(Texte adopté à la dernière conférence nationale de Lutte Ouvrière par 98,7% des voix)
Après la période 1994-1995 marquée par une série de crises financières et monétaires, par la menace de faillite sur plusieurs grandes banques suite à des spéculations immobilières, par des "dévaluations compétitives" qui ont perturbé le commerce international, 1996 est présentée comme une bonne année pour l'économie internationale.
Du point de vue des profits des entreprises, 1996 a été incontestablement une bonne année, malgré la crainte d'une grave crise financière (mais la période précédente avait déjà été bonne). Elle l'a été aussi pour les revenus et les capitaux de la grande bourgeoisie, accrus dans des proportions considérables pour ceux qui figurent au hit-parade des grandes fortunes tant en France qu à l'échelle internationale. Des capitaux et des fortunes privés accrus de 20%, de 30% voire doublés grâce aux profits de l'année aussi bien qu aux anticipations sur les profits de demain, exprimés par les cours toujours élevés de la Bourse.
L'évolution est déjà plus contrastée pour la production. Seule l'économie des Etats-Unis, sortis eux-mêmes d'une récession en 1991, est en croissance depuis lors (sans atteindre cependant des rythmes d'avant le début de la crise). Le Japon qui vient de connaître sa plus longue période de récession depuis la guerre commencerait seulement à en sortir. L'économie de la plupart des pays européens reste cependant stagnante, y compris celle de l'Allemagne qui a même connu au début de l'année une période de franc recul de la production.
Le chômage, dramatique partout en Europe, continue à s'accroître. Même en Angleterre où la bourgeoisie a pourtant liquidé, plus brutalement que dans d'autres pays d'Europe occidentale, les règles qui protégeaient un peu les travailleurs, en matière de salaires minima, de précarité, l'abaissement drastique du coût de la main-d uvre n'a pas incité les patrons à créer des emplois et le chômage est toujours aussi important.
La croissance économique relative aux Etats-Unis n'a nullement eu pour effet une amélioration de la situation des masses populaires. Elle a eu au contraire pour fondement la détérioration de celle-ci.
Même le tout récent article du journal Le Monde, titrant pourtant "L'emploi américain à plein régime" et glorifiant en sous-titre "les 10,5 millions de postes de travail... nés depuis 1993", se sent obligé de préciser dans le corps de l'article que les emplois nouveaux n'ont pas été créés dans les grandes entreprises, dont la plupart continuent à réduire leurs effectifs (ni d'ailleurs par l'Etat qui supprime des postes). Les emplois créés sont en grande partie des emplois précaires, dans des petites entreprises, généralement de sous-traitance, elles-mêmes à l'existence précaire, et vers lesquelles les grandes entreprises se déchargent de leurs activités les moins rentables. Ces entreprises payent plus mal, n'accordent pas les quelques avantages sociaux qu accordent les grandes entreprises. Il en résulte un accroissement global de la précarité, de la flexibilité et une baisse des salaires réels.
La moyenne des salaires n'a pas augmenté depuis vingt ans même pour cette fraction de la classe ouvrière qui a gardé un emploi stable. Pour les catégories en bas de l'échelle, les salaires sont même en chute, estimée à 30% sur une vingtaine d'années.
Le nombre total des Américains vivant en dessous du seuil de pauvreté est estimé par certains auteurs à 38 millions de personnes, représentant 14,2 % de la population (contre 11,6 % de la population dans les années soixante-dix). Fait significatif, cet accroissement de la pauvreté provient en grande partie de la paupérisation de ceux qui ont pourtant un travail et un salaire. Des universitaires américains, cités par Le Monde Diplomatique estiment que le nombre de ceux qui, tout en étant salariés, vivent en dessous du seuil de pauvreté a triplé entre 1969 et 1994, passant de 8,4 % à 23,2 % de l'ensemble des salariés. Un autre article du Monde estime, lui, que "18 % des salariés à temps plein sont déjà en dessous du seuil officiel de pauvreté. Des gens travaillent et pourtant ne peuvent plus se payer un domicile fixe et dorment sous les ponts". Ce journaliste conclut avec lucidité "n est-ce pas le cas à Bombay ?".
