Automobiles chinoises : le retour du “péril jaune” février 2025 Cette campagne nationaliste, relayée par un certain nombre de directions syndicales, a surtout permis aux gouvernements de justifier les mesures protectionnistes prises par l’Union européenne (UE). Derrière cette agitation, il y a la réalité d’un capitalisme où les entreprises se font une guerre féroce pour s’arracher les parts de marché, présentes et à venir, dans un marché saturé. Dans cette guerre, les entreprises bénéficient chacune du concours de son État national, qui lève ou abaisse les barrières douanières en fonction des intérêts de ses industriels. En Chine même, la guerre automobile fait d’autant plus rage que ce pays est l’un des rares marchés en réelle expansion. Les capitalistes de toutes les nationalités s’y battent pour y vendre les richesses qu’ils y tirent de l’exploitation de la classe ouvrière. L’industrie automobile en guerre En Chine, signe que le pays est encore largement un pays pauvre, le taux d’équipement des ménages en véhicule particulier est de 250 pour 1 000 habitants, alors qu’il est de 800 aux États-Unis, et de 600 à 700 en Europe. Aux États-Unis, les constructeurs vendent 16 millions de véhicules par an, dans l’Union européenne 11 millions. Du fait de son 1,4 milliard d’habitants, des 26 millions de véhicules qui y ont été vendus en 2024, la Chine est devenue le plus vaste marché au monde, un marché en progression de 17 % entre 2022 et 2024, et donc très disputé. Il est faux de dire que les capitalistes occidentaux et japonais ont été éjectés d’un marché qu’ils ont longtemps et largement dominé. Mais leurs positions relatives reculent. Ainsi, il y a 10 ans, en 2014, les marques appartenant aux capitalistes américains, japonais et européens représentaient plus de 75 % des 16 millions des seules berlines et SUV produits et vendus en Chine. Plusieurs dizaines de fabricants chinois se partageaient le quart restant. Entre 2014 et 2024, le nombre de véhicules vendus sous marque occidentale, japonaise ou coréenne a d’abord progressé puis a reculé. Il est encore de 10 millions, soit autant qu’en 2014, mais pèse désormais moins de 40 % du total. L’élargissement du marché chinois, 10 millions de véhicules supplémentaires, a été capté presque intégralement par des fabricants chinois, privés et publics, vendant des véhicules de qualité identique et bien moins chers. Au sein du groupe des capitalistes occidentaux, japonais et coréens, les rapports de force ont aussi évolué. Ainsi les parts de marché que certains Européens ont perdues ont été gagnées en partie par Tesla, l’entreprise d’Elon Musk installée en Chine depuis seulement 2020, et qui produit un million de véhicules par an dans sa seule usine de Shanghai. Parmi ceux qui ont perdu, il y a l’Allemand Volkswagen (VW) dont les ventes sont passées de 4 millions de véhicules en 2019 à moins de 3 millions en 2024. Les entreprises chinoises publiques ou privées qui ont percé sur leur marché intérieur s’appellent BYD, Chery, Geely, SAIC… BYD a vendu plus de 4 millions de berlines et de SUV en 2024, dépassant VW depuis 2023. Globalement, l’expansion du marché a bien plus profité aux capitalistes chinois qu’aux Européens et Américains, en particulier sur les véhicules électriques. Mais les capitalistes occidentaux conservent de confortables positions. Ils pleurent… sur la part du marché qui leur échappe. L’intervention de l’État chinois C’est en effet sur le marché des véhicules électriques que les entreprises chinoises battent la concurrence étrangère. Mais ce n’est ni un miracle ni en raison de prétendues vertus du capitalisme. Les capitalistes chinois ont disposé d’un atout indéniable vis-à-vis de leurs concurrents, celui de construire une industrie nouvelle sans le poids d’une ancienne. Mais ce résultat aurait été impossible sans plus de 20 ans d’intervention de l’État chinois, alors que les Européens et les Américains n’ont pas, pour des raisons diverses, su ou voulu y investir. L’industrie automobile chinoise existe depuis les années 