Les élections législatives, normalement prévues pour le printemps 1998, sont déjà au centre des préoccupations des grands partis politiques français.
Passée l'euphorie de la victoire de Chirac, qui suivait deux septennats mitterrandiens, la droite s'est aperçue que cette élection n'avait rien réglé, pas même pour le septennat en cours, car, par la complexité du calendrier électoral français, les électeurs seront rappelés aux urnes dans moins de deux ans.
Comme la popularité du gouvernement Juppé reste au plus bas dans les sondages, et que les résultats des élections partielles sont plutôt favorables à la gauche, le Parti socialiste rêve déjà tout haut d'un succès électoral en 1998.
De son côté, la direction du Parti communiste français s'emploie à trouver une formule pour camoufler un nouvel accord électoral avec le PS sous des atours qui ne heurtent pas trop la fraction de ses militants et de son électorat qui a été la plus déçue par l'Union de la Gauche et ses conséquences et qui est aujourd'hui la plus hostile à une nouvelle mouture de celle- ci.
Evidemment, aucun dirigeant du PCF (ni aucun du Parti socialiste) ne propose ouvertement de renouveler l'Union de la Gauche. Même pas Georges Marchais, qui était à la tête du PCF à l'époque où fut signé le "Programme Commun" et qui déclare aujourd'hui que ce fut "une politique qui a coûté cher à notre parti, et aussi à notre peuple".
La direction du PCF a d'ailleurs changé de style, aussi bien dans ses propos (sinon dans leur contenu), qu'en ce qui concerne les interlocuteurs qu'elle choisit.
Dans les discours des responsables se retrouvent des formules du genre "nous n'avons pas de solution toute faite à proposer, il faut que les idées viennent de tous", etc., au point qu'on peut se demander à quoi sert un parti politique s'il attend tout des propositions qu'on lui fait et s'il n'avance pas lui-même les solutions, les objectifs, qu'il considère comme indispensables.
Mais c'est en ce qui concerne les interlocuteurs avec qui le PCF prétend dialoguer que le changement paraît, à tort, le plus grand. La Ligue Communiste Révolutionnaire, Lutte Ouvrière, ont été invitées à participer, aux côtés du Parti socialiste, des Radicaux de gauche et des Verts, à la série de "forums" organisés par le Parti communiste français au printemps dernier.
En fait, il s'agit d'un simple alibi destiné à faire croire à ceux de ses militants qui y sont opposés, qu'il ne s'agit pas de se retrouver en tête à tête avec le PS.
Que les dirigeants du PCF proclament en choeur qu'il ne s'agit pas de refaire l'Union de la Gauche est dans la logique des choses. Nombre de militants de leur parti savent trop bien à quel point la politique d'austérité, de blocage des salaires, d'autorisations des licenciements collectifs du gouvernement Mauroy à participation communiste a contribué à démoraliser la classe ouvrière. Et comme en outre la politique d'Union de la Gauche s'est traduite, pour le Parti communiste français, par une perte de plus de la moitié de son électorat, il ne faut pas s'étonner que celle-ci ait laissé d'autres mauvais souvenirs à ses militants.
Mais le PCF n'ayant d'autres perspectives qu'électorales ou de participation aux institutions : gouvernement, parlement, conseils régionaux ou généraux, municipalités de grandes villes, il n'a pas, sur ce terrain, le choix d'une autre politique.
Il pourrait, certes, être au moins un parti protestataire à défaut d'être révolutionnaire, exprimant le mécontentement des couches les plus défavorisées de la population (un peu comme il l'a fait, à son corps défendant, au début des années 1950, en un temps où les hommes politiques de la bourgeoisie n'acceptaient même pas son soutien). S'il avait fait un tel choix et si, de plus, il n'avait pas lié son sort au soutien inconditionnel des crimes de Staline même après la déstalinisation, cela lui aurait peut-être évité le recul qu'il a subi. Mais de toute façon, il a en son sein, depuis la guerre surtout, toute une couche de notables (députés, sénateurs, maires de grandes villes, intellectuels intégrés dans la société bourgeoise) qui pourraient d'autant moins adhérer de gaîté de coeur à une telle perspective qu'ils ont pris depuis longtemps le goût des allées du pouvoir.
