Article extrait du périodique Class Struggle publié par l'organisation trotskyste américaine The Spark.
Le 10 janvier 2002, le juge d'un tribunal fédéral de commerce imposait une réduction des salaires de 13 % à ceux des travailleurs d'United Airlines représentés par le syndicat IAM, l'International Association of Machinists, complétant ainsi une première série de reculs imposés au personnel. Comme l'a souligné la direction devant le tribunal, il y en aura d'autres. En effet, selon les dirigeants d'United Airlines, la baisse de salaire " temporaire " de 13 % imposée par le juge aux syndiqués de l'IAM et les autres baisses " temporaires " acceptées " volontairement " par les autres syndicats 29 % par celui des pilotes, 13 % par celui des régulateurs de transport aérien et météorologistes, et 9 % par les agents de bord (hôtesses, stewards) n'assuraient que quelques mois de sursis à l'entreprise.
C'est pour cette raison, disaient-ils, qu'ils avaient déposé une seconde requête devant le tribunal, lui demandant d'annuler tous les accords d'entreprise signés précédemment avec les syndicats. La direction demandait cependant à la cour de ne pas prononcer ce jugement avant le 15 mars, afin de lui permettre de trouver si possible " un accord à l'amiable " avec les syndicats pour imposer de nouveaux sacrifices aux travailleurs.
Le juge a accordé à la direction d'United Airlines tout ce qu'elle demandait, y compris une mesure ne visant que les syndiqués de l'IAM (en tout cas à la date du 10 janvier) : la réduction du montant de leurs retraites. C'était un avertissement à l'adresse des travailleurs : acceptez les sacrifices demandés ou le tribunal vous en imposera de pires encore.
C'est du chantage, de l'extorsion de fonds et rien d'autre ! Et qui plus est, dirigés non seulement contre les travailleurs d'United Airlines, mais contre tout le transport aérien et, au-delà, contre toute la classe ouvrière.
Comment les patrons utilisent les tribunaux pour imposer des sacrifices aux travailleurs
Au cours des dernières années, de nombreuses autres entreprises ont utilisé les procédures de dépôt de bilan pour s'en prendre aux salaires, aux avantages sociaux et aux conditions de travail. Aujourd'hui, les grandes entreprises du pays se pressent aux portes des tribunaux de commerce. Neuf des douze faillites les plus importantes de l'histoire américaine ont été annoncées depuis le 11 septembre 2001. Toutes les entreprises concernées ont eu recours aux dispositions du chapitre 11 de la partie du Code de commerce consacrée aux faillites qui autorisent une entreprise à continuer ses opérations tout en se débarrassant d'un certain nombre de créances, notamment celles qui concernent les retraites et un certain nombre d'autres obligations envers le personnel.
Ainsi, au cours des derniers mois, la société Bethlehem Steel a été autorisée par un tribunal de commerce à se débarrasser de toutes ses créances en matière de retraite, présentes ou futures. Les retraités continueront à toucher une pension, mais elle leur sera versée par l'agence fédérale de garantie des prestations de retraites, la Pension Benefits Guarantee Corporation (PBGC) et, dans bien des cas, sera inférieure à ce qu'ils auraient dû toucher. Pire encore : les prestations de la PBGC ne comprennent aucune couverture médicale pour les retraités. La même mésaventure est déjà arrivée aux travailleurs de National Steel, mais dans leur cas, l'histoire ne s'est pas arrêtée là. Deux grands groupes sidérurgiques, A.K. Steel Holdings et U.S. Steel, se sont lancés dans une guerre des enchères pour racheter National Steel. Leurs offres ont finalement atteint le milliard de dollars, mais les deux acheteurs potentiels ont quand même prétendu qu'ils n'avaient pas les moyens d'assurer les retraites des salariés. Ils n'étaient intéressés par la reprise de National Steel que s'ils étaient dégagés de toute responsabilité vis-à-vis de ses retraités, présents ou futurs.
Ce ne sont là que quelques exemples de ce que font aujourd'hui des centaines d'entreprises. Conséquence de cette vague de faillites, la PBGC, qui avait un excédent de huit milliards de dollars au début de 2002, s'est retrouvée en déficit de près de deux milliards de dollars à la fin de l'année. Et à cette date, la PBGC n'avait pas encore pris en charge les retraités des plus grosses entreprises qui s'étaient déclarées en faillite.
Bien sûr, cela fait des années que les entreprises s'en prennent aux retraites, aux salaires et aux conditions de travail, qu'elles augmentent le rythme de la production et qu'elles suppriment des emplois. Mais le présent recours aux faillites et aux tribunaux de commerce marque une nouvelle offensive du patronat contre la classe ouvrière, pas seulement en ce qui concerne les retraites mais dans tous les domaines.
Dans la situation économique actuelle, le tribunal de commerce offre aux entreprises la possibilité de réduire les coûts salariaux en utilisant la menace d'une liquidation définitive, qui enferme les travailleurs dans ce qui apparaît comme une impasse et réduit ainsi les risques d'une riposte ouvrière.
Si les entreprises pensent qu'elles peuvent s'en tirer en agissant de la sorte, c'est avant tout parce que, depuis des années, l'attitude des syndicats les y a encouragées. Depuis les années quatre-vingt, les syndicats ont accepté sacrifice après sacrifice, qu'ils justifiaient en disant qu'il fallait aider les patrons, car il était de l'intérêt des travailleurs que les entreprises prospèrent. Cette idée a acquis une nouvelle force dans les années quatre-vingt-dix, quand les syndicats ont détourné les travailleurs de la lutte pour leurs propres intérêts en leur proposant un " partenariat " avec les patrons. Mais le partenariat, pas plus que les sacrifices volontairement consentis, n'ont protégé les travailleurs. Au cours de ces prétendues " bonnes années ", les travailleurs ont continué à céder du terrain, malgré les énormes profits engrangés par les entreprises grâce aux syndicats qui avaient accepté les sacrifices demandés quelques années plus tôt et qui collaboraient maintenant de façon ouverte avec les patrons. En justifiant les sacrifices demandés par les patrons et en défendant le " partenariat ", les syndicats ont répandu parmi les travailleurs l'illusion qu'ils avaient des intérêts en commun avec les patrons. Cette idée n'est pas seulement inefficace ; elle désarme les travailleurs en les détournant de toute lutte collective pour améliorer leur situation. Et elle encourage les patrons à exiger toujours plus de sacrifices.
