La loi Immigration du gouvernement Macron a finalement été votée par le Parlement le 19 décembre dernier. Le projet de loi initial de Darmanin représentait déjà une attaque contre les travailleurs immigrés. Après des semaines de surenchères de la droite et de l’extrême droite, la version finale du texte marque un tournant répressif encore plus accentué.
« Plus personne ne pourra nous reprocher de défendre la priorité nationale, pas même le président de la République, puisque son principe est aujourd’hui validé par cette loi », a pu se réjouir Marine Le Pen, voyant dans le vote de la loi une « victoire idéologique » du Rassemblement national.
En réalité, il y a longtemps que l’extrême droite imprime sa marque sur une bonne partie du monde politique, y compris à gauche, et que le gouvernement lui emboîte le pas sans complexe, ne dédaignant pas des déclarations abjectes et mensongères dignes d’un Zemmour.
Ainsi, après le meurtre en octobre 2022 de la jeune Lola par une femme algérienne en situation irrégulière dans le pays, Macron avait déclaré qu’à Paris plus de la moitié des faits de délinquance étaient le fait de « personnes qui sont des étrangers, soit en situation irrégulière, soit en attente de titres », nourrissant ainsi le fantasme de hordes de migrants voleurs, violeurs et tueurs. Cette déclaration crapuleuse, assortie de la promesse d’accélérer le rythme des expulsions, passait sous silence le fait que la grande majorité des « faits de délinquance » en question n’étaient pas des violences contre les personnes. Mais qu’importe la réalité, l’essentiel pour Macron était de caresser dans le sens des préjugés une opinion bouleversée, à laquelle l’équation « immigration = délinquance » était martelée.
Plus récemment, la mort de Thomas, un adolescent, à la sortie d’un bal de village dans la Drôme, a été une nouvelle occasion de déchaînement de l’extrême droite et de tous ses relais médiatiques, transformant ce qui apparaît de plus en plus comme une bagarre ayant tragiquement mal tourné en « jeunes de cités venus pour planter des Blancs », comme l’affirmait Bardella dans une interview. Là encore, le gouvernement a ajouté sa voix au chœur xénophobe, Darmanin parlant « d’ensauvagement », et citant l’immigration et le manque d’autorité des parents et de la société parmi les facteurs qui l’expliqent.
Un arsenal contre les migrants
La loi Immigration traduit en articles de loi ces postures réactionnaires, ces fantasmes d’extrême droite sur le « grand remplacement » ou « l’appel d’air » que constitueraient, à les entendre, une législation trop laxiste et des prestations sociales trop généreuses. Elle couronne des décennies de politique répressive et va compliquer davantage la vie des travailleurs immigrés.
La loi instaure des quotas migratoires fixés par le gouvernement et durcit encore les conditions du regroupement familial. Ainsi, une personne qui veut faire venir sa famille devra désormais justifier d’une durée de séjour en France de 24 mois, au lieu de 18 précédemment, et son conjoint devra posséder un niveau minimum de français avant d’arriver sur le territoire, condition quasiment impossible à remplir dans bien des pays où l’accès à l’éducation est limité.
Une autre mesure remet en cause l’obtention automatique de la nationalité à 18 ans, pour un enfant né en France de parents étrangers. Présenté comme un droit abusif créant des « Français de papiers et non de cœur » par l’extrême droite, ce « droit du sol » était pourtant très relatif. En effet les enfants nés en France n’étaient pas automatiquement français à la naissance : nés, élevés et scolarisés en France, ne connaissant que ce pays et sa langue, ils n’étaient pourtant pas français, d’un point de vue administratif, avant leurs 18 ans, ou éventuellement leurs 13 ans s’ils faisaient une demande anticipée. La loi Macron accentue l’injustice, en supprimant l’obtention automatique à 18 ans, attribuant ainsi à ces jeunes un statut de citoyens de seconde zone, devant mériter leurs papiers.
Pour aller dans le sens de la « préférence nationale » chère à l’extrême droite, la loi Immigration introduit un délai de plusieurs mois ou années avant que les travailleurs immigrés ne bénéficiant pas d’une carte de résident de dix ans puissent prétendre à un certain nombre de prestations sociales. Il faudra cinq ans avant de pouvoir toucher les allocations logement, pour les travailleurs immigrés ne pouvant prouver trois mois de travail en France. Il faudra cinq ans également avant de pouvoir toucher les allocations familiales, l’allocation personnalisée d’autonomie, ou de pouvoir faire valoir le droit au logement opposable, sauf si le demandeur peut prouver qu’il travaille depuis 30 mois. La loi prévoit également d’élargir la possibilité de déchéance de nationalité aux binationaux condamnés pour homicide contre une personne dépositaire de l’autorité publique.
