Seuls les naïfs incurables peuvent s'attendre à un changement de politique après le remaniement gouvernemental décidé en réponse à la débâcle du Parti socialiste aux élections municipales. Hollande lui-même ne le prétend pas. Dans son discours annonçant ce remaniement, il s'est contenté d'ajouter quelques phrases lénifiantes sur la « justice sociale », la « solidarité », etc., à la réaffirmation de sa volonté d'appliquer le « pacte de responsabilité », c'est-à-dire une politique de cadeaux au grand patronat.
Puis, bien au-delà des mots de politicien pour tenter de justifier, avec le succès que l'on sait, la politique exigée par le grand patronat, il y a la réalité sociale de la guerre menée par la classe capitaliste contre la classe ouvrière, pour préserver ses profits malgré la crise. Le gouvernement mène et mènera la politique exigée par le grand capital, même au prix d'un suicide électoral.
Cela dit, le choix de Manuel Valls comme Premier ministre est un symbole. C'est l'homme le plus à droite d'une équipe de dirigeants socialistes bien à droite dans son ensemble. Tous les dignitaires du PS ont annoncé, au lendemain des élections, qu'ils avaient compris le message. En choisissant Valls, Hollande donne sa propre interprétation : la politique propatronale et antiouvrière menée sera appliquée avec encore plus de rigueur. « Un gouvernement de combat », comme le promet Hollande. Mais l'ennemi à combattre, c'est la classe ouvrière, ses conditions matérielles et ce qu'il reste de ses protections légales.
Il est pourtant clair pour tout le monde que ledit message est venu des classes populaires, de l'électorat traditionnellement de gauche qui, en s'abstenant massivement, a désavoué le gouvernement Hollande-Ayrault. Mais il ne pouvait pas être question pour Hollande d'infléchir sa politique en faisant des concessions aux classes populaires. Alors, il leur sert la politique sécuritaire, une attitude plus ferme vis-à-vis des immigrés, la poigne et les coups de menton de Manuel Valls.
Le désaveu infligé par l'électorat de gauche au gouvernement socialiste a été clair. Malgré toutes les tractations d'alliances et de « front républicain », il n'y a pas eu de sursaut dans l'électorat de gauche pour sauver la mise au Parti socialiste, même pas de quoi éviter la perte d'un grand nombre de villes.
Heurs et malheurs du Parti socialiste
Le deuxième tour a donc complété et accentué le désaveu du gouvernement venant des quartiers populaires, avec pour conséquence que 155 villes de plus de 9 000 habitants, dont certaines étaient dirigées sans discontinuité par la gauche depuis plusieurs décennies, ont été conquises par la droite et l'extrême droite.
« Défaite historique », titraient certains journaux. À l'aune de l'histoire électorale, peut-être. Du point de vue des notables socialistes, assurément. Le PS n'a conservé de ses lointaines origines liées au mouvement ouvrier que l'étiquette socialiste (une étiquette dont Valls affirmait, il y a quelques années, qu'il fallait s'en débarrasser). Au fil des ans et après bien des participations dans des gouvernements de la bourgeoisie, ce parti est devenu ce qu'il est aujourd'hui : bourgeois par sa politique, sa direction et son appareil, petit-bourgeois par sa composition sociale. Le socle de son implantation est constitué par ces dizaines de milliers de notables locaux, par le « socialisme municipal », ainsi que par tous ces postes et positions occupés aux niveaux intermédiaires des institutions étatiques (conseils généraux, régionaux, etc.). Perdre une partie de ses mairies est assurément un coup pour le Parti socialiste. D'autant que le recul aux municipales entraînera des réactions en chaîne au niveau des communautés de communes, puis du Sénat.
La télévision a montré quelques images de maires socialistes battus, les yeux humides devant cette injustice du sort qui fait qu'eux, qui ont si bien géré leur ville, doivent payer pour la politique de leur parti au sommet de l'État. Eh oui, les sous-officiers de l'armada des serviteurs socialistes de l'État ont découvert, à leur propre détriment, ce que leurs chefs au sommet de l'État sont dressés à savoir : un parti qui est au service de la bourgeoisie doit être prêt à sacrifier ses intérêts électoraux pour exécuter la politique du grand capital. Une autre génération de politiciens socialistes en a fait l'expérience au temps de Guy Mollet.