A chaque fois que Robert Hue est interrogé sur une éventuelle participation ministérielle du PCF, il se garde bien de répondre par la négative. Il affirme certes que ce ne pourrait être que dans le cadre d'un gouvernement menant une "vraie" politique de gauche. Mais quel politicien irait dire autre chose ? Même Alain Krivine s'est laissé aller à le déclarer au nom de la LCR à des journalistes (en faisant de l'humour, espérons-le !).
La critique que les dirigeants du PCF font aujourd'hui de l'Union de la Gauche est d'ailleurs une critique de pure forme. Cette politique aurait échoué, disent-ils en substance, parce qu'elle a résulté d'accords au sommet. C'est cela qu'il ne faudrait pas recommencer. Mais les grandes déclarations sur la nécessité de laisser la parole à la base ne sont justement là que pour permettre de reprendre langue avec un Parti socialiste dont le PCF critique certes la politique, mais sans jamais affirmer, au nom du réalisme, qu'il n'acceptera pas de le cautionner.
Le Parti socialiste supporte d'ailleurs d'autant mieux les critiques du PCF que son premier secrétaire en personne, Jospin, réclame le "droit à l'inventaire" en ce qui concerne les deux septennats de Mitterrand. Ce qui est une façon d'essayer de se dédouaner des mauvais souvenirs que ces quatorze ans ont laissés auprès des masses populaires.
C'est pour toutes ces raisons que nous avons décliné l'invitation à participer à ces forums car cautionner ainsi, même à notre corps défendant, une nouvelle mouture de l'Union de la Gauche, l'aurait emporté sur l'intérêt de s'adresser directement aux militants et sympathisants du PCF.
Pourtant, nous en aurions des choses à leur dire, à ces militants et à ces sympathisants du PCF. Des choses que, tout comme nous, ils savent très bien parce qu'ils les vivent tous les jours. Mais aussi des choses concernant les moyens, pour les travailleurs, de ne pas se laisser réduire à la misère complète. Des moyens que les dirigeants de leur parti ne leur proposent pas. Car, ce que leurs dirigeants leur proposent, c'est à coup sûr une nouvelle alliance électorale avec des partis de la bourgeoisie. Alliance qui, si elle remportait les élections, ne ferait que gérer à nouveau les intérêts des possédants ce qui, dans les circonstances actuelles, ne peut signifier autre chose qu'appauvrir toujours plus les travailleurs et l'ensemble de la population laborieuse.
Cette année encore, comme l'année précédente, les grandes entreprises ont réalisé des bénéfices colossaux. Et celles qui affichent des déficits, c'est généralement par artifice comptable, en retirant de leurs bénéfices réels l'argent qu'elles veulent consacrer au rachat d'autres entreprises. La masse d'argent ainsi dégagée ne servant pas à augmenter la production en créant des emplois car elle se déverse dans les circuits financiers.
Il y a dix ans, vingt ans, les dirigeants politiques nous expliquaient que l'accroissement des profits des entreprises était la condition nécessaire de toute relance de l'économie et, donc, de la création d'emplois nouveaux. Mais l'accroissement incessant du profit des entreprises se révèle, au contraire, une calamité. Plus les entreprises font du profit, plus il y a du chômage. C'est pourtant pour aider les entreprises à augmenter leurs profits que les gouvernements successifs depuis vingt ans et plus, ont inventé une multitude de dégrèvements qui ont creusé le déficit de la Sécurité sociale et d'allégements fiscaux qui ont creusé le trou du budget de l'Etat.
Mais le mensonge fait partie de la société capitaliste. Le marché capitaliste est une partie de poker menteur où les seuls qui paient sont les travailleurs et ceux d'entre eux qui sont devenus des pauvres.
