Le projet de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de rendre obligatoires, début 2018, onze vaccins au lieu des trois actuels pour les enfants de moins de deux ans, a relancé la polémique sur la vaccination. Les opposants se font entendre dans les médias et sur Internet, tandis que les institutions de santé peinent à convaincre de la nécessité de cette mesure.
La vaccination est un outil majeur dans la lutte contre les maladies infectieuses et a contribué au recul de la mortalité, en particulier infantile. Sa remise en cause actuelle est le reflet de la perte de confiance dans les autorités sanitaires et l’industrie pharmaceutique, conséquence des multiples scandales qui ont émaillé l’histoire récente du système de santé.
Des opposants à la vaccination de plus en plus actifs
Si deux cents médecins ont signé une pétition en faveur de l’obligation vaccinale, en s’appuyant sur la recrudescence de maladies comme la rougeole ou la coqueluche, ceux qui se font le plus entendre, en particulier sur Internet, sont les opposants à cette mesure. Le 9 septembre dernier, les opposants à la vaccination n’étaient que quelques centaines à défiler à Paris devant le ministère de la Santé en faveur de la « liberté vaccinale », mais ceux qui se déclarent méfiants vis-à-vis de la vaccination ou d’un vaccin particulier sont bien plus nombreux.
Il y a toujours eu une fraction de la population opposée à la vaccination, au motif qu’elle serait dangereuse, qu’elle porterait atteinte aux libertés individuelles ou qu’elle s’opposerait à la nature. Mais depuis quelques années ce courant prend une nouvelle vigueur, milite activement sur la toile et les réseaux sociaux, au point d’apparaître à certains comme contestataire puisque s’attaquant au lobby de l’industrie pharmaceutique.
Aux États-Unis, le courant anti-vaxx est particulièrement bien représenté chez les Républicains, dans certains États comme le Texas. Donald Trump s’est efforcé pendant toute sa campagne de donner des gages aux nombreux groupes anti-vaccins, avec des déclarations comme : « La vaccination est la plus grande imposture médicale de tous les temps » ou « Je n’aime pas l’idée d’injecter des trucs malsains dans le corps. » Donald et Melania Trump, qui n’ont pas fait faire toutes les vaccinations conseillées à leur fils de onze ans, se posent désormais en hérauts contre « les diktats de la politique vaccinale ».
En France, différents sites renvoient le visiteur vers des études pseudo-scientifiques, se citent mutuellement et accréditent l’idée d’un complot ourdi par des scientifiques et des laboratoires provaccination.
Une des figures les plus emblématiques de ce courant anti-vaccinal est le Professeur Henri Joyeux, ancien cancérologue, radié aujourd’hui de l’ordre des médecins. Très proche de l’organisation « Familles de France », de droite traditionaliste, connu pour ses positions contre l’avortement, le mariage pour tous ou l’homosexualité, il est à la tête d’un « Institut pour la protection de la santé naturelle » et multiplie les lettres ouvertes et les pétitions sur Internet s’en prenant à ce qu’il appelle l’empire vaccinal dirigé par la Big Pharma.
Plus connue est la députée européenne d’Europe Écologie Les Verts, Michèle Rivasi. En février dernier, elle avait été désavouée par son propre groupe pour avoir tenté d’organiser au Parlement européen un débat avec Andrew Walkefield, auteur d’un rapport complètement frauduleux sur un lien imaginaire entre autisme et vaccination contre la rougeole. Aujourd’hui elle dénonce la vaccination forcée qui s’opposerait au libre choix de l’individu, en l’occurrence des parents, de faire ou non vacciner leurs enfants.
L’histoire de la vaccination et la lutte contre la mortalité par infection.
C’est pourtant faire preuve d’une véritable cécité que de remettre en cause le principe de la vaccination. C’est grâce aux vaccins, associés aux mesures d’hygiène, que les épidémies qui étaient autrefois un véritable fléau ont quasiment disparu et que l’espérance de vie a quasiment doublé en cent ans. Les campagnes mondiales de vaccination ont permis l’éradication de la variole de la surface du globe, et peut-être bientôt celle de la poliomyélite.
