Même si leur succès a été éclipsé par les violences policières qui ont entraîné la mort d'un manifestant et causé de très nombreux blessés, ainsi que par les polémiques et les enquêtes qui ont suivi, les manifestations contre la tenue du sommet du G8 à Gênes, du 19 au 22 juillet, n'en ont pas moins rassemblé un grand nombre de participants. Les chiffres de 200 000 à 300 000 personnes ont été évoqués, la plupart des manifestants venant bien sûr d'Italie même.
De plus, à peine un mois après l'installation du gouvernement Berlusconi, bien des militants ou sympathisants de gauche ont sans doute voulu saisir cette occasion de se retrouver nombreux dans la rue pour un rassemblement qui, du coup, prenait l'aspect d'une grande manifestation contre Berlusconi et son gouvernement. De même, au lendemain de ces manifestations, l'importance des manifestations de protestation contre les violences policières a témoigné de l'émotion suscitée par ce déchaînement de brutalité.
Après Gênes, les organisations qui en ont été à l'initiative, regroupées au sein d'un "forum social italien", coordination qui a succédé au "Genoa social forum" (forum social de Gênes), appellent donc à de nouvelles protestations contre les diverses réunions d'organisations internationales prévues dans le pays dans les prochains mois. Les partis de gauche italiens se joignent à ce "forum social". En même temps, tous dénoncent l'action de la police de Berlusconi, en l'attribuant souvent à l'influence des ministres d'extrême droite présents dans le gouvernement.
Qu'il s'agisse donc de protester contre la "mondialisation" ou contre le gouvernement Berlusconi, on peut s'attendre à de nouvelles manifestations. Mais on peut se demander avec quels objectifs, et surtout dans quelle mesure ces objectifs peuvent correspondre aux intérêts de la classe ouvrière.
La lutte contre la "mondialisation"
Les brutalités policières, les polémiques sur les violences et sur l'attitude de la police, ont presque relégué au second plan le motif même des manifestations : la lutte contre la "globalisation" ou la "mondialisation" dont la réunion du G8 était vue comme un symbole.
Le "Genoa social forum", organisme qui se mit donc en place pour coordonner les différentes organisations appelant à la manifestation, s'était fait lui-même le relais de "l'appel de Porto Alegre", lancé le 30 janvier 2001 et signé par des organisations syndicales, des ONG, associations pacifistes et comités divers de nombreux pays. Déclarant représenter "un mouvement qui, depuis Seattle, est en développement", les organisations signataires se prononçaient "contre l'hégémonie du capital, la destruction de nos cultures, la dégradation de la nature et la détérioration de la qualité de la vie de la part des entreprises transnationales et des politiques antidémocratiques". Elles accusaient "la globalisation néo-libérale" de "détruire l'environnement, la santé et les conditions de vie des peuples", et les marchés financiers de "piller les ressources et la richesse des peuples et d'assujettir les économies nationales au va-et-vient des spéculateurs". S'en prenant au Fonds Monétaire International, à la Banque Mondiale, à l'Organisation Mondiale du Commerce, à l'OTAN et aux autres accords militaires, dénoncés comme "quelques-unes des agences multilatérales de la globalisation transnationale", proclamant que "ces institutions n'ont pas de légitimité face aux peuples", elles exigeaient "la fin de leurs interférences dans les politiques nationales".
Quant aux objectifs, après avoir déclaré que "l'expérience de la démocratie participative, comme à Porto Alegre, démontre la possibilité d'alternatives concrètes", le même appel demandait "l'annulation sans conditions de la dette extérieure des pays du Sud", "la fermeture des paradis fiscaux et l'introduction de taxes sur les transactions financières", ainsi qu'"un système de commerce juste, qui garantisse le plein emploi, la souveraineté alimentaire, des termes d'échange égalitaires et le bien-être". Enfin, il appelait "à appuyer les mobilisations contre la création de l'aire de libre-échange des Amériques".
Si l'appel s'en prend bien au "capital" en général, il met donc avant tout l'accent sur les responsabilités de la "globalisation transnationale", des "entreprises transnationales" et des "politiques néo-libérales" qui détruisent "les économies nationales". Les solutions qu'il propose tiennent toutes du repli sur l'économie nationale. Les Etats nationaux sont ainsi présentés comme des digues contre la pression dérégulatrice des "politiques néo-libérales" et des organismes internationaux.