Les indications du thermomètre électoral
Les résultats du premier tour, les seuls qui mesurent l'évolution de l'opinion publique, indiquent un glissement vers la droite.
Ce glissement ne se mesure pas par les villes conquises ou perdues, où les marchandages d'appareil et la façon dont l'électorat suit ou pas les alliances qui en découlent prennent le dessus sur l'expression de l'opinion publique.
La comptabilisation des voix aux élections municipales est grossière, tant les étiquettes peuvent être floues. Voici cependant la répartition des votes dans les villes de plus de 10 000 habitants. Dans les élections municipales de 2008, la gauche, toutes tendances confondues, représentait 50,2 % de l'électorat, la droite, 42,5 %, l'extrême droite, 1,5 %. En 2014, la gauche n'a obtenu que 42,3 %, la droite, 46 %, le FN et l'extrême droite, 8,9 % (une fraction de l'électorat étant comptabilisée, dans les deux cas, sous l'étiquette « divers »). Mais il s'agit de pourcentages.
Pour ce qui est du nombre de votants, malgré ses cocoricos, la droite parlementaire n'a guère progressé dans l'électorat, voire a perdu des suffrages au profit du FN. C'est l'abstention de l'électorat traditionnellement de gauche qui a transformé en succès la stagnation de la droite parlementaire.
Le glissement à droite se manifeste donc surtout par les résultats du Front national. Bien sûr, le renforcement électoral du Front national résulte pour une part d'une évolution de l'électorat de droite lui-même. Une bonne partie des voix supplémentaires recueillies par les candidats du Front national, notamment dans les zones anciennes de son implantation dans le Midi, reflètent surtout cette évolution interne de l'électorat de droite. Le moins qu'on puisse dire est que la frontière entre les électorats de l'UMP et du Front national n'est pas étanche, pas plus qu'elle ne l'est entre les politiciens élus par ces électorats.
Lors de l'élection présidentielle de 2007, cette perméabilité avait profité à Sarkozy qui avait réussi à attirer à lui une partie de l'électorat du Front national et avait, du coup, réduit la part des voix du Front national par rapport à l'ensemble de la droite. Au premier tour de la présidentielle de 2002, l'extrême droite (Le Pen et Mégret) totalisait 5,471 millions de voix (19,2 %) ; en 2007, Le Pen en était réduit à 3,834 millions de voix (10,44 %), soit 1,6 million d'électeurs de moins que l'extrême droite n'en avait convaincu en 2002.
Cette fois-ci, le mouvement s'est fait en sens inverse, favorisé par deux évolutions.
D'une part, la stratégie électorale de Marine Le Pen de rendre plus respectable son organisation, c'est-à-dire plus assumable aux yeux des électeurs réactionnaires, complaisamment relayée par les médias, fait que le Front national a davantage pignon sur rue qu'au temps de Le Pen père. Il passe, pour une partie de l'électorat de droite, si ce n'est pour la majorité, pour un parti de droite presque comme les autres, qui n'est frappé d'un interdit qu'en raison du jeu de l'état-major de l'UMP. Mais ce jeu de l'état-major s'assouplit, à en juger par le « ni-ni » en cas de confrontation électorale entre le Parti socialiste et le Front national.
Le fait est que si, pendant longtemps, une bonne partie de l'électorat du Front national hésitait à s'en revendiquer publiquement, c'est de moins en moins le cas. Dans la petite bourgeoisie de droite, antiouvrière, anti-immigrés, pleine de préjugés réactionnaires, le glissement du vote de l'UMP vers le Front national est d'autant plus facile que les deux professent les mêmes options politiques, à ceci près que le Front national les assume plus clairement.
Parallèlement à cette évolution du Front national, il y a les difficultés de l'UMP à surmonter sa défaite électorale de 2012, les rivalités au sommet, les divisions internes que cela entraîne. Qu'aux élections municipales l'UMP elle-même progresse, indique bien plus l'effondrement électoral du Parti socialiste que sa propre progression.
Même du point de vue des intérêts des travailleurs, l'évolution interne de la droite traditionnelle vers l'extrême droite a son importance. Elle exprime sur le plan politique la même évolution dont ont témoigné, depuis 2013, les mobilisations contre le « mariage pour tous » et l'affaire Dieudonné. Expression d'une évolution réactionnaire de l'opinion publique petite-bourgeoise, c'est aussi un facteur qui amplifie et aggrave cette évolution. Il n'est pas indifférent que les idées réactionnaires, calotines et, dans le même ordre des choses, communautaristes, se réfugient dans le secret des familles ou qu'elles se manifestent ouvertement et pèsent sur la vie sociale.