Le premier vaccin découvert fut celui contre la variole, maladie extrêmement contagieuse et souvent mortelle. Lorsqu’un patient en guérissait, il gardait des cicatrices disgracieuses mais était protégé à vie (on dirait aujourd’hui immunisé). Cela donna l’idée de pratiquer des « variolisations », en insérant sous la peau − en inoculant − un peu de pus ou de croûte d’une pustule. Chez les personnes « variolisées » se déclenchait ainsi une maladie en général modérée, et elles étaient dès lors protégées. Ce procédé, décrit en Chine dès le 16e siècle, suivit la route de la soie dans l’Empire ottoman, pour passer de là en Europe, où il enthousiasma les penseurs des Lumières, dont Voltaire.
L’inoculation de la variole était loin d’être sans danger, car elle pouvait provoquer une infection grave, parfois mortelle. À la fin du 18e siècle un médecin de campagne anglais, Edward Jenner, qui pratiquait cette technique, constata que les personnes trayant des vaches atteintes d’une maladie bénigne ressemblant à la variole, la vaccine, étaient protégées lors d’épidémies. En 1796, il réalisa la première vaccination, c’est-à-dire l’inoculation de vaccine, à partir de pustules de vaches malades. Le mot vaccination trouve donc son origine dans le mot vacca, vache en latin.
En 1808 le Parlement anglais décida la construction d’un établissement national de la vaccine, mais il fallut attendre le Vaccination Act de 1853, puis celui de 1867, pour que la vaccination contre la variole se généralise véritablement en Angleterre, puis dans le reste de l’Europe, et que mortalité commence à baisser.
Pendant près d’un siècle, le vaccin contre la variole fut le seul vaccin disponible. Sa découverte tenait pour beaucoup de l’empirisme car le virus lui-même n’était pas connu. Cela changea dans les toutes dernières années du 19e siècle, lorsque les travaux des équipes de Louis Pasteur en France et de Robert Koch en Allemagne permirent de faire le lien entre différents microbes et maladies infectieuses, puis d’isoler les microbes, de les cultiver et de les modifier en laboratoire pour atténuer leur virulence et les inoculer à des fins protectrices. Valait-il mieux atténuer la virulence des microbes par chauffage ou par divers agents chimiques, les tuer ou modifier les toxines qu’ils sécrètent ? Toutes les pistes furent explorées et discutées... sur un fond de rivalité franco-prussienne.
Tout au long du 20e siècle, de nouveaux vaccins, tant humains que vétérinaires, furent découverts. Le vaccin contre la typhoïde fut utilisé dans la boue des tranchées en 1914 ; le BCG de Calmette et Guérin, élaboré à partir d’un bacille tuberculeux bovin, fut testé la première fois en 1922. Les vaccins contre la diphtérie − maladie pouvant provoquer la mort de nourrissons par étouffement −, le tétanos et la coqueluche furent disponibles dans les années 1920-1930.
C’est aussi à cette époque, il y a près d’un siècle, que l’on commença à utiliser les sels d’aluminium comme adjuvant, afin d’augmenter l’efficacité vaccinale, ce qui permit d’injecter de moindres doses et de diminuer le nombre de rappels nécessaires.
Après la Deuxième Guerre mondiale, les maladies virales furent ciblées. En 1952, une importante épidémie de poliomyélite se produisit aux États-Unis, accélérant la recherche sur un vaccin, testé lors d’un premier essai clinique véritablement de masse dans les grandes villes américaines entre 1954 et 1956.
Puis, grâce aux cultures cellulaires, les chercheurs mirent au point des vaccins contre les infections virales de l’enfance : rougeole (1962), oreillons (1967), rubéole (1969), varicelle (1974). Le vaccin contre la rubéole fut le premier à s’adresser à une population ciblée, celle des femmes avant une grossesse, car la rubéole, maladie infantile bénigne, peut provoquer des malformations fœtales graves. C’est d’ailleurs par souci d’éviter un trop grand nombre d’avortements pour suspicion de rubéole que les États-Unis décidèrent de recommander le vaccin aux filles avant la puberté.
