L'aggravation de la situation sociale a entraîné aussi des flambées de résistance ouvrière. Et si les émeutes de mai dernier en Indonésie et la chute de Suharto qui en a résulté ont fait les gros titres de la presse française, celle-ci n'a donné en revanche que peu d'informations sur les luttes menées par les travailleurs des pays d'Asie du Sud-Est pour ne pas faire les frais de la crise.
Et pourtant, de telles luttes, et même de grandes grèves, il y en a eu, y compris en Indonésie et en Malaisie où les régimes sont les plus répressifs. Mais c'est en Corée du Sud que la riposte ouvrière a pris le plus d'ampleur. Toute la fin de l'année 1997 a été marquée par des grèves dispersées, dans lesquelles les travailleurs coréens se sont opposés, en général avec succès, aux mesures de licenciements qu'on tentait de leur imposer.
Puis, au début de l'année, le pays a frôlé à deux reprises la grève générale, lorsque le président Kim Dae-jung a cherché à imposer des procédures "rapides" de licenciements économiques. Cette fois, ce sont les dirigeants syndicaux qui ont reculé, en acceptant de jouer le jeu de la concertation avec le gouvernement. Pendant ce temps les grands groupes industriels coréens attendaient leur heure pour imposer leurs plans de restructuration.
C'est finalement en juin dernier que l'affrontement a éclaté à Hyundai Motors, branche automobile du groupe Hyundai. C'est aussi l'un des bastions de la confédération syndicale coréenne la plus radicale, la KCTU Confédération coréenne des syndicats . La direction a annoncé 1500 licenciements dans les ateliers. 10 000 salariés avaient déjà été licenciés sous une forme ou une autre, mais il s'agissait des premiers licenciements parmi les ouvriers de production la base militante du syndicat. Quelques semaines plus tard, lorsque la liste des licenciés fut rendue publique, elle contenait les noms de 115 militants de la KCTU, dont ses principaux leaders.
Le 20 juillet, les 30 000 ouvriers de l'usine géante de Hyundai Motors occupaient donc les locaux. La grève a duré 35 jours, accompagnée de nombreuses manifestations et d'affrontements avec la police et avec des gangs de nervis enrôlés par la compagnie. Le 24 août, finalement, la grève se terminait par un compromis, qui équivalait à une défaite : le syndicat acceptait 277 licenciements et la mise en congé sans solde de 1200 ouvriers pendant 18 mois.
Depuis, le patronat coréen a pu intensifier ses attaques. Le 14 septembre, neuf banques ont annoncé le licenciement de 40 % de leur effectif, soit près de 20 000 salariés. De nouvelles mesures de licenciement doublées de réductions de salaires sont annoncées chaque jour dans la grande industrie. Et puis la justice s'est mise de la partie. Des poursuites judiciaires ont été engagées contre les responsables syndicaux.
La combativité des ouvriers coréens n'a donc pas réussi à tenir les grands groupes capitalistes en respect. Mais elle les a néanmoins obligés à reculer plus d'une fois et à retarder leurs coups. Et c'est évidemment un combat qui est loin d'être terminé.