1980, quand l’État chinois a ouvert, de façon progressive et contrôlée, son marché aux capitaux occidentaux. Cette industrie s’est ainsi développée autour des joint-ventures (coentreprises), forme imposée par l’État à toutes les entreprises étrangères, forçant celles-ci à s’associer à des entreprises publiques chinoises, comme la First Automobile Works (FAW), qui construisait à l’origine des camions, ou bien la Shanghai Automotive Industry Corporation (SAIC) contrôlée par la ville de Shanghai. Ces coentreprises ont ouvert le marché chinois aux entreprises occidentales. Dans les années 2000, celles-ci y ont multiplié les investissements et les profits au fur et à mesure du développement d’une couche de petits bourgeois et de bureaucrates plus riches que la moyenne. Les entreprises chinoises ont pris leur part de ce marché mais aussi – c’était la contrepartie de l’ouverture du marché sous contrôle étatique – elles ont appris de leurs associées occidentales le savoir-faire nécessaire au rattrapage d’un siècle de retard en matière de construction automobile et à une plus grande autonomie. L’intervention de l’État chinois a été décisive. Dès 2001, il a lancé un projet spécial, National 863, pour les véhicules électriques. En 2009, il a lancé le projet d’application Dix villes et mille véhicules. En 2010, l’industrie des véhicules électriques était mise en avant comme l’une des sept industries stratégiques émergentes. Après 2014, les gouvernements provinciaux comme le gouvernement central ont introduit chacun à leur niveau des plans stratégiques, des politiques de promotion, de gestion du crédit, des politiques permettant de construire les infrastructures nécessaires, de soutenir la recherche et le développement, le tout d’une manière visiblement bien plus efficace que les États européens puisque les ventes de véhicules électriques et hybrides sur le territoire chinois au premier semestre 2024 ont représenté plus de 65 % du total mondial. Malgré tous les discours des gouvernements occidentaux sur l’urgence climatique, c’est uniquement en Chine que les ventes de véhicules électriques et hybrides ont dépassé celles des voitures à moteur thermique. Les gouvernements locaux ont travaillé en étroite collaboration avec les entreprises privées. Par exemple, BYD s’est développé en entretenant des relations suivies avec la ville de Shenzhen, première ville au monde à électrifier complètement son parc de bus. Enfin, comme en Europe, l’achat des véhicules électriques individuels a aussi été largement subventionné par les autorités locales et par le gouvernement central : plus d’une vingtaine de villes ont proposé des subventions s’ajoutant à la subvention étatique, sur des véhicules dont le prix est inférieur d’un tiers à ceux de leurs concurrents. Un marché saturé La production automobile chinoise emploie aujourd’hui de 10 à 15 millions de travailleurs répartis dans 746 sites1 (usines, bureaux, centres de recherche, sites de production de camions) appartenant à des entreprises de toutes les nationalités. Les Chinois BYD, SAIC, FAW disposent respectivement de 77, 55, 45 sites. Les Européens et Américains en ont des dizaines : Volkswagen 38, General Motors 16… De nombreux sites sont exploités en commun par plusieurs entreprises, de toutes les nationalités, pour produire des batteries, des moteurs, des transmissions, voire assembler des véhicules, ce qui relativise à bien des égards la comptabilité « nationale » de la production automobile. En réalité, les capitalistes de toute la planète se partagent le gâteau à plusieurs niveaux. Ainsi le groupe privé chinois BYD possède une usine en commun avec l’entreprise publique chinoise FAW et un centre de recherche en commun avec Toyota. L’entreprise publique chinoise SAIC est associée à GM dans 14 sites, à VW dans 11 autres, la FAW est associée au Japonais Toyota et à VW sur plus de la moitié de ses sites, le Chinois Geely est associé à Renault-Nissan sur 9 de ses 77 sites… Les capitalistes du monde entier exploitent ensemble le prolétariat chinois