L'exemple d'United Airlines est particulièrement significatif, car il montre où cette politique conduit la classe ouvrière : aujourd'hui, le grand patronat se croit autorisé à se débarrasser d'un seul coup d'obligations auxquelles il n'aurait pas osé toucher il y a seulement quelques années. La politique des syndicats a amené la classe ouvrière dans une impasse. Pour en sortir, les travailleurs devront reprendre la lutte pour la défense de leurs propres intérêts sans tenir compte des souhaits des patrons.
"L'actionnariat salarié" : une autre façon de demander des sacrifices aux travailleurs
Il y a dix ans, la société United Airlines clamait déjà qu'elle était en crise après avoir enregistré des pertes pendant trois années consécutives. Pour convaincre les travailleurs de faire des sacrifices concernant les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail, la direction leur proposa deux choses : d'abord, de leur distribuer des actions de l'entreprise pour qu'ils en détiennent, collectivement, plus de la moitié ; puis de mettre fin aux sacrifices au bout de six ans et d'indemniser alors les travailleurs pour les pertes subies. Les sacrifices demandés à l'époque ont été estimés à un total d'environ 4,5 milliards de dollars. Les syndicats ont accepté comme ils continuent à le faire aujourd'hui le chantage patronal. Ainsi, en 1994, l'IAM poussait les travailleurs à accepter une réduction de salaire de 14 %. Les pilotes, eux, acceptaient une réduction de 24 %. Seuls les agents de bord, qui étaient parmi les plus mal payés, ont refusé la baisse de leur salaire.
Ce fameux accord sur l'" actionnariat salarié " se révéla n'être qu'un attrape-nigaud. Comme les employés d'Enron, ceux d'United Airlines n'avaient pas le droit de vendre leurs actions avant un délai de plusieurs années et, pour ce faire, devaient soit avoir atteint l'âge de la retraite, soit quitter l'entreprise. Il n'était d'ailleurs pas prévu que les actions rapportent des dividendes aux salariés actionnaires avant l'année 2000. Il n'était pas non plus prévu que les travailleurs aient une représentation proportionnelle au nombre d'actions détenues : au conseil d'administration, les syndicats ne détenaient que deux sièges sur douze.
Comme la suite allait le montrer, l'" actionnariat salarié " ne protégeait aucunement les travailleurs. Après six années de sacrifices, leurs salaires étaient toujours au même niveau qu'en 1993. Compte tenu de l'inflation, le taux horaire de base d'un mécano, par exemple, représentait en 2001 une perte d'environ 30 % par rapport à 1993. A l'expiration de l'accord, signé pour six ans, la direction n'a fait que des réponses évasives aux syndicats qui demandaient des salaires comparables à ceux des autres compagnies aériennes et le retour à l'ancien régime d'avantages sociaux. Soit dit en passant, le fait qu'United Airlines avait réussi à faire des économies sur ses charges salariales pendant toutes ces années avait aussi pesé sur les salaires pratiqués dans les entreprises concurrentes.
Au cours de l'été 2000, la direction finissait par signer un nouvel accord avec les pilotes, après une négociation très médiatisée au cours de laquelle ceux-ci avaient refusé de faire des heures supplémentaires et semé la pagaille dans le trafic d'United Airlines. Mais quand les mécaniciens ont, à leur tour, refusé de faire des heures supplémentaires, organisé une " grève du zèle " pour toutes les opérations liées à la sécurité et multiplié les congés-maladie, la direction a vite réagi, en multipliant les mises à pied et en se précipitant devant le tribunal pour obtenir un arrêt qui menaçait les ouvriers d'une peine d'emprisonnement s'ils continuaient leur action. Pas question pour elle de revenir sur les concessions faites par les mécaniciens !
La gestion d'une entreprise où existe un " actionnariat salarié " est la même que celle d'une entreprise capitaliste classique. Le fait que les travailleurs aient détenu la majorité du capital ne leur a donné aucun contrôle sur la direction, pas plus que les sommes qu'ils détiennent sous forme d'actions ne font d'eux des capitalistes. Contrairement aux dirigeants de ces entreprises qui ont la possibilité de vendre leurs actions quand le vent tourne, les salariés actionnaires ne peuvent que les conserver, même quand elles n'ont plus aucune valeur. Depuis le 11 septembre, les mécaniciens travaillaient toujours sous le régime de l'ancien contrat et des sacrifices qui y figuraient, alors que le contrat avait expiré depuis 15 mois.
Dans les semaines qui ont suivi le 11 septembre, les compagnies aériennes annonçèrent 140 000 suppressions d'emplois, dont 20 000 à United Airlines. Les garanties inscrites dans les accords d'entreprise, concernant par exemple l'ancienneté ou les classifications, étaient jetées à la poubelle par les patrons du transport aérien qui accusaient les terroristes d'être responsables de tout ce qui arrivait.
Le Congrès s'est aussitôt mis au service des compagnies aériennes qui exigeaient de nouveaux sacrifices des travailleurs. Il a voté une enveloppe de subventions d'un montant total de cinq milliards de dollars et a décidé que l'Etat se porterait garant pour des prêts à hauteur de dix milliards de dollars. Le gouvernement Bush, soutenu par les Républicains et les Démocrates, a alors proposé que les compagnies aériennes qui souhaitaient obtenir des prêts " fassent la preuve des efforts consentis par les détenteurs de titres et autres créanciers, ou par les employés ", reprenant une formulation du président Jimmy Carter à l'époque de l'offensive menée par Chrysler pour imposer des sacrifices à ses employés.
