e 2 octobre, les Brésiliens voteront pour élire le président et le vice-président, les gouverneurs des 27 États, trois sénateurs par État, les députés fédéraux et ceux des États. Pour les sénateurs et les députés, la proportionnelle s’applique au niveau de chaque État. Si aucun candidat aux postes de président et de gouverneur d’État n’obtient la majorité, un second tour aura lieu fin octobre.
La Constitution brésilienne est de type présidentiel. Le président, élu pour quatre ans, désigne les ministres. Il n’y a pas de Premier ministre responsable de la politique menée. C’est l’élection présidentielle qui focalise l’intérêt, d’autant que cette fois elle oppose le président d’extrême droite sortant, Jair Bolsonaro, 67 ans, et le leader historique de la gauche, Lula, 76 ans, qui a été président de 2003 à 2010. Ils réunissent à eux deux 80 % des intentions de vote.
Comment Bolsonaro est arrivé à la présidence
En 2018, ni la gauche ni la droite institutionnelles n’avaient de candidat crédible. Au pouvoir de 2003 à 2016 avec Lula puis Dilma Rousseff, le Parti des travailleurs (PT) était discrédité. Scandales politico-financiers et procès médiatiques avaient fait de lui le « parti des voleurs ». Jusque dans les banlieues ouvrières de São Paulo, où il était né, il était largement rejeté. Lula lui-même avait été condamné par des juges partisans et emprisonné pour douze ans. Malgré sa popularité, qui faisait de lui le favori des sondages, il était interdit de candidature. Haddad, désigné candidat du PT au pied levé, était loin d’avoir sa carrure et sa popularité.
La droite n’avait pas de candidat qui la rassemble. Le PMDB, parti de notables attachés à leurs postes et aux revenus qu’ils en tirent, avait gouverné quatorze ans avec le PT, fournissant entre autres à Dilma Rousseff son vice-président, Michel Temer. À la suite de la destitution de celle-ci, en 2016, Temer était devenu président. Mais il s’était très vite discrédité et avait lui-même échappé de peu à la destitution. Le PSDB, l’autre grand parti de droite, n’avait jamais pactisé avec le PT. Mais aucun de ses candidats potentiels ne faisait l’unanimité, et de plus, tous étaient impliqués dans des « affaires ».
De ce vide relatif avait surgi la candidature de Bolsonaro. Sorti des rangs de l’armée au bout de dix ans avec le petit grade de capitaine, il avait été élu conseiller municipal puis pendant vingt-huit ans député de Rio. Politicien traditionnel, il travaillait pour lui et sa famille, pas pour un parti. Sept fois élu, à chaque fois il s’était présenté sous une étiquette différente, toutes de droite. À la Chambre, il faisait partie du « Gros Centre », le marais avec lequel tout président brésilien doit composer. Parlementaire incolore, il avait même été pendant une dizaine d’années un compagnon de route de Lula et du PT.
Bolsonaro a commencé à se faire remarquer en 2016, lors de la destitution de Dilma Rousseff. Elle avait été torturée sous la dictature. Il dédia son vote au Parlement en faveur de la destitution à l’un des chefs tortionnaires de la dictature militaire (1964-1984). Dès lors il s’est affirmé comme un nostalgique de la dictature, machiste, anti-IVG, raciste, homophobe, ennemi des pauvres et des « assistés », partisan de la peine de mort et défenseur de tous les policiers qui tuent des « bandits ». Au nom de Dieu, de la famille, de la patrie et de la liberté, il a fédéré autour de lui les évangélistes extrémistes, les petits bourgeois individualistes, antiouvriers et anticommunistes, et les groupuscules d’extrême droite, fascistes et nostalgiques de la dictature ou même de l’Empire (1822-1889).
En 2018, la bourgeoisie et ses partis se sont ralliés à ce candidat « antisystème », par opportunisme et par hostilité au PT plus que par véritable adhésion à cet illuminé réactionnaire. Dans l’électorat populaire, victime de la crise et dégoûté de la politique par les scandales, certains ont voulu croire en Bolsonaro, l’homme providentiel, tandis que beaucoup se réfugiaient dans l’abstention. L’ex-capitaine l’a emporté au second tour, avec 55 % des votes, sur le candidat du PT.
