Dans la vie politique française, l'année 1995 aura été dominée par l'élection présidentielle, de la longue campagne qui l'a précédée aux péripéties de la mise en place de l'équipe Chirac-Juppé.
Cette élection s'est soldée par une victoire - prévisible - de la droite, et le fait que ce soit Chirac plutôt que Balladur qui ait vu s'ouvrir devant lui les portes de l'Élysée n'a en soi aucune importance.
Cette victoire électorale de la droite ne lui a d'ailleurs pas rendu sa cohésion interne, mise à mal par une campagne qui a vu une petite guerre gaullo-gaulliste se superposer aux rivalités classiques RPR-UDF. Et ce n'est évidemment pas la perte rapide de popularité de la nouvelle équipe dirigeante, telle qu'elle apparaît dans les sondages, qui pourra renforcer cette cohésion. Malgré les sempiternelles références des uns et des autres au "gaullisme", la vie politique française ressemble de moins en moins à ce qu'elle était au temps où de Gaulle gouvernait en Bonaparte (essentiellement de 1958 à 1962), et de plus en plus aux mœurs de la Quatrième République.
Plus inquiétant, du point de vue de la classe ouvrière, est le score réalisé par le leader du Front National. En fait, celui-ci ne progresse guère globalement, par rapport à l'élection présidentielle de 1988, car s'il a enregistré des gains importants dans certaines localités, il a reculé ailleurs. La démoralisation actuelle des travailleurs se traduit cependant dans le fait que le Front National a augmenté globalement son influence électorale en milieu ouvrier. Et de toute façon, le fait qu'une fraction importante de la population (y compris dans les milieux populaires) vote régulièrement pour l'extrême droite, que la fidélisation de cet électorat ait, pour la première fois cette année, permis au Front National de s'emparer de mairies de grandes villes (sans être pour autant majoritaire, mais du fait de la loi électorale), renforce le poids politique de cette formation dans le pays, lui donne plus de moyens de peser sur la politique de la droite classique.
Si Le Pen a fait de la xénophobie et de l'insinuation raciste son fonds de commerce électoral, il n'a certes pas fait campagne sur la base d'un programme ouvertement fasciste et, pour le moment, il se contente de jouer le jeu des institutions. Mais dans la perspective d'une aggravation, ou même d'une simple pérennisation de la crise, les hommes de l'extrême droite et surtout la bourgeoisie pourraient faire d'autres choix, et le Front National constitue de ce point de vue une menace latente mais d'importance pour la classe ouvrière.
La période qui a précédé l'élection présidentielle a été marquée par un certain nombre de conflits sociaux dont certains, tels celui des marins pêcheurs, la lutte des travailleurs d'Air-France, le mouvement des étudiants contre le CIP, les manifestations contre le projet de lever les limitations au financement des établissements d'enseignement privé par les municipalités, ont eu une importance nationale.
Face à ces diverses réactions de mécontentement, la politique du gouvernement Balladur a consisté à faire momentanément machine arrière, sans rien concéder d'essentiel pour la bourgeoisie et le patronat.
Dans les entreprises, en plus des luttes défensives contre les licenciements, auxquelles on a assisté tout au long de ces dernières années, se sont aussi déroulés durant la même période, et pendant toute la durée de la campagne électorale, des mouvements grévistes ayant comme objectif des augmentations générales des salaires, uniformes, revendiquant le plus souvent entre 1000 et 1500 Francs par mois. Contrairement à ce qui est souvent arrivé dans le passé en pareille situation, l'approche du scrutin n'a pas mis fin à ces conflits.
Les confédérations syndicales réformistes ont presque toujours été à l'origine de ces mouvements, et ceux-ci ne sont jamais - quelle qu'ait été l'intervention des militants révolutionnaires - sortis des cadres que ces directions pouvaient accepter.
Cependant, la façon dont les travailleurs ont répondu aux appels syndicaux lancés à l'occasion des négociations salariales annuelles reflétait le fait qu'au moins une fraction de la classe ouvrière ne cédait plus devant le chantage commun aux patrons et aux gouvernants, qui prétendent qu'il faut sacrifier les salaires pour pouvoir mener une politique favorable à l'emploi. Elle montrait aussi que les travailleurs n'avaient guère d'illusions sur ce qui pouvait sortir des urnes, puisqu'ils préféraient demander à la lutte revendicative une amélioration de leur sort.
La période qui a immédiatement suivi la campagne électorale, comme la rentrée sociale de septembre, ont vu une retombée des conflits sociaux de ce type. Il faut noter cependant que le mouvement des fonctionnaires du début octobre a été vu avec sympathie par la plus grande partie du monde du travail et qu'il a connu un succès certain.
La période actuelle reste dominée par une démoralisation de la classe ouvrière, qui est la conséquence de la crise et du chômage d'une part, et des désillusions dues à la politique menée par la gauche au gouvernement de 1981 à 1986 et de 1988 à 1993 d'autre part.
$$s30 octobre 1995