et s’affrontent sur la répartition des profits. Les capacités de production en Chine seraient aujourd’hui de 40 millions de véhicules par an, toutes catégories confondues, bien au-delà des 30 millions que le marché national absorbe. De même, à côté de quelques grands produisant chacun plusieurs millions de véhicules par an, il existe encore des dizaines de petits producteurs, qu’ils soient des tentatives de start-up ou bien attachés à des gouvernements locaux, produisant quelques milliers ou quelques dizaines de milliers de véhicules par an. Le nombre de producteurs chinois serait de plus de 130 au total. En décembre dernier, la presse occidentale relatait la colère des salariés de Ji Yue qui ne parvenaient pas à se faire payer leurs salaires. Cette entreprise de 5 000 salariés, détenue à 65 % par Geely, ne produit que deux modèles de luxe, qui cumulaient en septembre des ventes de 9 767 unités. De telles entreprises ne font guère le poids vis-à-vis des géants du secteur. Ainsi la production de BYD, un million de salariés recensés en septembre, a atteint 4 millions de voitures en 2024. Tesla produit un million de véhicules par an sur un seul site de 20 000 travailleurs. Le secteur n’est pas encore concentré mais il en prend le chemin à grande vitesse et la classe ouvrière chinoise devra se battre pour ne pas en payer la facture. Conséquence de la saturation des marchés, la guerre des prix que les plus grands constructeurs ont déclenchée va accélérer la concentration, les plus petits se retrouvant dans l’incapacité de suivre. Selon les données publiées par l’Association chinoise des voitures particulières, les prix de vente de plus de 124 modèles de véhicules électriques ont été revus à la baisse en 2023 et en 2024. La baisse moyenne au premier semestre 2024 est de 13,5 %. BYD est allé jusqu’à des remises de 20 % en février sur certains modèles, Audi de 30 %, BMW de 25 %. Le vrai faux retour du « péril jaune » Autre signe de la saturation du marché chinois, les efforts des constructeurs chinois pour exporter leurs véhicules. Et les constructeurs chinois ont des atouts puisque, selon la presse spécialisée, le prix moyen des voitures électriques chinoises vendues était en 2021 de 22 100 € tandis qu’il était de 42 568 € en Europe et de 36 139 € aux États-Unis. Si le prix moyen des véhicules thermiques est similaire en Chine et aux États-Unis, entre 23 000 € et 25 000 €, il était en 2021 de plus de 32 000 € en Europe. De fait, l’année 2023 a marqué un record dans la progression des exportations chinoises de véhicules, qui atteignent 4,4 millions d’unités (tous types, tous modèles, toutes marques, toutes nationalités confondues), 57,9 % de plus qu’en 2022. Mais ces exportations ne pèsent que 5 % du marché mondial de l’automobile, c’est-à-dire finalement peu. Pour 2024, la progression des exportations chinoises est beaucoup plus modeste, de quelques pourcents. Les pays occidentaux ne sont pas les principaux pays destinataires de ces exportations supplémentaires. Sur les 1,7 million de véhicules supplémentaires exportés de Chine en 2023 par rapport à 2022, 100 000 sont allés au Mexique et près de la moitié, 700 000 de plus sont allés en Russie et en Biélorussie, faisant de ces pays les principaux clients de l’industrie chinoise à l’exportation (près de 20 % du total exporté), essentiellement en véhicules thermiques. La guerre en Ukraine et le fait que la Russie et la Biélorussie soient sous embargo occidental est une opportunité pour les entreprises chinoises, et un marché perdu pour les entreprises occidentales. L’envahissement des marchés occidentaux et américains par les véhicules chinois reste donc du domaine du fantasme et de la propagande. Le nombre de voitures exportées vers l’Union européenne et le Royaume-Uni est passé de 615 000 à 855 000 entre 2022 et 2023 soit environ au total 6,5 % du marché européen. Et sur ce chiffre, il y a un nombre significatif de véhicules fabriqués par Tesla, Dacia et autres capitalistes occidentaux implantés en Chine. En France, les