Les soutiens de Bolsonaro
Bolsonaro a toujours l’appui des évangélistes, dont les diverses Églises ont en commun l’opposition à l’avortement, toujours interdit au Brésil, au mariage homosexuel et à tout progressisme. Sa femme, Marielle, est une évangéliste fervente. Lui se présente volontiers comme un protégé de Dieu, qui lui aurait sauvé la vie en 2018 quand pendant la campagne électorale un déséquilibré l’a poignardé. Les évangélistes représenteraient un tiers des Brésiliens, et le lobby évangéliste fédère près de 200 députés sur 515.
Les groupuscules d’extrême droite, fascisants, nostalgiques de la dictature ou royalistes, se sont beaucoup affichés lors de la campagne qui a abouti à la destitution de Dilma Rousseff en 2016. Ils n’ont pas disparu et ils appuient naturellement Bolsonaro. Mais ils ne semblent pas s’être beaucoup manifestés depuis.
Les partisans des armes soutiennent eux aussi un président qui ne parle que de mitrailler « la canaille de gauche » et qui incite policiers et militaires à tuer délinquants et marginaux. Les armes sont théoriquement interdites au Brésil, mais elles circulent par millions et la bourgeoisie a pour tradition d’entretenir des groupes de tueurs, en particulier dans les campagnes.
Les proches de Bolsonaro sont extrêmement actifs sur les réseaux sociaux, où ils se livrent à des campagnes massives de désinformation, un peu à la manière de ceux de Trump aux États-Unis. Cela lui vaut le soutien de tous les complotistes.
Bolsonaro a aussi le soutien des « milices », qui contrôlent la moitié des favelas de Rio mais qui sont aussi présentes dans une quinzaine d’États. Ce sont des bandes formées de policiers ou d’ex-policiers, qui prennent le pouvoir dans les favelas une fois que la police en a chassé les gangs traditionnels du trafic de drogue. Comme les gangs qu’elles remplacent, les milices font régner la terreur, rackettent et pillent, et finalement se financent en contrôlant à leur tour le commerce de la drogue. À Rio, elles sont représentées au conseil municipal et elles bénéficient de l’indulgence voire de la complicité de la police.
Le Brésil est un pays violent, où l’on compte chaque année plus de 60 000 assassinats. La police y tue des milliers de personnes, les gangs organisés à l’échelle nationale tuent, les milices tuent. Et les victimes sont dans leur énorme majorité des Noirs et des pauvres, présentés à chaque fois comme des délinquants. La famille de Bolsonaro, avec un fils sénateur de Rio et un autre conseiller municipal, est liée à ces milices. En mars 2018, une militante de gauche, noire et féministe, qui enquêtait sur les milices, Marielle Franco, a été exécutée à Rio par un ex-policier lié aux Bolsonaro.
Ces électeurs fidèles à celui qu’ils qualifient de « mythe » représenteraient environ un quart de l’électorat. Mais la bourgeoisie et ses organisations politiques et professionnelles lui ont tourné le dos, pour se tourner majoritairement vers Lula. Car, au pouvoir, Bolsonaro s’est souvent montré incontrôlable. Il a en particulier nié la dangerosité du Covid, une « petite grippe » selon lui, et a milité contre les mesures élémentaires de protection. Il a une part de responsabilité dans les 680 000 morts de la pandémie. Cela a sapé sa popularité et a fragilisé le gouvernement.