Pourtant, ce "néo-libéralisme" bien mal nommé n'est autre que la politique de gouvernements obéissant aux intérêts du capital, national et international. Demander à ces gouvernements, à ces capitalistes, d'instaurer "un système de commerce juste" est tout simplement une utopie réformiste.
Et de fait, si les organisations promotrices, que ce soit de "l'appel de Porto Alegre" ou du "forum social de Gênes", tiennent à dénoncer, non l'organisation capitaliste de la société ou l'impérialisme, mais "les politiques néo-libérales", c'est bien que la plupart d'entre elles n'ont pas pour objectif de combattre le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie et du capitalisme. Il s'agit le plus souvent d'organisations pacifistes, tiers-mondistes, nationalistes, réformistes, bien souvent liées aux milieux sociaux-démocrates, aux bureaucraties syndicales, voire aux Eglises.
Dans le cas du "forum social de Gênes", c'est le mouvement dit des "tuniques blanches" qui est parvenu à tenir la place principale, sinon sur le terrain, du moins dans les médias. Plus qu'une véritable organisation ou mouvement, il s'agit d'un milieu, organisé autour des "centres sociaux", centres "alternatifs" créés dans nombre de villes italiennes autour d'activités diverses allant des concerts rock et autres activités culturelles aux manifestations contestataires, ayant souvent réussi à obtenir des financements, des aides des municipalités, et parfois à servir de tremplin à quelques leaders, empreints d'une idéologie où se mêlent le pacifisme, l'écologisme, parfois l'anarchisme ou bien un réformisme bien archaïque.
Outre les "centres sociaux", on comptait dans les participants au "Genoa social forum" une série d'associations les plus variées : diverses associations pacifistes, d'aide au tiers monde, groupements de consommateurs, coopératives, groupes écologistes, mais aussi la fédération des Eglises évangéliques et Pax Cristi, tout cela au côté du Parti de la Refondation communiste et, côté syndical, le S.in.Cobas, fédération de petits syndicats dits "de base" en rupture avec les grandes confédérations.
Enfin, du côté de ces dernières, seule la FIOM, fédération de la Métallurgie de la confédération CGIL, qui au sein de celle-ci apparaît comme un peu plus combative et contestataire, a appelé à participer à la manifestation de Gênes, sans d'ailleurs se rallier pour autant au "Genoa social forum". Mais comme on s'en doute, la FIOM ne s'est pas pour autant distinguée des autres organisateurs par ses mots d'ordre, ni par exemple en mettant en avant des objectifs pouvant exprimer les intérêts du monde du travail ; elle s'est contentée comme les autres de protester de façon générique contre la "globalisation"ou la "mondialisation", mots vagues dont ne ressortent aucun mot d'ordre, aucune revendication qui puisse se transformer en objectif concret de lutte pour la classe ouvrière ou pour les masses qui voudraient s'en emparer.
Le gouvernement Berlusconi et les violences policières
Au lendemain des manifestations de Gênes, c'est cependant la question de l'attitude de la police italienne qui a été mise au premier plan. Elle a fait preuve en effet d'une incroyable brutalité, et cela pas seulement parce que l'on a vu un carabinier abattre à bout portant le jeune manifestant Carlo Giuliani. Tout son comportement montre par ailleurs qu'elle ne visait pas seulement les "black blocks" et autres groupes très minoritaires venus là dans l'intention avouée de casser des vitrines et de chercher l'affrontement, et s'attaquait intentionnellement à l'ensemble des manifestants.