La baisse de la part des salaires dans le revenu global, la liquidation, progressive ou brutale, des protections sociales contre la maladie, la vieillesse, la dégradation universelle des services publics expriment le fait que les profits de la bourgeoisie continuent à provenir, même dans les pays les plus riches, de l'aggravation de l'exploitation et non de la croissance de la production.
Le maintien d'une période de croissance relativement longue de la production et des investissements aux Etats-Unis entretient depuis plusieurs années les discours sur l'éventualité que la croissance américaine finisse par tirer en avant l'ensemble de l'économie mondiale et notamment les économies européennes. Pour le moment, ce n'est pas cela qui se passe.
L'impérialisme américain n'obtient pas ses performances, toutes relatives, en tirant l'économie mondiale en avant ; il les obtient au contraire au détriment de ses principaux concurrents.
L'administration Clinton mène une politique commerciale agressive vers l'extérieur. Elle met tout le poids de l'Etat en jeu pour décrocher des contrats (armes, avions, gros équipements) pour les trusts des Etats-Unis contre leurs concurrents des impérialismes plus faibles.
Les autres puissances impérialistes de second rang ne font pas différemment. Mais elles n'ont pas la puissance économique, politique voire militaire des Etats-Unis. Ces derniers s'assoient ainsi ouvertement sur les règles libre-échangistes qu ils recommandent ou imposent aux autres.
Les Etats-Unis sont protectionnistes dans les domaines où l'intérêt de leurs grands groupes capitalistes l'exige, mais lorsque les mêmes intérêts le demandent, ils ne se gênent pas pour enlever les obstacles au rapatriement vers le marché américain de productions effectuées notamment dans les "maquiladoras" mexicaines.
La politique commerciale agressive vers l'extérieur est enfin appuyée depuis plusieurs années par un dollar faible, facilitant les exportations et rendant plus chères les importations.
Un certain nombre de trusts japonais, britanniques, allemands ou français bénéficient certes de la relative bonne marche de l'économie américaine. Mais il s'agit pour ainsi dire exclusivement des plus puissants, ceux dont la capacité financière est suffisante pour prendre sous leur contrôle des entreprises installées directement sur le marché américain. Ce n'est pas pour rien que l'essentiel des investissements du grand capital français à l'extérieur qui ne vont pas dans les pays voisins d'Europe se font aux Etats-Unis. Mais les capitaux américains venant s'investir en Europe pour racheter des entreprises anglaises, françaises, allemandes, etc., s'accroissent depuis plusieurs années au moins au même rythme et, de surcroît, en partant d'un niveau plus élevé.
L'accroissement continu des exportations de capitaux depuis les années quatre-vingt ne dénote nullement une nouvelle vigueur économique. En effet les déplacements de capitaux d'un pays à un autre soit visent un profit spéculatif à court terme, soit financent l'acquisition d'entreprises déjà existantes. La flambée des rachats, des fusions, des OPA, sauvages ou pas, qui marquent la compétition entre grands groupes financiers, produit un mouvement continu de concentration de capitaux.
La compétition entre groupes financiers dans ce domaine est à la fois facilitée et rendue plus âpre par la suppression quasi totale des entraves antérieures à la libre circulation des capitaux. Le champ de bataille sur lequel s'affrontent les quelques centaines de grands groupes financiers qui dominent l'économie mondiale, s'élargit depuis plusieurs décennies et, plus particulièrement, depuis la dernière. Cela sous l'effet de différents facteurs : la liquidation des zones d'influence protégées des vieilles puissances coloniales puis, beaucoup plus récemment, la pression sur les pays pauvres dans le sens de l'abandon de l'étatisme, la politique de privatisations dans les pays impérialistes eux-mêmes, voire l'ouverture, même limitée, aux capitaux occidentaux des pays naguère dans la sphère d'influence de l'URSS ou de la Chine.
Echaudés par ce que l'on a appelé "la crise de la dette" des pays pauvres, au début des années quatre-vingt, les capitaux privés se sont limités pendant une dizaine d'années, pour l'essentiel, à des placements à l'intérieur du triangle formé par les Etats-Unis flanqués du Canada, l'Europe occidentale et le Japon. Depuis le début de la décennie en cours, s'est cependant développé un mouvement d'exportations de capitaux, d'une part vers les plus industrialisées des ex-Démocraties populaires (du fait et au profit de l'impérialisme allemand principalement), d'autre part vers quelques pays d'Asie (du fait et au profit surtout du Japon et des Etats-Unis).
