La relance de la consommation dont parlent les commentaires tendancieux concerne la bourgeoisie, petite ou grande. L'ampleur du chômage et l'abaissement du pouvoir d'achat des classes populaires limitent la possibilité d'un accroissement important et continu de la demande de biens de consommation. Et malgré le retour à un taux de profit élevé, les investissements n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant la crise. Ils portent de surcroît sur des équipements demandant moins d'immobilisation en capital fixe et moins longtemps.

La croissance continue des profits provient pour ainsi dire exclusivement de l'aggravation de l'exploitation dans des entreprises qui produisent autant sinon plus avec moins d'effectifs plus mal payés.

Cette capacité des entreprises de production à dégager des profits élevés sur une longue période fait cependant que les capitaux à la recherche de placements, à commencer par ceux accumulés par les entreprises elles-mêmes, sont de nouveau attirés par ce qu'ils appellent "investissement" et qui consiste à racheter d'autres entreprises et la part de marché qu'elles détiennent.

Les rachats et ventes d'entreprises, par accords à l'amiable ou au travers de batailles boursières mobilisant des sommes fantastiques, ont émaillé l'année qui vient de s'écouler. Le récent rapport d'une commission des Nations Unies parle d'"impressionnant mouvement de fusions-acquisitions" et affirme que "Le total des rachats mondiaux a atteint 411 milliards de $ en 1998, en augmentation de 74 % par rapport à 1997, année qui avait déjà enregistré une progression de 45 %" . Le rapport affirme par ailleurs que "les transactions du premier semestre de 1999 équivalent déjà au total des fusions de 1998". Sans même parler des rachats d'entreprises purement spéculatifs, les concentrations qui en résultent sont en général financières et ne se traduisent pas par une augmentation de la capacité productive et encore moins par des créations d'emplois. Lorsque Renault, profitant d'une opportunité offerte par la crise asiatique, rachète Nissan, son "investissement" au Japon ne crée pas des usines supplémentaires, au contraire, il en supprime. La concentration croissante du capital d'un côté, les suppressions d'emplois de l'autre, sont les deux aspects inséparables du mouvement de "restructuration" en cours dans le secteur" productif, comme d'ailleurs dans le secteur bancaire et dans le grand commerce.

Une part croissante du capital est concentrée entre les mains d'un nombre limité de grands trusts. Le même rapport des Nations Unies parle de cent entreprises qui emploient directement 6 millions de personnes et qui réalisent à elles seules 2100 milliards de dollars de chiffre d'affaires, soit une fois et demi le produit intérieur brut de la France, et qui sont "les nouveaux maîtres du monde" qui "imposent leur vues et redessinent le globe".

En comptant également les 60 000 multinationales qui représentent 25 % de la production mondiale, ces sociétés sont, en effet, les maîtres pas si nouveaux que cela de l'économie mondiale et de la vie de 6 milliards d'êtres humains.

Les entreprises attirent également, depuis plusieurs années, les capitaux purement financiers.

La domination du capital financier sur le capital productif est aussi ancienne que l'impérialisme. Depuis un siècle, le système financier et bancaire ne se limite plus, loin s'en faut, au rôle de l'intermédiaire chargé de centraliser le capital-argent pour le mettre à disposition de l'économie capitaliste sous forme de crédits, les fonds nécessaires pour rendre la circulation du capital la plus rapide possible et pour contribuer par la même occasion à la péréquation du taux de profit.

Une des conséquences majeures de l'évolution de l'économie capitaliste depuis 1974-75, depuis qu'elle est entrée dans une période faite de récessions économiques rapprochées, entrecoupées de reprises faibles, est que les placements financiers ont été longtemps et restent dans une large mesure plus lucratifs que les investissements dans la production. D'où la mise en valeur de plus en plus financière des capitaux disponibles. D'où aussi le foisonnement de "produits financiers" et le développement de fonds spécialisés dans les placements financiers.

Ces fonds d'investissement qui drainent les capitaux disponibles d'entreprises ou de riches particuliers, représentent un pouvoir considérable. Le plus important d'entre eux est à la tête de fonds supérieurs à l'ensemble des actions cotées à la Bourse de Paris. C'est dire qu'ils peuvent s'offrir les actions des plus grandes multinationales en quantité suffisante pour leur imposer une ligne stratégique.