Faut-il y voir la volonté politique d'effacer, derrière les images de violence et de chaos de ces journées, celles d'une manifestation qui pouvait être réussie ? Ou bien était-ce tout simplement l'application, par la police, de la consigne d'assurer coûte que coûte la sécurité de la réunion du G8, sans que ni le gouvernement, ni les chefs de la police soient vraiment en état, ou aient vraiment envie, de contrôler ou limiter des bavures qui pourtant ne grandissaient pas l'image du gouvernement Berlusconi vis-à-vis de ses partenaires du G8 ? Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas oublier que la même police avait fait preuve de la même brutalité quelques jours auparavant dans la même ville contre une manifestation des travailleurs de l'Italsider, entreprise sidérurgique menacée de fermeture. Et il faut surtout rappeler qu'une précédente manifestation "antimondialisation", le 17 mars à Naples, s'était heurtée à des comportements policiers analogues, au même déferlement de sadisme, aux mêmes insultes de la part de certains policiers. Si cela fit moins de bruit qu'à Gênes, cela est sans doute dû au fait que la manifestation fut moins nombreuse, qu'elle dura un après-midi et non quatre jours, que par chance il n'y eut pas de mort... et surtout au fait qu'une partie de ceux qui ont dénoncé l'action de la police à Gênes étaient encore au gouvernement au moment de la manifestation de Naples.
En effet à ce moment-là le gouvernement italien était encore un gouvernement de centre-gauche, avec pour principale force le parti des Démocrates de Gauche, les DS (Democratici di sinistra), c'est-à-dire l'ex-Parti communiste italien qui a donné une démonstration de ses capacités de parti de gouvernement en menant les pires attaques antiouvrières de ces dernières années. La répression de la manifestation de Naples a montré que ce gouvernement dit de gauche n'avait pas d'états d'âme pour laisser les mains libres à sa police.
Berlusconi lui-même, pour se défendre des accusations portées contre lui après le G8 de Gênes, a d'ailleurs eu beau jeu de rappeler que celles-ci se sont produites à peine un mois après la mise en place de son gouvernement, et que le choix du dispositif policier, ainsi que celui de ses responsables, avaient été faits par le gouvernement précédent : Berlusconi n'avait fait que s'inscrire dans sa continuité.
Et de fait, si la police italienne est capable de faire preuve d'une telle brutalité, si nombre de ses responsables ou de ses hommes font même profession d'opinions d'extrême droite qu'ils profèrent sous forme d'injures en matraquant des manifestants, il faut bien constater que cela ne date pas de l'installation du gouvernement Berlusconi, même si sans doute la présence dans celui-ci de ministres d'extrême droite a pu encourager certains policiers. Plus simplement, et même si certains responsables de la gauche italienne font aujourd'hui semblant de s'étonner de cette brutalité venant, selon leurs termes, des policiers d'un "pays civil", d'une "société démocratique" et d'un Etat à la Constitution "la plus démocratique d'Europe", cela fait partie de la fonction des policiers.
Et évidemment, cette fonction n'est nullement de défendre de prétendues libertés démocratiques, mais de défendre l'ordre bourgeois, la propriété bourgeoise, contre tout ce qui pourrait un tant soit peu la contester. Pour cela, la police est formée à l'usage du gourdin, des armes antiémeutes et même des armes à feu, et non au dialogue pacifique avec les citoyens. Et que ce rôle social et ces habitudes prédisposent les policiers à avoir de la sympathie pour les idées de droite ou d'extrême droite, racistes ou même fascistes, c'est un fait assez général, vérifié sous tous les régimes et dans tous les pays, fussent-ils dotés de constitutions très "démocratiques", presque indépendamment du fait qu'il y ait ou non des ministres d'extrême droite au gouvernement du pays.
Mieux vaudrait donc ne pas confondre les effets et la cause : si la police italienne s'est comportée ainsi à Gênes, et à Naples, cela n'a guère dépendu de l'étiquette de "gauche" ou de "droite" du gouvernement, ni même de celle d'extrême droite de certains ministres de Berlusconi, même si, évidemment, les policiers qui sympathisent avec l'extrême droite ont toutes les raisons de se sentir encouragés par un tel gouvernement. La police remplit un rôle de répression au service de la bourgeoisie, quelles que soient les circonstances, comme elle y a été formée et comme elle le conçoit. Et le rôle des organisations, des militants qui se réclament de la transformation de la société, devrait être au moins d'expliquer cela à ceux qui les suivent, et plus généralement aux travailleurs, d'autant plus que cette police qui a servi à Gênes contre les manifestants "antimondialisation" a été et sera utilisée demain de la même façon, peut-être plus violemment encore, pour briser des travailleurs en lutte, sous un gouvernement de gauche comme sous un gouvernement de droite.