Les chiffres brandis pour prouver la rapidité de la croissance de l'Indonésie, de la Malaisie, de la Thaïlande ou de la Chine, sans parler des cas plus anciens, comme la Corée, ou très particulier, comme Taïwan, Hong Kong ou Singapour, ne doivent cependant pas faire oublier le point de départ extrêmement bas de ces pays, ni le fait qu ils constituent des cas d'espèce parmi les quelque 150 pays sous-développés de la planète.
De façon significative, les chiffres de croissance les plus impressionnants de certains pays de l'Asie du Sud- Est ou d'Amérique latine concernent les activités et les capitalisations boursières. Signe que ces pays attirent bien plus les capitaux financiers à la recherche de placements spéculatifs que des capitaux destinés à s'investir dans la production. Le Mexique a payé, il y a à peine deux ans, par un krach violent et ses classes pauvres, par une politique d'austérité brutale, le retrait massif et brusque de capitaux étrangers placés dans ce pays.
L'impérialisme n'est pas en train de développer la partie sous-développée de la planète, pas même les quelques pays qui "bénéficient" des capitaux occidentaux exportés. Tout comme ils ne se sont pas développés dans la période précédente où les capitaux étaient "prêtés".
L'ensemble des pays pauvres continue à s'appauvrir par rapport aux pays impérialistes. Cet appauvrissement est catastrophique pour la quasi-totalité de l'Afrique, pour une partie de l'Amérique latine et des Caraïbes et pour une grande part du continent asiatique.
Bien qu une relative accalmie ait succédé cette année aux vagues dévastatrices de la spéculation de la période précédente, le secteur financier demeure hypertrophié par rapport au secteur productif. Le nombre des instruments financiers et la masse des capitaux mis en mouvement continuent à s'accroître du fait principalement des émissions d'emprunts des Etats. Ces derniers sont sans cesse à la recherche d'argent frais pour combler le déficit creusé dans leur budget par les aides au patronat et par le financement du service de leurs dettes antérieures.
L'inflation, c'est-à-dire l'émission de monnaie sans contrepartie, a été pendant longtemps un moyen privilégié pour les Etats de combler le déficit de leur budget. Elle pourrait le redevenir. Mais depuis plusieurs années, la plupart des gouvernements et des banques centrales sont engagés dans une politique destinée à freiner l'inflation.
Cette politique n'a évidemment pas pour motif la protection du pouvoir d'achat des classes pauvres contre l'érosion monétaire. Mais la dépréciation des monnaies, à des rythmes différents dans les différents pays, est un frein pour le commerce international. En outre, cela laisse le champ libre aux "dévaluations compétitives", ces manipulations monétaires classiques par lesquelles les Etats aident leurs capitalistes à rendre provisoirement leurs marchandises plus compétitives sur les marchés internationaux.
Le Système Monétaire Européen (SME) avait déjà été mis en place en son temps pour stabiliser le taux de change entre différentes monnaies européennes. Il n'a cependant pas résisté à la tempête spéculative de 1992-1993 où la livre sterling britannique et la lire italienne ont repris leur liberté.
C est pourquoi la nécessité d'une monnaie unique s'est progressivement imposée aux bourgeoisies des pays européens dont les économies sont les plus interdépendantes, parmi lesquelles principalement celles de l'Allemagne et de la France.
Ce n'est pas d'aujourd hui d'ailleurs. Depuis un siècle cette nécessité se fait sentir. Mais dans le monde entier, l'étalon or, respecté par les puissances impérialistes, représentait une monnaie internationale. De plus, avant la Deuxième Guerre mondiale, les puissances coloniales européennes ne souhaitaient pas partager leurs empires avec leurs rivaux par le biais d'une monnaie unique. Elles imposaient leur monnaie à leurs colonies et cela leur allait bien comme cela.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l'Europe divisée, ruinée, exsangue, ne pouvait se passer de l'aide américaine et le dollar régnait.