Il n’est pas innocent non plus dans l’accélération de la déforestation en Amazonie, les incendies qui lui sont liés, et dans l’extermination des tribus indiennes. Toutes deux ont des racines lointaines, à la fois dans la société brésilienne raciste, où l’esclavage n’a été aboli qu’en 1888, et dans le pillage impérialiste des ressources naturelles. Elles se sont poursuivies y compris pendant les gouvernements du PT, malgré les grands principes affichés. Mais Bolsonaro a assumé sans complexe ce que ses prédécesseurs niaient ou cachaient comme des tares. Pour lui, les Indiens ne sont que des fainéants, et ceux qui les protègent des bandits. Du coup, les groupes de bûcheronnage illégal, les chercheurs d’or clandestins et les chasseurs d’Indiens se sont sentis appuyés au sommet de l’État et s’en sont donné à cœur joie, liquidant la forêt et les Indiens et faisant place nette pour les trusts agro-industriels de l’élevage, du soja et de la canne à sucre.
La démocratie est-elle menacée au Brésil ? À l’exemple de Trump, Bolsonaro laisse fréquemment entendre qu’il n’acceptera jamais la défaite et pourrait être contraint de faire un coup d’État, parce que ses adversaires tricheraient et « voleraient » l’élection. Il multiplie les déclarations contre le vote électronique, en place au Brésil depuis vingt-cinq ans, et les fraudes massives qui se prépareraient. Certes, il est aussi capable de dire aussi qu’il se pliera au résultat des urnes. C’est une constante chez lui de dire successivement blanc puis noir, avec la même conviction.
Il se présente volontiers comme le candidat de l’armée. Il a certes de nombreux partisans dans les rangs des militaires et des policiers, envers lesquels il n’est jamais avare de démagogie. Il a nommé de nombreux officiers en retraite à des postes lucratifs de ministres, de conseillers ou de gestionnaires d’entreprises étatiques. Son actuel vice-président est un général en retraite. Mais l’état-major et les généraux d’active sont plus réservés et refusent d’être identifiés à lui. Ses allusions à un coup d’État militaire semblent surtout un chantage et une référence idéologique. Ce genre d’allusion n’est pourtant jamais innocent, surtout qu’il s’accompagne de l’évocation du « miracle » économique des années de la dictature, miracle pour la bourgeoisie, et plein emploi certes pour les travailleurs mal payés et surveillés de près par la police.
Appels à l’armée, menaces de coup d’État, soutien des milices, complotisme, fanatisme religieux : rien de tout cela ne gêne la base électorale de Bolsonaro, qui y voit au contraire des raisons de voter pour lui. Le 7 septembre, jour de la fête nationale, qui cette année célébrait le bicentenaire de l’indépendance du pays, Bolsonaro a tâché d’utiliser les cérémonies officielles pour promouvoir sa candidature. L’après-midi, il a réuni à Rio 60 000 de ses partisans sur la plage de Copacabana. Il a comme d’habitude attaqué violemment Lula, les médias et les instituts de sondage, mais il n’y a pas eu de dérapage.
Le parcours de Lula
Face à lui, Lula veut représenter le Brésil civilisé, moderne, cultivé et démocratique. Il dénonce en Bolsonaro « une mauvaise copie de Trump », « une personne mentalement déséquilibrée ». Il déclarait le 22 août : « Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la démocratie contre le fascisme, la démocratie ou la barbarie. » Il veut être et est par bien des aspects l’anti-Bolsonaro.
Lula est issu d’une famille pauvre du Nordeste, venue travailler à São Paulo dans les usines de montage des multinationales attirées sous la dictature par le faible coût d’une main-d’œuvre docile et les perspectives d’un marché prometteur. Ouvrier dans l’usine Volkswagen de Sao Bernardo (40 000 salariés à l’époque), syndicaliste, il se trouva à la tête des grandes grèves de 1978-1979 qui ont préludé à la fin de la dictature, ce qui lui valut la prison. Celui que la presse bourgeoise désignait alors comme le « crapaud barbu » était très populaire dans la classe ouvrière.