C'est une des composantes de la dégradation du rapport de force politique en défaveur de la classe ouvrière.
Qu'indique le thermomètre électoral sur l'opinion de l'électorat populaire ? Rappelons que la classe ouvrière est sous-représentée dans l'électorat car une partie de la classe ouvrière, sa fraction immigrée, est écartée du droit de vote.
Dans l'électorat ouvrier lui-même, il y a toujours eu un certain nombre de votants pour la droite, voire pour l'extrême droite. Sarkozy en avait bénéficié en 2007. Mais, à en juger par les résultats des bureaux de vote d'un grand nombre de quartiers populaires parmi ceux qui, traditionnellement, étaient acquis à la gauche, le nombre de votes en faveur du Front national est en augmentation.
Une partie de l'électorat ouvrier lui-même a choisi d'exprimer son mécontentement à l'égard du gouvernement socialiste en votant pour le Front national.
Nous ne soulignerons pas davantage ici combien tous ceux qui, dans l'électorat populaire, ont choisi le vote Front national, même ceux qui ne l'ont pas fait par adhésion à sa politique mais par inconscience et par provocation, ont fait le pire choix pour les intérêts de leur classe.
La signification et les limites de l'abstention
Mais c'est par l'abstention que s'est manifesté le plus massivement le désaveu de l'électorat ouvrier à l'égard du gouvernement de gauche. Cette abstention a été considérable. Le taux de 38,7 % n'en mesure pas l'importance dans l'électorat ouvrier car il s'agit d'une moyenne. Dans bien des bureaux de vote des quartiers ouvriers, en réalité, le taux d'abstention a dépassé 60 %.
Fréquemment, s'y sont ajoutés 5 %, voire 10 % de votes blancs. Bien au-delà de la fraction habituelle des « pêcheurs à la ligne », qui n'ont pas envie de se déplacer, il s'agit d'un geste politique de protestation.
Geste de protestation, certes, mais signe aussi d'une profonde désorientation, d'une perte de boussole politique. Une expression politique, certes, mais passive.
Du point de vue de l'expression électorale de la classe ouvrière, la quasi-totalité des votes sont cependant passifs. Le seul choix que dans les institutions bourgeoises les élections laissent aux électeurs travailleurs, c'est de se prononcer entre différentes variantes d'une politique bourgeoisie.
L'électorat populaire dans sa majorité votait traditionnellement pour les partis ouvriers réformistes. Au fil de l'évolution, ces partis se sont transformés en partis qui se disaient « de gauche » sans référence à la classe ouvrière. L'accroissement de l'abstention signifie clairement que l'électorat ouvrier se retrouve de moins en moins dans ces partis et leur évolution.
Le désaveu électoral a frappé surtout le Parti socialiste. Le Parti communiste et le Parti de gauche se sont plus ou moins démarqués du gouvernement socialiste. Cela leur a relativement sauvé la mise. Mais, finalement, ils n'ont que partiellement, voire pas du tout, attiré les votes des électeurs qui se sont détournés du Parti socialiste. « Le PCF s'en tire mieux qu'en 2001, malgré la vague bleue », titrait L'Humanité. Pour illustrer son propos, le quotidien proche du Parti communiste affirme, après le deuxième tour : « Le PCF, qui gérait 27 villes de plus de 30 000 habitants avant les élections, en dirige désormais 22. Il en perd sept et en gagne deux, avec Montreuil et Aubervilliers. » Il n'y a pas de quoi faire d'un recul un succès ! Mais l'article se console : « En 2001, il en avait perdu dix en tout. »
Le simple fait de comptabiliser les villes perdues et gagnées est significatif. Le Parti communiste suit la même évolution fondamentale que le Parti socialiste. Le « communisme municipal », c'est-à-dire le nombre de mairies détenues et le nombre de conseillers municipaux, remplit la même fonction pour le Parti communiste que le nombre de notables pour le Parti socialiste. Dans ces municipales, le Parti communiste ne s'est même pas donné les moyens de mesurer son audience dans l'électorat populaire, avec sa tactique à géométrie variable entre des listes communes avec le Parti socialiste et les listes Front de gauche (FG) opposées à celles du Parti socialiste.
