Rapport politique - Roger GIRARDOT, pour la majorité

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Février 2006

Je vous salue camarades et vous souhaite la bienvenue à ce 35e congrès de LO. Je voudrais revenir sur le fait que nous tenions - nous sommes convaincus qu'il le faut, contrairement à toutes les autres organisations quasiment sans exception- à faire un congrès par an et à y consacrer une partie importante de notre temps.

C'est d'abord un souci de démocratie. Bien sûr les orientations le sont pour une bien plus longue période qu'une année. Vu les vents dominants nous n'avons pas à changer de cap ni de voilure bien souvent. Mais nous nous en offrons la possibilité, y compris la possibilité de discuter de problèmes quotidiens, de problèmes qui pourraient paraître de détail, de problèmes d'organisation, et tous les camarades peuvent prendre la parole et donner leur avis au moins devant leur fédération ou en demandant à leurs délégués de le faire.

Voyez, par exemple, une des choses très utiles de ce congrès annuel, c'est que pour une fois j'entends Jacques Morand développer ses idées. Je le rencontre toutes les semaines au Comité exécutif, régulièrement au Comité central, mais je ne l'ai jamais entendu parler aussi longtemps et critiquer aussi longtemps nos positions. Il aurait pu le faire lors des mouvements qui viennent de se passer, mais non, bouche cousue !

Ils écrivent beaucoup de choses mais je voudrais bien savoir ce qu'ils ont écrit sur la trahison des syndicats de la SNCF : je ne me souviens plus ! Je ne sais surtout pas s'ils ont écrit avant la reprise du travail, puisqu'ils nous reprochent de ne pas l'avoir fait. Mais au moins un congrès ça permet d'écouter, d'entendre ce que nous n'entendons pas toute l'année.

Bien sûr, ils le disent dans leurs papiers, etc., mais discuter au Comité exécutif, au Comité central de cela, de la façon critique dont il l'a fait aujourd'hui, on aurait bien aimé l'entendre plus tôt lorsqu'on pouvait leur répondre ou au moins leur demander des précisions.

Alors vous savez la pétition qu'on a co-signée, qu'ils nous reprochent aussi véhémentement, c'est une ânerie bien sûr, mais mineure. On nous l'a lue au téléphone et il fallait répondre dans la foulée, on m'en a parlé et j'ai dit qu'à mon avis il n'y avait qu'à le signer parce que sinon la minorité nous reprocherait de ne pas l'avoir fait et qu'on aurait droit, je vous affirme que c'est vrai, on aurait droit à une tribune dans la LO.

Pour revenir à la nécessité de congrès annuels, c'est qu'on n'y vote pas que pour des textes. On compare et on unifie aussi à travers les discussions et même lorsque nous sommes tous d'accord ou presque, il reste que c'est ainsi que nous pouvons connaître ceux auxquels nous confions la direction de l'organisation. Entre deux congrès pas éloignés dans le temps, cela nous permet de changer éventuellement, de renouveler rapidement la direction. Ça ne nous est jamais vraiment arrivé, mais ça pourrait nous arriver et c'est important de pouvoir le faire et de donner à nos camarades le pouvoir de le faire.

De plus, cela nous contraint à discuter chaque année d'un certain nombre d'idées générales car on ne répète pas tous les ans la même chose. Par exemple dans le rapport économique, il y a des problèmes qui n'avaient pas été abordés l'an dernier. Cela nous permet de discuter chaque année d'un certain nombre d'idées tant générales que quotidiennes qui nous obligent à un effort politique nécessaire pour la vie, voire la survie de l'organisation. La compétence politique est indispensable et je dirais même que, a contrario, la stimulation que nous offre la minorité, contrairement à ce que pensent certains camarades, nous est utile... elle nous dit ce qu'il ne faut pas faire et nous oblige à lui répondre.

Cela ne peut paraître qu'un détail mais c'est aussi une occasion de nous rencontrer politiquement et humainement. Bien sûr, nous en avons d'autres : nos assemblées générales de fédérations, la et les fêtes, les caravanes, etc., mais tout le monde n'y participe pas et nous n'avons pas toujours l'occasion de discuter politiquement de façon systématique mais pour le congrès nous l'avons.

C'est pourquoi nous sommes une organisation qui tient un congrès par an et qui y tient. Les autres partis font comme l'État, ils élisent pour deux, trois ans voire plus ceux qui vont gouverner leur parti et le pays tout comme l'État élit des députés ou des présidents pour cinq ans et encore cinq ans, c'est récent.

Pas nous.

Dans ce rapport j'aborderai plusieurs sujets.