La direction d'United Airlines a rapidement annoncé qu'elle solliciterait une subvention ; puis elle a laissé entendre qu'elle pourrait demander un prêt garanti par l'Etat si la situation économique ne s'améliorait pas. Elle annonçait ainsi son intention de réclamer de nouveaux sacrifices aux travailleurs.
Une hausse très temporaire des salaires en échange d'un maintien des sacrifices imposés aux travailleurs
La direction d'United Airlines avait un gros problème à résoudre. En 1994, elle avait promis au personnel que les sacrifices qu'ils avaient acceptés seraient remboursés. Les travailleurs attendaient de la direction qu'elle tienne sa promesse, et commençaient à s'impatienter. La direction a eu recours à un subterfuge. Début 2002, après avoir fait traîner les choses en longueur pendant plus d'un an et demi, United Airlines acceptait finalement d'augmenter les salaires des mécaniciens comme le lui demandait la commission gouvernementale d'arbitrage mise en place à cet effet. Cette commission, après avoir constaté que les salaires versés par United Airlines étaient de 30 % inférieurs à ceux pratiqués par les autres compagnies aériennes, proposait une augmentation immédiate de 21 % seulement qui devait être suivie en 2003 et 2004 de deux coups de pouce supplémentaires d'un total de 6,7 %. La commission recommandait aussi que seule une partie de l'augmentation soit à effet rétroactif (à la date d'expiration du précédent accord). Elle proposait donc aux travailleurs une augmentation conséquente, mais insuffisante pour rattraper ce qu'ils avaient perdu au fil des ans ou même pour compenser l'inflation.
Mais le plus important, c'était sans doute le piège contenu dans ce contrat. Voici ce qu'écrivait la commission nommée par le gouvernement : " Etant donné la situation où se trouve United Airlines après les attentats du 11 septembre, la commission ne peut recommander un retour aux salaires et avantages sociaux énumérés ci-dessus et appliqués dans les entreprises les plus importantes du secteur, sans une participation correspondante de l'IAM à un programme de redressement financier ". A cette fin, les dirigeants du syndicat signaient une lettre où ils s'engageaient à accepter de nouveaux sacrifices, notamment sur les salaires, si au cours des six premiers mois suivant l'entrée en vigueur du nouveau contrat United Airlines proposait " un programme de redressement destiné à lutter contre les graves problèmes financiers de l'entreprise ou à offrir une alternative raisonnable au dépôt de bilan ".
En d'autres termes, le syndicat acceptait au nom des travailleurs de nouveaux sacrifices avant même que les patrons ne les demandent. En échange, les travailleurs touchaient une augmentation de salaire dont la plus grande partie allait leur être presqu'immédiatement reprise. Plus significatif encore : les futures négociations devaient se dérouler dans le cadre du nouveau contrat et donc sans possibilité légale de recourir à la grève. Autrement dit, la direction demandaient aux travailleurs de se lier eux-mêmes les mains.
C'est pour cette raison que de nombreux travailleurs, et en particulier les mécaniciens, étaient fermement opposés au nouvel accord. Ils étaient aussi en colère parce que l'augmentation proposée n'était pas assortie d'un effet rétroactif plein et entier, et parce qu'ils ne la toucheraient pas immédiatement mais en huit versements étalés sur deux ans avec un premier versement prévu en mars 2003, après plus d'un an d'attente.
Une nouvelle fois, certains mécaniciens ont agité la menace d'un recours en non-représentativité contre l'IAM et évoqué la possibilité de rejoindre un syndicat corporatiste, l'Aircraft Mechanics Fraternal Association (AMFA).
Après avoir sondé les syndiqués, les dirigeants de l'IAM ont fait semblant de s'opposer au nouvel accord quelques jours seulement avant le vote prévu, sous prétexte qu'il leur avait été imposé par la commission d'arbitrage. A la mi-février 2000, le contrat fut rejeté à 68 % par les mécaniciens et les autres syndiqués de l'IAM. Les dirigeants du syndicat sont alors retournés en toute hâte à la table des négociations et ont apporté quelques changements mineurs à l'accord initial : le salaire rétroactif était augmenté (mais ne dépassait pas les 60 % de ce qu'il aurait dû être) et la date du premier versement était avancée de mars 2003 à décembre 2002. Ils ont aussi ajouté une clause disant que les travailleurs seraient consultés sur tout nouveau sacrifice qui leur serait demandé. Mais l'engagement à ne pas faire grève était maintenu.
Cette fois, les dirigeants de l'IAM ont jeté tout leur poids dans la balance afin de faire accepter cet accord, expliquant qu'il était indispensable d'" entériner " l'augmentation de salaire avant que les choses s'aggravent encore dans le transport aérien. L'accord fut finalement ratifié, mais seulement par une majorité de 59 contre 41 %.
L'IAM a ensuite tenté de faire accepter le même accord aux autres catégories de travailleurs qu'il représente à United Airlines. Le dernier de ces accords a été approuvé en avril 2002 et selon l'IAM, les salaires pratiqués à United Airlines étaient alors les " meilleurs de la profession ".
Ironisant à propos de tout ce remue-ménage, Jack Creighton, président-directeur général d'United Airlines, déclarait que ces nouveaux accords constituaient " une étape d'une importance extrême en vue de l'élaboration d'un plan de redressement qui garantisse la satisfaction des besoins de nos passagers, la préservation de l'emploi et le retour à la stabilité financière de l'entreprise ". En effet, le jour même de la signature du dernier accord par l'IAM, la direction convoquait les syndicats pour leur expliquer la nécessité d'un " plan de redressement " c'est-à-dire de nouveaux sacrifices. Les responsables de l'IAM ont boycotté la réunion : ils refusaient, disaient-ils, de discuter de nouveaux sacrifices, mais c'était uniquement parce que les accords qu'ils avaient signés n'avaient pas encore été ratifiés ! Car, comme ils allaient le montrer par la suite, ils étaient tout à fait disposés à revenir sur tout ce qu'ils venaient de négocier et pire encore. Mais chaque chose en son temps, n'est-ce pas ?
