Que certains courants se réclamant de l'extrême gauche se montrent suivistes par rapport à des mouvements qui non seulement ne se situent pas sur le terrain de la classe ouvrière, mais en sont même des adversaires, n'est certes pas nouveau. Mais il y a quelques décennies, il s'agissait de mouvements qui se déguisaient plus ou moins en socialistes. Aujourd'hui, les dirigeants des mouvements qui visent à encadrer les masses populaires des pays du tiers monde, ou la population des pays industrialisés issue de l'immigration, n'éprouvent plus le besoin d'utiliser ce genre de référence, et le confusionnisme de larges fractions de l'extrême gauche n'en est que plus visible. Le troisième "Forum social européen", qui s'est déroulé à Londres en octobre en a donné une bonne illustration. Tariq Ramadan, l'intégriste mondain que des millions de téléspectateurs ont pu récemment voir refuser obstinément de condamner la lapidation des femmes adultères, en s'abritant hypocritement derrière la demande d'un "moratoire", en a été l'une des vedettes. Et le fait que cela se passait lors d'un débat qui l'opposait au ministre de l'Intérieur de l'époque, Sarkozy, ne change rien à la chose.
Dans son numéro du 21 octobre, Rouge, l'hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire, conteste la manière dont la presse a rendu compte de ce Forum social européen. Citant en particulier l'Humanité qui sous le titre "Trop, c'est trop", écrivait à propos de la présence de Ramadan "Huit interventions en un peu plus de vingt quatre heures : c'est un record que le FSE de Londres aurait vraiment pu éviter de battre", le rédacteur de Rouge concédait un "Sans doute", mais pour ajouter aussitôt : "Pourquoi focaliser l'attention sur un aspect très marginal du Forum ?".
Mais comment peut-on se réclamer des idées révolutionnaires et affirmer que la présence démonstrative d'islamistes dans ce forum en constituait un "aspect très marginal" ?
Cette présence était liée à la politique du principal organisateur de ce forum, le Socialist Workers Party britannique, qui courtise depuis longtemps ce qu'il appelle les "islamistes radicaux". Mais le problème ne se limite pas à l'extrême gauche d'outre-Manche.
Le voile islamique, instrument de libération ?
En France, c'est essentiellement à travers le problème du port du voile à l'école que la complaisance d'une partie de l'extrême gauche vis-à-vis des islamistes s'est manifestée. Ce problème a été posé publiquement, en 1989, lorsque le proviseur du lycée de Creil (Oise) décida de refuser l'entrée de son établissement à des jeunes filles qui refusaient d'assister aux cours autrement que voilées. C'est au nom de la liberté individuelle, ou en arguant du fait que l'on n'avait pas le droit de priver les exclues de l'accès à l'école publique, qu'un certain nombre de militants d'extrême gauche se sont retrouvés en train de manifester aux côtés de femmes voilées et de barbus les encadrant plus ou moins discrètement. Beaucoup d'entre eux étaient ou avaient été liés au Socialist Workers Party britannique. Un certain nombre se sont regroupés au sein de Socialisme par en bas et se sont par la suite intégrés à la LCR ou à la JCR.
Cette manière de poser le problème au nom de la liberté de chacun et de chacune de pratiquer sa religion, d'observer ses traditions, est évidemment totalement fausse. D'une part, elle relève d'une attitude paternaliste d'ethnologue plaçant un signe d'égalité entre toutes les pratiques culturelles, et non d'une démarche militante. D'autre part, elle oublie le nécessaire devoir de solidarité envers toutes celles qui refusent de se laisser enfermer sous un voile. Mais le comble est que pour justifier leur position, ces supporters de l'islamisme n'hésitent pas à travestir complètement la réalité.
C'est ainsi que, dans un article publié en novembre 1994 dans le journal Socialisme International, deux d'entre eux, à la question : "Le port du foulard islamique est-il un symbole de l'oppression des femmes ?", répondent carrément : "Non. Dans un pays où les gouvernants utilisent de plus en plus le racisme pour détourner l'attention des travailleurs, le foulard islamique représente avant tout le symbole de la résistance à l'oppression religieuse et raciste dont sont victimes les jeunes musulmanes".
"Oppression religieuse" ? On croit rêver. Si de nombreux musulmans n'ont la possibilité de pratiquer leur religion que dans des locaux sordides, et si la démagogie anti-immigrée ou le racisme de certaines municipalités ne sont pas toujours étrangers à cela, l'État français considère depuis longtemps les autorités religieuses musulmanes comme des interlocuteurs valables. L'islam a droit à son émission religieuse hebdomadaire à la télévision sur France 2. Et la politique du "ministère de l'Intérieur et des Cultes", de la gauche à la droite, de Chevènement à Sarkozy, a été de pousser à l'organisation de "l'islam de France"... en toute laïcité !
