Malgré tous les discours sur les vertus du libéralisme, sur le fait que l'Etat ne devrait pas se mêler d'économie et devrait laisser les banquiers et autres chefs d'entreprise faire leur travail, tout ce beau monde sait s'adresser à l'Etat pour lui demander d'ouvrir ses caisses et de combler les pertes du capital privé. Personne ne parle en revanche d'aller chercher cet argent sur les comptes des capitalistes qui se sont enrichis dans la spéculation.
Les capitalistes veulent que l'Etat leur laisse les mains libres quand il s'agit de faire du profit, mais ils veulent aussi qu'il soit là quand il s'agit d'éponger leurs pertes. De ce point de vue, ils n'ont pas à s'inquiéter. L'Etat répond toujours présent quand il s'agit de colmater les brèches et de garantir le profit des capitalistes.
La question, cependant, est de savoir si les Etats auront toujours les moyens d'arrêter la chute de l'économie mondiale dans le gouffre, c'est-à-dire dans un krach et une dépression généralisée. Face aux masses de capitaux spéculatifs qui se déplacent dans le monde, les moyens d'intervention des Etats, y compris des plus puissants d'entre eux, sont finalement limités.
Ainsi le gouvernement japonais vient de lancer un plan pour redresser le secteur bancaire. Il s'agit pratiquement de nationaliser les banques en les mettant sous le contrôle d'une "autorité de supervision financière", la FSA, qui aura le droit de les fermer ou de les forcer à fusionner. Il y a à la clé un apport de capitaux de l'Etat pour environ 450 milliards de dollars. On est encore loin d'apurer les 1000 milliards de dollars de "créances douteuses", mais c'est tout de même un joli début. Signalons aussi que cette somme de 450 milliards de dollars représente à peu près deux fois le budget annuel de la France, et plus de la moitié du budget annuel de l'Etat japonais. Même si elle est répartie sur plusieurs années, c'est une énorme charge que l'on fera payer à tous les contribuables, y compris les plus pauvres, pour permettre aux banquiers de se tirer d'affaire. Là encore, quand il s'agissait de faire du profit, ceux-ci ont eu les mains libres. Mais les risques qu'ils ont pris, c'est à la population qu'on les fait payer.
Le Japon, grâce à son excédent commercial, dispose d'importantes réserves financières. Cela a permis à l'Etat japonais d'annoncer une relance de l'économie par un plan de dépenses de construction et de travaux publics. Au total, sur l'année 1998, entre dépenses de l'Etat et réductions fiscales, le gouvernement japonais aura "injecté" l'équivalent de 270 milliards de dollars au titre de ces mesures de "relance", l'équivalent du budget de la France. Et depuis 1990, le gouvernement japonais a pu mettre en oeuvre pas moins de onze plans de relance successifs pour un total de 575 milliards de dollars. Avec le dernier annoncé récemment et avec le plan de recapitalisation des banques, on arrivera à mille milliards de dollars pour ces neuf années, somme énorme qui équivaut pratiquement au montant des "créances douteuses" pesant sur les banques.
Pourtant personne n'a l'air de croire que tout cela pourrait relancer l'économie japonaise. Car en fait cela n'était pas le but, en tout cas pas le but principal : il s'agissait tout simplement de maintenir le profit capitaliste, et de ce point de vue-là tout est en ordre. Car si l'on compte bien, dans le seul cas du Japon, les mille milliards de "créances douteuses" qui ne seront jamais recouvrées n'ont pas été perdues pour tout le monde. Elles sont passées dans la poche d'un certain nombre de capitalistes. Quant aux mille milliards des "plans de relance", une bonne partie suit le même chemin.
En fait, ce sont tous les Etats, par différents biais, qui déversent ainsi des milliards en direction des grands capitalistes, et le justifient par la nécessité du soutien à l'économie. Dans le passé, cette politique a eu aussi parfois un peu d'efficacité pour "relancer" l'économie parce qu'une partie de ces dépenses peuvent avoir quelques retombées positives, ne serait-ce que sous forme de salaires et de pouvoir d'achat distribué. Mais de l'avis des financiers et des dirigeants politiques eux-mêmes, cela est de moins en moins efficace de ce point de vue, comme si tous ces milliards disparaissaient dans un puits sans fond, sans créer ni investissement ni emploi.
Ce puits sans fond, c'est celui de la spéculation internationale des capitaux, cette activité purement financière par laquelle il semble qu'on puisse produire de l'argent avec de l'argent, sans qu'il y ait la nécessité à un moment ou à un autre de l'investir dans une activité productive. Et face à cela, même si les Etats engloutissent de plus en plus d'argent pour soutenir les capitalistes, ceux-ci estiment toujours que ce n'est pas assez.