United Airlines exige neuf milliards de dollars, les syndicats lui en offrent 5,8
Des articles alarmistes ont alors été publiés dans la presse sur la situation d'United Airlines. En 2001, quand cette société avait envisagé de racheter US Airways et de créer un service de jets privés pour dirigeants d'entreprises, appelé Avolar, elle avait fait valoir sa solidité financière et minimisé ses importantes pertes du premier semestre. Elle parlait maintenant de ces mêmes pertes et du 11 septembre comme d'une catastrophe qui avait fait fondre ses réserves. Au cours de l'été 2002, United Airlines s'est employée à faire connaître la liste de tous ses emprunts qui arrivaient à échéance des emprunts garantis par ses appareils. La direction laissait en fait entendre que si elle ne pouvait pas faire face à ses échéances, ses créanciers saisiraient les avions et ce serait le dépôt de bilan.
Même si United Airlines avait été en aussi mauvaise posture qu'elle le prétendait, c'était absurde. Au printemps 2002, selon les autorités du transport aérien, environ 2 400 avions, soit 11 % de la flotte civile mondiale, étaient remisés dans le désert de Mojave où ils ne rapportaient rien du tout. Les créanciers d'United Airlines n'avaient évidemment aucune intention d'y envoyer ses appareils, mais ce n'est pas ce que les dirigeants syndicaux avaient choisi de dire. Au contraire, ils répétaient les sornettes de la direction sur les échéances des emprunts, ce qui ajoutait encore au climat de crise.
En août 2002, les dirigeants syndicaux étaient convoqués au siège de la compagnie pour la présentation du " plan de redressement ". La direction y demandait de nouveaux sacrifices chiffrés à neuf milliards de dollars sur six ans.
Les dirigeants syndicaux se sont alors empressés de former une coalition des syndicats d'United Airlines, dont le but n'était pas d'organiser la résistance à ce plan scandaleux, mais d'élaborer une contre-proposition. Ils ont défendu l'idée d'un plan de " réduction des coûts salariaux " de cinq milliards sur cinq ans. Un mois plus tard, la coalition syndicale avait déjà accepté de réviser son plan à la hausse et parlait maintenant de 5,8 milliards. Elle présentait sa proposition dans une lettre qui se terminait ainsi : " Notre coalition est sans précédent dans l'histoire du transport aérien ; United Airlines possède les employés les plus dévoués qui soient, ce qui en fait la compagnie la plus solide au monde. Nous ne la laisserons pas tomber "
Une fois encore, les syndicats volaient à la rescousse des patrons au lieu de préparer les travailleurs à la lutte.
Les négociations ont alors été fractionnées et se sont déroulées autour de tables séparées où se discutaient les sacrifices concrets des uns et des autres. Par exemple, le syndicat de pilotes a proposé entre autres une diminution des salaires de 18 % en moyenne ; celui des agents de bord, qui sont parmi les employés les plus mal payés, 3,95 %. Très vite, ces propositions ont été ratifiées.
Quant à l'IAM, qui négociait les accords concernant les mécaniciens, les employés de la restauration, les agents de piste, les bagagistes, les billettistes et autres catégories, elle avait déjà annoncé son intention de proposer une réduction des salaires de 7 %.
Mais la méfiance était grande, en particulier chez les mécaniciens, et elle s'est aggravée quand United Airlines a fait savoir qu'elle accordait au nouveau président directeur-général (le troisième en deux ans) une prime de trois millions de dollars en plus d'un salaire annuel de près d'un million de dollars. L'IAM s'est alors plaint que la direction ne faisait pas " sa part " de sacrifices, à quoi la direction a répondu qu'elle y pensait et qu'elle " étudiait " les moyens d'apporter " sa contribution au plan de redressement ". C'était un nouveau camouflet pour les dirigeants syndicaux.
Il n'était pas du tout certain que les syndiqués accepteraient les sacrifices qui leur étaient demandés.
Les syndicats jouent les employés d'US Airways contre ceux d'United Airlines
A ce moment précis, l'IAM entamait, avec la direction d'US Airways, la septième compagnie aérienne du pays, une deuxième série de négociations. Les syndicats avaient déjà réussi à faire avaler aux travailleurs les conclusions d'une première série de négociations durant l'été. Les pilotes, par exemple, avaient accepté une réduction de salaires de 26 % et les mécaniciens de 8 %. Cette fois, US Airways demandait une dérogation à la réglementation du travail qui lui aurait permis d'externaliser une grande partie du travail fait par des syndiqués de l'IAM ou de réviser le système des classifications afin de réduire les salaires de ceux qui resteraient. L'une de ses exigences, relative à l'assurance maladie souscrite par l'entreprise, était particulièrement révoltante : la direction voulait doubler la part payée par les salariés actifs, faire payer la totalité de la prime d'assurance par les retraités qui souhaitaient continuer à en bénéficier et augmenter pour tous le montant des franchises. Et flairant la " bonne affaire ", US Airways disait que si les Etats-Unis entraient en guerre contre l'Irak, elle appliquerait immédiatement un " report " de 5 % dans le versement des salaires pour une période de dix-huit mois.
Encore une fois, les syndicats ont accédé aux désirs des patrons. Leurs dirigeants ont expliqué qu'après avoir étudié les prévisions patronales, ils en étaient arrivés à la conclusion que de nouvelles négociations étaient nécessaires, même si elles n'étaient pas les bienvenues, car c'était le seul moyen d'éviter qu'US Airways ne soit dépecée par ses créanciers. Les travailleurs ont ratifié les sacrifices qui leur étaient demandés, mais à une majorité bien inférieure qu'à la suite des premières négociations l'un des accords n'étant approuvé que par une majorité de cinq voix. Scotty Ford, président de la section 141-M de l'IAM, déclarait alors : " Nos syndiqués ont accepté de fournir à US Airways les ressources financières dont elle a besoin pour échapper à la faillite et éviter la liquidation judiciaire. Leurs sacrifices et leur dévouement envers ce transporteur aérien méritent d'être salués ".