La gauche refait son image
Au lieu de cela, on voit une grande partie de la gauche, et notamment le Parti de la Refondation communiste (Rifondazione comunista) faire appel aux principes de démocratie éternelle de l'Etat et de sa constitution, suggérant que le tout est d'avoir un gouvernement qui sache mettre en pratique ces principes démocratiques. Moins de trois mois après la fin sans gloire des gouvernements de centre-gauche, c'est une tentative de recréer des illusions sur un gouvernement de gauche en laissant entendre qu'il laisserait moins libre cours à la violence policière que Berlusconi, même si le passé récent démontre que même cela est faux.
Ainsi les protestations contre les méthodes de la police, voire contre le "fascisme" de Berlusconi, mêlées à quelques discours contre la "globalisation" ou ses excès, semblent en passe de fournir le terrain sur lequel la gauche italienne, quelques mois après avoir quitté le pouvoir passablement discréditée, pourrait reconstruire son image et chercher à se refaire une virginité politique.
Mais en attendant même qu'il en soit ainsi, ladite "lutte contre la mondialisation" sert déjà, à une échelle plus réduite, au Parti de la Refondation communiste pour gommer encore un peu plus ce qu'il reste de son identité communiste. Dans les discours de son secrétaire général Bertinotti, comme dans les colonnes de son quotidien Liberazione, tout est désormais subordonné au développement du "mouvement antiglobalisation", dans lequel Rifondazione comunista déclare avoir choisi de s'investir complètement, et acritiquement. Et loin même d'essayer d'y défendre un semblant de point de vue de classe ou de point de vue communiste, c'est l'occasion d'expliquer que ce vieux langage doit être oublié au bénéfice des "nouveaux mouvements" dont le mouvement "antimondialiste" serait l'archétype.
Bertinotti a bien déclaré, par exemple, que "le problème est de conjuguer les thèmes antiglobalisation avec ceux du travail et du conflit social", en contribuant à définir "un programme d'opposition au gouvernement de droite". Mais on voit déjà de quel type de programme il s'agit quand en tout et pour tout il évoque à propos de ce programme "la question de la taxe Tobin". "Conjuguer les thèmes antiglobalisation avec ceux du conflit social" signifie apparemment que le "conflit social" doit être ramené, pour lui, à une revendication aussi vague et illusoire que la "taxe Tobin", cette taxe d'un taux ridicule de 0,1 % sur les transactions financières à court terme dont la proposition ressort périodiquement des discours des leaders sociaux-démocrates lorsque ceux-ci veulent se donner une image un peu "gauche".
Ainsi il suffit qu'un Jospin, en cette période pré-électorale en France, fasse une vague allusion à cette "taxe Tobin", comme il l'a fait dans un discours récent, pour que le journal Liberazione enthousiaste déclare, sous la plume de Daniele Zaccaria, que "le mur de la pensée unique commence lentement à s'effriter" et que "une politique de sens opposé semble désormais se dessiner même dans les milieux gouvernementaux" ! (Liberazione du 9 septembre 2001).
Cela est particulièrement révélateur au moment où, justement, les partis de gauche italiens revenus à l'opposition sont à la recherche d'un positionnement face au gouvernement Berlusconi. Rifondazione comunista, qui pour sa part avait déjà quitté la majorité de centre-gauche depuis 1998, parle de la mise sur pied d'une perspective de "gauche plurielle", dans laquelle Rifondazione pourrait s'allier à la gauche des Démocrates de Gauche (DS), voire même aux DS dans leur ensemble pour peu que, maintenant qu'ils ont quitté le pouvoir, ceux-ci se décident à se donner une image un peu plus "gauche".
