L'économie capitaliste continue à prendre l'eau de toutes parts. À peine les dirigeants ont-ils colmaté une brèche qu'une autre apparaît, plus exactement une autre prétendument colmatée s'ouvre de nouveau.
Dans le journal économique Les Échos du 17 septembre, qui titrait en une « Le risque de crise bancaire s'éloigne dans la zone euro », un entrefilet intérieur faisait état de la chute de la production industrielle aux États-Unis ! La production de la plupart des pays européens stagne depuis un certain temps déjà. Et voilà que ralentit également la croissance dans les pays semi-développés, Chine, Inde, Brésil, présentés il y a peu encore comme les futures locomotives de la demande mondiale.
Côté optimiste, le gouverneur de la Banque de France affirme : « L'horizon apparaît beaucoup plus dégagé. » Bel enthousiasme, partagé par les ministres des Finances de l'Union européenne qui posaient pour une photo de famille deux jours plus tôt, lors d'un des innombrables sommets. Le motif de leurs congratulations : l'annonce, faite le 6 septembre par la Banque centrale européenne (BCE), d'acheter sans limite aux banques détentrices les papiers de dette publique des pays de la zone euro qui éprouvent des difficultés de financement. Les marchés financiers ont aussitôt montré qu'ils étaient contents. Du coup, les ministres l'étaient aussi. Et la presse de titrer, une fois de plus, que l'euro était sauvé.
Tout ce beau monde est pourtant conscient que la décision de la BCE signifie une création monétaire supplémentaire, c'est-à-dire une accélération de l'inflation. Quelques jours plus tard, le quotidien Le Figaro rapportait la réflexion d'un économiste ayant pignon sur rue : « Cette décision mérite de figurer parmi les événements les plus désastreux de l'histoire monétaire européenne » !
Ses statuts interdisent pourtant à la BCE d'accroître la masse monétaire pour venir au secours des États ou des secteurs économiques en difficulté. Mais, comme disait si bien Talleyrand : « Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder. » Cela fait quelque temps que la BCE piétine allègrement ses principes ! Depuis trois ans au bas mot, la BCE arrose d'argent frais les banquiers européens en rachetant de plus en plus de dettes publiques ou privées contre de la monnaie sonnante et trébuchante.
La décision récente de la BCE est quand même une nouveauté. Pour la première fois, elle reconnaît clairement et officiellement ce qu'elle fait déjà hypocritement depuis trois ans. Elle tient désormais guichet ouvert aux banquiers de façon illimitée. Et va pour l'accélération de la planche à billets !
Tout cela au nom du combat pour la croissance. Tout cet argent supplémentaire balancé dans l'économie n'a cependant aucune raison de favoriser la croissance. Pour cette simple et bonne raison que les marchés de consommation stagnent et ceux des moyens de production encore plus, la classe capitaliste n'ayant aucune envie de procéder à des investissements productifs. Mais en revanche, la politique de guichet ouvert de la BCE va accroître la quantité déjà colossale de monnaie qui circule dans tous les tuyaux possibles de l'économie mondiale, semant le désordre partout où elle passe dans un but spéculatif, qu'il s'agisse d'actions d'entreprises, d'obligations d'État, de matières premières. Infiniment plus grave encore, le blé, le riz ou le soja, c'est-à-dire des produits alimentaires vitaux au sens le plus strict du terme, sont devenus des « actifs financiers », au même titre que les papiers financiers les plus sophistiqués inventés par les cerveaux malades d'un système bancaire en folie.
Plus la crise dure, moins la classe capitaliste elle-même voit une issue aux soubresauts de son économie. Depuis quelque temps, un débat s'est instauré parmi ses têtes pensantes : ne vaut-il pas mieux mener une politique inflationniste plutôt que des politiques d'austérité qui, en vidant les poches des classes populaires, réduisent encore leurs capacités de consommation et font reculer les marchés ?
Dans une première phase, consécutive à la crise bancaire de l'automne 2008 où les États ont distribué sans compter des centaines de milliards aux banquiers en difficulté, le mot d'ordre unanime était l'austérité partout, pour récupérer sur le dos de la population l'argent livré au système bancaire. Tous les États ont coupé dans les dépenses des services publics, dans le nombre de fonctionnaires, dans la protection sociale, dans tout ce qui est utile à la majorité de la population.
