L'année 1993 a été marquée par le retour sans surprise de la droite au gouvernement. Le Parti Socialiste - usé par deux législatures (séparées par l'entracte de la première cohabitation, de 1986 à 1988) au cours desquelles il a présidé à une augmentation considérable du chômage, à des vagues de licenciements, à des attaques incessantes contre le niveau de vie des travailleurs et le système de protection sociale - a vu une grande partie de son électorat se détourner de lui.
Ce recul en voix, amplifié par une loi électorale à laquelle les différents gouvernements socialistes qui se sont succédé depuis 1988 n'ont pas voulu toucher, a abouti à un véritable désastre pour la représentation parlementaire du PS, réduite à la portion congrue. Mais si le bloc RPR-UDF dispose à la suite de ces élections d'une majorité plus que confortable à la Chambre, son succès en mars 1993 a cependant été moins complet qu'il pourrait y paraître.
La droite classique a en effet peu progressé en voix, et son succès a été dû plus à l'effondrement du PS qu'à ses propres succès. Elle est toujours confrontée aux problèmes que lui posent ses divisions internes, et surtout l'existence, avec le Front National, d'une extrême droite représentant depuis maintenant près de dix ans entre 10 et 15 % des voix selon les scrutins.
Même si la coalition formée par Les Verts et Génération écologie, n'a pas atteint les scores que lui prédisaient les sondages, et en particulier n'a pas réussi à avoir de représentation parlementaire, c'est elle qui a le plus profité des voix perdues par le PS.
Pour la classe ouvrière, le retour de la droite aux affaires ne changera rien de fondamental, dans la mesure où celle-ci ne pourra guère mener une politique plus opposée aux intérêts des travailleurs que ne l'ont fait les différents gouvernements à direction "socialiste" qui se sont succédé depuis 1981. Mais bien évidemment, sans réaction de sa part, la véritable guerre de classe menée par la bourgeoisie et son État pour diminuer la part de la classe ouvrière dans le partage du revenu national ne peut que se poursuivre, avec toutes les conséquences que cela pourra avoir sur le niveau de vie de la population laborieuse.
En outre, la permanence de la concurrence exercée par le Front National ne peut qu'amener la droite classique à essayer de pêcher des voix dans les eaux troubles de la lutte "contre l'immigration sauvage", c'est-à-dire de la xénophobie et du racisme honteux (tentation à laquelle les partis dits de gauche n'avaient d'ailleurs pas échappé). Et bien évidemment, pour la fraction immigrée de la classe ouvrière, cela ne peut signifier qu'une recrudescence des brimades, des vexations policières et de l'exploitation.
Les institutions étant ce qu'elles sont, cette droite classique n'avait guère d'autre choix que d'accepter une nouvelle fois la "cohabitation" avec Mitterrand. Mais c'est en désespoir de cause, car dans les deux ans qui vont s'écouler entre les législatives de 1993 et les présidentielles de 1995, l'aggravation probable du chômage, les conséquences de la récession en cours sur les revenus, non seulement des travailleurs, mais aussi éventuellement de la petite bourgeoisie, risquent de la mettre en mauvaise position pour la course à l'Élysée.
En dépit de sa lourde défaite électorale de mars, le PS n'est donc pas écarté de toute possibilité de victoire aux élections présidentielles de 1995. D'autant que les quelques élections partielles qui se sont déroulées depuis mars, pour autant que l'on puisse en tirer des conclusions, montrent plus un retour à la bipolarisation traditionnelle qu'une accentuation de l'éclatement de l'électorat qui avait marqué le scrutin de mars dernier.
La classe ouvrière a certes fait une expérience prolongée de la social-démocratie au gouvernement, qui ne lui a apporté que déceptions et désillusions. Mais elle ne s'est pas radicalisée pour autant. Le Parti Communiste Français, après avoir perdu la moitié de ses voix, a certes réussi à stabiliser ses résultats. L'extrême gauche - du moins notre courant - a réussi à conserver son petit électorat, mais sans progresser. Pour beaucoup de travailleurs, la politique du Parti Socialiste, pour décevante qu'elle ait été, apparaît plus comme la conséquence d'une impossibilité de mener une politique différente face à la crise, que comme une défense délibérée des intérêts des possédants. Et deux ans d'arrogance de la droite au gouvernement pourraient bien leur faire retrouver le chemin des urnes en 1995, au profit du candidat du PS.
C'est avec les présidentielles en perspective que tous les partis se préparent aux prochaines élections européennes de juin 1994, la responsabilité de tête de liste pouvant, selon les résultats, constituer un véritable tremplin, ou amener à un échec individuel invalidant pour l'avenir. Ce sont ces calculs politiciens qui expliquent, dans la majorité actuelle, les attitudes hésitantes des Chirac, Balladur, Giscard, Seguin et Cie, quant à l'opportunité d'une liste RPR-UDF commune dans ces élections, et quant au choix de la ou des têtes de listes. Du côté du PS, l'apparente unité retrouvée derrière Rocard ne signifie pas que toutes les cartes y soient déjà jouées, d'autres ambitions pouvant encore se dévoiler d'ici-là. Quant au PCF, qui n'a pas encore désigné de successeur à Georges Marchais, il ne peut attendre tout au plus des prochaines élections européennes que la manifestation d'un rapport de force peut-être un peu plus favorable, dans le cadre d'une stratégie qui - quel que soit le nom dont l'affublent ses promoteurs - ne peut être qu'une nouvelle mouture de l'Union de la gauche.
Mais quel que soit le résultat des prochaines consultations électorales, ce qui caractérise la situation actuelle c'est le retour en force à tous les niveaux des idées réactionnaires, dû non seulement aux conséquences de la crise sur le moral des travailleurs, et aux désillusions apportées par dix ans de gestion "socialiste" (dont trois avec la participation du PCF), mais aussi à l'éclatement de l'URSS, aux changements intervenus en Europe de l'Est depuis 1989, et à la faillite autoproclamée du "communisme" dans sa version stalinienne. La classe ouvrière n'a cependant pas dit son dernier mot, et les hommes politiques de la bourgeoisie craignent ses réactions possibles, comme l'a prouvé la véritable panique du gouvernement, craignant l'extension du mouvement, lors de la grève d'Air France d'octobre dernier.
C'est donc le terrain des luttes sociales qui sera le plus déterminant pour l'avenir. Les révolutionnaires doivent tenter d'y jouer un rôle dirigeant. Bien que, dans les conditions actuelles, les possibilités de débordement des appareils syndicaux soient extrêmement restreintes, et que les possibilités d'intervention pour des militants révolutionnaires soient de ce fait limitées, l'avenir n'est jamais écrit et, on l'a vu à Air France, la maladresse (ou l'arrogance) du patronat et de son État peut à tout moment provoquer une réaction de colère des travailleurs qui, dans ce cas, fut à deux doigts de déborder réellement les appareils syndicaux, en entraînant d'ailleurs les militants les plus honnêtes.
Dans le domaine politique nous devrons montrer à tous ceux pour qui les mots socialisme et communisme signifient encore quelque chose (même s'ils n'y mettent pas exactement le même contenu que nous), malgré tous les discours sur la mort des "idéologies", que nous sommes un courant qui se revendique fièrement du communisme. Ce fut le sens de notre campagne d'affichage et de meetings de l'automne. Et ce devra être, si les circonstances politiques demeurent ce qu'elles sont, l'axe de notre participation aux élections européennes de 1994.
30 octobre 1993