Enfin, si la suppression de l’aide médicale d’État (AME), que la droite avait le culot de présenter comme l’une des causes de l’asphyxie du système de santé, ne figure pas dans la loi, c’est moyennant la promesse de réexaminer le dispositif en 2024. Par ailleurs, la loi a tout de même restreint l’accès au titre de séjour « étranger malade », qui ne pourra plus être accordé que s’il n’y pas de traitement approprié dans le pays d’origine. Gageons que ceux qui décideront du caractère « approprié » des traitements, dans des pays pauvres aux systèmes de santé parfois inexistants, n’en seront pas les usagers.
Contre une loi raciste qui affaiblit le camp des travailleurs
Le gouvernement Macron n’est pas le premier à faire de l’immigration un cheval de bataille politique. Depuis la fin des années 1970 et le début de la crise, les gouvernements successifs ont utilisé l’immigration pour faire passer leurs attaques contre toute la classe ouvrière.
En 1983, les plans de licenciements massifs se succédaient sous le gouvernement du socialiste Mitterrand, et le Front national, alors sous la houlette de Le Pen père, réalisait ses premiers scores électoraux avec le slogan « Deux millions de chômeurs = deux millions d’immigrés ». Trouver un bouc émissaire à désigner aux travailleurs est une méthode aussi vieille que l’exploitation, qui ne séduit pas qu’à l’extrême droite. On vit d’ailleurs alors les dirigeants du Parti communiste, qui comptait encore quatre ministres au gouvernement, expliquer que, dans un contexte de chômage, il fallait arrêter l’immigration « pour le bien de tous les travailleurs », comme l’affirmait la direction du PCF du Rhône au lendemain d’échauffourées entre les jeunes et la police dans le quartier ouvrier des Minguettes à Vénissieux, reprenant d’ailleurs des propos tenus par Georges Marchais dès 1981, qui affirmait dans un meeting : « Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. » Le Parti communiste dédouanait ainsi le grand patronat et se mettait tranquillement dans les pas de l’extrême droite en rendant les immigrés responsables des licenciements nécessaires à la bourgeoisie. Les dirigeants socialistes ne furent pas en reste et n’hésitèrent pas à recourir à la même démagogie contre les immigrés. Ainsi, en 1989, le Premier ministre socialiste, Michel Rocard, déclarait à la télévision : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. »
Les dizaines de lois, de mesures et de circulaires qui, depuis des décennies, sont autant de tracasseries, d’obstacles et de brimades pour les immigrés, n’ont jamais pu empêcher l’immigration. Pas plus que les murs et les barbelés qui hérissent les places fortes du capitalisme, des États-Unis à l’Europe, ne peuvent empêcher les réfugiés de prendre tous les risques pour tenter de gagner leur pain et de se construire un avenir. L’immigration est d’ailleurs nécessaire au patronat de ces pays riches vieillissants, qui a besoin d’une main-d’œuvre la plus exploitable et corvéable possible.
L’acharnement politique contre les immigrés n’a pas pour but de stopper l’immigration, dont le patronat a besoin, mais de diviser les travailleurs. Après avoir économisé des milliards sur le logement, l’école, les hôpitaux, quoi de plus utile que de désigner les travailleurs immigrés comme responsables du manque de logements, d’enseignants ou de soins ? La grande bourgeoisie a tout pouvoir pour licencier et aggraver les conditions d’exploitation. Quoi de plus utile que d’en attribuer la faute à la concurrence des travailleurs immigrés ? Chercher à diviser les travailleurs est aussi vieux que l’exploitation. Rogner les droits de certaines catégories de la classe ouvrière – femmes, intérimaires, immigrés, chômeurs – n’a cependant jamais fait augmenter les droits des autres, au contraire ! C’est un moyen de faire pression pour les baisser tous.
Alors, ce n’est certainement pas au nom des prétendues valeurs de cette République de licencieurs et d’exploiteurs, ou au nom des promesses d’un Macron de faire barrage à l’extrême droite, que les travailleurs doivent se dresser contre cette loi Immigration.
Elle est injuste et raciste, faisant passer pour des criminels en puissance les aides à domicile, les salariés avec ou sans papiers du bâtiment, des chaînes de production, du nettoyage que sont les travailleuses et les travailleurs immigrés. Et elle cherche à priver la classe ouvrière d’une partie de ses forces, parmi les plus combatives. Car, des grèves de l’automobile, dans lesquelles les ouvriers immigrés jouèrent un rôle essentiel, comme celle des usines Chausson d’Asnières et de Gennevilliers en 1975, ou celle des ouvriers des usines Citroën au printemps 1982, baptisées « grèves de la dignité », malgré l’exploitation, le racisme des chefs et la surveillance policière d’auxiliaires de leurs pays d’origine, aux mobilisations actuelles de travailleurs sans papiers, les immigrés sont souvent parmi les combattants les plus déterminés. Les travailleurs, conscients que tous ceux qui cherchent à les monter les uns contre les autres les désarment, pourront combattre le poison du racisme et reconstituer leurs forces contre le capitalisme, leur seul ennemi.
12 janvier 2024