Les résultats de Lutte Ouvrière
Les résultats de Lutte Ouvrière montrent la permanence d'un courant communiste révolutionnaire dans l'électorat. Mais ils montrent aussi que ce courant n'est pas assez crédible : l'électorat qui s'est détourné du jeu des partis de l'alternance s'est abstenu, plutôt que de voter pour lui. Face à l'électorat petit-bourgeois, réactionnaire ou réformiste, attirant des franges de l'électorat ouvrier, le gros de ce dernier, ne se sentant plus représenté, se détourne de la politique et s'abstient.
L'évolution de l'ensemble de l'électorat indique, du coup, un glissement vers des idées, des opinions, des programmes réactionnaires.
Le retournement, on ne peut l'espérer que d'une reprise de confiance de la classe ouvrière en elle-même. Il est difficile d'imaginer qu'elle ne se manifeste que sur le plan électoral, et pas sur un autre terrain autrement plus important, celui des luttes, des contre-offensives de grandes masses de travailleurs pour s'opposer au grand patronat et pour défendre leurs conditions d'existence.
Sous ses dehors d'apolitisme, l'abstention témoigne d'une forme élémentaire de prise de conscience de l'électorat populaire au moins par rapport aux grands partis de la bourgeoisie, y compris ceux de gauche. Que cela devienne une véritable prise de conscience dépend fondamentalement de l'évolution de l'opinion d'une fraction significative des masses ouvrières, de ses expériences, des conclusions qu'elle en tire, du jugement qu'elle porte sur ses faux amis, mais aussi et surtout de son niveau de combativité. Mais pour que cette prise de conscience puisse s'exprimer, en particulier à l'occasion d'élections, il faut qu'existe un courant qui affirme les intérêts politiques de la classe ouvrière et qui devienne crédible sur cette base.
Le nombre de voix pour les listes Lutte Ouvrière témoigne de la persistance dans l'électorat ouvrier d'un courant qui se retrouve dans les idées de lutte de classe. Ces résultats sont évidemment modestes en comparaison avec ceux des grands partis. Cela indique fondamentalement le niveau de conscience objectif des grandes masses ouvrières. Mais pas seulement. La taille, l'implantation, le crédit d'une organisation comme Lutte Ouvrière pèsent également. Plus exactement, il y a une relation dialectique entre l'état d'esprit de la classe ouvrière et le développement de l'organisation qui incarne les idées communistes.
Le nombre de femmes et d'hommes qui ont accepté, en figurant sur nos listes, d'assumer publiquement les idées au nom desquelles Lutte Ouvrière s'est présentée à ces élections, est aussi significatif que le nombre de voix obtenues. À certains égards, plus significatif encore.
Pour pouvoir présenter 204 listes, nettement plus qu'aux élections de 2008, il a fallu l'engagement de 8 500 personnes, et plus en réalité, parce que, dans un certain nombre de villes, la liste étant complète, nous n'avons pas eu besoin de toutes celles et de tous ceux qui étaient prêts à se présenter au nom de Lutte Ouvrière.
Une partie de nos candidats adhèrent de longue date à nos idées, mais ils n'en constituent pas la majorité. Et c'est l'adhésion de celles et ceux des classes populaires, en particulier des catégories les plus déshéritées de la classe ouvrière, qui est le plus significatif. Et au fond, ceux avec qui nous avons eu l'occasion de discuter ont été d'autant plus rapidement convaincus des idées de lutte de classe qu'elles correspondent à ce qu'ils vivent. Mais une petite organisation communiste révolutionnaire comme Lutte Ouvrière n'a pas les moyens humains et matériels de développer sa propagande et ses arguments devant l'ensemble de l'électorat ouvrier.
Une organisation communiste révolutionnaire ne peut pas se développer, acquérir du crédit contre le courant. Faire souffler le vent de l'histoire dans le sens opposé ne serait pas à la portée même d'un véritable parti communiste révolutionnaire, s'il en existait un. Aujourd'hui, la crise, le chômage mais aussi l'influence croissante des forces réactionnaires pèsent sur la société en général, en particulier sur la classe ouvrière, sur son moral, sa combativité et sa conscience.
Mais, entre le jeu des facteurs objectifs et ce que peut faire une organisation communiste révolutionnaire même très réduite en nombre, il y a une marge. Et cette marge, c'est sa politique.