Pour que les militants syndicalistes disposent d’un relais politique dans le pays et au Parlement, il participa à la création du Parti des travailleurs, en alliance avec le courant social-démocrate et les secteurs progressistes de l’Église catholique, et avec l’aide des groupes révolutionnaires, trotskystes en particulier. Dans l’époque de forte politisation qui suivit la chute de la dictature en 1984, le PT était fort de l’activité de milliers de militants ouvriers et intellectuels, qui s’emparaient de la direction des syndicats en chassant les syndicalistes « carpettes » de la dictature, organisaient des occupations de terres et des coopératives, construisaient des quartiers d’habitations ouvrières bon marché. Le PT et la CUT (Centrale unitaire des travailleurs), le syndicat qui lui était lié, inspiraient et organisaient la classe ouvrière.
Mais lorsque cette influence se traduisit par des postes syndicaux puis politiques de plus en plus nombreux et de plus en plus importants, ce courant révéla son caractère profondément réformiste. Le PT ne voulait pas renverser la bourgeoisie mais s’intégrer dans son système. L’appareil que présidait Lula se renforça, se professionnalisa, décourageant les militants les plus actifs à la base et réprimant ceux qui s’affichaient révolutionnaires, ou simplement qui contestaient les ordres venus d’en haut. Ce PT bureaucratisé, responsable, hiérarchisé, devenait un outil utilisable pour la bourgeoisie. Lula, candidat depuis 1990 à l’élection présidentielle, réunissait de plus en plus de voix et en 2002 il fut élu, et réélu triomphalement en 2006.
La gauche au pouvoir
Lula fut pour la bourgeoisie brésilienne et mondiale un chef d’État exemplaire. Il sut donner aux pauvres l’impression qu’il gouvernait en leur faveur, tout en assurant aux bourgeois des profits jamais vus.
Il réduisit par exemple l’écart entre les salaires ouvriers les plus faibles et les plus forts, mais sans toucher aux profits patronaux. Le salaire minimum, que touchent les employés domestiques, les aides du commerce ou les travailleurs non qualifiés des petites entreprises, passa en huit ans de 200 à 540 reais (200 euros environ). Mais les travailleurs qualifiés de la banque, des grandes entreprises et des multinationales, qui touchaient entre 12 et 20 smic, n’en gagnèrent plus que 4 ou 5 et perdirent de leur pouvoir d’achat, et de leur confiance dans le PT. Pour les familles les plus pauvres, Lula créa une série d’aides sociales, dont la plus connue est la Bolsa familia, allocation de quelques dizaines d’euros versée aux familles pauvres dont les enfants sont scolarisés. Il aligna les retraites sur le salaire minimum et en fit bénéficier les paysans du Nordeste, même s’ils n’avaient jamais cotisé. Cela coûta quelques milliards d’euros, mais beaucoup moins que les aides et subventions au patronat, et infiniment moins que ce que le pays versait chaque année aux détenteurs de la dette publique.
Cette politique lui aliéna pourtant une partie des travailleurs les mieux payés, entre autres parmi les universitaires. Quatre parlementaires contestataires furent exclus en 2003. Cela provoqua une scission dans le PT, qui donna naissance en 2005 au Parti du socialisme et de la liberté (Psol), animé par Heloïsa Helena. L’électorat PT devint majoritaire dans le Nordeste pauvre, et minoritaire dans l’État industriel de São Paulo, aux salaires plus élevés. Par ailleurs les mouvements de grève devinrent rares, combattus par les militants du PT et des syndicats. Geste symbolique : Lula nomma au ministère du Travail le secrétaire général de la CUT.
En revanche la bourgeoisie, toutes catégories confondues, était l’objet de tous ses soins. Lula eut la chance de gouverner pendant les années de hausse des prix des matières premières agricoles et minières, dont le Brésil est un grand fournisseur. Ces secteurs battirent des records de profits. Minerai de fer, viande de bœuf, de porc et de poulet, oranges, soja, canne à sucre : le Brésil était le premier exportateur mondial. Les banques faisaient des milliards de dollars de bénéfices. Le chômage était bas. Et la petite bourgeoisie récoltait la petite monnaie de la prospérité générale et accédait à un niveau de vie de pays développé. Dans ce mouvement de croissance des profits, même la crise bancaire de 2008 passa presque inaperçue. Lula termina son second mandat avec un taux de popularité record de 87 %.