Les capitalistes prétendent que le secret des affaires, le secret commercial, est une nécessité dans la compétition économique. Mais, dans la réalité, les capitalistes n'ont pas de secret les uns vis-à-vis des autres, ni surtout vis-à-vis de leurs banques. Ce sont les mêmes individus qu'on retrouve dans les différents conseils d'administration, y compris d'entreprises concurrentes. Le secret qui entoure leurs affaires n'a pas d'autre but que de cacher à la population en général, et aux travailleurs en particulier, toutes leurs manoeuvres, toutes leurs combines, licites et illicites, tous leurs détournements et, par-dessus tout, cacher l'immense gaspillage que représente leur emprise sur l'économie.
Alors oui, un des premiers objectifs politiques des travailleurs doit être d'obliger la classe capitaliste à lever le secret commercial et industriel. Toute la population laborieuse pourrait ainsi vérifier qu'en imposant aux profiteurs de la crise les mêmes sacrifices que ceux qu'ils imposent aux travailleurs, on pourrait immédiatement créer des emplois utiles à la société et mettre fin au chômage. La population pourrait vérifier qu'il est possible d'augmenter les salaires dans toutes les entreprises sans pousser celles-ci à la ruine, contrairement à ce que prétend le patronat. Les dirigeants des grandes entreprises évoquent sans cesse la compétitivité pour justifier le blocage des salaires et les plans de suppressions d'emplois. Mais pourquoi serait-ce par l'abaissement de la masse salariale qu'il faudrait assurer la compétitivité ? Pourquoi ne pas abaisser les dividendes versés aux actionnaires ou les intérêts versés aux prêteurs et aux banquiers ?
Oui, il faut exproprier toutes les entreprises qui licencient alors qu'elles font du profit. Il faut imposer le contrôle des entreprises par leurs travailleurs, par les consommateurs comme par la population, afin de les empêcher d'abord de détourner une fraction croissante de leurs gains vers la spéculation au lieu de la consacrer aux investissements et à la création d'emplois. C'est ce contrôle qui permettra de les empêcher qu'ils licencient ou de les obliger à créer des emplois utiles.
Ce n'est pas aux travailleurs de supporter les à-coups d'une production capitaliste sur laquelle ils n'ont pas de prise. Les propriétaires et les actionnaires des entreprises qui ont engrangé des dividendes importants pendant des années doivent compenser sur leurs fortunes amassées le manque à gagner du mauvais moment, s'il y en a. Et nous n'avons pas à les croire sur parole.
Car, les profits, considérables depuis plusieurs années malgré la crise, des grandes entreprises, qui n'ont abouti ni à des investissements créateurs d'emplois ni au maintien et à l'augmentation de la masse salariale, ne se sont pas volatilisés pour autant ! C'est cet argent- là qui est à l'origine de l'accroissement considérable de la fortune personnelle de la bourgeoisie et de la masse de capitaux flottants à l'échelle internationale. C'est sur ces fortunes qu'il faudra prendre pour assurer à tous les travailleurs un salaire convenable et, par là même, relancer la consommation.
Ces objectifs ne pourront être imposés aux possédants et au gouvernement qui les représente que par les luttes, par la force collective de la classe ouvrière. La grève des cheminots de novembre-décembre, le mouvement qui l'accompagnait, ont fait percevoir l'immense force collective des travailleurs lorsqu'ils entrent en lutte.
Les cheminots, les agents de la RATP, les postiers n'ont pas alors réussi à entraîner toute la classe ouvrière mais ils ont montré la voie.
Et, avec tout le mécontentement qui s'accumule dans la classe ouvrière, tôt ou tard, la lutte reprendra. C'est pourquoi il est d'autant plus important que les objectifs ci-dessus, indispensables, urgents, deviennent ceux d'un nombre croissant de travailleurs, afin qu'ils soient ceux des luttes à venir où ils trouveront inévitablement un écho grandissant parmi tous ceux qui ne veulent pas se laisser réduire à la misère.