En France, par exemple, les fonds d'investissement et les fonds de pension détiennent le tiers, voire la moitié des actions de quelques-unes des plus grandes entreprises, allant de la BNP à Saint-Gobain, en passant par Elf-Total et Pinault-Printemps. La préoccupation principale de ces fonds n'est pas le développement à long terme de l'entreprise, mais sa capacité à dégager ce profit de l'ordre de 15 % qui semble nécessaire, aux dires des milieux financiers, pour une hausse bien plus importante du prix des actions et, par conséquent, de la fortune des actionnaires. Ce que recherchent en effet ces fonds d'investissement est moins le montant et la régularité des dividendes que la hausse rapide du prix des actions.

Leur placement est donc volatil et peut se retirer dès que la rentabilité financière ne semble plus assurée. Il s'ensuit que la stratégie des entreprises de production elle-même est largement influencée par l'évolution à court terme des actions en Bourse.

L'introduction massive dans le capital productif de capitaux à la recherche d'un placement profitable à court terme ouvre toute grande la porte à toutes les spéculations.

De même que le système bancaire, le marché boursier a joué de tout temps un rôle indispensable dans l'économie capitaliste. Il facilite la mobilisation et la concentration du capital et, en principe, sa transformation en capital productif. Mais les prix des actions qui, rappelons-le, représentent une part de propriété de l'entreprise qui les émet, ne sont plus seulement tirés en avant par les profits dégagés dans la production d'aujourd'hui. Ils sont stimulés plus encore par les anticipations, fondées ou non, sur des profits futurs, qui débouchent inévitablement sur la spéculation.

L'envolée surréaliste du prix des actions de sociétés liées à Internet en donne une illustration. C'est ainsi que la capitalisation boursière de la société Yahoo !, la plus importante de ce secteur c'est-à-dire le prix total de ses actions en Bourse dépasse celle du géant pétrolier Texaco. On spécule aujourd'hui sur ces actions comme on a spéculé hier sur les monnaies asiatiques (ou contre elles). Avec le même résultat prévisible.

La dépendance croissante des entreprises, c'est-à-dire la production de biens matériels réels, par rapport aux capitaux spéculatifs et à leurs soubresauts imprévisibles, fait planer une menace permanente sur l'économie internationale. La crise asiatique, même si elle est restée limitée, a été un rappel de l'acuité de la menace.

Le développement des fonds d'investissement, c'est le tribut payé par le capital productif au capital financier. Le fait que les deux se portent bien est une autre expression de l'exploitation accrue de la classe ouvrière. Le capital productif parvient à rejeter sur la classe ouvrière tout le poids du parasitisme du capital financier.

De tout temps, un des rôles du système bancaire a été de drainer vers le grand capital l'épargne des classes populaires. Ce phénomène prend une ampleur plus grande que jamais. Les fonds de pension qui centralisent l'argent mis de côté par les salariés pour assurer leur retraite sont devenus des acteurs majeurs de la spéculation mondiale. Mais l'importance qu'ont prise ces fonds de pension n'est pas seulement due aux déréglementations de la mondialisation mais aussi au fait que la protection sociale est partout affaiblie et que, partout, également, l'Etat puise dans les caisses sociales pour accorder des faveurs au grand patronat.

Le capitalisme pourrissant transforme une fraction croissante de la classe ouvrière elle-même en "épargnants forcés". Et ceux qui n'ont pas de salaire suffisant pour épargner en vue de leur retraite ou pour s'assurer de façon convenable contre la maladie en sont réduits, au mieux, à la charité publique ou privée, au pire n'ont, l'âge venu, qu'à disparaître.

A certains égards, ce qu'on appelle la "mondialisation financière", c'est-à-dire la liberté de déplacement et de placement du capital financier par delà les frontières, n'est pas un phénomène nouveau. Elle était au moins aussi importante au début de ce siècle qu'aujourd'hui. Avec l'or comme instrument de paiement international et la convertibilité en or des monnaies des grandes puissances impérialistes, les déplacements de capitaux à l'échelle du monde à la recherche d'investissements rentables se heurtaient à moins d'obstacles encore qu'aujourd'hui.