Les courants socialistes révolutionnaires n'ont pas émergé, à leur origine, comme des reflets passifs de l'évolution sociale. Ils ont émergé dans des combats. Des combats de classe sur le terrain des revendications matérielles contre la classe capitaliste. Contre l'influence politique de la bourgeoisie sur la classe ouvrière. Contre le pouvoir de l'État et ceux qui l'exerçaient. Contre les multiples canaux par lesquels passait le conservatisme social, des notables locaux à l'Église, auxquels venaient s'ajouter avec le temps les appareils réformistes issus de la classe ouvrière elle-même.
Cela a été vrai pour le développement des différents courants socialistes à la fin du 19e siècle en France. Cela a été vrai pour le parti socialiste allemand pendant les années de son développement le plus impressionnant. Dans les deux cas, il s'agissait de partis qui avaient levé le drapeau de l'émancipation sociale, non pas dans le vide, non pas sur un terrain vierge de toute activité politique en faveur de l'ordre bourgeois, mais en la combattant.
Aussi le problème des communistes révolutionnaires n'est pas de constater passivement l'évolution réactionnaire des choses, y compris dans la classe ouvrière et, en levant les yeux en signe d'impuissance, d'attendre des jours meilleurs. Le recul de la conscience de classe est parfaitement explicable, d'abord par les défaillances, ensuite par les trahisons des partis qui, dans le passé, se revendiquaient de la classe ouvrière et qui, aujourd'hui, sont tous devenus des partis de la bourgeoisie. Bien des éléments du fatras réactionnaire sur lequel prospère aujourd'hui le Front national, à commencer par le chauvinisme, ont été semés par le parti qui se prétendait communiste (et qui le prétend encore dans son étiquette).
Le problème est encore moins de mettre de l'eau dans le vin révolutionnaire en s'associant aux déçus du « hollandisme », à tous ces courants anciens ou nouveaux, du Parti communiste à Mélenchon, qui s'efforcent de trouver une formulation plus moderne pour de vieilles idées réformistes. Non seulement parce que, là encore, à en juger par ce que montre le thermomètre électoral, ces courants eux-mêmes n'ont pas vraiment réussi à capter à leur profit ceux qui, dans la classe ouvrière, sont dégoûtés du jeu politique officiel. Mais, surtout, parce que ces partis, s'ils capitalisaient à leur profit une remontée ouvrière, en feraient un nouveau piège pour la classe ouvrière. Il n'y a pas de miracle. Les partis, même affublés des étiquettes « gauche de la gauche », « socialiste » ou « communiste », qui ne se placent pas dans la perspective du renversement du pouvoir de la bourgeoisie par les moyens de la lutte de classe, s'ils sont amenés à gouverner, le feront inévitablement pour le compte de la bourgeoisie.
C'est précisément dans le contexte d'aujourd'hui, dominé par la crise de l'économie capitaliste et marqué par un gouvernement qui se dit socialiste, qu'il est vital pour le courant communiste de parler le langage de la lutte de classe, de façon à ce que les travailleurs à qui il s'adresse puissent l'identifier clairement.
La participation de Lutte Ouvrière aux élections européennes
C'est au nom de ces idées et pour lever ce drapeau que Lutte Ouvrière présentera des listes lors des élections européennes, dans les huit circonscriptions, dont une en commun avec Combat Ouvrier dans la huitième regroupant les départements et territoires d'outre-mer. Elle les présente pour que, dans les villes où nous avons présenté une liste aux élections municipales, le courant qui s'est manifesté en votant pour ces listes puisse prolonger son vote lors des élections européennes, soulignant par là même la permanence d'un courant communiste révolutionnaire.
Le « camp des travailleurs », qui s'est exprimé sur des objectifs nécessaires à la classe ouvrière dans cette période de crise de l'économie capitaliste, a aussi des politiques à défendre par rapport à l'Europe. Bien sûr, il n'a pas la force de peser sur la politique de la bourgeoisie à l'échelle de l'Union européenne, mais il a des valeurs à défendre et des perspectives à avancer. Avant tout, l'internationalisme, c'est-à-dire l'unicité des intérêts immédiats et lointains, matériels et politiques, de la classe ouvrière par-delà les frontières et par-delà sa diversité au sein de chaque pays européen.