Ce qui se passait à US Airways ne pouvait qu'encourager United Airlines à demander de nouveaux sacrifices. La presse économique attirait d'ailleurs l'attention des patrons sur les efforts consentis par les travailleurs d'US Airways. Comme l'écrivait le Wall Street Journal du 14 novembre : " Certains analystes doutent que les réductions d'effectifs souhaitées par United Airlines soient assez importantes. Ils pensent même que la commission de stabilisation du transport aérien rejettera les demandes d'aides formulées par le transporteur, car les sacrifices qu'il prévoit ne sont pas à la hauteur des coupes claires effectuées par US Airways ".
United Airlines a alors annoncé son intention de supprimer 9 000 nouveaux emplois. Les dirigeants de l'IAM n'ont rien trouvé de mieux que d'aller dans le sens du chantage patronal, en disant aux travailleurs qu'il y aurait encore plus de suppressions d'emplois s'ils n'acceptaient pas les sacrifices demandés. Scotty Ford, qui avait déjà remercié les travailleurs d'US Airways pour leurs sacrifices, lançait cet avertissement à ceux d'United Airlines, avant de leur présenter les nouveaux sacrifices demandés par leur direction : " United Airlines tente aujourd'hui de remonter la pente après le 11 septembre dans un contexte marqué par un recul général du transport aérien ". Et Randy Canale, président de la secion 141 du syndicat, avertissait à son tour : " Trop de compagnies aériennes ont fait faillite et ont disparu. Trop de travailleurs de l'aviation ont vu leur carrière et leur vie de famille brisées ". Puis, après le bâton, la carotte : " Malgré les obstacles et une situation économique sans précédent, je suis persuadé que nos plus belles années sont encore devant nous ".
Fin novembre, deux des trois sections syndicales de l'IAM ratifiaient ces sacrifices, mais à une très faible majorité chez les agents de piste. Les mécaniciens, eux, refusaient l'accord.
Ils ont été immédiatement dénoncés par les dirigeants syndicaux. Dans une lettre adressée aux travailleurs, Canale déclarait : " Il est malheureux que certains membres du personnel d'United Airlines continuent à remettre en cause la nécessité d'une participation au plan de redressement. Aujourd'hui, la situation a encore empiré et je m'interroge sur les mobiles et les calculs qui ont présidé à une telle décision ". Il dénonçait ceux qui s'opposaient à la première mouture des accords " dans le seul but de faire prévaloir leurs intérêts de boutique ".
Les dirigeants des autres sections syndicales condamnaient ce qu'ils appelaient l'" égoïsme " des mécaniciens et les dirigeants de l'IAM prédisaient que si les mécaniciens n'acceptaient pas les sacrifices demandés, tout le monde se retrouverait à la rue. Pour obliger les mécaniciens à céder, les bureaucrates syndicaux ont eu recours à tout l'arsenal des coups tordus : menaces, pressions, calomnies, tout en essayant de dresser les autres travailleurs contre eux.
Les dirigeants de l'IAM ont vite repris contact avec la direction pour mettre au point une nouvelle version de l'accord et ont annoncé un nouveau vote le 6 décembre. L'IAM n'a fait aucun effort pour prétendre que cet accord était meilleur que le précédent : " Il a été dit dans la presse que les objectifs financiers et les ambitions d'United Airlines n'avaient pas changé [depuis le premier accord]. C'est vrai, la direction a besoin des mêmes réductions de coûts de la part des mécaniciens et assimilés afin d'éviter la banqueroute ". Ils n'ont pas non plus prétendu qu'il n'y aurait pas de nouvelles suppressions d'emplois. Ils se sont contentés de dire : " Les travailleurs ne sont pas responsables des problèmes actuels, mais nous avons besoin des efforts de chaque employé d'United Airlines pour sauver l'entreprise de la faillite ".
Mais avant même que le vote ait lieu, les tribunaux allaient intervenir pour aider la direction d'United Airlines à imposer sa volonté.
Une commission gouvernementale à la rescousse d'United Airlines
Le 4 décembre, l'Air Transportation Stabilization Board (ATSB, commission de stabilisation du transport aérien), créée pour superviser le plan de sauvetage des compagnies aériennes, refusait la demande de prêt garanti formulée par United Airlines pour deux raisons : les dettes de la compagnie nécessitaient une réduction plus importante des charges salariales ; et le sous-financement de son système de retraites exigeait qu'une " solution " soit trouvée à ce problème. En d'autres termes, la commission donnait à United Airlines un nouveau prétexte pour exiger encore plus de sacrifices de la part de son personnel. Etant donné l'attitude des dirigeants syndicaux jusque-là, la commission et la direction d'United Airlines avaient toutes les raisons de penser que les travailleurs finiraient par accepter ce nouveau chantage.
Cinq jours plus tard, United Airlines passait sous le régime défini par le chapitre 11 du titre du Code de commerce qui traite des faillites. Ce texte autorise une entreprise à continuer ses opérations et à disposer ainsi du temps nécessaire pour régler une partie de ses créances, quitte à se désengager d'un certain nombre d'obligations, notamment les accords salariaux.
Trois jours plus tard, le 12 décembre, la compagnie présentait aux syndicats une nouvelle liste de demandes, assortie de sacrifices encore plus importants.
Comment ont réagi les syndicats ? Ils ont volé au secours de " leur " entreprise, après avoir dénoncé l'ATSB et le gouvernement Bush pour avoir refusé de garantir les emprunts d'United Airlines, et accusé les autres compagnies d'être intervenues dans cette affaire. Le président de l'Association of Flight Attendants (AFA, association des agents de bord) a fait une déclaration condamnant " la collusion, contraire à toute éthique, entre l'ATSB et certaines compagnies aériennes qui ont tout à gagner à la disparition d'United Airlines. Les mois qui viennent seront difficiles et éprouvants pour les agents de bord. Mais nous sommes décidés à maintenir l'entente sans précédent qui unit les employés et la direction ; elle sera nécessaire pour tirer United Airlines de ce mauvais pas et l'accompagner dans sa restructuration. Cela implique des accords revus à la baisse et des moments difficiles à vivre pour nos familles. Mais nous relèverons le défi avec courage Nous referons d'United Airlines la première compagnie aérienne du monde... Ceux qui doutent de nous ont tort. Ils ne pourront pas faire concurrence à la nouvelle United Airlines ".