Les auteurs du texte cité ci-dessus citent d'ailleurs avec complaisance les propos d'une représentante du ministère des Affaires sociales, affirmant en 1994 que le port du voile "est un phénomène d'émancipation. Avec leur foulard elles se sentent affranchies. En se plaçant sous l'autorité de Dieu, elles se libèrent de l'autorité de leur père et de leurs frères".
Les mêmes pro-islamistes écrivent dans un autre texte : "Tout indique, contrairement aux allégations de la droite relayée par la presse bien-pensante et une majorité de la gauche, que dans leur majorité, les jeunes filles musulmanes ont choisi de porter ce signe religieux par défiance pour la morale dominante". À supposer même que cela soit vrai, que faut-il entendre par cette "défiance pour la morale dominante" - sinon le respect de la morale prônée par les islamistes, qui fait de la femme un être inférieur, soumis au père, aux frères ou au mari ? Certainement pas l'aspiration à une morale proclamant l'égalité de l'homme et de la femme, et le droit de celle-ci à une pleine liberté !
Qu'un certain nombre de jeunes musulmanes portent le voile volontairement, c'est sans doute vrai. Pour certaines, c'est une manière comme une autre de vivre leur crise d'adolescence. D'autres sont sensibles au fait que cela les rend intéressantes aux yeux des médias. Il y a aussi, en sens contraire, celles qui ne se sentent pas de taille à mener la bataille pour s'en libérer. Et enfin celles qui adhèrent profondément à l'interprétation la plus réactionnaire de l'islam. Mais quelles que soient les raisons pour lesquelles elles portent le voile, cela ne change rien à ce qui devrait être l'attitude de tous les révolutionnaires sur ce problème. Leur devoir n'est pas de défendre le droit des opprimés à lécher la main qui les tient en laisse, mais d'essayer de les amener à prendre conscience de cette oppression.
L'église catholique aussi est capable d'aligner des milliers de femmes qui partagent les opinions réactionnaires du pape sur la sexualité, la contraception, l'avortement... et l'infériorité des femmes indignes de la fonction de prêtre. Mais qu'est-ce que cela prouve, sinon (et c'est pour des marxistes une évidence) que l'idéologie dominante est capable de s'imposer à de larges fractions des opprimés et des exploités ?
Ceux qui affirment que ce n'est pas sous la pression des pères que ces jeunes musulmanes portent le voile n'ont d'ailleurs pas entièrement tort. C'est plus souvent sous la pression des frères, voire des jeunes du quartier, parce que, pour beaucoup d'entre eux, celles qui ne portent pas le voile ne sont que des "putains". Mais pour nos pro-islamistes, qui se targuent sans crainte du ridicule d'être féministes, les jeunes filles insultées ou maltraitées parce qu'elles ne portent pas le voile, les violences faites aux femmes, Sohane brûlée vive à Vitry-sur-Seine, dans la banlieue parisienne, son assassin applaudi lors de la reconstitution du crime par des jeunes du quartier, tout cela n'existe pas !
Que ce soit malheureusement parmi les plus jeunes que se recrute le plus grand nombre de sympathisants de l'islamisme, c'est ce que constate d'ailleurs Socialisme par en bas, qui remarque "l'hostilité profonde d'une partie de l'immigration plus ancienne au renouveau de la pratique religieuse revendiquée publiquement". À ceux-là ils opposent "les jeunes (qui commencent) à afficher fièrement leur appartenance communautaire et religieuse" et ajoutent "c'est ainsi que l'on peut comprendre le port de plus en plus fréquent du foulard islamique en France". Ainsi, pour ces curieux "socialistes", ce ne sont pas ceux dont le comportement favorisait l'intégration non seulement dans la société française, mais également dans la classe ouvrière de ce pays (même s'il y avait bien évidemment aussi dans leur comportement le désir de ne pas se faire remarquer) qui avaient le comportement le plus juste, mais les jeunes qui affichent "fièrement leur appartenance communautaire et religieuse", ce qui ne peut que contribuer à diviser la classe ouvrière, qui est pourtant la seule "communauté" respectable pour des révolutionnaires !
Que pensent-ils du comportement de travailleurs influencés par les islamistes qui refusent de serrer la main d'une de leurs camarades de travail parce que c'est une femme ?