constructeurs chinois restent inconnus du grand public et ce n’est pas un hasard. En octobre dernier, la première marque chinoise pointait à la 49e position en nombre de voitures vendues. Sur les 135 000 véhicules vendus pendant ce mois, moins de 3 000 étaient de marque chinoise, sous les labels Volvo, la marque suédoise dans laquelle Geely a investi, et MG, la marque britannique rachetée par SAIC au début des années 2000. Outre les barrières douanières, l’étroitesse du réseau de distribution et d’après-vente des constructeurs chinois constitue un frein au développement de leurs exportations en Europe. Les véhicules exportés directement aux États-Unis étaient au nombre de 68 000 en 2023, soit 0,4 % du marché américain. Les véhicules vendus sur le sol américain produits par une entreprise chinoise étaient en nombre très réduit : 140 000 sur un total de 16 millions de véhicules vendus. Des barrières protectionnistes préventives Au vu de la faible pénétration des véhicules chinois sur les marchés américain et européen, les barrières protectionnistes mises en place par les États-Unis, et par l’Union européenne en octobre dernier, n’auront qu’un faible impact dans l’immédiat sur la production automobile, qu’elle soit chinoise, européenne ou américaine. La propagande montrant les ports européens où s’entassent les véhicules chinois a en réalité d’autres objectifs : dans un premier temps de faire accepter l’augmentation de ces tarifs douaniers européens ; et d’installer dans les consciences l’idée que le secteur automobile est menacé, pour justifier auprès des travailleurs les mauvais coups à venir, et envers l’opinion publique européenne les aides publiques massives aux constructeurs. Ces aides sont conséquentes : pour les batteries électriques, la nouvelle entreprise ACC, copropriété de trusts multimilliardaires, Total, Stellantis et Mercedes, doit recevoir pour deux usines 846 millions d’aides de l’État français et 435 millions de l’État allemand, la troisième, en Italie, étant suspendue. L’État espagnol vient d’annoncer 133 millions d’euros d’aides pour la construction d’une usine près de Saragosse. La liste de ces aides est longue, elles sont censées aider les capitalistes européens à rattraper leur retard, mais leur permettent surtout d’investir pour le nouveau marché de l’électrique sans avoir à toucher à leurs trésors de guerre. La hausse des tarifs douaniers dirigés contre les véhicules chinois n’en est pas moins réelle. Fin octobre, la Commission européenne a validé les droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques, des droits qui s’ajoutent aux droits antérieurs de 10 % et qui sont modulés en fonction des constructeurs : de 7,8 % pour les véhicules Tesla fabriqués en Chine à 35,3 % pour ceux fabriqués par SAIC et d’autres, ce qui permet de continuer à favoriser les constructeurs occidentaux au détriment des Chinois. C’est le rôle de tout État bourgeois de défendre les intérêts de ses capitalistes. Le prétexte avancé par l’Union européenne est que les entreprises chinoises auraient été massivement aidées par l’État chinois. Comme toujours, c’est l’hôpital qui se moque de la charité… En septembre, l’administration de Biden a annoncé une hausse des droits de douane sur les véhicules électriques chinois de 25 % à 100 %. Trump, qui se fait le champion des tarifs douaniers face à la Chine, continuera probablement cette politique. Il a même promis d’augmenter significativement les taxes sur les importations en provenance du Mexique et du Canada, sous prétexte que les entreprises chinoises essayeraient d’utiliser ces pays pour contourner les barrières à leur encontre. Intensification de la guerre commerciale Pour contourner les tarifs douaniers, les constructeurs chinois ont annoncé des investissements dans des usines à l’extérieur de la Chine. Certains voudront y voir l’expression de l’impérialisme chinois. Mais même si l’on compare les exportations de capitaux des uns et des autres – un critère qui ne suffit pas pour qualifier une puissance d’impérialiste au