Tous les dirigeants syndicaux tenaient le même langage et demandaient aux travailleurs de se ranger derrière la direction pour défendre United Airlines contre la concurrence. C'était pour eux une autre façon de montrer leur capacité à aider les patrons à obtenir toujours plus de sacrifices de la part des travailleurs.
Pour sa part, le président de l'Air Line Pilots Association (ALPA, association des pilotes de ligne) a évoqué à nouveau le spectre du 11 septembre : " Aujourd'hui, notre industrie est à nouveau frappée de plein fouet, car l'un de ses fleurons a été contraint d'invoquer le chapitre 11. Les pilotes de tout le pays sont tristes, déçus et révoltés qu'une compagnie aussi prestigieuse qu'United Airlines, dont les avions ont été utilisés symboliquement par les terroristes pour leurs destructions massives, soit aujourd'hui en faillite. Cela me peine profondément de devoir admettre aujourd'hui que les terroristes ont remporté une nouvelle victoire, et que le gouvernement n'a rien fait pour les en empêcher."
Le 15 décembre, United Airlines annonçait que ses créanciers, parmi les plus grandes banques du pays, exigeaient de la compagnie qu'elle obtienne un engagement des travailleurs sur les sacrifices demandés. Sinon, affirmait la direction, les banques menaçaient de lui retirer tout crédit.
Les syndicats sont aussitôt accourus à la rescousse et ont proposé de faire tout ce qui était " nécessaire " pour sortir de cette nouvelle crise. Mais, comme la direction et ses banquiers le leur ont fait remarquer, le problème n'était pas de faire le " nécessaire " mais de savoir précisément ce que les travailleurs étaient prêts à accepter. La façon dont les syndicats faisaient pression sur le personnel a sans doute encouragé la direction à demander encore plus de sacrifices. L'ALPA, le syndicat des pilotes, a déclaré qu'il était prêt à défendre l'idée d'une diminution des salaires de 29 % (au lieu de 18 %) ; l'AFA, le syndicat des agents de bord, proposait une réduction de 9 % (au lieu de 3,95 %). Mais les dirigeants de l'IAM devaient tenir compte de la forte colère de leurs syndiqués et du refus par les mécaniciens même de la baisse de salaire de 7 %.
United Airlines a alors annoncé son intention de déposer une requête devant le tribunal de commerce, lui demandant d'annuler tous les accords passés avec les syndicats. La requête était déposée le 27 décembre dernier, accompagnée d'une seconde réclamation, demandant au juge d'imposer aux syndiqués de l'IAM une baisse des salaires de 13 % à compter du 1er janvier. Les dirigeants de l'IAM ont alors déclaré qu'ils étaient prêts à renégocier toutes les demandes justifiées de la direction, mais qu'il ne fallait pas imposer ce genre de sacrifices par voie de justice.
Comme il a été dit au début du présent article, le tribunal a examiné les requêtes le 10 janvier. Il a imposé une baisse des salaires de 13 % aux syndiqués de l'IAM et a approuvé la proposition des syndicats d'ouvrir une négociation sur des réductions de salaire supplémentaires. Il a aussi reporté à une date ultérieure l'audience sur l'autre requête, celle qui demandait l'annulation des accords conclus avec les syndicats, donnant ainsi à la direction d'United Airlines une arme pour obtenir encore plus de sacrifices des travailleurs.
United Airlines exige toujours plus de sacrifices
Les patrons d'United Airlines se sont servis de la menace que représentait cette audience, fixée au 15 mars, pour réclamer une nouvelle diminution annuelle de la masse salariale de 2,4 milliards de dollars par an pendant six ans, soit un total de 14,4 milliards.
Deux jours après l'audience du 10 janvier, la direction présentait ses exigences concrètes à tous les syndicats. Les salaires, qui avaient déjà subi des réductions importantes, seraient gelés pour une période de deux ans, puis seraient augmentés de 1,5 % par an pendant quatre ans si tout allait bien, évidemment. D'autre part, les travailleurs perdraient le bénéfice de deux jours fériés par an ; cinq de leurs jours de congés ne seraient plus payés ; ils devraient utiliser leurs congés payés pour compenser, le cas échéant, les jours non payés de congé-maladie ou de congé pour raisons familiales. La caisse d'assurance maladie de l'entreprise allait réviser ses prestations à la baisse et les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles seraient dorénavant indemnisées par cette caisse, ce qui réduirait d'autant les sommes disponibles pour les autres maladies et accidents. Les travailleurs devraient payer 20 % des primes de l'assurance maladie, soins dentaires, etc., et la franchise pour tous ces soins serait plus ou moins doublée, selon les cas. Les retraites seraient réduites de 20 % et plus encore pour ceux qui feraient valoir leur droit à la retraite avant 62 ans (60 ans pour les pilotes). Les retraités ayant atteint un âge leur ouvrant droit au système fédéral de couverture médicale (Medicare) devraient payer la totalité de leur prime d'assurance maladie s'ils souhaitaient en conserver le bénéfice. Le montant des indemnités de licenciement ne pouvait pas dépasser l'équivalent de huit semaines de salaire, au lieu de douze précédemment. Quant à la promesse faite au même moment par United Airlines de " récompenser " tous ces sacrifices en créant une caisse de retraite par capitalisation de type 401(k), alimentée avec des actions de l'entreprise, il ne pouvait s'agir que d'une mauvaise blague, étant donné les sommes qu'avaient déjà perdues les travailleurs qui possédaient des actions United Airlines.