Car ces objectifs ne sont pas seulement ceux d'un groupe ou d'une organisation, ils sont le minimum nécessaire pour arrêter l'évolution catastrophique de la situation de la classe ouvrière.
Le chômage pousse vers la misère une partie croissante de la classe ouvrière et la question qui se pose à tous les travailleurs, à toute la classe ouvrière est : jusqu'à quand et jusqu'à quelles limites pouvons-nous tolérer cette situation ?
Nous n'avons rien à attendre du patronat, nous ne pouvons rien attendre du gouvernement non plus, ni de celui-ci, ni d'aucun autre. Notre seule chance, c'est d'imposer aux uns et aux autres ce qu'ils ne nous accorderont jamais de leur plein gré.
Les syndicats nous ont appelés le mois dernier à des mouvements et à des grèves diverses et fractionnées. Mais les luttes partielles ou catégorielles, si elles peuvent être les étapes d'une mobilisation, ne suffisent pas pour arrêter l'offensive de la bourgeoisie. Pour cela, il faudrait un mouvement capable de se généraliser à tous les travailleurs, car c'est notre nombre qui fait notre force.
Car il faut comprendre que tous les hommes politiques nous mentent sur les moyens à mettre en oeuvre contre le chômage. Il n'y a, en effet, aucun moyen d'arrêter la détérioration des conditions d'existence des travailleurs si on respecte les profits et la propriété de la bourgeoisie.
Le seul choix qui est posé est : qui va continuer à payer, ceux qui ont l'argent ou ceux qui n'en ont pas ?
Par exemple, le gouvernement invoque l'importance de la dette publique pour justifier des mesures de restriction des dépenses de l'Etat et, en particulier, des budgets sociaux. Il est vrai que cette dette est considérable ! Rien que le service de la dette est aujourd'hui un des principaux, voire le principal poste de dépenses de l'Etat.
Et, dans ce "service" de la dette, il y a aussi les intérêts financiers versés aux prêteurs, c'est-à-dire aux banques privées ou publiques. Et pourquoi ces prêteurs ne feraient-ils pas aussi le sacrifice d'une partie ou de la totalité des intérêts qu'ils touchent ? Pourquoi ne pourrait-on rééchelonner le remboursement de la dette elle-même ? Cela se fait à l'échelle internationale. Pourquoi est-ce toujours aux mêmes qu'on demande les sacrifices ?
Oui, imposer que l'Etat ne paie plus ni les intérêts ni le remboursement de la dette est une mesure d'urgence que les travailleurs peuvent et doivent imposer s'ils ne veulent pas qu'on leur fasse encore les poches pour remplir les coffres des barons de la finance. Ce n'est pas le traité de Maastricht qui impose à l'Etat français (ou aux autres) de s'en prendre aux travailleurs. C'est la volonté de la part de l'Etat de respecter la propriété capitaliste et les intérêts du capital qui amène l'Etat, le gouvernement, à s'en prendre aux travailleurs.
Là encore, il s'agit d'un choix, celui de supprimer des emplois dans les services publics et de vider les poches des plus démunis, ou celui de supprimer les intérêts faramineux que quelques dizaines de conseils d'administration pompent sur les finances publiques.
Ce ne sont pas les besoins non satisfaits qui manquent, que ce soit pour des logements, des écoles, des installations sportives, des hôpitaux et des transports en commun.
Rien qu'avec les milliards dépensés sous prétexte d'aides à l'emploi et qui le sont en pure perte, on pourrait salarier une grande partie des chômeurs.
Juppé a versé 140 milliards à ce titre au patronat, l'année dernière, en une année ! Evidemment, aujourd'hui, ni Gandois ni Juppé ne proposent d'obliger les patrons à rembourser cette gigantesque escroquerie dont le patronat a bénéficié injustement (elle représente le salaire et les charges, pendant un an, de près d'un million de travailleurs payés 8 000 F net).
A une calamité nationale, il faut répondre par des mesures d'urgence collectives. Et l'on verra alors que le chômage peut être réduit.