Depuis une trentaine d’années, on assiste au développement de vaccins dits anticancéreux. Le terme est inexact, mais il signifie que ces vaccins visent des pathologies infectieuses pouvant au cours de leur évolution, souvent des dizaines d’années plus tard, engendrer un cancer. C’est le cas du vaccin contre l’hépatite B, maladie pouvant provoquer des cancers du foie, mis au point au début des années 1980, et des vaccins contre des papillomavirus responsables de cancers du col de l’utérus, commercialisés en 2006.
Aujourd’hui, les trois vaccins obligatoires en France sont ceux contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. Ce sont les plus anciens, rendus obligatoires respectivement en 1938, 1940 et 1964, à une époque où les maladies infectieuses étaient un problème de santé publique majeur, provoquant de nombreux morts. Les huit autres vaccins qui devraient devenir obligatoires en 2018 pour les enfants de moins de deux ans − ceux contre la coqueluche, la rougeole, les oreillons, la rubéole, l’hépatite B, l’Haemophilus influenzae, le pneumocoque et le méningocoque C − sont actuellement recommandés. Ce n’est pas parce que ces maladies seraient moins graves ni que ces vaccins seraient moins importants ou moins efficaces, au contraire. C’est simplement qu’ils ont été mis au point plus tard, à une époque où l’intérêt de la vaccination n’était plus à démontrer et où l’État a considéré qu’il n’était plus nécessaire de les rendre obligatoires car on pouvait compter sur l’adhésion forte de la population et des médecins pour assurer la vaccination de tous les enfants.
Est-il possible de parler de choix individuel en matière de santé publique ?
Aujourd’hui, la vaccination est en quelque sorte victime de son succès. Les vaccins ont permis une diminution du nombre de malades, à tel point que leur bénéfice n’est peut-être plus aussi visible et que certains, dans les pays riches, finissent par remettre en cause leur intérêt. Comment percevoir l’utilité de vaccins contre la rougeole ou la coqueluche, quand ces maladies ne font plus aujourd’hui que de très rares victimes en France ? Parmi les moins de 50 ans, qui connaît dans son entourage une personne contaminée par la diphtérie ou la poliomyélite ?
Pour autant l’absence de malades ne signifie pas que les maladies et les microbes qui sont à leur origine ont disparu. Ces microbes continuent à circuler et peuvent infecter les personnes non ou mal vaccinées. C’est pourquoi prétendre que se vacciner ou ne pas se vacciner est un choix personnel, et parler de « liberté vaccinale », est irresponsable. Par essence même, en matière vaccinale, on ne peut raisonner individuellement. À l’exception de quelques vaccins, comme le tétanos qui ne confère qu’une protection individuelle − car il n’est pas possible d’éliminer le réservoir de bacilles tétaniques dans le sol − la plupart des vaccins ont un but collectif, visent à protéger un groupe ou une population.
Le vaccin contre la grippe n’a pas pour unique objectif de se prémunir soi-même mais aussi de protéger les autres, en particulier ceux qui sont trop fragiles pour être vaccinés, par exemple les nouveau-nés ou les personnes immunodéprimées. Les épidémiologistes parlent « d’effet de groupe » : il faut qu’un pourcentage important de la population soit vacciné − que la couverture vaccinale soit suffisante − pour que le microbe arrête de se propager. Par exemple pour la rougeole, maladie très contagieuse, la couverture vaccinale devrait être de 95 % ; aujourd’hui en France elle est inférieure à 80 %, un taux bien insuffisant pour protéger l’ensemble de la population.
Loin d’avoir disparu, les maladies infectieuses continuent à faire des victimes, en particulier dans les pays pauvres. On estime à dix millions le nombre d’enfants de moins de 5 ans qui meurent chaque année de maladies infectieuses. La moitié de ces décès pourraient être évités par la vaccination. Ainsi la rougeole reste l’une des causes importantes de décès du jeune enfant, alors qu’il existe un vaccin sûr et efficace. 134 200 personnes dans le monde, dont une majorité d’enfants de moins de 5 ans, sont mortes de la rougeole en 2015… mais ce chiffre était de 2,6 millions en 1980, avant l’introduction du vaccin.