La Grèce a été la première sur la liste, mais d'autres l'ont accompagnée et suivie rapidement, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal. Les plus riches pays impérialistes d'Europe, l'Allemagne et la France, avaient assez de moyens pour que leurs dirigeants rejettent avec superbe le mot « austérité ». Mais pas les mesures que résume ce mot.
Le remboursement de la dette reste aujourd'hui encore la vache sacrée de tous les gouvernements bourgeois pour satisfaire les exigences de la finance. Les déclarations se multiplient cependant pour dire qu'à force d'austérité, les gouvernements sont en train d'aggraver la crise.
Il serait vain de couper le monde capitaliste en deux et de considérer que les partisans du remboursement de la dette publique et de la politique d'austérité se recrutent du côté du capital financier, et les autres du côté du capital industriel, tant les deux sont entremêlés. Il s'agit du même grand capital dans des fonctions contradictoires.
La contradiction entre les deux attitudes reflète l'affolement du grand capital devant la crise de sa propre économie. Et le compromis que semble ouvrir la décision de la BCE, qui par la même occasion finit par s'aligner sur l'attitude de la banque centrale américaine, est d'ajouter à la politique d'austérité une politique inflationniste. Ce qui signifie en clair pour les classes populaires que, non seulement les licenciements continueront à se multiplier et le chômage à s'aggraver, mais qu'en outre les hausses de prix, qui se sont accélérées au cours de l'année 2012, vont s'accélérer encore plus.
Pendant que la presse économique annonce que « les stars du CAC 40 vont augmenter leurs dividendes » (Les Échos du 18 septembre) ; pendant que « la rentrée marque le retour des grandes introductions en Bourse » (Les Échos du 12 septembre), montrant la santé financière florissante des grands fauves du capitalisme, la pauvreté s'accroît dans la classe ouvrière, même dans les pays capitalistes les plus développés. Les chiffres du chômage donnent une indication, mais il y en a bien d'autres. Des instituts statistiques constatent le véritable bond du nombre de « travailleurs pauvres » dans la plupart des pays européens. C'est-à-dire de travailleurs qui ont bien un emploi mais un salaire insuffisant pour sortir de la pauvreté. Dans un document économique, la Commission européenne elle-même se pose gravement la question : « Suffit-il d'avoir un emploi pour échapper à la pauvreté ? » Et de citer la puissance impérialiste la plus riche d'Europe, l'Allemagne, où du fait de la généralisation des temps partiels, des CDD, des « mini-emplois », le pourcentage de travailleurs en dessous du seuil de pauvreté est passé en deux ans de 4,8 à 6,8 % ; en France ce pourcentage est de 6,7 % du total des salariés (Les Échos).
Au-delà de ses réactions désordonnées face aux rebondissements de la crise, la classe capitaliste est engagée dans une fuite en avant. La seule constante de ce mouvement chaotique est d'aggraver l'exploitation et de prélever toujours plus sur les classes laborieuses. Il ne s'agit pas du jeu de mécanismes économiques abstraits. C'est une guerre de classe dont l'issue ne se décide pas par le choix entre différentes options proposées à la bourgeoisie par ses serviteurs politiques. Elle dépend de la capacité de la classe ouvrière à imposer des objectifs qui peuvent réellement préserver ses conditions d'existence, à commencer par ce droit élémentaire qui conditionne tout le reste : préserver son emploi et le pouvoir d'achat de son salaire.
Cinq mois de présidence Hollande
Cinq mois après la défaite de Sarkozy, le changement, présenté comme un espoir pour les travailleurs par le chœur unanime de la gauche gouvernementale et assimilés, toutes tendances confondues, ainsi que par les dirigeants syndicaux, apparaît pour ce qu'il est : un non-événement.
Le passage du pouvoir des mains de Sarkozy, désavoué par l'électorat, à celles de Hollande, s'est fait sans le moindre grincement dans les rouages de l'appareil d'État. Les ministres socialistes, flanqués de deux écologistes et de trois radicaux de gauche, ont pris la place de leurs prédécesseurs de droite, et les hauts fonctionnaires des ministères ont continué à travailler sur les mêmes dossiers. Tout au plus a-t-on ajouté à la dénomination de certains ministères une touche pittoresque, en affublant, par exemple, le ministère de Montebourg du qualificatif de « Redressement productif » ! Comme si la magie des mots, doublée de l'agitation d'un ministre, pouvait masquer la réalité d'une production qui recule, d'usines qui ferment, du chômage qui s'envole !