Après une première période de réglementation pendant la première guerre mondiale, ce sont la crise de 1929, puis la Deuxième Guerre mondiale qui ont amené les différents Etats, y compris ceux des plus grandes puissances impérialistes, à abandonner, partiellement pour les Etats-Unis et totalement pour les autres, la convertibilité de leur monnaie en or et à imposer un régime de réglementation des opérations financières, de contrôle des changes et des mouvements de capitaux. La "mondialisation financière" actuelle résulte tout à la fois de l'abandon de ces contrôles étatiques suite aux mesures de déréglementation entamées depuis une vingtaine d'années, du décloisonnement des marchés financiers nationaux et de leur interpénétration et, enfin, de la déspécialisation progressive des banques qui ne sont plus les seules à opérer sur les marchés financiers.

Cette "mondialisation financière" donne à son tour un formidable coup d'accélérateur à l'accroissement des opérations financières. Non seulement le contrôle, mais même la simple mesure des transactions financières devient impossible.

La nature même de la déréglementation rappelle cependant que cette "mondialisation financière" n'est pas le résultat de la seule évolution économique, devant laquelle les Etats seraient impuissants. Elle s'est faite avec la contribution des gouvernements, tous désireux de déblayer les obstacles devant le capital financier. Que l'on se souvienne seulement des louanges envers la Bourse et les activités boursières de feu Bérégovoy. La déréglementation a été l'oeuvre des gouvernements.

Nous n'avons évidemment pas à nous opposer à la "mondialisation financière" au nom du repliement national, ni aux aspects libres échangistes du capitalisme au nom de ses aspects étatistes. D'autant moins que les aspects libre-échangistes n'ont nullement fait disparaître les aspects étatistes.

Rarement dans le passé les Etats ont consacré une part aussi importante de leur budget à aider la classe capitaliste. Les plus grands trusts du monde s'appuient sur la puissance de leurs Etats pour faire prévaloir leurs intérêts, dans les négociations internationales comme sur le terrain ; par la diplomatie, comme, le cas échéant, par la présence militaire.

Le problème n'est pas que les Etats impérialistes deviennent impuissants face à la mondialisation. Il est qu'ils sont au service du grand capital.

S'agissant des puissances impérialistes, le problème n'est pas non plus dans les "abandons de souveraineté", comme l'affirment non seulement des démagogues de droite, mais même des courants qui se prétendent de gauche, voire d'extrême gauche. Lorsque les Etats nationaux remettent à des institutions supranationales une part de leur autorité, c'est qu'ils estiment que les intérêts de leurs mandataires sont mieux protégés en association avec d'autres Etats.

Les "marchés communs" régionaux, les unions douanières expriment fondamentalement le fait que le développement de l'économie et la division internationale du travail auraient dû, depuis longtemps, reléguer les frontières et les barrières économiques nationales au rang de souvenirs d'une période dépassée de l'histoire de l'humanité. Mais la survie du capitalisme fait que cette période n'est pas close. L'émergence d'ensembles économiques plus vastes exprime la survivance du système capitaliste tout autant que la nécessité de sa disparition.

Ces regroupements économiques, qui ne fondent pas en un tout homogène les entités nationales unifiées mais qui sont au contraire fortement hiérarchisés, constituent en général la sphère d'influence d'une ou plusieurs puissances impérialistes dominantes (quand ils n'épousent pas les contours d'un ancien empire colonial ou semi-colonial).

L'ALENA (Accord de Libre Echange Nord Américain) qui regroupe les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, est un instrument de la domination des premiers. Et le MERCOSUR, le Marché commun du cône sud-américain, a beau se poser en alternative à la mainmise des Etats-Unis, il en est un des vecteurs, comme l'est le CARICOM, le marché commun des Caraïbes. Quant à l' AFTA (c'est-à-dire la zone de libre échange de l'ASEAN, ou Association des nations de l'Asie du Sud-Est), elle représente en gros l'ancienne zone d'influence du Japon.

Il en va de même pour l'Union européenne, avec cette originalité que les trois principales puissances impérialistes d'Europe, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, flanquées d'autres puissances impérialistes plus faibles encore, ont été contraintes, bien que rivales entre elles, de se mettre ensemble pour préserver leurs intérêts contre plus puissantes qu'elles. L'Union n'a nullement mis fin à la rivalité, comme le rappelle la toute récente "guerre de la viande de boeuf" opposant la France à la Grande-Bretagne.

