Cet article a été écrit avant les élections législatives du 20 septembre et ne peut donc en évoquer les résultats.
Arrivé au pouvoir après avoir remporté les élections législatives en janvier 2015 en promettant de rompre avec les politiques d'austérité de ses prédécesseurs, le Premier ministre grec Tsipras a fini par se soumettre complètement aux exigences des créanciers de la Grèce. Aux termes de l'accord signé le 13 juillet à Bruxelles, le dirigeant de Syriza s'est engagé à imposer de nouveaux sacrifices à sa population.
Pas plus que les précédents, cet accord ne constitue un « plan d'aide à la Grèce ». Les quelque 80 milliards d'euros débloqués par les dirigeants européens serviront en effet essentiellement à payer les échéances dont l'État grec doit s'acquitter au titre de la dette, sans que celle-ci s'en trouve pour autant diminuée. Une partie de cette somme est destinée à la recapitalisation du secteur bancaire. Autant dire que la population grecque n'en verra pas un centime. C'est en fait la continuation de la politique qui a conduit l'État grec à sa faillite actuelle, politique que Syriza affirmait vouloir remettre en cause.
Quant aux contreparties exigées du gouvernement grec, elles sont dans la continuité là aussi des précédents mémorandums, nom donné à ces textes dans lesquels les usuriers de la Grèce dressaient la liste interminable de leurs exigences. L'accord actuel prévoit une augmentation de la TVA, une réforme de la retraite prévoyant à la fois le report progressif de l'âge de départ à 67 ans et la suppression de la prime versée aux pensions les plus modestes, une réforme fiscale, une réforme du marché du travail dans le sens d'une libéralisation facilitant les licenciements, une réforme du marché intérieur suivant les recommandations de l'OCDE (incluant, par exemple, une législation sur l'ouverture des commerces le dimanche)... Il est prévu la mise en place de coupes quasi automatiques dans les dépenses en cas d'« excès » budgétaire et il est évoqué le fait qu'Athènes devra « consulter les institutions créancières et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement ». Concernant les privatisations, un fonds placé sous la supervision des autorités européennes devra être créé pour vendre les actifs de l'État avec l'objectif de générer la somme faramineuse de 50 milliards d'euros.
La capitulation de Tsipras a été rendue d'autant plus spectaculaire qu'une semaine auparavant, le 5 juillet, il avait organisé un référendum pour soumettre une grande partie de ces mesures à la population grecque, qui les avaient rejetées à plus de 61 %. Mais ce résultat, pas plus qu'aucun des votes précédents, n'était susceptible de modifier l'attitude des dirigeants européens. Au contraire, au lendemain de cette consultation, ils ont encore augmenté le nombre de leurs exigences pour aboutir à ce « catalogue des horreurs », expression utilisée par le magazine allemand Der Spiegel pour rendre compte des mesures imposées à la Grèce. Très clairement, ils ont voulu punir la population grecque qui avait osé les défier en portant Tsipras au pouvoir.
La dictature du grand capital à l'œuvre
Témoignant le mépris le plus complet pour les volontés exprimées par la population, ils ont utilisé l'arme financière, cessant tout versement, asphyxiant l'économie grecque, imposant la fermeture du système bancaire, amenant le pays au bord de la faillite.
Dans un article du Monde diplomatique du mois d'août dans lequel il décrit ses rencontres avec ses homologues européens, Varoufakis, ex-ministre des Finances de Tsipras, résumait ainsi les motivations de ses interlocuteurs : « En public, les créanciers clamaient leur souhait de récupérer leur argent et de voir la Grèce se réformer. En réalité, ils n'avaient qu'un objectif : humilier notre gouvernement et nous forcer à capituler. » Expliquant avoir réduit ses revendications à « une légère restructuration de la dette », Varoufakis conclut, devant la fin de non-recevoir opposée par ses interlocuteurs : « On exigeait de nous une capitulation à grand spectacle qui montre aux yeux du monde notre agenouillement. »
En effet, le sens de la démonstration politique devait être clair : aucune remise en cause de la dictature des banquiers et des financiers n'était admise.
Dans le passé, bien des pays ont bénéficié d'une restructuration de leur dette. Au moment même où ils se montraient intraitables avec la Grèce, les dirigeants de l'Union européenne accordaient un effacement partiel de la dette de l'Ukraine. Mais, en dirigeants responsables vis-à-vis des banquiers et de l'ensemble de la classe capitaliste, ils refusent que cela puisse leur être imposé et que cela puisse éveiller le moindre espoir dans l'esprit des populations européennes, soumises partout à la même politique d'austérité au nom du remboursement de la dette.
Les manœuvres de Tsipras
De son côté, Tsipras a accepté de tourner le dos à ses engagements. Pour se justifier, il a été contraint de reprendre la même argumentation que ses prédécesseurs, expliquant avoir signé ce texte « pour éviter tout désastre au pays ». Quant à avoir proclamé qu'il se battrait pour ne pas appliquer complètement l'accord, cela pourra-t-il encore faire illusion quand Tsipras aura à mettre en œuvre les premières attaques contre la population ?
Confronté à une contestation au sein de son propre parti et à la défection au Parlement d'une trentaine de députés, il n'a pu faire approuver l'accord signé le 13 juillet qu'avec les voix des députés de l'opposition.
Le 20 août, Tsipras a annoncé sa démission et l'organisation de nouvelles élections qui ont été fixées au 20 septembre, prétendant remettre son mandat par « souci démocratique ». En réalité, se retrouvant privé de majorité à l'Assemblée, il a préféré se présenter devant les électeurs avant d'avoir perdu tout soutien populaire, en particulier après la mise en œuvre des mesures d'austérité.