Oui, il faut que les comptes des entreprises privées comme des entreprises publiques, leurs recettes, leurs dépenses, soient rendus publics. Il faut pouvoir savoir combien de profits elles font et comment cet argent est dépensé.
Il faut que les comptes en banque de tous les dirigeants des grandes entreprises ou des grands services publics soient accessibles à tous. Il faut que la population, les travailleurs, puissent savoir et puissent contrôler ce qui rentre et ce qui sort des coffres des entreprises, et ce qu'elles paient et à qui.
Il faut que la lumière puisse être mise sur les liens entre l'Etat et le patronat privé. Il faut éclairer les multiples voies par lesquelles l'Etat participe à l'accroissement du profit privé. On se rendrait compte alors de l'immense masse monétaire, de l'immense masse de profit qui circule ainsi, qui entretient la puissance des classes riches, mais qui permettrait de donner un travail utile à tous et à chacun.
Oui, il faut imposer l'interdiction des licenciements et exproprier sans indemnité ni rachat les entreprises qui font du profit et licencient quand même.
Oui, il faut imposer à l'Etat, la suppression de la CSG, du RDS, pour les bas salaires et un impôt bien plus fortement progressif qu'aujourd'hui sur les grandes fortunes, afin qu'il embauche directement dans les services publics existants, comme il faut lui imposer une politique de grands travaux pour satisfaire les besoins non satisfaits des classes populaires, à commencer par les logements.
Il faut aussi bien sûr, imposer des revendications nécessaires comme une augmentation générale des salaires de 1.500 francs, ou comme la diminution de l'horaire hebdomadaire de travail, mais sans oublier que la satisfaction de ces dernières revendications ne serait rien sans un contrôle de la population sur les comptes des entreprises et de l'Etat. Ne changeant rien de déterminant, elles seraient vite reprises de l'autre main. C'est pourquoi, si les travailleurs entrent dans une lutte importante et difficile, cela ne doit pas être uniquement pour de telles revendications.
Les élections ne peuvent elles-mêmes rien changer. Mais elles permettent de populariser des objectifs, des revendications et de se compter sur de tels programmes.
C'est pourquoi, si le Parti communiste français s'engageait sur un programme d'urgence comprenant avant tout le contrôle sur les comptes des entreprises privées, de leurs gros actionnaires, ceux des services publics, l'expropriation des entreprises qui font des bénéfices et licencient et, si les candidats du PCF s'engageaient à ne soutenir que les candidats qui s'engageraient aussi sur un tel programme, sans aucune concession car le temps n'est plus aux concessions ; si par ailleurs le Parti communiste français faisait campagne auprès des travailleurs pour affirmer que voter ne suffit pas et qu'il faudrait, dans la rue, imposer un tel programme aux élus, quels qu'ils soient, de gauche ou de droite, nous, militants de Lutte Ouvrière, n'hésiterions pas à voter, et à appeler à voter, pour les candidats du Parti communiste français.
Bien sûr, les militants du Parti communiste peuvent prétendre qu'ils auraient plus d'élus par un accord avec le Parti socialiste qu'avec notre soutien. D'une part, ce n'est pas sûr car le PCF pourra être, comme dans toutes les années précédentes, le dindon de l'alliance avec le Parti socialiste, où il a vu tomber le nombre de ses électeurs de 20 % à 8 % du corps électoral.
A quoi bon venir au pouvoir si on ne peut pas imposer ce qui est absolument indispensable aux travailleurs ? Et surtout, à quoi bon, si c'est, par compromis, pour défendre finalement la politique des adversaires des travailleurs ?
Les belles paroles, les travailleurs en ont trop entendu. Ils n'ont pas besoin d'une nouvelle Union de la Gauche même rebaptisée autrement et qui, de nouveau, reprendrait la même politique anti- ouvrière sous prétexte de réalisme.
En exprimant ce qui précède à Robert Hue, lors d'une émission de télévision, Arlette Laguiller a suscité des discussions parmi les militants du PCF, d'autant que l'Humanité a reproduit en partie cette intervention.