Que pensent-ils des pressions, rien moins que discrètes, exercées sur tous les travailleurs issus de pays de tradition musulmane pour les amener à observer, même s'ils n'en ont pas envie, le jeûne du ramadan, qui est aussi un moyen d'affirmation d'une "appartenance communautaire" ?
Aucun socialiste digne de ce nom ne peut considérer le communautarisme, qu'il soit religieux ou nationaliste, comme un phénomène positif. C'est, par définition un facteur de division de la classe ouvrière, et comme tel une idéologie à combattre. Le mouvement ouvrier s'est toujours donné comme tâche de donner à tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, leur culture d'origine, quelles que soient leurs idées sur la religion, la conscience d'appartenir à une même classe sociale, le prolétariat international. Mais ce n'est évidemment pas dans ce sens qu'œuvrent ceux qui emboîtent le pas aux islamistes.
"l'islamisme des pauvres" est lui aussi réactionnaire
Chris Harman, l'un des dirigeants du Socialist Workers Party britannique, distingue "l'islamisme des anciens exploiteurs", celui des "nouveaux exploiteurs", celui de "la nouvelle classe moyenne" et celui "des pauvres". Mais dire que suivant leur situation sociale les hommes qui se rangent sous la bannière de l'islamisme ne mettent pas le même contenu est une banalité, qui n'ôte rien au caractère réactionnaire de cette idéologie. Durant la révolution française, les paysans vendéens insurgés contre la conscription décrétée par la Convention n'avaient évidemment pas les mêmes aspirations que les hobereaux qui les encadraient, et encore moins que les princes émigrés pour lesquels ils se faisaient trouer la peau. Leurs Cahiers de doléances , en 1789, n'étaient pas différents de ceux des autres paysans du royaume. Ils ne voulaient pas, en revanche, abandonner leur village pour aller défendre une révolution qui avait surtout profité à la bourgeoisie des villes. La chouannerie fut manifestement un mouvement populaire, en ce sens qu'elle s'appuyait sur une grande partie du petit peuple des campagnes de l'Ouest. Mais elle fut non moins manifestement un mouvement réactionnaire, et le fut d'autant plus que ce fut la noblesse de l'ancien régime qui en tira les ficelles.
Or ce n'est même pas avec "l'islamisme des pauvres" que flirte le SWP britannique, mais avec les intellectuels islamistes dont le projet politique n'est certainement pas de lutter pour l'amélioration du sort des pauvres, même en se limitant aux seuls musulmans. Si Tariq Ramadan est aux yeux du SWP le représentant des musulmans pauvres, alors le pape peut tout aussi valablement se dire le représentant des pauvres d'Amérique latine !
Bien qu'il tienne à distinguer un "islamisme des pauvres", le SWP est tout à fait conscient du caractère réactionnaire des idées véhiculées par l'islamisme en général. "La base de classe de l'islamisme - écrit Chris Harman - est similaire à celle du fascisme classique (...). Ces mouvements ont recruté leurs membres tant au sein de la petite bourgeoisie en "cols blancs" et dans le milieu étudiant que parmi les commerçants et les membres des professions libérales de la petite bourgeoisie traditionnelle. Cet aspect, ajouté à l'hostilité de la plupart des mouvements islamistes envers la gauche, les droits des femmes et les idées laïques, a conduit beaucoup de socialistes et de libéraux à dénoncer ces mouvements comme fascistes." Après avoir affirmé, à juste titre, que "c'est commettre une erreur", il explique que "les mouvements petits-bourgeois ne deviennent fascistes que lorsqu'ils apparaissent à un stade précis de la lutte de classe et y jouent un rôle spécifique" de "bandes de brutes, prêtes à servir le capital dans son entreprise de destruction des organisations ouvrières".
Pour être complet, Chris Harman aurait pu ajouter que le fascisme mussolinien ou hitlérien a été un phénomène de pays industrialisés, et que même dans le cas de l'Iran de Khomeiny, en dépit du rôle joué par les milices des "gardiens de la révolution", l'emploi de la référence au fascisme serait impropre. Mais, d'une part, le fait qu'islamisme ne soit pas synonyme de fascisme ne signifie pas qu'il ne faille pas le combattre, et d'autre part les islamistes auxquels s'adresse le SWP et ses émules ne vivent pas dans un pays du tiers monde, mais en Grande-Bretagne et en France. Et absolument rien ne peut garantir qu'en cas de crise sociale la grande bourgeoisie de ces pays ne pourrait pas utiliser ces mouvements comme autant de milices anti-ouvrières.