sens où Lénine en parlait au début du 20e siècle –, le capitalisme chinois n’arrive pas à la cheville de ses concurrents. Ainsi, les annonces d’ouvertures d’usines en Europe sont au nombre de deux, en Hongrie et en Espagne. D’autres producteurs n’en sont qu’aux intentions : Dongfeng en Italie, SAIC Motor dans deux pays d’Europe et en Égypte, Great Wall Motor soit en Allemagne, soit en Hongrie, soit en République tchèque. BYD a aussi annoncé une usine en Turquie afin de bénéficier des facilités douanières entre ce pays et l’Union européenne. Au total, les constructeurs chinois envisagent la construction de six ou sept sites en Europe ou à proximité, pour une production de quelques centaines de milliers de véhicules par an, à condition que tous leurs projets se réalisent effectivement. Ce chiffre est à mettre en regard des centaines de sites industriels qui existent en Europe et des 150 sites entre les mains des entreprises occidentales, japonaises et coréennes en Chine même. Sur le marché américain, la présence chinoise reste très confidentielle. Néanmoins, BYD, MG et Chery prévoient de construire des usines de véhicules électriques au Mexique. Et BYD construit actuellement au Brésil sa plus grande usine hors d’Asie. Une autre manière de mener la guerre commerciale est de s’associer et de partager les bénéfices. Là, les entreprises chinoises ne sont plus les ennemis à abattre, mais des partenaires bienvenus… contre les concurrents occidentaux. Ainsi Stellantis s’est allié au chinois Leapmotor pour vendre en Europe des véhicules électriques bas de gamme. Renault et Geely ont conclu un partenariat visant à créer une coentreprise de 19 000 salariés dans 17 usines sur trois continents, dédiée à la production de moteurs thermiques et hybrides de nouvelle génération. Le protectionnisme ne protège pas les travailleurs La hausse des tarifs douaniers décidée par l’Union européenne en octobre dernier est vue par les différents capitalistes européens de manière bien différente, selon les positions qu’ils occupent sur la planète, selon aussi l’état d’avancement de la conversion de leurs usines à la production de véhicules électriques. Si on ne prend que le cas des voitures électriques, il faut savoir qu’en 2020, les exportations de véhicules électriques fabriqués en Chine à destination de l’Union européenne représentaient 11 % du marché européen de l’électrique et étaient à 90 % des véhicules de l’américain Tesla sortant de sa nouvelle usine de Shanghai. En 2023, les exportations chinoises ne représentaient que 20 % du marché européen de l’électrique. Les constructeurs chinois livraient près de la moitié de ces 20%, les constructeurs occidentaux qui, comme Tesla, Dacia, BMW… produisent en Chine en livrant encore la majorité2. Les ventes de véhicules électriques (20 % du marché en France et en Allemagne, 10 % aux États-Unis) semblent stagner, elles auraient même régressé, de 5,8 % en Europe sur les neuf premiers mois de l’année 2024. En réalité, le choix des constructeurs de vendre moins de véhicules mais plus chers a pour résultat l’étroitesse du marché des véhicules électriques, et les droits de douane supplémentaires vont sans doute le restreindre encore. La concurrence chinoise, qui produit déjà aussi bien pour bien moins cher, risquerait de tuer cette poule aux œufs d’or. Pour maintenir leurs profits, les constructeurs européens ne peuvent pas se passer de ces droits de douane. Démontrant que tout cela n’a que peu à voir avec le réchauffement de la planète, en France, les bonus pour l’achat de véhicules électriques viennent d’être réduits de moitié. L’État français explique cela par la nécessité de faire des économies budgétaires, mais il imagine en réalité une formule qui exclurait les concurrents de ses champions nationaux, Stellantis et Renault. En réalité, l’État français estime que les subventions à l’achat, en l’état actuel de l’avance des constructeurs chinois, ne peuvent que tomber, en partie, dans leur escarcelle, et que les consommateurs sont peu nombreux et suffisamment