La grande presse a pu faire des bulles de savon autour de quelques projets sociétaux, comme favoriser le mariage de deux personnes du même sexe. La proposition, pourtant timorée, de donner le droit de vote aux immigrés, mais seulement aux élections locales, soulève déjà des débats entre ministres. Et rien ne dit que cette mesure de justice élémentaire, qui était déjà contenue dans les 110 propositions de Mitterrand il y a trente et un ans, ne restera pas un serpent de mer, qui apparaît avant chaque grande consultation électorale pour disparaître après. La couardise, même dans les domaines sociétaux où il n'y a pas besoin d'affronter le patronat, est décidément une marque de fabrique de la gauche gouvernementale. Même lorsque cette couardise est accompagnée de coups de menton. Manuel Valls en est devenu le symbole avec sa fermeté affichée, non pas pour affronter les puissants, mais pour expulser les Roms avec plus de vigueur encore que son prédécesseur Guéant.
La droite s'est emparée quelque temps des coups de gueule verbaux de Montebourg avant l'été contre la famille Peugeot, vaguement relayés par Hollande. Mais, en septembre, même pour ce qui est du verbe, l'un comme l'autre ont su atténuer leurs propos.
Bernard Arnault, patron de LVMH, accessoirement l'homme le plus riche de France et même d'Europe, en demandant la nationalité belge, a trouvé un moyen provocateur de manifester son opposition à la promesse de Hollande d'imposer à 75 % la tranche de revenu supérieure à un million d'euros. Et toute la droite de broder autour du thème que, décidément, ce gouvernement ne sait pas reconnaître le mérite et traiter les patrons avec les égards qui sont dus à leur rang. Ce serait évidemment trop demander à l'homme le plus riche du pays d'avoir au moins la reconnaissance du ventre, lui qui doit le début de son ascension fulgurante dans l'enrichissement au gouvernement socialiste de Fabius qui, à l'époque, lui avait mis le pied à l'étrier en lui faisant pratiquement cadeau de l'ex-empire textile de Boussac.
Mais, au fond, il n'est pas dit que la provocation d'Arnault gêne Hollande : l'imposition à 75 % de la tranche de revenu supérieure à un million d'euros est la seule à pouvoir passer pour un geste de « gauche » du « socialiste » Hollande.
Pour le reste, Hollande n'a pas eu trop de mal à mettre ses pas dans ceux de Sarkozy.
L'économie de 30 milliards d'euros qu'il a annoncée est bien un plan d'austérité, quand bien même les conseillers de Hollande - comme ceux de Sarkozy précédemment - ont l'art de jongler avec les synonymes, pour ne parler ni d'austérité ni de rigueur, et encore moins de coups contre les classes exploitées. Mais les mesures d'économies annoncées, les suppressions d'effectifs dans les services publics ou la dégradation de ceux-ci, se feront pour l'essentiel au détriment des classes populaires.
Il n'y avait pas besoin que la Constitution lui impose la « règle d'or » pour que Hollande fasse du remboursement de la dette et de la limitation du déficit du budget de l'État l'axe principal de sa politique économique. Néanmoins, le fait que Hollande fasse voter solennellement par sa majorité parlementaire ce pacte budgétaire européen signé par Sarkozy, qu'il avait promis de renégocier pendant sa campagne électorale, est une nouvelle illustration que les promesses des politiciens n'engagent que ceux qui y croient. Illustration aussi du fait que les dirigeants politiques de la bourgeoisie, une fois qu'ils sont élus, n'ont que faire de leur électorat et que c'est aux marchés financiers qu'ils doivent obéir.
La dette publique a toujours été le nœud coulant autour du cou des classes populaires pour leur vider les poches au profit du capital financier. Mais, depuis la crise de 2008 et l'endettement considérable des États pour sauver les banquiers, l'opération est d'une ampleur qui a peu de précédents.