Mais c'est précisément qu'il veut se donner les moyens politiques de mettre en œuvre la politique d'austérité. Le souci démocratique n'a rien à voir là-dedans. Au contraire. Une victoire de Tsipras aux élections à venir lui donnerait les moyens d'une sorte de bonapartisme parlementaire au petit pied, en équilibre précaire entre les créanciers impérialistes, auprès de qui il passerait pour l'homme capable d'imposer à son peuple des mesures que ses prédécesseurs n'ont pas été capables d'imposer, et sa population, vis-à-vis de laquelle il se pose en protecteur.
Une partie de ceux qui, au sein de Syriza, avaient manifesté leur opposition à l'accord du 13 juillet ont fondé une nouvelle organisation, l'Unité populaire, ayant pour chef de file Panayotis Lafazanis, ministre de l'Énergie et de la Reconstruction productive jusqu'à la mi-juillet dans le gouvernement Tsipras. Reprenant le programme qui était celui de Syriza avant son arrivée au pouvoir, ils dénoncent la trahison de Tsipras qui, selon eux, aurait dû faire le choix de sortir de l'euro face au chantage des dirigeants européens.
Mais sortir de la zone euro ne permet pas de s'affranchir de la domination du capital financier et le retour à la drachme comme monnaie nationale ne met pas fin à l'oppression et à la domination qui résultent de toute l'organisation impérialiste de l'économie mondiale. Un tel choix n'est en rien susceptible d'éviter aux classes populaires d'avoir à subir des sacrifices et un recul de leurs conditions de vie. Ceux qui reprennent à leur compte de tels objectifs ne font que préparer de nouvelles impasses politiques pour les travailleurs et les classes populaires.
L'impasse du réformisme
En tant que communistes révolutionnaires, nous avons exprimé notre solidarité avec Tsipras dans la mesure où il s'opposait à ceux qui se faisaient les huissiers du grand capital. Mais, nous nous sommes refusés, à la différence d'une grande partie de la gauche et la quasi-totalité de l'extrême gauche, à le présenter comme un modèle ou, pour reprendre une expression d'un journaliste de l'Humanité, à dire que son élection constituait une « première brèche ouverte par un gouvernement dans la forteresse austéritaire européenne ». La suite a montré qu'aucune brèche n'avait été ouverte : s'il remporte les élections, c'est Tsipras lui-même qui mettra en œuvre l'austérité.
Quelles leçons en tirent ceux qui ont soutenu Tsipras et l'ont présenté comme un espoir pour toute la gauche européenne ? Certains, comme les dirigeants du Parti communiste français, continuent de lui apporter leur soutien, se contentant de dénoncer l'intransigeance des dirigeants de l'Union européenne, et surtout celle de Merkel et de son ministre des Finances.
D'autres, reprenant les critiques des opposants à Tsipras, affirment que celui-ci n'est pas allé jusqu'au bout de la politique qu'il proposait. C'est notamment le discours de Varoufakis. Mais, même en supposant que ce soit le cas, il n'en reste pas moins que l'échec de Tsipras est celle d'une politique réformiste qui tentait d'obtenir de la bourgeoisie impérialiste qu'elle se montre respectueuse de l'indépendance des petits États, des droits des travailleurs et de leurs conditions de vie.
Quelle que soit la façon dont elle est menée, une telle politique se heurtera inévitablement à la bourgeoisie et aux institutions qu'elle contrôle. Car l'exemple de la Grèce démontre à quel point, dans cette Union européenne qui se prétend si démocratique aussi bien qu'au niveau de chaque État, les électeurs n'ont aucune prise sur les décisions de leurs dirigeants. Ce ne sont pas des assemblées démocratiquement élues par les peuples qui déterminent la politique appliquée par les chefs d'État mais les conseils d'administration des grands groupes capitalistes et des hauts fonctionnaires tout dévoués à la défense de leurs intérêts. Et il ne pourra en être autrement tant que la bourgeoisie détiendra le pouvoir et que le capitalisme existera.
Dans la mesure où il n'a jamais prétendu être anticapitaliste, ni être un représentant des travailleurs, cela n'a aucun sens d'accuser Tsipras d'avoir trahi des engagements sur un terrain où il n'en a jamais pris. Tsipras est un homme politique bourgeois dont l'action s'est limitée à chercher à faire respecter un tant soit peu la souveraineté de l'État grec et qui est devenu une marionnette aux mains de ses créanciers. Il a échoué, comme bien d'autres politiciens avant lui.
La seule perspective pour les travailleurs : renverser le capitalisme
Tsipras continue-t-il à bénéficier du soutien de l'électorat populaire ? Et cela lui permettra-t-il de se maintenir au pouvoir ? Les résultats des élections du 20 septembre le montreront. Mais de toute façon, quelle que soit l'issue du vote, le gouvernement qui se mettra en place lancera de nouvelles attaques contre la population. Il faut souhaiter que la déception engendrée par la capitulation de Tsipras ne conduise pas les travailleurs à la résignation mais à la conclusion qu'ils ne peuvent compter que sur leur capacité à se mobiliser pour défendre leurs droits.
Au-delà, il est à souhaiter aussi que, parmi ceux qui ont à cœur de défendre les intérêts des travailleurs, il s'en trouve qui, tirant la leçon des derniers événements, fassent le choix de construire une force politique se fixant l'objectif de lutter pour renverser le capitalisme. Une force qui milite pour préparer la classe ouvrière à lutter pour prendre le pouvoir et exproprier la bourgeoisie afin de mettre fin à sa dictature sur l'économie et, à travers elle, sur l'ensemble de la société.
15 septembre 2015