Je voudrais d'abord parler du référendum passé. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui nous ont fait voter contre cette constitution dont l'objet essentiel n'était même pas le marché. Le marché, il est ce qu'il est. Tant qu'on n'aura pas fait la révolution, l'Europe et le monde seront gouvernés par le marché. Même quand nous aurons fait la révolution, nous ne pourrons pas ignorer le marché, la monnaie, etc. Ça demandera bien des années avant que nous puissions en venir à l'âge d'or... sans l'or.

Nous l'avons rejetée en particulier parce qu'elle était anti-démocratique. Ils avaient intégré dix pays supplémentaires, passé de 15 à 25 pays, et cela leur posait problème étant donné les accords antérieurs. C'est-à-dire l'unanimité pour les décisions. Ils avaient décidé cela entre les grands, ils l'avaient étendu aux moins grands, car il fallait l'unanimité lors des décisions pour que personne ne soit lésé. C'était un accord qui en était un sans en être un. Si on est unanime, ça va !

À 25, et surtout avec des petits pays qui entraient avec les dents longues, à qui on avait raconté "entrez dans l'Europe, c'est beau, c'est grand, ça améliorera vos conditions de vie". Aux Allemands de l'Est, avant la chute du mur, on avait fait miroiter cela aussi : l'Ouest, c'est fantastique, etc., il y a plein d'objets dans les vitrines, il y a de la richesse, etc. Seulement il fallait de l'argent pour se payer tout ce qu'il y a derrière les vitres. Les Allemands de l'Est déchantent un peu aujourd'hui parce que les salaires y sont encore inférieurs à ceux de l'Ouest, mais, en fin de compte ils ne regrettent pas. C'est un peu comme en Russie, parce qu'on nous cite et recite les Russes riches ou même les moins riches mais il existe énormément de très pauvres en Russie, qui, avant, avaient le chauffage quasiment gratuit, le loyer idem, des logements pauvres mais quasiment gratuits. Ils ont toujours les mêmes logements mais ce n'est plus gratuit.

Si nous avons appelé à voter non, c'est parce que la constitution liait un peu les mains de tous les nouveaux pays et permettait quand même aux grands de s'accorder entre eux avec des majorités calculées soigneusement. Je ne reviens pas sur les détails parce que c'était soigneusement pesé, il y avait le nombre d'habitants mais bien d'autres facteurs. C'était un calcul digne du polytechnicien qui l'avait conçu.

C'était une constitution anti-démocratique et c'est la raison essentielle qui nous a fait appeler à voter contre. Ils ont élargi l'Europe d'un seul coup, en étant trop sûrs de leur coup sur l'approbation de la constitution. Mais ils se sont trompés, y compris les politiques français, Chirac, Hollande, d'autres. Blair est aujourd'hui forcé de prendre sa petite mallette et d'aller visiter les Pays Baltes pour les convaincre de renoncer à tout ou partie des fonds européens car les grands pays ne veulent ni partager ce qu'ils touchent, ni augmenter ce qu'ils donnent. Cela touche les intérêts de l'agro-alimentaire, etc., qui reçoivent pas mal de ces fonds. La reine d'Angleterre et le prince de Monaco sont des épiphénomènes par rapport à ce que touche l'agroalimentaire des fonds européens pour l'agriculture ou même pour la banane.

Sur le plan social, l'année a connu un certain nombre de mouvements sociaux dont la SNCM qui fut la grève la plus longue mais pas avec les grévistes les plus nombreux en valeur absolue. La journée du 4 octobre fut la plus large, avec le plus de grévistes mais ne fut pas longue.

Cette journée du 4 octobre n'a pas été une explosion. Même si elle a vu des travailleurs du privé se mettre en grève, ils n'étaient pas la majorité et ce n'étaient pas des grèves déterminantes.

Donc, il y a eu cette année pas mal de petits conflits, soit sur des licenciements, des plans sociaux, et parfois pour des augmentations de salaires. En réalité, on a du mal à se faire une opinion quand on compare aux années précédentes, car les statistiques masquent un peu la réalité. Elles ne disent pas tout ce qu'on aimerait avoir comme renseignements précis. Ce qu'on a dans les statistiques actuelles, pour comparer d'une année sur l'autre, c'est souvent le nombre de journées de grève mais ça ne nous dit pas si c'est par les mêmes travailleurs ou par d'autres, si ce sont des grèves de longue durée ou pas.

On n'a pas le nombre de grévistes différents. Nous, à la fête, on relève d'une part le nombre d'entrées même si c'est trompeur car ce peut être le même qui rentre dix fois mais, d'autre part on prend soin de pouvoir calculer le nombre de personnes différentes venues à la fête. C'est ainsi que dans le domaine social on aimerait bien avoir le nombre de grévistes différents entrés en lutte et pendant combien de temps ils ont fait grève. Ça nous permettrait bien plus de mesurer l'état d'esprit de la classe ouvrière.