Sans doute les DS n'y sont-ils pas encore prêts, déchirés qu'ils sont entre plusieurs courants et partagés sur la tactique à adopter dans l'opposition à Berlusconi. Ils n'ont pas non plus participé en tant que tels aux manifestations de Gênes. Mais ils n'ont cependant pas manqué de critiquer la répression policière, ni pour certains de se faire voir dans les manifestations de protestation qui ont suivi, voire dans les assemblées des divers "forums sociaux". On voit désormais ce que Rifondazione comunista attend d'eux : visiblement, il suffirait qu'à l'égal d'un Jospin en campagne électorale quelque dirigeant DS veuille bien se dire ouvert à l'idée d'une "taxe Tobin" et fasse quelques discours critiques sur les conséquences de la "mondialisation", pour que Rifondazione applaudisse à ce geste vers ce qu'il nomme déjà "une politique de sens opposé" et qui pourrait préfigurer la naissance d'une "gauche plurielle" à l'italienne.
On le voit, le relatif succès de la manifestation de Gênes contre la "mondialisation" débouche, du côté des partis de gauche, sur des bavardages qui pourraient servir de couverture aux nouvelles alliances qui se préparent, mais qui sont vides de tout contenu réel, en tout cas si l'on se place du point de vue des travailleurs, de leurs aspirations et de leurs exigences.
Il faut noter d'ailleurs que si les manifestations de Gênes ont été un succès, du point de vue numérique sinon du point de vue moral car la violente répression a sans doute effacé chez nombre de participants l'enthousiasme et la satisfaction qui pouvaient résulter du fait de se retrouver aussi nombreux, elle n'a pas débordé le public habituel des organisations de gauche. Il n'y a eu, en particulier, aucune participation notable venant de la classe ouvrière en tant que telle, en dehors du milieu de militants syndicaux qui s'est retrouvé derrière la FIOM. Et au nom de quoi, justement, les travailleurs ou même une fraction d'entre eux auraient-ils pu se sentir mobilisés par cette manifestation ?
Sans doute, ils sont parmi les premières victimes de ce qu'il est à la mode de nommer "méfaits de la globalisation" et qui ne sont autres que les méfaits du capitalisme et de la bourgeoisie au pouvoir : fermetures d'entreprises, licenciements, chômage, spéculation et crises financières, réduction des budgets publics, flexibilité, précarité, baisse des salaires, dommages à l'environnement et au cadre de vie... Mais pour lutter contre tout cela, encore faut-il désigner les responsables et définir les moyens de lutter contre eux. Or, à part le mot "globalisation", les seuls objectifs désignés un peu clairement sont des organismes internationaux comme le FMI, la Banque Mondiale, l'OMC.
Or, ces institutions supranationales ont en commun d'être hors d'atteinte des masses et de n'être, en fait, même pas les principales responsables. Car, avant même de se décider au niveau international dans de telles institutions ce qui, en fait, est rarement le cas , la politique du capital financier, ses décisions, sont prises au jour le jour, au niveau des gouvernements, des conseils d'administration de la bourgeoisie, des banques et des institutions financières. Les institutions supranationales jouent tout au plus le rôle de coordination, et parfois de régulation du système.
C'est pourquoi le fait de manifester contre ces institutions, ou en général contre la "mondialisation" ou la "globalisation", termes vagues qui ne désignent rien de précis, est un choix sur lequel peuvent se retrouver de nombreuses associations, syndicats, partis d'orientations très diverses, sans que cela les engage à rien. Des syndicats peuvent manifester contre la "mondialisation" sans que cela les engage à définir un programme de lutte pour des objectifs à la portée des travailleurs, à commencer par la lutte contre leur propre gouvernement et leur propre bourgeoisie. Au contraire, désigner comme ennemi principal la "mondialisation" revient à dédouaner les gouvernements et les bourgeoisies nationales, en attribuant les responsabilités des méfaits du capitalisme à une logique qui les dépasse, sévissant de toute façon à un niveau supranational et donc hors d'atteinte, et non à des bourgeois et des gouvernants en chair et en os, contre lesquels on pourrait lutter et à qui on pourrait imposer, par la lutte, d'autres choix.
Les partis de gauche italiens, de retour à l'opposition depuis peu, l'ont bien compris ou sont en train de le comprendre : les discours sur la "globalisation" peuvent fournir le thème par lequel ils feront semblant de proposer une alternative au pouvoir en place, sans s'engager en réalité à quoi que ce soit. Car, en l'occurrence, le "néo-libéralisme" dont ils reprochent déjà à Berlusconi d'être le symbole n'est que la continuation de la politique menée par la gauche au pouvoir il y a encore quelques mois.