aisés pour payer quand même, poussés à le faire par les discours sur le climat autant que par le développement des zones à faibles émissions instaurées dans les grandes villes et autres interdictions. En Europe, les producteurs allemands, comme VW, se sont élevés contre les droits de douane supplémentaires, comme l’avait fait Stellantis du temps de Tavares, car ils pourraient chercher à utiliser les surcapacités dont ils disposent en Chine, ou les entreprises avec qui ils se sont mis d’accord, comme Leapmotor avec Stellantis, pour importer leurs véhicules sur le marché européen. Quoi qu’il en soit, le protectionnisme ne protège en rien les travailleurs, mais est un outil dans la guerre commerciale que se livrent les capitalistes. Dans cette guerre, d’un côté comme de l’autre de la frontière, les travailleurs, avec leurs emplois et leurs salaires, sont toujours ceux qui meurent au champ de bataille. Pour être compétitifs, comme ils disent, les capitalistes réduisent les coûts de production, c’est-à-dire qu’ils rognent sur les salaires, aggravent les conditions de travail et suppriment des emplois. Ce qui guide les entreprises, c’est le taux des profits versés aux actionnaires, et pour qu’il soit au plus haut, les capitalistes doivent s’attaquer aux travailleurs, là où ils gagnent des parts de marché comme là où ils en perdent. Que les frontières soient plus ou moins fermées aux marchandises, les intérêts des travailleurs ne sont pas protégés, car quelles que soient les conditions dans lesquelles se font les échanges, il y a toujours une classe qui exploite, et une classe exploitée. Le nationalisme syndical En France, un certain nombre de directions syndicales ont relayé la campagne nationaliste et protectionniste contre les automobiles chinoises. Ainsi, la fédération CGT de la Métallurgie écrivait en octobre dernier : « Derrière la Chine, qui a produit 30,1 millions de voitures en 2023, notre pays peine à retrouver son rôle dans l’industrie automobile. » Le 30 septembre, la CGT expliquait la disparition de 114 000 emplois entre 2006 et 2021 par « la stratégie de localisation dans les pays à bas coûts du travail ». Le patronat, les capitalistes ne seraient donc responsables que d’une stratégie de délocalisation – qui ne correspond pas, comme on l’a vu, exactement à la réalité –, laissant entendre qu’une autre stratégie serait possible. Pour la CGT, la bonne « stratégie » serait de « produire au plus près de là où on vend », un de ses slogans, et d’imposer la « conditionnalité des aides publiques avec l’arrêt des délocalisations et l’obligation pour les entreprises aidées de maintenir l’emploi en France ». Que des trusts, même si leur part de marché recule, fassent des milliards de profit malgré tout n’empêche pas la CGT de demander des aides, même « conditionnées ». Et sur le fond, la CGT milite pour que les trusts arrêtent de produire les Dacia, les Tesla en Chine, en Roumanie ou en Turquie, mettent les travailleurs chinois, roumains ou turcs au chômage pour espérer qu’ils embauchent en France. Un tel discours distille le poison chauvin et nationaliste, il divise les travailleurs, il est à combattre. Les emplois ne dépendent pas de la localisation des usines, mais du rapport de force entre travailleurs et capitalistes, un rapport de force qui détermine, notamment, le temps de travail, sa répartition entre travailleurs, les cadences, etc. et, en proportion inverse, les profits. La fragmentation de l’économie mondiale sous la poussée à la hausse des droits de douane est le signe d’une crise qui s’approfondit, d’un capitalisme de plus en plus parasitaire, sénile, violent. Au-delà de la défense de leurs emplois et de leurs salaires, il faut que les travailleurs se convainquent que tant qu’ils n’auront pas pris la direction de l’ensemble de la société, ils seront ballottés de crise en crise et en guerre, économique d’abord, militaire ensuite. 8 janvier 2025 1 Selon le site spécialisé marklines.com. 2 https://www.caixinglobal.com/2024-12-10/in-depth-chinas-auto-industry-re...