Mais elle a surtout provoqué quelques réactions dans l'extrême gauche.
Une de ces réactions de l'extrême gauche a consisté à dire que les élections ne résoudront rien, d'autant qu'elles sont loin et que ce qu'il faut proposer tout de suite au PCF, c'est une lutte, une grève "tous ensemble" pour imposer le plan d'urgence, sans attendre les élections.
Un tel raisonnement ne connaît que "ou..." "ou..." et ignore que l'on peut passer, dans certaines circonstances à créer il est vrai , de l'un à l'autre.
Nous ne faisons évidemment pas campagne dès maintenant pour les élections. Nous n'en parlons que lorsque les autres en parlent, à propos des forums du PCF par exemple ou de la préparation de son Congrès. Nous savons qu'actuellement seuls les militants et les sympathisants proches du PCF se sentent concernés par l'approche des élections et c'est à eux que nous nous adressons.
Par contre, dire à ces sympathisants, à ces militants en nous adressant au PCF que, s'il appelle les travailleurs à une lutte d'ensemble, générale, nous le soutiendrons sans réserve, cela, étant donné nos forces sur le terrain par rapport à celles du PCF dans la situation actuelle, serait ridicule. En clair, cela se nommerait une gesticulation gauchiste.
C'est tout à fait autre chose que de définir ce qui, toujours dans la situation actuelle, est indispensable pour la survie des travailleurs et des classes populaires. Cela, c'est objectif. Cela peut et cela doit se définir indépendamment des forces de chacun. C'est ce qui est nécessaire.
Mais une campagne de tracts, d'affiches, de pétitions, d'"adresses" en direction des militants du PCF pour leur dire "allez-y, nous serons derrière", ne prêterait qu'à sourire.
Certains des camarades qui nous font ce type de critique voient d'ailleurs les choses en deux temps.
D'abord une grève générale pour les 1 500 F par mois et les 32 heures (revendications qui, pour utiles qu'elles soient, ne résoudraient ni le chômage, ni la situation matérielle de l'ensemble des travailleurs et des chômeurs), etc.
Et puis, deuxième étape, si la première aboutit, seulement alors, sur de nouvelles bases de départ, croient-ils, engager le combat pour le contrôle des entreprises. Malheureusement tout dans le passé prouve que si l'on ne popularise pas, si l'on ne fixe pas, avant même le début d'un combat, ses objectifs essentiels, il est trop tard après pour aller plus loin. C'est ici que la gesticulation gauchiste rejoint le réformisme.
Les appareils réformistes syndicaux et politiques sont, en effet, trop heureux de s'emparer de la satisfaction des objectifs partiels de la grève (c'est avec ces objectifs-là d'ailleurs que Robert Hue s'est dit d'accord, pas avec le contrôle des entreprises) pour arrêter le mouvement. Sans compter que ces objectifs en eux-mêmes, sans aucune garantie pour les préserver, pourraient se transformer en très peu de temps en défaite (ce fut le cas des 40 heures de 1936 ou des augmentations de Mai 1968).
De son côté, la LCR a compris la déclaration d'Arlette Laguiller comme une proposition au PCF d'accord électoral avec partage des circonscriptions. Nous n'avons absolument pas parlé de partage des circonscriptions, contrairement à ce que la Ligue nous fait dire. Ce n'est pas que nous ne poserions pas ce problème le moment venu, mais à l'heure actuelle ce n'est pas notre problème. Notre problème est de mettre le PCF face à ses responsabilités. Et pourquoi le PCF ? Parce que nous croirions que le PCF est plus à même de mener cette politique ? Non ! Mais parce que nous pensons que l'électorat, les militants, les sympathisants du PCF sont les plus à même de comprendre, d'avoir envie que ces revendications soient défendues. C'est à eux que nous nous adressons par-dessus la tête de Robert Hue. C'est notre façon de faire pression sur le PCF et de faire indirectement pression sur le PS, en nous adressant d'abord au PCF.