Mais depuis, les choses ont changé, les colonies ont disparu, le marché capitaliste mondial a été libéré de ces entraves, le dollar n'est plus garanti sur l'or et fluctue. Les puissances impérialistes européennes ne veulent plus en être dépendantes et pourraient en s'unissant en avoir les moyens.
Cela dit, si cette nécessité de s'unir n'est pas nouvelle et si les raisons de s'unir ont augmenté par rapport à celles de rester indépendants, les choses n'ont pas été simples et ne le sont toujours pas.
Pour qu il y ait possibilité de libre circulation des personnes et des marchandises, il faut harmoniser les législations nationales, tant sur le plan des réglementations et des législations commerciales que sur le plan social, au moins au niveau où elles le sont aux USA, entre les différents Etats. Il faut que tel produit, telle technique de fabrication ou même tel additif alimentaire autorisé dans un Etat ne soit pas interdit dans un autre, ce qui remplacerait par des entraves administratives ou juridiques les barrières douanières abolies.
Pour la libre circulation des personnes, il faut que toute personne ayant l'autorisation de vivre et de travailler dans un pays l'ait dans tous. Cela n'a pas été et ne va toujours pas sans mal.
Pour qu il y ait une monnaie unique offrant une garantie absolue, il ne faudrait bien sûr qu un seul institut d'émission. Ce sur quoi, en l'absence d'Etat fédéral européen, les grandes puissances ne se sont pas entendues jusqu ici. Tout ce dont elles sont parvenues à convenir, c'est de s'engager à maintenir leur déficit budgétaire dans des limites réduites afin de ne pas être tentées de recourir à l'émission de monnaie excédentaire.
Le gros problème a été de s'abstenir de subventionner leur industrie, soit directement, soit indirectement par des commandes privilégiées de l'Etat et, pour ces dernières, de jouer le jeu de la concurrence par des appels d'offres à l'échelle européenne, ce qui n'est pas encore vraiment réalisé.
Difficultés aussi, dans le domaine agricole, où les agricultures des puissances les plus industrialisées d'Europe sont concurrencées par les agricultures des autres impérialismes européens, en particulier ceux où la production agricole est prédominante.
Les Etats les plus riches ont dû remplacer les subventions directes à leur propre agriculture, avant tout aux trusts agro-alimentaires, par des subventions au moyen de fonds européens constitués spécialement.
Un problème majeur pour la France mais surtout pour la Grande-Bretagne est que tout l'agro-alimentaire, voire d'autres productions, minières par exemple, qui dépendent d'elles, ne sont pas situés sur leur territoire national.
La France est liée avec des Départements d'Outre-Mer, avec des Territoires d'Outre-Mer et avec des pays africains de la zone franc (le franc CFA), avec lesquels elle a des partenariats privilégiés. La Grande-Bretagne est plus ou moins liée avec les cinquante et un pays du Commonwealth qui reconnaissent la reine d'Angleterre comme souveraine ou comme chef. Les autres pays d'Europe et en particulier l'Allemagne ne voient cependant pas pourquoi ils paieraient le rhum, le sucre, les bananes ou quoi que ce soit d'autre au-dessus du cours mondial, à cause des liens ex-coloniaux de la France et l'Angleterre.
Si les intérêts fondamentaux, surtout à venir, du grand capital industriel, commercial et financier anglais penchent manifestement du côté de l'Europe, ses intérêts immédiats sont plus nuancés. En effet, les entreprises qui sont directement liées au Commonwealth sont de grandes sociétés qui pèsent lourd dans l'économie anglaise. De plus, au niveau du capital financier, toutes sont imbriquées. Enfin, la bourgeoisie anglaise est bien plus liée au capital financier des USA que ses grands partenaires européens. C'est pourquoi la Grande-Bretagne est la moins européenne des trois grandes puissances impérialistes du vieux continent.
L'Europe, le marché commun européen et la monnaie unique européenne sont cependant devenus à des degrés divers des nécessités vitales pour les principales puissances impérialistes de l'Europe, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, et quelques autres comme le Portugal, la Hollande, l'Espagne et l'Italie. Toutes ont à y gagner et à y perdre. Les plus faibles y gagneront moins que les plus fortes et y perdront plus.