Cependant, la question de savoir s'il faut rembourser la dette publique rubis sur l'ongle ou s'il vaut mieux laisser filer le déficit, un débat qui préoccupe de plus en plus les milieux politiques de la bourgeoisie, n'a aucun intérêt du point de vue des exploités. Ceux qui présentent la politique d'austérité pure et dure comme une politique de droite et l'acceptation, voire le souhait d'un certain déficit comme une politique de gauche, assimilent la gauche à la classe ouvrière et à ses intérêts. Mais chacune de ces deux politiques se mène inévitablement au détriment des classes exploitées, à plus forte raison, la politique de compromis qui est en train de se dégager et qui mêle des mesures d'austérité à une politique inflationniste.
Il est impératif de rembourser la dette, nous disent-ils ? Mais que ceux qui l'ont contractée - les banquiers et les groupes capitalistes -, qui ont touché des subventions après la crise de 2008, le fassent donc !
Il est impératif de réduire le déficit ? Fort bien. Que l'on supprime toute aide, toute subvention, tout dégrèvement à la classe capitaliste, et le budget sera largement bénéficiaire !
Tous ceux qui posent cette question de façon abstraite, comme si elle n'avait pas un caractère de classe, sont des mystificateurs.
Le PCF, Mélenchon et quelques autres
Mélenchon est sorti de quelques semaines de silence, après son échec à l'élection législative à Hénin-Beaumont, par une interview fracassante au Journal du Dimanche du 19 août où, pour reprendre le titre de cette publication, il tire « à boulets rouges sur le gouvernement ». Le verbe est haut et le langage radical. Mélenchon s'en prend à Hollande, lui reprochant ses « cent jours pour presque rien ». Quel est l'axe de ses critiques ? « Hollande a désamorcé le contenu insurrectionnel du vote de la présidentielle. » Depuis cette exclamation, inspirée peut-être par sa visite estivale au Venezuela de Chavez, Mélenchon brandit comme un argument décisif que, sans les voix du Front de gauche qu'il a apportées au deuxième tour à Hollande, celui-ci n'aurait pas été élu.
Le constat est indiscutable : le Front de gauche a apporté au deuxième tour à Hollande cette fraction de l'électorat de gauche qu'il avait capitalisée au premier tour avec les discours tonitruants de Mélenchon. La découverte tardive de Mélenchon que Hollande au pouvoir obéit aux marchés financiers et pas à son électorat pourrait passer pour de la naïveté infantile, si elle n'émanait pas d'un vieux renard de la politique.
Oui, en effet, Mélenchon comme ses compères de la direction du PCF ont contribué à cautionner le slogan creux de Hollande : « Le changement, c'est maintenant. » Et pas seulement par le choix du vote pour Hollande au second tour sans rien exiger de lui. « Quand je regarde le creux des cent jours et la multiplication des commissions, j'en conclus que nous étions mieux préparés que les socialistes à exercer le pouvoir. Nous avions des propositions de lois dans nos cartons », pleurniche Mélenchon. Cette ridicule lamentation est destinée à rappeler qu'« en toutes circonstances, nous sommes disponibles pour former un gouvernement sur notre programme ». En d'autres termes, si Ayrault se déconsidère avec ses mesures violemment antiouvrières, lui, Mélenchon, est là pour prendre le relais. C'est cette politique qui passe pour être de l'« autonomie conquérante ».
Le PCF, l'autre composante du Front de gauche, de loin la principale si on tient compte des forces militantes, préfère parler d'« autonomie constructive ». Cette subtile différenciation dans les termes reflète une différence de perspective réelle, que les deux parties s'efforcent de dissimuler en insistant lourdement sur l'unité du Front de gauche, illustrée par l'image de Jean-Luc Mélenchon et de Pierre Laurent déambulant bras dessus, bras dessous dans les allées de la fête de L'Humanité.
Les deux composantes tiennent au même degré à canaliser à leur profit le mécontentement prévisible d'une partie de l'électorat de gauche. Leurs prétentions ne sont cependant pas les mêmes. Mélenchon peut s'imaginer prendre un jour la place d'Ayrault, aussi minime que puisse être cet espoir. Pas Pierre Laurent, et pas le PCF.
Mélenchon met donc en avant son ambition de poser sa candidature pour être un recours en cas d'échec de l'équipe au pouvoir.