Dans le monde des microbes, il suffit qu’un équilibre se rompe pour que des maladies que l’on croyait disparues réapparaissent. En Syrie, jusqu’en 2010, 95 % des enfants étaient vaccinés contre la poliomyélite, mais avec la guerre les conditions d’hygiène se sont dégradées, les enfants ont été moins bien vaccinés, et sont souvent devenus des réfugiés. Résultat, la Syrie a connu en 2013 une épidémie de poliomyélite.
La diphtérie est réapparue en Russie et dans les États de l’ex-URSS, avec une importante épidémie de 1990 à 1997, directement liée à la dislocation de l’URSS. Actuellement le bacille diphtérique continue à circuler en Europe ; en 2015, un enfant espagnol non vacciné en est mort à Barcelone.
Plusieurs pays européens, dont la France, ont connu des épidémies récentes de rougeole. Entre 2008 et 2016, 24 000 cas de rougeole ont été déclarés sur le territoire, qui ont conduit à des hospitalisations, des complications et dix décès. Depuis le début de l’année 2017, plus de 150 enfants ont été hospitalisés pour des formes graves et une adolescente de seize ans est morte à Marseille en juin dernier. Ces cas graves concernaient tous des enfants non vaccinés ou mal vaccinés.
Cette épidémie de rougeole est sans doute une des raisons qui ont conduit les gouvernements de différents pays, dont la France, à revoir leur politique vaccinale.
Une défiance envers les autorités sanitaires alimentée par des scandales à répétition
En France, le calendrier vaccinal – vaccins obligatoires ou recommandés, âge des injections et des rappels – est élaboré par la Commission technique des vaccinations (CTV) qui s’appuie elle-même sur différentes recommandations internationales, dont celles de l’OMS. Ce calendrier vaccinal change régulièrement et n’est pas homogène au sein de l’Union européenne. Treize pays européens disposent d’une obligation pour au moins un vaccin, tandis que quinze formulent uniquement des recommandations vaccinales… qui peuvent être parfois aussi impératives que des obligations. Ainsi en Allemagne, alors qu’il n’existe pas d’obligation vaccinale, en juin dernier, en pleine épidémie de rougeole, les autorités ont demandé aux directeurs de crèches et d’écoles maternelles de signaler les parents refusant de faire vacciner leurs enfants et des amendes allant jusqu’à 2 500 euros sont prévues par la loi. Quant au taux de couverture vaccinale, il est très variable selon les pays. En Suède, où rien n’est obligatoire, 96 % des enfants sont vaccinés avec tous les vaccins recommandés, et ce depuis plusieurs années.
Le problème n’est donc pas qu’un vaccin soit obligatoire ou recommandé, mais qu’il soit compris et effectué. Et il est évident qu’une grande partie de la population n’a pas ou plus confiance dans les vaccins. Cette tendance suit la courbe descendante de la confiance envers l’industrie pharmaceutique au fil des scandales qui, de l’hormone de croissance au Médiator, en passant par le sang contaminé et les prothèses PIP, ont émaillé son histoire récente.
L’épisode qui a sans doute le plus durablement entaché la confiance dans la vaccination est celui de la vaccination contre la grippe H1N1 en 2009. Il s’agissait alors d’une nouvelle variante du virus de la grippe laissant craindre une pandémie, c’est-à-dire une épidémie mondiale, personne n’étant immunisé contre ce nouveau virus. La ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, commanda 94 millions de vaccins à Sanofi-Pasteur, GSK et Novartis, qui profitèrent de l’aubaine en fixant un prix élevé, sous prétexte de contrainte de calendrier. Le gouvernement leur promit un total de 896 millions d’euros, l’équivalent du déficit de tous les hôpitaux publics. Il s’avéra rapidement que le virus était heureusement moins virulent que prévu, qu’une seule dose et non deux ou trois suffisait et que tous les vaccins achetés et stockés n’allaient pas être utilisés − seuls 6 millions le furent réellement. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement racheta à prix fort une grande partie des doses commandées et versa un dédommagement de 48 millions d’euros aux laboratoires, soignant ainsi les actionnaires.