En fait, au total, il y a eu pas mal de petits mouvements, mais il n'est pas dit qu'un grand nombre de travailleurs se soient mis en grève par rapport aux années précédentes. Et, surtout, ce sont loin d'être toutes des grèves très combatives comme l'a été celle de la SNCM.

C'est important parce qu'on ne peut pas dire qu'il y ait eu une multitude de mouvements sociaux généralisables et c'est cela que nos camarades de la minorité ne comprennent pas très bien. Quels sont des mouvements généralisables et des mouvements qui ne le sont pas ? C'est cela qu'il faut être capable d'analyser. Parce qu'il ne suffit pas de dire qu'il faut continuer après le 4 octobre. Qui avait envie de continuer ? Les syndicats n'ont pas appelé à la SNCF, "ils ont trahi" dit la minorité. Oui, mais ils trahissent tout le temps car ce sont des réformistes et non des révolutionnaires. Quand il y a vraiment la vapeur, les syndicats n'ont pas besoin d'appeler, ça démarre sans eux, voire contre eux. Je vous rappelle que mai 68, juin 36 ont démarré tout seuls. En 1968, il y a eu une grève générale de 24 heures appelée par la CGT et le lendemain, Sud aviation à Nantes a continué la grève, avec des révolutionnaires, et de là c'est reparti, ça a été le feu à la plaine.

Un mot d'ordre comme "tous ensemble" ne peut avoir d'écho et d'efficacité que lorsqu'il y a beaucoup de conflits qui se succèdent ou qui sont éparpillés dans le pays mais qui font preuve d'une détermination assez grande de l'ensemble de la classe ouvrière et que les syndicats éparpilleraient volontairement. On a vu cela dans le passé, les grèves "bouchon", les grèves "tournantes", etc. Là on pouvait appeler à "tous ensemble" parce que cela paraissait invraisemblable de ne pas être tous ensemble. Mais il ne suffisait pas d'appeler pour que ça mette le feu à la plaine, il faut encore que les travailleurs acceptent de passer outre le frein des syndicats. Quand on a des militants sur place, dans de nombreux endroits, surtout déterminants, on peut peut-être entraîner, convaincre, gagner, mais quand cela doit être spontané, quand ça ne peut être que spontané puisque les syndicats n'y sont pas, voire font barrage, eh bien il ne suffit pas de dire "tous ensemble" ou de faire une proclamation.

Même quand on discute avec les travailleurs, ils nous disent souvent, oui "tous ensemble, ce serait mieux d'accord", bien sûr, mais ils ne sont pas toujours prêts à l'heure actuelle à renoncer à leurs revendications particulières. Quand EDF fait grève contre la privatisation, ce n'est pas grève pour les salaires pour tout le monde, ce n'est pas une grève généralisable. Les gars qui appartiennent au privé, ça ne les concerne pas ou indirectement uniquement parce qu'un service public, c'est mieux qu'un service privé. Oui, c'est mieux et encore ce n'est pas sûr, et ce n'est pas, actuellement, suffisant pour risquer inutilement une perte de salaire.

C'est comme quand on nous dit "pourquoi vous ne faites pas alliance avec la LCR et le PC, vous seriez plus forts". Plus forts pour quoi ? Pour faire 10% au lieu de deux fois 5 ? Ca ne changerait pas la situation, ni le moral. Et ça dépend sur quelles bases.

Donc on ne peut pas dire qu'on ait connu une année particulièrement agitée sur le plan des luttes sociales. On ne peut qu'espérer qu'il en aille autrement l'année prochaine. Alors bien sûr, c'est sot d'attendre, comme nous le dit la minorité. Mais rien ne nous permet de déduire de ce qui s'est passé cette année ce qui se passera l'année prochaine. Voilà le problème quand on analyse sérieusement une situation et qu'on n'essaie pas d'habiter les châteaux qu'on construit en Espagne.

Tout à l'heure on a cité, à propos de Gazprom "la bagatelle de 13 milliards de dollars", ce qui doit faire 11 milliards d'euros.

Savez-vous combien représentent l'ensemble des niches fiscales dans le budget 2006 ? Les niches fiscales, ce n'est pas les cadeaux aux entreprises, ce n'est pas sur les tranches du revenu, cela concerne les individus qui peuvent déduire certaines dépenses de leurs impôts ! En achetant par exemple un appartement pour le louer, même si c'est à leur famille. Ils peuvent donc déduire de leurs impôts, s'ils en paient, la totalité des intérêts de l'emprunt fait pour acheter. Quand on fait le calcul, ça leur paye une grande partie de l'appartement et c'est valable pour plusieurs. Le système fiscal français compte plus de 400 allégements d'impôts de types divers, à tel point que c'est presque impossible d'en faire la liste. Le total représente 51 milliards d'euros. La dépense de Gazprom est une bagatelle à côté de ce qu'offre l'État français à ses riches. Évidemment sans compter tout le reste, sans parler des diminutions d'impôts sur les héritages, etc.