Mais cette ambition est largement partagée, du nouveau venu Valls aux « éléphants » du parti, au sein du gouvernement comme pour Fabius ou hors de ce gouvernement comme pour Aubry. À peine cinq mois après son arrivée au pouvoir, la gauche gouvernementale a de plus en plus de mal à dissimuler les ambitions rivales. Et cela ne pourra que s'aggraver au fur et à mesure que le gouvernement sera amené à prendre des mesures antipopulaires.
Le PCF, lui, critique le positionnement de Mélenchon. « La posture de recours n'a pas de sens », a déclaré récemment Nicole Borvo, sénatrice du PCF. Les dirigeants du PCF vont répétant que leur parti ne veut pas être responsable de l'échec du gouvernement de gauche.
C'est en réalité un argument hypocrite pour justifier le soutien, ou au moins la non-opposition au gouvernement, même lorsqu'il prend des mesures contre les classes populaires.
La direction du PC pratique ce « ministérialisme sans ministre » dont Trotsky disait, à propos du soutien du PCF au gouvernement de Front populaire, que c'est une des pires formes de ministérialisme. C'est une politique qui ne peut que désorienter, désarmer ses militants, et en particulier ceux qui militent encore dans les entreprises.
La participation ministérielle sous Mitterrand puis sous Jospin, avec ses conséquences désastreuses pour la classe ouvrière en général et pour le PC lui-même en particulier, n'a pas servi de leçon à la direction du PCF. Elle recommence la même politique d'alignement derrière le PS avec cependant, à chaque fois, de moins en moins de crédit.
Oui, la gauche au gouvernement court à l'échec. Par ces temps de crise, la bourgeoisie ne lâchera rien à ses politiciens de gauche, pas même de quoi justifier leur utilité. La crise, c'est l'exacerbation de la lutte de classe où la bourgeoisie ne laisse pas d'autre choix au gouvernement que de mener une politique antiouvrière sans fard. Quel que soit l'homme à la tête du gouvernement, Ayrault, Valls ou même Mélenchon, la crise démolit impitoyablement le peu de base permettant une politique réformiste.
Seule une mobilisation massive et décidée de la classe ouvrière peut changer le rapport de forces avec le patronat sur toutes les questions essentielles concernant le monde du travail : le maintien de l'emploi aussi bien que la garantie du pouvoir d'achat des salaires.
Le Front de gauche ne peut pratiquer sa jonglerie entre l'appartenance à la majorité présidentielle et la timide opposition pour se distinguer du gouvernement socialiste qu'en l'absence de mobilisation sérieuse du monde du travail.
S'en prendre à l'ennemi, ou s'exciter contre un leurre
La campagne du Front de gauche pour réclamer un référendum sur le pacte budgétaire est symbolique de sa politique. Elle doit culminer avec une manifestation le 30 septembre. C'est la première manifestation contre le gouvernement venant de sa gauche. Mais l'objectif mis en avant ne concerne pas les travailleurs, qui ne peuvent même pas s'en emparer.
Le traité budgétaire que la majorité socialiste se prépare à voter fait partie de cette succession innombrable d'articles, accumulés tout au long de la construction de l'Union européenne dans l'intérêt exclusif des grands groupes capitalistes, et tels qu'ils résultent des affrontements et des compromis au fil des ans entre les bourgeoisies nationales, toutes désireuses d'élargir leur espace économique mais sans trop abandonner la souveraineté de leur État.
Les travailleurs conscients ne peuvent être qu'opposés à ce pacte budgétaire, comme à tous les autres qui l'ont précédé et qui le suivront. Mais dénoncer ce pacte est une chose, en faire un objectif de combat en est une autre.
Cette campagne est une diversion. Au lieu de désigner le grand patronat et la classe capitaliste comme responsables de la dégradation du sort des travailleurs, on dénonce un vague texte européen.
« Le pacte grave dans le marbre la politique d'austérité », clament tous ceux qui prétendent être à la gauche de la gauche. Mais une politique d'austérité n'a pas besoin d'être gravée dans quelque Constitution que ce soit pour être la politique de la bourgeoisie. Elle est menée depuis, au bas mot, trois ans. Le pacte budgétaire ne fait que formuler en toutes lettres la politique qui est menée par tous les gouvernements de l'Union européenne.