Une autre raison invoquée par les vaccino-sceptiques serait la crainte d’effets secondaires, toujours difficiles à prouver. À la différence d’un médicament classique, un vaccin n’a pas pour but de soigner mais de prévenir ; il est administré à des millions de personnes en bonne santé. Lorsque certains vaccinés tombent ensuite malades, la preuve que le vaccin n’y est pour rien peut être difficile à établir.
C’est ce qui se produisit entre 1994 et 1998, lorsqu’une campagne massive fut organisée pour vacciner contre l’hépatite B, une maladie grave à transmission surtout sexuelle et sanguine. En l’espace de quatre ans, un tiers de la population française fut vacciné, un record à l’échelle mondiale. Un record qui se transforma en polémique, à mesure que des cas de sclérose en plaques furent notifiés chez des personnes récemment vaccinées. On passa ainsi de 36 scléroses en plaques post-vaccinales en 1992 à 246 en 1996. Mais corrélation ne signifie pas causalité. La sclérose en plaques est une maladie du système nerveux dont les causes sont mal comprises et qui se déclenche surtout chez l’adulte jeune, justement la population qui avait été majoritairement vaccinée, ce qui explique la corrélation observée. Depuis, il a été prouvé qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques, mais cette affaire s’est soldée par un doute durable à l’encontre de ce vaccin.
Aujourd’hui, les adjuvants à base d’aluminium sont sur la sellette. Ils sont utilisés dans de nombreux vaccins depuis les années 1920, sans aucun problème. Mais certaines équipes de recherche les mettent en cause dans une maladie du muscle, la myofasciite à macrophages, pouvant aboutir à un syndrome de fatigue chronique, alors que d’autres scientifiques s’opposent à ces conclusions.
Il n’est pas de notre ressort de prendre parti dans ce débat, mais si d’autres études doivent être réalisées et éventuellement d’autres adjuvants testés, il ne faut pas oublier qu’en matière de vaccination, le problème est de mesurer le rapport entre le bénéfice et le risque, et cela, vaccin par vaccin.
Un principe mathématique évident est que, plus une maladie est rare, plus les effets secondaires attribués au vaccin augmentent. Dans les années 1960-1970, on avait plus de chances de mourir des complications de la vaccination contre la variole que de la maladie elle-même, puisque celle-ci était en voie de disparition. Pour autant, il aurait été stupide d’arrêter la vaccination à ce moment-là.
Décider d’une politique vaccinale n’a rien d’évident. Les avis internationaux de médecins, de pharmaciens, d’infectiologues, de microbiologistes, d’épidémiologistes sont nécessaires. Or la défiance actuelle et légitime envers l’industrie pharmaceutique et les institutions est telle que les réponses des scientifiques peinent à convaincre et qu’une partie du public en arrive à refuser le raisonnement scientifique, conteste les chiffres donnés, et reprend sans aucune critique les rumeurs ou les fausses informations.
L’industrie du vaccin, une industrie capitaliste comme une autre
Dans les années 1950, quand on lui parla d’argent et de l’intérêt de déposer un brevet, Jonas Salk, l’inventeur du vaccin contre la poliomyélite, répliqua qu’« on ne brevetait pas le soleil ». Pendant longtemps, les vaccins furent produits par des organismes publics ou parapublics pour le compte de l’OMS, comme en France l’Institut Pasteur. Jusqu’au début des années 1990, l’URSS était le plus gros producteur de vaccins à destination des pays d’Europe de l’Est et du continent africain. Aujourd’hui, la quasi-totalité des vaccins produits dans le monde le sont par une poignée de grands groupes privés. Les quatre grands laboratoires pharmaceutiques Merck, Sanofi, GSK et Pfizer réalisent 65 % du chiffre d’affaires mondial de ce secteur. À leurs côtés, une poignée d’entreprises chinoises, brésiliennes et indiennes produisent essentiellement des vaccins de base à bas coût.