En disant au PCF : vous avez le choix d'une alliance avec le PS où non seulement les intérêts des travailleurs seront sacrifiés, mais où vous-mêmes vous passerez sous la table parce que, comme avec l'Union de la Gauche, vous y perdrez encore des plumes.
Nous, nous vous proposons une politique qui ne vous amènera peut-être pas à la victoire électorale, mais qui vous amènera à vous réimplanter dans la classe ouvrière, parmi les travailleurs, dans les classes populaires et alors, oui, à faire reculer Le Pen et les intégristes.
Voilà ce que nous leur disons avec nos moyens, en saisissant les occasions de nous faire entendre.
Quant au problème de la LCR, voici ce qu'elle écrit dans Rouge : "Comment refuser (en parlant des forums du PCF) de participer à une large discussion unitaire de toute la gauche à l'initiative du PCF et proposer un accord unitaire bilatéral LO-PCF ?"
Nous n'avons pas proposé d'accord unitaire bilatéral. Nous avons parlé de voter et d'appeler à voter pour les candidats du PCF, sans accord autre que le fait que le PCF reprenne un programme vital pour les travailleurs.
Nous ne sommes pas des maquignons de circonscriptions. La LCR ne voit là qu'un accord bilatéral dont elle serait exclue.
"Une large discussion touche tous les militants du PCF et ceux qui au sein du PCF refusent les forums ne sont pas, en général, les militants les plus ouverts, ce sont les plus sectaires, nostalgiques d'un certain stalinisme du PCF. Nos camarades de LO pensent-ils s'appuyer sur ces courants dans la crise actuelle du PCF ?", continue le même numéro de Rouge.
Eh bien non, nous ne nous occupons pas de la crise actuelle du PCF, ni des courants stalino-sectaires, ni des courants ouverts à la discussion mais réformistes. Nous nous adressons aux travailleurs du rang, aux militants ouvriers, à tous les militants et sympathisants qui sont en contact avec les travailleurs, en leur disant : "Ou les travailleurs vont vers la déchéance, et on va les réduire à la misère, avec des horaires et des salaires variables, avec des queues le matin aux portes des entreprises, où un chef d'équipe leur dira : 'toi tu travailles, toi, non, je n'ai pas besoin de toi'. Cela s'est vu, cela se reverra dans pas longtemps si les travailleurs se laissent faire. C'est cela aussi les horaires variables. Ou nous voulons éviter cela et le seul moyen d'éviter cela, c'est une autre politique". Voilà ce que nous proposons au PCF.
Le problème pour nous n'est pas électoral, le problème est juste de nous faire entendre des militants et des sympathisants du PCF. Nous essayons de nous faire entendre, à chaque fois que nous le pouvons, au travers des médias ou autrement. Il est trop tôt pour une campagne de tracts, d'affiches, parce que nous sommes loin des élections, surtout dans la tête des travailleurs. Les militants pensent aux élections, mais pas les travailleurs du rang.
Mais Rouge ajoute : "Pourquoi aucune proposition à la LCR et à d'autres forces alternatives et anticapitalistes ?".
Si la LCR voulait s'associer à cette politique, nous n'y verrions aucun problème, mais elle ne le veut pas. Elle veut s'accrocher à d'autres courants. Et les forces dites alternatives ou anticapitalistes, auxquelles s'intéresse la LCR, ou bien reprennent ce plan ou bien ne le reprennent pas comme c'est le plus probable. Car c'est la LCR qui dit que ces "forces" (?) sont anticapitalistes et alternatives.
Toujours selon Rouge, nous serions "sectaires parce que cette proposition écarte du débat nécessaire dans le mouvement ouvrier, des milliers de militants animateurs de luttes, d'associations, de syndicats." Mais non, si ces milliers de militants, animateurs de luttes, d'associations, de syndicats, ont réellement comme préoccupation prioritaire le sort des travailleurs et de la population pauvre en général, ils sont concernés. Et ils devraient s'associer à notre démarche. Et s'ils ont autre chose comme préoccupation prioritaire, ils ne sont évidemment pas concernés. Bien sûr, ils pourraient avoir les deux préoccupations, mais tout dépend laquelle ils considèrent comme prioritaire.