Mais d'autres guerres commerciales, comme celle par exemple de la banane qui oppose entre elles deux entités impérialistes, les Etats-Unis et l'Union européenne, dont ni l'une ni l'autre ne produit sur son sol des bananes en quantité significative, rappellent qu'une des raisons d'être de l'Union européenne est de permettre à des puissances impérialistes de seconde zone de tenter de préserver ensemble des sphères d'influence économique qu'elles ne sont plus de taille à préserver séparément. Le mal que doit se donner l'impérialisme français pour préserver son pré carré africain de l'influence américaine et des marchandises japonaises, offre une illustration de cette nécessité.

L'Union européenne, la monnaie unique ne sont pas seulement destinées à décloisonner les espaces intérieurs des puissances impérialistes d'Europe, à leur permettre de mieux faire face à la concurrence américaine ou japonaise et à faciliter leur mainmise sur les petits pays non impérialistes du continent. Elles sont destinées à mieux garantir l'accès des impérialismes d'Europe au pillage du tiers-monde.

C'est que le pillage et l'exploitation des pays sous-développés continuent à jouer un rôle capital dans la prospérité de la bourgeoisie des pays impérialistes. Ce pillage se fait de plus en plus par le biais des intérêts usuraires payés par ces pays au système financier occidental. Mais il n'est pas uniquement financier. Il ne faut pas oublier la mainmise, de nouveau croissante après les vagues de nationalisations plus ou moins importantes consécutives à la décolonisation, sur les secteurs économiques de ces pays susceptibles de dégager du profit.

Un des éléments de la "mondialisation financière", la pression exercée sur les pays pauvres pour privatiser les entreprises nationalisées et enlever les obstacles devant la circulation des capitaux, prive ces pays des quelques moyens de résistance dont disposaient certains d'entre eux. Même la Chine, sur la voie d'un retour rapide au capitalisme privé, envisage la convertibilité de sa monnaie, la généralisation des privatisations et une ouverture croissante devant les marchandises et les capitaux impérialistes, exprimée par la demande d'adhésion à l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). La couche privilégiée nationale trouvera peut-être son compte, telle la bourgeoisie parasite de tous les pays sous-développés, à renouer ainsi avec l'impérialisme bien que cela ne soit pas dit. Mais en Chine comme ailleurs, les capitaux occidentaux, pour autant qu'ils ne soient pas purement spéculatifs, iront au petit nombre de secteurs qui rapportent. Les privatisations se traduiront inévitablement par des fermetures d'usines, par la destruction d'une partie plus ou moins importante d'une industrie nationale péniblement bâtie au prix des sacrifices que le régime avait imposés aux classes laborieuses qui devront désormais affronter le chômage massif.

La prochaine conférence de Seattle, destinée à ouvrir un nouveau cycle de négociations dans le cadre de l'OMC, est présentée comme un pas en avant dans l'organisation du marché mondial. Mais les affrontements annoncés entre les intérêts contradictoires des puissances impérialistes d'Europe et celles d'Amérique et du Japon montrent qu'il n'est nullement question d'un marché harmonieux, où chaque pays aurait des droits, des avantages et des inconvénients similaires. Tout comme, très exactement, il serait ridicule de parler d'égalité sur les marchés intérieurs, il serait ridicule de parler d'égalité entre Carrefour et le petit épicier de quartier, entre un géant de l'industrie agro-alimentaire et le petit paysan, ou encore sur le marché du travail, entre le patron capitaliste et le chômeur qui frappe à sa porte pour demander un emploi.

Le marché mondial, même organisé car en effet, l'OMC représente une tentative d'organisation et dans une certaine mesure de régulation supranationale est et restera un lieu d'affrontements et de guerres commerciales où seuls comptent les rapports de forces. Le commerce international, dont à l'approche de Seattle on vante le rôle déterminant dans la croissance économique, est dominé par quelques grands monopoles, appuyés par leurs Etats. Une part croissante du commerce international représente d'ailleurs tout simplement une circulation des produits entre entreprises d'un même trust.

Nous sommes de plus en plus souvent mis en présence de l'activité, ne serait-ce que verbale, d'associations ou de regroupements comme ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières pour l'Aide aux Citoyens) ou encore les Comités pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde.

Créée il y a à peine deux ans, ATTAC, qui est sans doute le plus connu de ces courants en France et dont l'objectif essentiel se trouve résumé dans son nom, semble avoir rencontré un certain écho non seulement dans les rangs de la petite-bourgeoisie intellectuelle, mais aussi auprès de certains appareils syndicaux ou d'associations qui font partie de ce qu'on appelle abusivement "le mouvement social". La revendication de la taxe dite Tobin, l'idée d'une taxation des capitaux spéculatifs, est également reprise par un certain nombre d'hommes politiques, surtout de la mouvance du Parti socialiste ou du PCF.