Mais la présence d'un courant intervenant au nom des idées de la lutte de classe a aussi une autre importance à la lumière des résultats des élections municipales. Si l'abstention, ou plus exactement son augmentation au-delà des « pêcheurs à la ligne » traditionnels, a été le moyen utilisé par l'électorat populaire pour désavouer le gouvernement socialiste, c'est un moyen limité et ambigu. Car, finalement, ce sont les forces politiques de droite et d'extrême droite qui ont profité de la « vague bleue » dont se vantent les ténors de la droite. Ce n'est certainement pas une vague d'enthousiasme et d'espoir, et sûrement pas dans l'électorat ouvrier.
Mais le système politique de la démocratie bourgeoise est bien ficelé. Il a fonctionné pendant longtemps et il continue à le faire suivant l'alternance : lorsqu'un des camps, la gauche ou la droite, se déconsidère au pouvoir en menant la politique de la bourgeoisie, il est remplacé par les tenants de l'autre camp, qui continue à mener une politique représentant toujours les intérêts de la bourgeoisie. Le système intègre même les abstentions dans cette alternance. On le constate avec les conséquences de ces élections. En s'abstenant, l'électeur a certes désavoué la gauche au pouvoir mais ce sont les partis de droite qui en tirent profit.
Les dirigeants des partis de gauche se servent d'ailleurs de ce constat pour exercer un chantage sur l'électorat ouvrier : « Si vous ne votez pas pour le PS (ou le PC, ou le FG), vous favorisez la droite, voire l'extrême droite. »
Eh bien, la seule façon pour l'électorat ouvrier de rejeter ce chantage est, non pas de s'abstenir, mais de voter pour une politique qui représente vraiment ses intérêts !
Oui, il ne faut pas laisser la droite et l'extrême droite profiter du désaveu d'un gouvernement de gauche. Ce serait encore une façon pour l'électorat ouvrier conscient de retomber dans le filet de l'alternance style démocratie bourgeoise.
Les européennes, comme les municipales, ne sont que des élections, incapables en elles-mêmes de changer la vie sociale. Elles ne peuvent au mieux qu'exprimer des opinions, mais celles-ci jouent quand même un rôle dans le rapport de force.
La bourgeoisie n'a que faire de l'importance des abstentions, même si celles-ci en ont une, et même grande, pour le personnel politique. Dans bien des démocraties bourgeoises, à commencer par les États-Unis, la bourgeoisie s'accommode fort bien des élections où une grande partie de l'électorat populaire se désintéresse du jeu des partis et s'abstient.
Mais, en revanche, que s'exprime à l'occasion de n'importe quelle élection une opinion mettant en cause le règne de la bourgeoisie et qu'elle vienne de l'électorat ouvrier, c'est-à-dire de la seule classe qui a un poids social pour menacer réellement la bourgeoisie, est déjà un élément du rapport de force.
Cela ne remplace pas le rapport de force réel, la confrontation réelle, physique et politique, de la classe ouvrière avec la grande bourgeoisie, mais cela aide la classe ouvrière à prendre conscience de la nécessité d'en passer par là.
Bien sûr, le résultat des élections européennes, même s'il se révèle en augmentation par rapport à celui des municipales, peut au mieux encourager la classe ouvrière, mais pas la convaincre, et encore moins lui donner la détermination nécessaire à la lutte.
Mais lorsque la classe ouvrière commencera à relever la tête, à retrouver confiance en sa force, et qu'elle se mettra à chercher sa voie, elle trouvera un courant politique qui milite au nom de ses intérêts et des femmes et des hommes pour les incarner.
Le chemin est-il long pour que les modestes forces du courant communiste révolutionnaire débouchent sur un parti et pour que ce parti parvienne à gagner la confiance de la classe ouvrière ? Oui et non.
Oui, parce que les dégâts causés dans la conscience ouvrière par le réformisme socialiste relayé par le stalinisme ont été considérables. Une bonne partie du chemin accompli dans le passé par le mouvement ouvrier révolutionnaire devra être refait, des traditions du mouvement ouvrier révolutionnaire sont à recréer.
Mais, en même temps, non. Car la lutte de classe, que le communisme révolutionnaire exprime en faisant de son dénouement son objectif ultime, n'est pas seulement une théorie et encore moins une vague étiquette pour campagne électorale, mais l'expression d'une réalité sociale que des dizaines, des centaines de millions de travailleurs vivent dans leur chair.
« Expression consciente d'un processus inconscient », le communisme révolutionnaire se fraiera son chemin.
3 avril 2014