Mais l’arrivée de Lula et du PT au pouvoir eut son revers de la médaille. Les élections parlementaires se faisant à la proportionnelle, le PT n’a jamais été majoritaire, pas plus qu’aucun autre parti. Lula, pour faire adopter sa politique, a dû gagner les voix de députés d’autres partis, c’est-à-dire les acheter, dans la grande tradition politique brésilienne. Il a repris à son compte le système de corruption qui sévissait avant lui : travaux concédés à de grandes entreprises, grassement surfacturés, en échange de pots-de-vin au parti gouvernemental.
Le système était si général, si lourd, et provoquait tant de contestations entre les bénéficiaires, qu’il parvint à la connaissance de journalistes et de juges et que, de fil en aiguille, le scandale grossit. Lula lui-même fut longtemps épargné, mais tout l’état-major du PT fut impliqué et beaucoup finirent en prison. Les partis de droite, y compris ceux qui avaient vendu leurs voix, dénoncèrent alors la corruption du PT et réclamèrent sa mise hors la loi, appuyés par des manifestations de centaines de milliers de petits bourgeois révoltés qui accusaient le « communisme ». Dilma Rousseff, qui succéda à Lula et que l’on ne pouvait accuser de corruption, tomba victime de cette série de scandales. Lula lui-même fut finalement condamné par des juges prévenus contre lui et décidés à le faire disparaître de la scène politique. Ainsi Bolsonaro gagna la présidentielle de 2018.
Les atouts de Lula
Mais l’irresponsabilité et l’imprévisibilité de Bolsonaro provoquèrent un retour de bâton. Le juge qui avait fait tomber Lula, et que Bolsonaro avait nommé ministre de la Justice, fut à son tour convaincu de mensonges et de manœuvres illicites. Lula fut donc libéré, puis innocenté, et il est à nouveau donné vainqueur face à Bolsonaro, comme en 2018 où il avait été interdit de candidature.
Ses atouts : le souvenir des années de prospérité 2003-2010, l’appui de pans décisifs de la bourgeoisie, le soutien des syndicats, que Bolsonaro a réussi à braquer contre lui, la sympathie globale de la classe ouvrière pour un homme issu de ses rangs et qui parle son langage. Même son passage par la prison joue en sa faveur : il a été plus fort que les juges et il s’en est sorti.
L’appareil du PT n’a pas disparu et il constitue toujours un atout pour Lula. Celui de la CUT également, même si une nouvelle loi syndicale a permis à chaque tendance politique de créer sa centrale syndicale. De même, les mouvements sociaux sont majoritairement en faveur de Lula. La direction du Mouvement des sans-terre (MST), qui organise des dizaines de milliers de pauvres dans les campagnes et autour des grandes villes, a toujours été fidèle à Lula, même s’il n’appuyait pas les occupations de terres et régularisait relativement peu d’occupants.
Les partis de gauche, qui ont gouverné avec Lula, le soutiennent dans cette élection. C’est le cas du PC du Brésil. Le Parti du socialisme et de la liberté (Psol) a renoncé majoritairement à présenter un candidat propre et appuie cette fois Lula dès le premier tour. Le Parti démocrate travailliste (PDT), animé longtemps par Leonel Brizola, est le seul parti classé à gauche qui présente un candidat contre Lula : Ciro Gomes, ex-ministre de Lula, qui en 2018 avait recueilli 12,5 % des voix.
Lula reprend le rôle du conciliateur qui lui a si bien réussi pendant ses huit ans de présidence. Il reprend son slogan de 2002 : « Lulinha paz e amor », « Mon petit Lula, paix et amour ». Il est candidat de la coalition Allons ensemble pour le Brésil. Cette volonté de réconcilier tous les Brésiliens se manifeste dans le choix de son vice-président : Geraldo Alkmin, son rival malheureux en 2006, deux fois gouverneur de São Paulo, ancien président du PSDB, le parti de droite de l’ex-président Cardoso (1995-2002). Ni Cardoso ni Alkmin n’avaient approuvé les poursuites contre Lula et Rousseff. Quant aux élus sans couleur politique précise, maires ou députés, eux aussi désertent le camp de Bolsonaro, qui ne semble plus à même d’assurer leur réélection et les avantages qui vont avec.