Les courants comme ATTAC ou les Comités pour l'annulation de la dette s'en prennent à certains des aspects les plus répugnants du capitalisme, mais pas au capitalisme lui-même. Ils se présentent comme combattant contre le capital financier, mais pour le faire, ils font appel aux Etats qui sont les exécutants du capital financier. Même dans le domaine particulier du rapport entre pays impérialistes et pays sous-développés, ils s'en prennent à une des formes de pillage des pays pauvres, le pillage par des prêts usuraires, mais pas au pillage lui-même. Ils charrient au passage bien des illusions réformistes alors que la crise et le rôle peu reluisant des partis réformistes au pouvoir font le deuil de ces illusions.

De par leurs objectifs aussi limités qu'utopiques d'un capitalisme un peu "plus propre" comme de par les moyens modérés et respectueux des autorités établies qu'ils proposent, les initiateurs de ces courants seraient, au mieux, de doux rêveurs s'ils nétaient pas surtout hostiles à la lutte de classe et anti-communistes. Ils font en réalité partie de cette mouvance social-démocrate qui n'est généreuse qu'en phrases creuses contre les "excès" du capitalisme, mais dont les chefs politiques mènent au gouvernement la politique que le grand capital leur demande de mener.

Ceux qui participent aux initiatives et aux manifestations de ces courants sont souvent poussés par une sincère indignation contre ces aspects des ravages du capitalisme que sont les dégâts de la spéculation ou le pillage usuraire du tiers-monde. Cette sincérité dans l'indignation ne signifie d'ailleurs pas nécessairement que ceux qui s'organisent dans ATTAC ou manifestent avec les comités pour la suppression de la dette ou "Jubilé 2000" soient en décalage par rapport aux initiateurs réformistes de ces courants ni avec leurs idées et qu'ils veuillent aller plus loin que le peu qu'on leur propose. Les milieux sensibilisés sur ces questions, en tout cas pour le moment, font partie de la base sociale des partis socialistes.

Il se peut que, pour certains d'entre eux, rejoindre ces courants soit un premier pas vers une prise de conscience de ce qu'est l'organisation capitaliste de l'économie et de la société et, peut-être, une première et timide expression allant vers la volonté de la combattre. Raison de plus pour les communistes révolutionnaires pour éclairer cette minorité sur les objectifs et les limites de ces courants. On ne combat pas les aspects répugnants du capitalisme par de pieuses résolutions adressées aux dirigeants du monde impérialiste et, surtout, on ne les combat pas en respectant le capitalisme lui-même, mais au contraire, par la lutte de classe du prolétariat pour renverser le capitalisme. Et cela commence en renouant avec les idées de la lutte de classe et pas en les ignorant ou en les combattant.

Quant à se mobiliser contre l'OMC et à rejoindre le vaste éventail, allant de Pasqua à Chevènement ou au PCF, de ceux qui demandent un moratoire sur les prochaines négociations, ce serait participer à une opération de tromperie politique détournant les travailleurs des objectifs nécessaires et de l'action efficace. Lorsque les travailleurs entreront en lutte, il est de leur intérêt de le faire contre les capitalistes français ou pas qu'ils ont sous la main et qu'ils peuvent faire reculer, et non pas contre la réunion lointaine d'une organisation insaisissable qui, de surcroît, n'est pas la cause, mais une des multiples expressions de la domination des trusts et du capital financier sur le monde.

Même dans ses périodes d'expansion, le capitalisme développe l'économie de façon irrationnelle par rapport aux besoins réels et en aggravant les inégalités entre la bourgeoisie et les classes laborieuses, comme entre les pays impérialistes et les pays pauvres. Mais depuis le début de la crise, l'économie capitaliste est de plus en plus usuraire et sa putréfaction est illustrée par l'interpénétration de l'économie du crime drogue, mafias, trafic d'armes et corruption et l'économie dite normale. Cette économie ne peut pas être améliorée, amendée ou réformée.

La guerre que la classe ouvrière aura à mener n'est pas contre la "mondialisation", mais contre le capitalisme. Les objectifs fondamentaux n'ont pas changé depuis que Marx les a formulés et que la révolution ouvrière de Russie a tenté de les réaliser.

5 novembre 1999