L'article ci-dessous est paru dans La Voix des travailleurs (n°197, 31 août 2012), le mensuel de l'Organisation des travailleurs révolutionnaires (Union communiste internationaliste).
Le passage de la tempête tropicale Isaac a causé d'énormes dégâts matériels et de nombreuses pertes en vies humaines. Des 32 circuits de l'Électricité d'État d'Haïti (EDH) desservant l'aire métropolitaine de Port-au-Prince, 31 ont été placés hors-service selon la direction de cette institution. L'alerte rouge est levée sauf que la plupart des circuits sont encore hors-service une semaine après.
La presse fait état d'une vingtaine de morts mais il suffit d'écouter notamment les témoignages des familles habitant au bord ou non loin de la Rivière Grise à Port-au-Prince pour réaliser que ce chiffre est très en dessous de la réalité. Ne parlons pas des habitants des sections communales éloignées des villes. Si les pauvres de ce pays ne sont pas recensés de leur vivant, comment le seraient-ils à leur mort ! Nos dirigeants sont trop préoccupés par les magouilles de toutes sortes pour se remplir les poches et trop méprisants à l'égard des pauvres pour s'intéresser à compter des cadavres de ces derniers. Même quand ils comptent s'en servir pour tendre leur sébile, ils ne s'attellent pas à cette difficile tâche. Ils inventent ou augmentent le nombre de victimes pour attirer plus d'aide internationale.
Les 400 000 sinistrés du séisme du 12 janvier [2010] vivant encore sous des tentes dans les camps oubliés ont vécu une nuit d'enfer, le 24 août dernier, avec ces rafales de vent accompagnées de ces trombes d'eau déversées par la tempête. Leurs abris, provisoires depuis plus de deux ans, faits de bâches, de morceaux de tissus, ne sauraient résister à ces bourrasques. On ne saura peut-être jamais le nombre de victimes de cette tempête tropicale : les morts, les disparus, les blessés, les milliers de nouveaux sans-abri.
On s'y attendait malheureusement, compte tenu de la déliquescence de l'État et de la morgue des dirigeants face à la dégradation accélérée des conditions de vie de la population pauvre. Moins de deux jours avant le passage de la tempête, le gouvernement, décrétant l'alerte rouge, a annoncé du coup disposer de 1 250 abris temporaires en tout et pour tout le territoire, comprenant dix départements. Une quantité de loin insuffisante pour le département de l'Ouest, à lui seul, où croupissent des centaines de milliers de familles dans des camps et qui regorge d'environ un tiers de la population du pays. L'alerte rouge n'était donc qu'un simple slogan creux dans les bouches de ces moulins à paroles qui, comme d'habitude, veulent donner l'impression qu'ils font quelque chose dans l'intérêt de la population alors qu'au fond ils ne foutent pas grand-chose. Il n'y a pas eu de dispositions ou de mesures proportionnelles au danger et visant à protéger la population. Pour avoir une idée de ces abris provisoires et de ces stocks de nourriture, d'eau annoncés à grand renfort de publicité par le Premier ministre Laurent Lamothe et ses acolytes, voilà ce que rapportent, par exemple, des circuits de presse de correspondants de radio à Grand-Bois-Cornillon, une commune du département de l'Ouest : « Des dizaines de maisons détruites, des centaines d'autres endommagées, les gens sont aux abois parce qu'ils sont abandonnés à eux-mêmes, ils n'ont rien à manger. » Le député de la circonscription, Lamarre Baptiste, a dû se rendre notamment à Radio Caraïbes pour lancer un SOS aux autorités en vue de voler au secours de la population. Où sont donc les abris provisoires et les stocks prévus ? Il s'agit a fortiori du département où tout est concentré.
Jean Rhomère, un officier de la Protection civile haïtienne attachée au ministère de l'Intérieur, a déclaré à propos des familles déplacées au moment de la tempête vers le lycée de Pétion-Ville : « Ces gens n'ont pas de moyens pour retourner dans leurs maisons. Actuellement nous avons ici 25 bébés, deux handicapés. Depuis qu'ils sont arrivés, l'OIM avait prévu de leur apporter des matelas, mais il n'y a pas de matelas, il n'y a pas de draps. C'est sur le ciment qu'ils dorment. Les gens ne veulent pas rester et moi-même, tellement ils me pressent, je ne sais pas quoi faire car je n'ai pas de moyens à leur donner. » Cette situation se passe pourtant en plein cœur de Port-au-Prince, à Pétion-Ville. Imaginez le sort des familles durement frappées par la tempête et qui vivent dans des zones reculées du pays.
Toutes les conférences de presse données par les autorités, les déclarations des uns et des autres sur les mesures prises par le gouvernement, l'annulation du voyage du chef de l'État pour être aux côtés de son peuple, en vue de faire face à la tempête, ce n'était que du bluff pour berner les classes pauvres. Nos dirigeants sont des fieffés menteurs !
Ils pouvaient, par contre, limiter considérablement le nombre de victimes. Il leur suffisait d'évacuer les occupants des camps de fortune et les catégories très vulnérables de la population vivant dans des lits de ravins et au bord des rivières, en attendant de les reloger dans des abris définitifs et décents. Oh non ! L'État n'a pas de moyens pour réaliser une telle opération, renchérissent le chef de l'État et son Premier ministre.
Ces budgétivores ont pourtant décaissé 103 millions de gourdes le mois dernier pour organiser trois jours de carnaval à Port-au-Prince [Note : Une gourde haïtienne vaut environ 0,02 euro (un euro = 55 gourdes).]. Ils avaient prévu 150 millions, selon le maire des Cayes, Yvon Chéry, pour le carnaval des Cayes au mois de février, il y a cinq mois environ de cela. Mais quand il s'agit de décaisser pour protéger ou sauver des vies de la population pauvre, ils n'ont pas d'argent. Ils sont tous pareils, ces salauds qui se succèdent au pouvoir !
À propos du carnaval, on a vu également à quelle vitesse des dizaines de stands solides se sont érigés sur le Champ-de-Mars à l'occasion du carnaval des fleurs. En l'espace d'une semaine. Pourquoi les autorités ne sont-elles pas animées de cette même ardeur pour construire des abris provisoires en prélude aux intempéries, pour prendre d'autres mesures préventives quand il s'agit de l'imminence d'un cyclone, par exemple ? Pourquoi ne mobilisent-elles pas les ressources financières, matérielles et humaines de l'État avec le même engouement en vue de limiter le nombre de victimes ? Cet exemple suffit pour montrer combien ce président, qui ne rate jamais une occasion pour clamer son amour pour le peuple, est un vrai démagogue.
Des moyens pour reloger les centaines de familles sinistrées vivant sous les tentes depuis tantôt deux ans et les mettant ainsi à l'abri des intempéries pendant la saison cyclonique, il en existe ! Des moyens pour déplacer et héberger les catégories les plus vulnérables de la population lors des cyclones, pour préparer des kits alimentaires et hygiéniques, il n'en manque pas dans le pays.
C'est d'ailleurs le chef de l'État qui, le 7 août dernier, dans un entretien au journal Le Nouvelliste, a signalé que des banquiers haïtiens sont empêtrés avec plus d'un milliard de dollars de surliquidités. Mais qu'est-ce qui l'empêche d'utiliser cet argent pour financer au moins les projets urgents de relogement des couches pauvres de la population exposées à la moindre intempérie ? Ce serait une excellente façon de rendre cette forte somme, qui moisit dans les coffres-forts des banques, utile à la société.