Chris Harman ne dit évidemment pas qu'il aurait fallu en Iran soutenir les ayatollahs : il s'est passé suffisamment de choses, depuis l'effondrement du régime du chah, en 1979, pour que personne n'ose plus dire de telles inepties. Il se permet même de critiquer les courants de gauche comme les "moudjahidines du peuple" et les "feddayins", qui soutinrent Khomeiny avant que celui-ci ne les écrase (et qui, soit dit en passant et sans que cela justifie leur politique, subissaient la pression des masses qui avaient mis leurs espoirs en Khomeiny). Mais cela n'empêche pas le SWP en Grande-Bretagne, où il ne subit évidemment pas de telles pressions, de se mettre à la remorque de ce qu'il appelle les "islamistes radicaux", et cela ne l'empêcha pas non plus de faire montre de la plus grande complaisance vis-à-vis du FIS algérien. Dans une brochure publiée en France par ce courant en 1992 on peut par exemple lire ces lignes significatives : "D'instrument idéologico-politique des couches les plus réactionnaires dans les années soixante-dix, le mouvement intégriste musulman put devenir celui de la petite bourgeoisie avant 1988, et transcroître, devenir un parti petit-bourgeois utilisé par une fraction importante des masses les plus pauvres et ouvrières comme haut-parleur contre le régime bourgeois. (...) Il fut le seul parti de masse à appeler (...) la population à renverser le régime et non à le réformer, à une révolution et non à un replâtrage. La montée du FIS reflète la montée de sentiments révolutionnaires (même s'ils sont très confus) parmi les classes laborieuses et déshéritées en Algérie".
On peut toujours ensuite répéter qu'il faut construire "nos propres organisations indépendantes, qui ne puissent être identifiées ni aux islamistes ni à l'État", qu'est-ce que cela change ? Il faudrait commencer par mener une politique qui ne présente pas les leaders islamistes aux travailleurs influencés par la religion musulmane comme des alliés possibles de la classe ouvrière, qui n'entretienne pas la confusion sur le caractère profondément réactionnaire et anti-ouvrier de l'islamisme et des islamistes.
La seconde vie du tiers-mondisme
Se risquant à un parallèle avec ce qui se passa en Argentine il y a un demi-siècle, Chris Harman écrit : "Même si Peron emprunta certains thèmes à l'imagerie fasciste, il prit le pouvoir dans des circonstances exceptionnelles qui lui permirent d'incorporer et de corrompre les organisations des travailleurs, tout en utilisant l'intervention de l'État pour détourner les profits des grands capitalistes fonciers vers l'expansion industrielle". Et après avoir évoqué, en l'enjolivant quelque peu, l'amélioration du niveau de vie de la classe ouvrière dans les premières années du péronisme, il conclut : "C'est tout le contraire de ce qui se serait produit sous un régime vraiment fasciste. Pourtant l'intelligentsia libérale et le Parti communiste argentin continuaient de qualifier le régime de "péronisme nazi", ce que fait aujourd'hui la majeure partie de la gauche à l'égard de l'islamisme".
Que le péronisme des années quarante et cinquante ne doive pas être assimilé à un fascisme, c'est une évidence. Mais écrire que Peron "détourna" les profits des grands capitalistes fonciers est une contre-vérité. Ni la bourgeoisie argentine dans son ensemble, ni les "grands capitalistes fonciers" n'ont eu à souffrir du péronisme. Celui-ci défendait fidèlement les intérêts des possédants, mettant simplement à profit les circonstances économiquement exceptionnelles de la fin de la guerre mondiale et de l'immédiat après-guerre, où la viande et le blé argentins ne manquaient pas de débouchés, pour essayer de desserrer quelque peu l'emprise de l'impérialisme US.
Mais en s'opposant ainsi à l'impérialisme américain, Peron ne s'était pas transformé en "anti-impérialiste", pour autant que ce mot ait un sens. Il ne contestait pas l'impérialisme en général. Il revendiquait seulement une meilleure place pour l'Argentine dans l'ordre impérialiste mondial.
C'est finalement une vieille idée des tiers-mondistes en tout genre qui se cache derrière la complaisance du SWP vis-à-vis de l'islamisme. "Ceux qui à gauche ne voient dans l'islamisme qu'un mouvement "fasciste" oublient de tenir compte de l'effet déstabilisateur des mouvements islamistes sur les intérêts capitalistes au Moyen-Orient..." Comme si le problème était de "déstabiliser" les intérêts capitalistes, indépendamment de la suite des événements, et non d'agir pour permettre à la classe ouvrière de conquérir le pouvoir.