Venaient ensuite les sacrifices spécifiques demandés à telle ou telle catégorie de travailleurs. Concernant les mécaniciens et les autres syndiqués de l'IAM, la direction souhaitait, entre autres choses, créer une nouvelle grille de salaires, avec des salaires plus bas à certains postes ; externaliser à volonté tout le travail qui pourrait être fait à moindre coût par une entreprise extérieure ; supprimer ou diminuer les primes liées à la qualification, l'ancienneté ou au travail en équipe ; supprimer la réglementation qui empêchait dans certains cas les licenciements ; et mettre fin à la plupart des restrictions imposées à l'embauche de travailleurs à temps partiel. Aux pilotes et aux agents de bord, United Airlines expliquait qu'elle voulait confier une grande partie de leur travail à des compagnies à " bas coût " qu'elle était en train de créer et qui les embaucheraient éventuellement mais à des salaires inférieurs et avec des avantages sociaux moindres. Evidemment.
Comment une entreprise telle qu'United Airlines a-t-elle pu se permettre de faire de telles propositions ? Elle restait la deuxième compagnie aérienne du pays et avait accumulé des profits énormes pendant des années, versant 7,3 milliards de dollars de bénéfices à ses actionnaires entre 1994 et 2000. Et même si elle affirmait être déficitaire en 2001, elle était suffisamment riche pour avoir proposé de racheter US Airlines au prix de 4,3 milliards de dollars. La transaction ne s'était pas faite parce que le gouvernement refusa de donner son accord ; il craignait qu'United Airlines n'acquière ainsi un monopole sur une bonne partie du marché. Quant à la création d'Avolar, elle avait coûté près de 100 millions de dollars à United Airlines qui avait commencé à se constituer une flotte de jets de luxe pour hommes d'affaires. La même année, United Airlines avait versé 1,5 million de dollars en salaire et en primes à son président-directeur général, James Goodwin, qui était parti très opportunément, alors que les choses commençaient à se gâter, avec une indemnité de " fin de contrat " de 5,7 millions de dollars. De 1999 à 2001 seulement, les quatre dirigeants les mieux payés d'United Airlines avaient touché plus de 20 millions de dollars. Et en 2002, comme cela a été dit plus haut, alors que la direction cherchait par tous les moyens à imposer des sacrifices aux travailleurs, elle annonçait le versement de quatre millions de dollars à son président-directeur général. Même si United Airlines avait vraiment été déficitaire au cours de la dernière période, elle pouvait difficilement prétendre être sur la paille. Elle contrôle 20 % de tout le trafic aérien des Etats-Unis ; dispose de plate-formes à Chicago, Denver, San Francisco, Los Angeles et Washington ; assure de nombreuses liaisons aériennes avec des villes importantes d'Europe et d'Asie ; et possède des accords qui lui permettent de connecter ses vols à l'ensemble des destinations de l'Amérique latine.
Comment une entreprise de cette taille a-t-elle osé demander de tels sacrifices à ses employés - sinon en s'appuyant sur les positions prises jusqu'à ce jour par les dirigeants des syndicats ? Chacun de leurs reculs a encouragé les patrons à demander toujours plus de sacrifices. Ce qui est en question ici, ce n'est pas la situation financière de l'entreprise, mais l'empressement des dirigeants syndicaux à faire passer les intérêts de l'entreprise avant ceux des travailleurs.
Des sacrifices répartis "équitablement" entre tous les travailleurs restent des sacrifices
On trouve le même empressement chez tous les dirigeants syndicaux sans exception, y compris parmi les dirigeants de l'IAM, qui représentaient pourtant les travailleurs les plus hostiles aux demandes de sacrifices faites par les patrons. Leur attitude n'en est que plus condamnable. Un court instant, ils ont fait semblant de s'opposer à la direction, mais d'une manière qui n'ouvrait aucune perspective aux travailleurs. En refusant de les encourager à se battre, ils les poussaient en réalité à se soumettre.
Il suffit pour s'en convaincre d'écouter ce que disaient les dirigeants de l'IAM après l'arrêt du tribunal imposant les réductions de salaire qu'ils avaient prétendu combattre : " Si l'IAM s'est opposé aux réductions de salaire que le tribunal vient aujourd'hui d'imposer, c'est en partie à cause de l'impact négatif d'une telle mesure sur les retraites des employés. A notre avis, c'était une décision injuste et inéquitable, car le même effort n'était pas exigé des autres catégories de personnel ". Les dirigeants syndicaux s'inquiétaient vraiment à tort : la direction a aussitôt demandé que les retraites de l'ensemble du personnel subissent la même réduction afin que les sacrifices soient " équitablement " répartis.
Après cette écoeurante parodie de " protestation ", les dirigeants de l'IAM ont expliqué qu'il fallait faire encore d'autres sacrifices : " Il ne faut pas se faire d'illusion. La survie d'United Airlines et de nos accords dépend des présentes négociations. Soyez assurés que les sacrifices que nous soumettrons à votre appréciation, à vos commentaires et à vos votes à la fin des négociations seront des sacrifices équitables et nécessaires à la survie de l'entreprise. "
La compagnie, soutenue par le gouvernement, les tribunaux et les grandes banques, fait le chantage suivant aux travailleurs : donnez-nous tout ce que nous demandons, y compris la suppression d'une bonne partie de vos emplois, la réduction de votre niveau de vie et de vos avantages sociaux, ou alors ce sont les tribunaux qui annuleront les accords et nous obtiendrons ce que nous voulons de toute manière.
Quand US Airways avait demandé une première série de sacrifices, l'IAM s'était justifiée de la façon suivante : " US Airways s'est engagée, si ses propositions sont approuvées par les syndiqués, à ne pas demander d'autre réduction de sa masse salariale devant le tribunal de commerce. Mais la direction a précisé que si ses propositions étaient rejetées, elle demanderait au tribunal de commerce de modifier ou d'annuler l'accord d'entreprise existant. Dans ce cas, ses exigences seraient supérieures à ce qu'elle demande aujourd'hui ". Comme les faits l'ont montré, ni US Airways ni United Airlines ne se sont privées de demander encore plus de sacrifices que " ce qui était contenu dans [leurs] premières propositions ".