Quant aux autres pays comme la Grèce, les pays d'Europe de l'Est, la Turquie, ils n'ont pas véritablement le choix. Ou bien ils seront rejetés de l'ensemble européen et se verront imposer l'échange inégalitaire dans toute sa rigueur, ou bien ils accepteront d'être intégrés au marché européen. Ils subiront alors le cours unique de la monnaie européenne qui échappera totalement à leur contrôle car il sera entre les mains des plus grandes puissances. Ils y perdront une grande part de leur liberté politique et économique, mais ils ne seront pas rejetés au rang de pays sous-développés hors des frontières du bloc européen pour subir le joug du capital dans toute la rigueur du marché capitaliste mondial.
L'Europe unie et la monnaie unique, c'est d'abord le talon de fer du capital des plus grandes puissances européennes sur les plus faibles.
Ensuite, entre les plus grandes, c'est une paix armée où des adversaires irréconciliables ne sont réunis que par la nécessité. La nécessité de faire face aux agressions économiques extérieures sur leur propre domaine géographique. La nécessité de la mise en coupe réglée en commun des plus petits pays d'Europe, au lieu de se livrer entre elles à une concurrence suicidaire. La nécessité de s'unir pour participer à l'exploitation, face à leurs concurrents, de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique latine.
A l'échelle mondiale, l'Europe et la monnaie unique européenne sont en effet des impératifs impérialistes face aux USA et accessoirement au Japon. Aucun pays d'Europe, fût-il le plus puissant, ne peut rivaliser, depuis déjà le début du siècle, avec les USA. Et aucun ne peut aujourd hui rivaliser seul avec le Japon.
Si les impérialismes français, anglais, allemand, ne s'unissent pas dans un marché intérieur ayant l'échelle du marché intérieur du continent américain ou l'échelle de la sphère d'influence japonaise en Asie, les lois du marché capitaliste mondial vont jouer de plus en plus contre eux.
Il faut pour les trusts européens élargir leur production au niveau d'un marché intérieur de plusieurs centaines de millions d'habitants, même si ces habitants sont plus ou moins solvables (il en va de même pour les USA ou le Japon).
Il le faut pour pouvoir concurrencer les entreprises les plus grandes sur le marché mondial par une production, une rationalisation et une productivité dépassant les quelques dizaines de millions de consommateurs.
Il faut aussi une monnaie assise sur des richesses et des forces productives à l'échelle d'un continent pour ne pas subir les à-coups des spéculations sauvages et surtout pour que cette monnaie devienne une monnaie mondiale basée sur un volume suffisant de production de biens et de marchandises.
Le dollar est devenu, depuis des dizaines d'années, depuis plus d'un demi-siècle, une monnaie internationale remplaçant l'or dans les coffres des instituts d'émissions de tous les pays du monde. Cela a d'ailleurs permis aux Etats-Unis de vivre pendant des années en exportant leur déficit et en exportant leur inflation.
Aujourd hui, ils le peuvent beaucoup moins et ils sont forcés de recourir à des emprunts ruineux pour financer les dépenses de l'Etat destinées à soutenir leur économie.
Mais cependant ils exportent leur inflation quand même et le monde entier supporte le dollar.
Pour les impérialismes européens, cette situation les place en état de dépendance et la création d'un marché à l'échelle de l'Europe et d'une monnaie basée sur ce marché est le seul moyen de se rendre indépendants du dollar voire d'exporter, à leur tour, leur inflation vers les plus faibles.
Une crise dans telle ou telle région de l'Europe ne se traduirait alors pas automatiquement par un désordre monétaire et une catastrophe commerciale. Car, à partir d'une certaine surface, une monnaie européenne, tout comme le dollar, serait basée sur une économie globalement puissante dont les fluctuations nationales locales seraient compensées à l'échelle du continent.
Bien entendu, cela ne sourit pas trop même aux plus grandes puissances impérialistes d'Europe de devoir composer avec leurs voisins qui sont justement leurs plus proches rivaux. Mais sur une période historique, c'est leur seule chance de ne pas être ravalées au rang d'impérialismes de deuxième ou de troisième ordre.
Pour l'Espagne ou pour le Portugal, le choix est encore plus dramatique que pour l'Allemagne, la France et l'Angleterre.