Que le SWP britannique s'intéresse bien plus à l'intelligentsia islamiste qu'à "l'islamisme des pauvres" est manifeste lorsque Chris Harman écrit que "les jeunes islamistes sont en général les produits intelligents et sophistiqués de la société moderne. Ils lisent livres et journaux, regardent la télévision et sont donc au courant de toutes les divisions qui se produisent au sein de leur propre mouvement (...). Ils connaîtront des débats houleux les opposant les uns aux autres (...)" .
Le SWP espère beaucoup de ces débats qui "créeront des doutes dans l'esprit de certains d'entre eux. Les socialistes peuvent profiter de ces contradictions pour amener certains des islamistes les plus radicaux à remettre en cause leur attachement aux idées et aux organisations islamistes". Et la conclusion pratique est résumée par une formule lapidaire : "Avec les islamistes parfois, avec l'État jamais".
Ce "avec l'État jamais" a l'air radical, mais est parfaitement stupide, car toutes les lois émanant de l'État bourgeois ne sont pas à rejeter en bloc : devrions-nous être indifférents aux tentatives de remettre en cause la législation sur l'interruption volontaire de grossesse, sous prétexte que c'est un gouvernement bourgeois, de droite qui plus est, qui en est à l'origine ? Les travailleurs devraient-ils rester sans réagir face aux multiples modifications apportées au code (bourgeois) du travail ? En réalité, l'allure radicale du slogan n'est là que pour camoufler l'opportunisme envers les islamistes. La loi française interdisant le port du voile islamique à l'école est peut-être hypocrite en posant sur le terrain de la laïcité ce qui relève surtout de la lutte contre l'oppression des femmes, et on ne peut effectivement pas faire confiance à l'État bourgeois quant à la manière dont elle sera appliquée. Mais s'y opposer, c'est faire le jeu des islamistes, c'est un honteux "avec l'État jamais, avec les islamistes oui".
Par delà le brouillard théorique dans lequel se meut le SWP, il y a dans sa démarche en direction des "islamistes radicaux" la préoccupation de trouver des partenaires pour constituer le front électoral large qu'il appelle de ses vœux. Cela, c'est l'aspect purement britannique du problème. Mais si sa complaisance envers l'islamisme rencontre un écho dans certains mouvements d'extrême gauche d'autres pays, c'est bien parce qu'elle correspond à la manière dont la grande majorité des courants se réclamant du socialisme révolutionnaire se situaient par rapport au tiers-mondisme face au développement des luttes d'indépendance coloniale qui suivit la Seconde Guerre mondiale. On vit alors la grande majorité des organisations se réclamant du trotskisme parer des directions nationalistes petites-bourgeoises, qui se disaient quelquefois plus ou moins "socialistes" (c'était à la mode), mais dont le programme ne l'était en rien, de couleurs séduisantes. Le FLN algérien, le mouvement castriste, le FNL vietnamien, et bien d'autres, étaient présentés comme des directions "anti-impérialistes", susceptibles de se transformer en authentiques socialistes. La suite des événements a montré ce que valaient ces illusions. Le nombre de mouvements abusivement qualifiés de socialistes variait suivant le degré d'optimisme, ou plutôt d'aveuglement, des courants gauchistes considérés. Leur degré d'évolution dans la "transcroissance" vers le socialisme aussi. Mais la conséquence de ces analyses étaient toujours la même : se mettre à la remorque des directions nationalistes petites-bourgeoises, et ne rien faire pour mettre en garde les travailleurs contre les projets politiques de celles-ci.
Aujourd'hui, les directions petites-bourgeoises qui luttent pour le pouvoir n'éprouvent plus le besoin de se dire socialistes. Dans les pays de tradition musulmane, elles se réclament plus volontiers de l'islamisme. Mais par leurs objectifs, comme par leurs méthodes, elles sont bien les héritières des organisations pseudo-socialistes des décennies précédentes... comme leurs supporters d'extrême gauche sont bien les héritiers des tiers-mondistes d'antan.
La seule différence, et elle est tout de même d'importance, est que les militants révolutionnaires européens des années cinquante/quatre-vingt n'avaient que bien peu de moyens d'agir sur ce qui se passait au Vietnam, en Algérie ou à Cuba, alors que l'activité des groupes islamistes concerne directement la classe ouvrière de Grande-Bretagne, de France ou d'Allemagne.
Il est effectivement du devoir des révolutionnaires de tout faire pour gagner aux idées communistes les travailleurs immigrés ou issus de l'immigration. Mais courtiser les leaders islamistes ne constitue pas un raccourci pour y parvenir : on ne se rapproche jamais du but à atteindre en lui tournant le dos !
10 novembre 2004