"Plus substantiellement, à l'heure où commence une discussion politique dans toute la gauche et en particulier chez les militants du PCF sur la forme et le contenu d'une stratégie politique d'ensemble qui batte la droite mais ne retombe pas dans les ornières des expériences gouvernementales de 81 à 93, les militants de LO pensent-ils vraiment qu'un accord LO-PCF réponde à ce problème ?".
Mais que signifie donc cette expression concernant une politique qui "batte la droite" ? Le problème serait de battre la droite : pourquoi ? En fait, le problème c'est quelles mesures indispensables imposer ! Ce n'est pas ramener au pouvoir des politiciens bourgeois à la place de bourgeois politiciens. "Battre la droite", c'est un piège pour les travailleurs.
Nous, ce que nous voulons, c'est battre la politique procapitaliste des gouvernements bourgeois. La révolution, on n'en est pas là, nous le savons bien, mais nous voulons défendre les intérêts primordiaux, la place, la vie des travailleurs, défendre un programme élémentaire de survie. Et tous ceux qui ne veulent pas défendre ce programme élémentaire de survie sont dans le camp de la bourgeoisie. Si les travailleurs se noient, s'ils tombent dans la misère, s'il y a de plus en plus de quartiers où toutes les portes sont fracturées, parce que dès qu'on les répare elles le sont à nouveau, si on s'y bat, s'il y a la drogue, s'il y a des enfants de 12 ans qui poignardent leurs copains, si c'est la misère : on n'en a plus rien à faire du massacre des palombes.
"Nous pensons qu'il faut une large discussion dans tout le mouvement ouvrier pour dégager les axes d'une nouvelle politique...".
Une discussion ? Une discussion "dans tout le mouvement ouvrier" avec les écologistes, avec les Verts, avec Act-up, avec DAL ou d'autres, c'est cela le mouvement ouvrier ? Mais non ! Ces camarades- là défendent des revendications ou des points de vue qui ne nous sont pas étrangers, mais ce n'est pas notre priorité et ça ne devrait pas être la leur.
D'autant plus que si on ouvre les livres de comptes, si on met à nu le système capitaliste, si on met à nu les rouages de l'argent, cela résoudrait en même temps bien des problèmes de santé, bien des problèmes d'écologie, bien des problèmes de logement, de chômage et de liberté individuelle.
Nous, nous n'entrons pas là-dedans. Le problème est général, global, unique pour toute la classe ouvrière, chômeurs ou non, travailleurs, jeunes, vieux. Tout le monde est concerné de la même façon. Parce que c'est fondamentalement une question de savoir où est l'argent, à qui il est, où il va, qu'est-ce qu'on en fait.
Même des revendications comme les 1500 F, c'est secondaire. Les 35 heures contre le chômage, ça ne résorbera pas le chômage, pas plus que les 39 heures ne l'ont résorbé. Rien n'est automatique.
En plus, il ne s'agit pas pour nous d'additionner des pourcentages en disant : les Verts ont fait 5 %, nous en avons fait 5, Hue a fait 8 %, et ça fera 18 %.
Non ! il ne faut pas dire aux travailleurs qu'ils doivent marcher dans un piège.
Nous, nous n'en avons rien à faire d'avoir des députés. Des députés pour quoi faire ? Pour amener des Verts au Parlement ou ailleurs et qu'ensuite ils votent avec la droite, même s'ils sont de sensibilité de gauche ou objectivement anticapitalistes ? N'oublions pas que l'abbé Pierre aurait été, selon Krivine, plus révolutionnaire que certains trotskystes parce qu'il défendait les réquisitions de logements vacants.
Nous, nous défendons un programme et c'est ce programme que nous proposons aux travailleurs comme à tous les militants de la classe ouvrière.
Ce programme est une ligne de partage des eaux : à chacun de choisir le côté où il veut se diriger.