Autrement dit, l'Europe est une machine de guerre contre les USA et le Japon. Une machine de la guerre économique pour faire que ce soient l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine qui continuent à être victimes des rapacités impérialistes et pour remplacer les guerres de partage du monde qui ont ensanglanté la première moitié du siècle par une guerre économique qui n'ensanglante que les continents pauvres sous forme de guerres civiles, spontanées ou provoquées.
Mais, comme toute armée, l'Europe doit être hiérarchisée et ne pas tolérer en son sein de velléité d'indépendance. Il lui faut mettre tous les pays au même pas, à commencer bien sûr par les plus faibles.
Les travailleurs révolutionnaires, les militants communistes révolutionnaires n'ont ni à militer pour cette Europe impérialiste, ni à s'y opposer, surtout au nom de l'indépendance nationale. L'indépendance nationale n'a rien à faire là-dedans. Tout comme l'indépendance nationale de la France n'était pas mise en cause durant la Deuxième Guerre mondiale par l'occupation du territoire français par l'armée de l'impérialisme allemand. La France restait un pays impérialiste et chacun des pays participant à l'Europe, du plus grand au plus petit, même le petit Luxembourg, restera un pays impérialiste participant à l'exploitation du monde. Ce n'est qu à certains pays de l'Europe de l'Est que cette définition peut ne pas s'appliquer. En effet, ces pays ont toujours été des semi-colonies du capital occidental.
Les travailleurs, les communistes révolutionnaires n'ont pas à s'opposer à l'Europe, ni bien sûr à militer pour. Ils ont par contre à s'opposer à son caractère impérialiste.
Mais l'impérialisme, il est ici même. Ceux qui, en France, nous disent qu il faut s'opposer à la main-mise du capitalisme allemand (ou anglais... ou coréen) sur le capitalisme français, trompent les travailleurs.
Evidemment, la création d'un ensemble économique à l'échelle de l'Europe, d'une monnaie unique, pourrait être considérée comme un progrès objectif. C'est cette situation qui a permis aux USA de devenir la première puissance mondiale, grâce à une monnaie unique, une langue unique, un Etat unique s'étendant d'un bout à l'autre d'un véritable continent. Cela ne s'est pas fait pacifiquement, cela s'est fait au travers de deux guerres sanglantes. D'abord la guerre du Nord contre le Sud, la guerre dite de Sécession, qui a vu la victoire des industriels nord-américains contre le Sud des grands propriétaires terriens. Et puis ensuite, il y a eu ce qu on a appelé pudiquement la "conquête de l'Ouest", la guerre contre les Indiens, un génocide qui a vu les Etats-Unis s'étendre d'un océan à l'autre, le fusil et le sabre de cavalerie en mains.
La grande Europe n'a pas été réalisée par Hitler qui, pourtant, avait bien semblé réussir un moment.
Aujourd hui, elle peut sembler pouvoir se réaliser par des voies apparemment plus pacifiques, mais ce n'est pas vrai qu elle se fait sans catastrophes, sans drames ou même sans morts.
D'abord, on a l'exemple de la guerre civile dans l'ex-Yougoslavie. Et puis aussi, on a la misère qui grandit dans toute l'Europe, que l'on verra peut-être parcourue par des hordes affamées ou des misérables massacrés par la troupe comme au pires heures des sombres siècles du passé.
Nous n'avons pas le choix. L'Europe et une monnaie unique, une langue unique, pourraient être un progrès considérable pour ceux qui vivent sur ce continent, mais pas sous la direction et le contrôle de l'impérialisme. Comme bien d'autres choses d'ailleurs, y compris tous les progrès techniques qui, aux mains des capitalistes, s'accompagnent d'une misère accrue.
C est pourquoi nous ne devons pas refuser la suppression des frontières, la libre circulation des hommes et la monnaie unique car ce n'est pas cela la cause de nos misères. Le marché commun et la monnaie unique ne sont que le dernier prétexte en date dont nos gouvernants se servent actuellement.
La seule cause de nos misères, c'est l'exploitation capitaliste, l'exploitation par nos propres exploiteurs et il faut toujours commencer par balayer devant sa propre porte et lutter avant tout contre ses propres capitalistes, Europe ou pas !