Lula fait également tout pour se concilier les couches a priori favorables à son rival. Il n’a pas laissé un mauvais souvenir aux militaires. Pas plus que Dilma Rousseff, il n’a cherché à leur faire payer leur rôle dans la répression sous la dictature, quand ils torturaient et faisaient disparaître les opposants. Il tente une ouverture en direction des évangélistes. Une rencontre est prévue avec des pasteurs. L’Église catholique, elle, a perdu de son influence passée, mais Lula est sûr de la trouver à ses côtés.
Les principales fédérations patronales ont pris position contre Bolsonaro, en particulier la Fiesp (Fédération des industries de l’État de São Paulo), dont le rôle équivaut à celui du Medef français, et la Febraban, qui fédère les banques. Le 10 août, la Fiesp a publié une lettre de défense de la démocratie qui sonnait comme un appui à Lula, en même temps que des juristes lisaient solennellement une déclaration analogue dans le grand amphithéâtre de la faculté de droit de São Paulo.
Car au thème de la réconciliation nationale s’ajoute celui de la défense de la démocratie. Les déclarations pro-dictature et les menaces voilées de coup d’État proférées par Bolsonaro aident à la campagne de Lula. La période dure de la dictature remonte à un demi-siècle. Lula l’a connue, pas Bolsonaro, pour qui la dictature est une référence idéologique, ni l’écrasante majorité des Brésiliens, qui y voient un épisode déplaisant de l’histoire ancienne. Les « jours heureux » du gouvernement Lula sont plus proches, et leurs bénéfices encore présents.
Bolsonaro a récemment tenté de doubler Lula sur le terrain des aides sociales. Pendant le Covid, l’État a versé à 45 millions de personnes une aide d’urgence de 45 euros, qui a permis à 100 millions de Brésiliens de survivre. Bolsonaro a fusionné cette aide, la Bolsa familia et tous les programmes d’assistance en une « aide Brésil » dont le montant est passé de 217 reais à 400 en mai et 600 (une centaine d’euros) en septembre. Pour faire accepter cette nouvelle dépense de 8 milliards de dollars, il a dû forcer la main à son ministre des Finances, qui renâclait devant le déficit que cela créerait. Même si les bénéficiaires ne sont plus que 17 millions, la popularité de Bolsonaro serait remontée dans les couches pauvres. Un sondage le donne à égalité avec Lula chez les habitants de São Paulo gagnant moins de deux smic. Par ailleurs cette augmentation sera une épine dans le pied d’un futur gouvernement Lula, qui devra pérenniser la dépense, ou bien réduire l’aide.
Les travailleurs brésiliens n’ont évidemment rien à attendre de bon de Bolsonaro. Il a gouverné contre eux, imposant en 2019 une réforme qui repousse à 65 ans (62 ans pour les femmes) l’âge de départ en retraite, qui allonge le temps de cotisation et diminue les pensions. Mais Lula ne les tirera pas d’affaire pour autant. Le chômage qui les frappe, l’emploi précaire et informel, la hausse des prix, les salaires et les retraites insuffisants ne dépendent pas de qui préside le pays. C’est la crise de l’économie mondiale qui aujourd’hui aggrave leur situation, crise à laquelle il n’y a pas de remède national.
Si Lula reprend du service à la tête de l’État, comme il semble probable, il veillera avant tout aux intérêts des bourgeois, brésiliens et impérialistes, quoi qu’il ait promis ou fait espérer aux travailleurs brésiliens.
Et cette même crise mondiale peut amener la bourgeoisie à instaurer une dictature, celle de Bolsonaro ou d’un autre, comme la crise de 1929 avait avant-guerre amené la dictature de Getulio Vargas, qui à ses débuts sympathisait avec les nazis, dont il reprenait les méthodes contre le mouvement ouvrier.
8 septembre 2022