Le prix des vaccins comme celui des autres médicaments est négocié avec les pouvoirs publics, en France avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Chaque nouvelle mise sur le marché s’accompagne d’un marchandage concernant le prix de vente et le taux de remboursement par la Sécurité sociale. Les vaccins les plus anciens sont vendus à un prix relativement modéré − autour de 6 euros pour le vaccin contre la grippe, 14 euros pour le ROR − mais ceux qui viennent d’être mis sur le marché sont nettement plus chers – plus de 100 euros la dose pour le vaccin contre les papillomavirus. On est évidemment très loin des sommes astronomiques réclamées par les laboratoires pour certains traitements anticancéreux ou pour le Sovaldi, traitement contre l’hépatite C dont le prix, après d’âpres négociations, a été fixé à 28 700 euros. Assurer des revenus aux entreprises privées avec l’argent public, ici celui de la Sécurité sociale, est une caractéristique de l’économie capitaliste, qu’il s’agisse de sociétés d’autoroutes ou de laboratoires pharmaceutiques.
Certains estiment que le projet d’extension des obligations vaccinales n’aurait qu’un seul but, celui de faire plaisir aux laboratoires. Ce n’est probablement pas la principale raison, même si évidemment les groupes pharmaceutiques sont extrêmement rentables et que dans notre société tout finit dans les poches des capitalistes, indépendamment de l’utilité ou non de ce qu’ils produisent.
Actuellement, Sanofi réalise 13,5 % de son chiffre d’affaires dans sa branche vaccins (4,58 milliards d’euros sur un total de 33,8 milliards pour l’année 2016). Ce secteur se porte bien, surtout grâce aux exportations vers des pays comme les Etats-Unis, la Chine, le Brésil ou l’Australie. Le projet gouvernemental ne devrait pas entraîner d’augmentation majeure du volume des ventes sur le territoire français, d’autant que la plupart des enfants sont déjà vaccinés avec les vaccins aujourd’hui recommandés. À l’âge de deux ans, 96 % d’entre eux le sont contre la coqueluche et l’Haemophilus influenzae, 91 % contre le pneumocoque. Ils ne sont en revanche que 78 % à être bien vaccinés contre la rougeole, les oreillons, la rubéole et 69 % contre le méningocoque C.
« La vaccination, ça ne se discute pas », avait déclaré Marisol Touraine en 2015. Probablement. Mais de telles déclarations ne suffisent pas à convaincre. Critiquer l’individualisme au nom de l’intérêt général, bien sûr, mais cette critique est difficilement audible lorsqu’elle émane de gouvernements successifs ayant effectué des coupes drastiques dans les services publics de santé et dans les budgets de recherche publique. Il ne faut pas s’étonner que les appels à la solidarité soient mal reçus quand les solidarités sont attaquées de toutes parts, des retraites à l’assurance chômage en passant par la Sécurité sociale.
La ministre de la Santé Agnès Buzyn défend l’extension de l’obligation vaccinale comme « un impératif de santé publique ». Le paradoxe est que cette mesure risque bien de renforcer encore les réflexes de défiance et d’alimenter les théories complotistes. Dans ce domaine comme dans d’autres, le recul des idées communistes, et même tout simplement de l’idée que la science est facteur de progrès, aboutit à la défense de théories franchement réactionnaires. Après la critique des vaccinations obligatoires, à quand la discussion sur l’école obligatoire, qui est loin d’être parfaite ? Critiquer la Big Pharma sans s’attaquer à la racine du problème, sans vouloir s’atteler à la tâche de renverser le capitalisme, est au mieux inutile, au pire nuisible.
Les découvertes scientifiques et leurs applications − la vaccination en fait partie − ont permis des progrès extraordinaires pour l’humanité et elles se poursuivront, nous en sommes persuadés, à une plus grande échelle, dans une société communiste, débarrassée des capitalistes, ceux des laboratoires pharmaceutiques et de toute autre espèce.
13 septembre 2017