Si la gauche de la gauche fait de « l'exigence d'un référendum » sur cette question son cheval de bataille, ce n'est pas seulement parce que c'est sur ce terrain qu'elle gêne le moins Hollande, assuré qu'il est d'avoir au Parlement une confortable majorité sur cette question. D'autant plus qu'il peut compter sur l'apport de voix de la droite. Mais les travailleurs ne peuvent pas emporter de victoires sur ce terrain.
Revendiquer un référendum ? Mais rien n'oblige Hollande à y procéder. Et quand bien même référendum il y aurait, il n'est pas dit que le « non » l'emporterait. Et si le « non » l'emportait, rien n'obligerait le gouvernement à respecter le résultat du référendum. Sans même parler de la signification de ce « non » qui, comme en 2005, mélangera les « non » venant de la gauche de la gauche et ceux venant des partisans de Dupont-Aignan et de Marine Le Pen.
Avant le référendum de 2005 sur le traité de Lisbonne, « la gauche de la gauche » comme une partie du PS présentaient la campagne pour le « non » comme un combat essentiel à mener. Ils ont crié « on a gagné » lorsque le « non » l'a emporté.
Tout cela pourquoi ? Pour rien. Le traité de Lisbonne, rejeté par le référendum, fut reconduit par une autre procédure.
La classe ouvrière n'a pas besoin de faux combats et de faux espoirs. Si elle se bat, il faut que ce soit sur la base de ses intérêts de classe.
Le rapport de forces qui décidera de l'avenir n'est pas la répartition des « oui » et des « non » dans un référendum. Le rapport des forces, c'est celui qui s'établira entre la bourgeoisie et son gouvernement, et la classe ouvrière se battant pour son exigence vitale de ne pas payer la crise de l'économie capitaliste : pas de licenciements, répartition du travail entre tous sans diminution de salaire, garantie du pouvoir d'achat contre l'inflation par l'échelle mobile des salaires.
Les militants qui sont dans le camp des travailleurs n'ont pas le pouvoir de changer le rapport des forces, mais ils peuvent au moins dire où il réside.
Le fait que, du NPA au POI, les formations que l'on situe à l'extrême gauche s'y soient ralliées ne rend pas meilleure l'agitation contre le pacte budgétaire.
Accessoirement, le Front de gauche, comme tous ceux qui, à la gauche de la gauche, espèrent accrocher leur wagon à celui de Mélenchon et du PCF, présente la campagne pour le référendum comme un combat de la démocratie contre la dictature des marchés financiers. « Ce qui compte au final, c'est que la population puisse véritablement décider. Il faut systématiser le référendum qui est une forme de démocratie directe », affirme même le porte-parole du NPA dans une tribune publiée dans L'Humanité. Comme si la bourgeoisie avait attendu la construction européenne pour imposer la dictature de la finance sur la société ! Et présenter le référendum comme une forme de démocratie directe, il faut le faire !
Eh oui, dans le monde capitaliste, la démocratie de la bourgeoisie apparaît de plus en plus clairement pour ce qu'elle est : la dictature du grand capital.
Mais cette gauche-là prétend opposer à cette dictature un référendum que, de surcroît, il faut quémander auprès de Hollande !
Alors oui, la crise en général et celle de l'euro en particulier mettent en évidence que ceux qui gouvernent, ce ne sont pas les pantins politiques, mais les marchés financiers, euphémisme pour désigner le grand capital, les grands groupes industriels et financiers, la classe capitaliste.
Mais le rôle des militants qui se placent dans le camp des travailleurs n'est pas de geindre sur la situation, ni de proposer des mobilisations bidon. Leur rôle est d'éclairer les travailleurs, de leur montrer qui sont leurs ennemis et qui il faut combattre. Dire la vérité aux travailleurs ne suffit certes pas pour leur redonner confiance en leur capacité de se battre. Or, seuls le combat lui-même, la mobilisation de millions de travailleurs autour d'objectifs qui représentent leurs intérêts de classe, changeront réellement le rapport de forces. Sans cette mobilisation, rien ne peut se faire. Mais seule la conscience claire de ses intérêts de classe peut permettre à la classe ouvrière de contrôler sa propre mobilisation, d'empêcher qu'elle soit dévoyée, détournée vers des culs-de-sac, et d'aller jusqu'au bout.
21 septembre 2012