En réalité, les travailleurs qui acceptent volontairement de faire des sacrifices non seulement accordent à la direction ce qu'elle demande mais, en acceptant son chantage, s'inclinent devant leur adversaire et l'encouragent à exiger toujours plus.
Il n'y a qu'une seule façon d'échapper à ce piège et cela consiste à organiser la lutte pour défendre les emplois, les salaires et les avantages sociaux. Mais c'est exactement ce que la direction de l'IAM n'a pas fait dans cette affaire sans parler des autres syndicats.
D'US Airways à United Airlines, en passant par American Airlines, Delta Airlines, et toute la classe ouvrière
Selon le Wall Street Journal, quand United Airlines a annoncé son intention de déposer son bilan devant le tribunal de commerce, un représentant d'American Airlines a déclaré : " United Airlines est notre principal concurrent. Si ses coûts deviennent inférieurs aux nôtres de façon significative, cela nous contraindra à accélérer à notre tour la réduction de nos coûts ". Soulignant qu'American Airlines avait l'intention de s'orienter vers une réduction plus importante de ses effectifs et d'augmenter la charge de travail de ceux qui resteraient, le vice-président chargé des relations avec le personnel a dit : " Nous ne pouvons payer deux employés pour faire le travail d'un seul ". Il aurait été plus franc de dire que ce qu'il voulait, c'est qu'un employé fasse le travail de deux ! La direction d'American Airlines a aussi affirmé qu'elle " demanderait " aux employés de renoncer aux augmentations de salaire prévues cette année. Puis, le 21 janvier dernier, elle annonçait qu'elle demandait aux syndicats d'approuver des sacrifices se montant à deux milliards de dollars par an comme à United Airlines.
Simultanément, un porte-parole de Delta Airlines expliquait qu'une réduction des salaires n'était pas à l'ordre du jour de la direction de cette compagnie, mais qu'elle ne pouvait " être entièrement écartée ". Seule une petite partie du personnel de Delta Airlines est syndiquée. Les manoeuvres de la direction y prennent donc d'autres formes, mais le but recherché aujourd'hui par la direction est le même qu'ailleurs : imposer aux travailleurs un salaire inférieur et une aggravation des conditions de travail, ainsi que des suppressions d'emplois encore plus importantes que ce qui était prévu.
Les attaques des patrons se sont concentrées jusqu'ici sur les employés des compagnies aériennes. Après tout, le 11 septembre leur fournissait un prétexte rêvé pour ce faire. Mais si les travailleurs de ce secteur continuent à accepter volontairement des sacrifices, les patrons vont bientôt s'en prendre au reste de la classe ouvrière. C'est d'ailleurs déjà en partie le cas.
Cela s'est déjà produit dans les années quatre-vingt, quand les sacrifices demandés initialement aux travailleurs de Chrysler, sous prétexte que l'entreprise était menacée de faillite, ont progressivement été étendus à Ford et à General Motors, qui ne pouvaient prétendre être menacés par la banqueroute, puis au reste de la classe ouvrière. Le problème d'alors n'était pas la santé économique de ces entreprises, comme l'a montré Chrysler qui a vite renoué avec les profits. Le problème était de savoir si les travailleurs pouvaient être amenés à accepter des sacrifices afin de garantir des profits accrus aux actionnaires. Les dirigeants syndicaux ont joué un rôle-clé dans la débâcle du mouvement ouvrier de cette époque. La plupart d'entre eux se sont en effet empressés de convaincre les travailleurs de la nécessité des sacrifices. Il y eut des exceptions, bien sûr. Mais le soutien de la plupart des dirigeants syndicaux permit aux patrons d'imposer rapidement les sacrifices qu'ils souhaitaient à l'ensemble des travailleurs, syndiqués ou non.
La classe ouvrière se retrouve aujourd'hui dans la même impasse. Cette situation est rendue possible par l'idée que les travailleurs et les patrons ont des intérêts communs, une idée qui est ouvertement défendue par les syndicats depuis l'époque des sacrifices imposés par Chrysler.
Les travailleurs doivent sortir de ce piège !
Aujourd'hui, les patrons donnent l'impression d'avoir toutes les cartes en main.
C'est faux, évidemment. Les travailleurs n'ont tout simplement pas joué une seule de leurs cartes.
Il faut commencer par refuser le chantage, par faire la sourde oreille aux patrons qui pleurent et qui prétendent perdre de l'argent.
Pourquoi les travailleurs devraient-ils croire ce que leur racontent les patrons ? Les patrons mentent, nous le savons. Il n'y aucune raison de les croire quand ils disent qu'ils vont à la ruine. Et même si c'était vrai, cela ne change rien à rien. Notre seule façon de nous protéger c'est de lutter contre les anciennes directions qui nous mentent, contre celles qui prennent la suite en cas de banqueroute ou contre les banques qui essayent de liquider l'entreprise.
Des compagnies comme US Airways et United Airlines sont soutenues par des banques qui sont immensément riches et par d'énormes intérêts financiers. Ces compagnies et leurs bailleurs de fonds peuvent être contraints de mettre la main à la poche, mais uniquement si les travailleurs entrent en lutte.
Si les employés des compagnies aériennes entraient en lutte, ils redonneraient confiance aux autres travailleurs qui sont confrontés aux mêmes problèmes et subissent les mêmes attaques de la part de leurs patrons.
Il est absolument vital que les travailleurs combatifs, les militants syndicaux et tous ceux qui sont prêts à en découdre résistent à cette nouvelle série d'attaques du patronat. Et ceux qui sont aujourd'hui prêts à lutter doivent préparer le reste de la classe ouvrière à en faire autant.
La classe ouvrière a déjà accepté trop de sacrifices.
Ca suffit !
27 janvier 2003 Class Struggle, n° 38 - Janvier-Mars 2003