La minorité a beaucoup parlé et parle beaucoup de notre influence. Je voudrais aller dans son sens. C'est un éditorial du Monde qui s'intitule le Villepinisme :"Il serait normal que Hewlett-Packard rembourse les aides publiques spécifiques dont elle a pu bénéficier". Cette déclaration abrupte, publiée dans Les Échos vendredi 23 septembre, n'émane pas d'Arlette Laguiller, la dirigeante de Lutte ouvrière qui en avait lancé l'idée, reprise avec la LCR dans la campagne régionale de 2004. Le propos est signé Dominique de Villepin."(...) "En désespoir de cause, M. de Villepin reprend donc une idée qui a cheminé de LO à la LCR puis au PCF, du PS à l'UDF et enfin... à Matignon. Le social-villepinisme trouve ses sources d'inspiration à gauche."

C'est donc vrai qu'on a une influence mais ce n'est malheureusement pas celle qu'il faudrait.

Sur le plan politique, toute la vie politique du pays et déjà depuis un bon moment, tourne autour de l'élection présidentielle à venir. Pourquoi ? Parce que les législatives qui vont suivre vont grandement en dépendre. Dans cette période de crise de l'emploi, ce n'est pas seulement une place à pourvoir. C'est plus de 500, celles des députés, et la bagarre tourne autour de ça ! Et quand on dit plus de 500, c'est sans compter les municipales qui vont suivre et les retombées annexes pour les amis. Toute l'année 2006 va être consacrée à choisir ou à s'égorger pour choisir les principaux candidats. En particulier un principal à droite, que ce soit Sarkozy ou De Villepin, ou qu'ils soient l'un contre l'autre, et celui du PS. À gauche le principal candidat, même s'il y a pléthore de candidats à gauche, ce sera quand même celui du PS. Celui qui, s'il passe le premier tour, peut espérer l'emporter au second, encore que ce ne soit pas gagné.

La droite a beau systématiquement faire ce qu'elle peut pour faire la campagne électorale de la gauche comme elle l'a déjà fait, il n'est pas dit que la gauche l'emporte en voix dans le pays. Parce que la droite fait la cour à une fraction de l'électorat qui n'est pas minoritaire dans le pays, loin de là, la bourgeoisie, la petite bourgeoisie, les cadres, ou même les immigrés qui ont réussi (il y en a, nous dit la presse tous les jours), tout un tas de gens qui voteront à droite soit sur l'un soit sur l'autre. En plus on verra peut-être des alliances. On a parlé de l'éventualité que le PCF puisse s'effacer devant le candidat du PS. Il ne s'agit pas d'une prévision, on ne peut pas en faire dans ce domaine, on n'en sait rien. Mais on peut imaginer le calcul du PC qui sait que, de toute façon, s'il présente un candidat, il ne sera pas élu, mais il pourra peut-être nuire au candidat de gauche et ça c'est gênant pour le PC, parce qu'il préfère qu'un PS soit élu plutôt que personne de gauche et qu'en étant dans la majorité présidentielle, il peut avoir droit au partage des circonscriptions pour avoir des députés élus.

En 2002, ils étaient tellement sûrs d'être réélus à gauche, qu'ils ont voulu faire une primaire entre le PC et les Verts pour que le PS sache bien comment partager, ne pas nuire aux uns ou aux autres. Total il n'y a rien eu à partager !

Alors bien sûr, ce fut, selon eux, la faute de l'extrême gauche.

On n'avait qu'à pas se présenter ! Mais nous on n'a pas gouverné avec eux ! Si on avait eu des places de ministres pendant cinq ans, on aurait pu nous reprocher de ne pas en avoir été reconnaissants, mais il y aurait eu à se salir sérieusement les mains, un prix à payer vraiment exagéré. De toute façon, nous ne sommes pas de ceux qui se mettent les mains dans la fange pour y jeter les travailleurs.

Cela dit, on ne sait pas si le PC présentera ou pas un candidat. Tout ce qu'on sait, si on en croit les propos de Buffet, c'est que c'est possible. Présenter un candidat, c'est possible, n'en pas présenter, c'est possible. Elle est sur la réserve de la République. Tout ce qu'on peut penser, c'est qu'il est improbable que la LCR soutienne la candidature de Buffet et ne présente pas Besancenot. Si la LCR ne le faisait pas, ce serait sûrement un mauvais calcul.

Pour notre part, nous devons décider aujourd'hui de présenter une candidature LO. Bien sûr, l'élection, ce n'est pas tout de suite, mais si on n'annonce pas maintenant qu'on se présente, il sera difficile de demander des parrainages en temps voulu.