Nous publions ci-dessous une correspondance récente entre le NPA issu du Ve congrès de décembre 2022, qui est une des deux organisations se nommant NPA (l’autre étant animée par Philippe Poutou et Olivier Besancenot), et Lutte ouvrière.
Chers et chères camarades,
Vous avez annoncé lors d’une conférence de presse que votre congrès annuel qui s’est tenu le week-end des 3 et 4 décembre a décidé que vous présenterez aux prochaines élections européennes une liste Lutte ouvrière dont Nathalie Arthaud et Jean-Pierre Mercier assumeront la tête. Ce n’est évidemment pas pour nous étonner ni étonner quiconque. Vous en aviez fait l’annonce lors d’un meeting en octobre dernier. Vous tenez à préciser dans votre conférence de presse que vous le ferez seuls, et surtout pas avec nous (les seuls apparemment qui vous ont sollicités). Vous aviez déjà répondu par une fin de non-recevoir à notre demande du 25 septembre d’une rencontre pour discuter, entre autres mais c’est vrai tout particulièrement, de la possibilité et modalités d’une candidature commune de l’extrême gauche aux Européennes. Votre refus, ne serait-ce que d’une discussion, se concluait dans votre courrier du 17 octobre, après invocation de difficultés à « arbitrer entre les deux organisations qui se disputent le nom du NPA » (mais personne ne vous demandait pareille chose !) par la formule : « Pour la même raison [d’arbitrage impossible], nous ne souhaitons pas accepter de rendez-vous pour le moment. De toute façon, la période électorale qui s’ouvre ne nous semble pas la plus favorable pour discuter de nos politiques respectives. Nous restons cependant disponibles pour le faire ultérieurement. »
Donc attendre l’après Européennes qui ont lieu le 9 juin 2024 ? Encore plus loin que « Pâques ou la Trinité » ? Les communistes prolétariens, révolutionnaires, léninistes, bolchéviks, trotskystes (nous cherchons à ne pas en oublier pour ne pas nous faire épingler !) n’auraient-ils rien à se dire d’ici là ? Une campagne électorale serait-elle motif à gel des relations et discussions entre eux ? Poser la question pour nous, c’est y répondre.
Sauf si nous avons mal lu ou mal compris, c’est certainement une divergence, et pas la seule. Il en est en fait beaucoup, d’ordres divers, qui sont la preuve d’une vivacité et curiosité militantes du mouvement révolutionnaire et pas de sa seule faiblesse d’implantation dans le milieu ouvrier comme dans la jeunesse, à l’échelle nationale et internationale.
Nous allons juste poser quelques questions :
N’y aurait-il rien à discuter entre nous sur la Palestine et ce que les révolutionnaires (communistes, prolétariens, léninistes, bolchéviks, trotskystes) ont à dire et à proposer au milieu ouvrier qui est descendu dans la rue contre les massacres à Gaza, essentiellement « issu de l’immigration », comme aux autres qui ne l’ont pas fait ? Nous avons vu vos banderoles, entendu vos slogans, et vice-versa, mais est-ce suffisant pour penser que la discussion serait ainsi close, ou est-ce qu’au contraire cela ne l’ouvrirait pas ?
N’y aurait-il rien à discuter entre nous sur la politique anti-immigrés, c’est-à-dire anti-ouvrière, du gouvernement Darmanin, et de la droite et de l’extrême droite dont il pille les idées mortifères ? (si nous parlons moins de la « gauche », rassurez-vous, c’est parce qu’on se demande ce qu’il en reste encore). Et que faire contre l’extrême droite représentée par ces groupes de petits nazillons qui fleurissent, à l’ombre des Le Pen et Zemmour ? Vous en discutez entre vous, on imagine, comme nous… donc aucun intérêt à le discuter ensemble ? À additionner les idées et coordonner les forces ?
N’y aurait-il rien à discuter sur la situation de la classe ouvrière aujourd’hui ? Notre priorité commune. Discuter de son éparpillement, de sa précarisation, de sa paupérisation face à l’inflation, de sa faiblesse face aux coups portés par le pouvoir et le patronat sur les plans du chômage, de la santé, de l’éducation. Discuter aussi du faible niveau actuel de ses réactions mais pourtant de l’existence et de la nature de luttes pour les salaires qui marquent le paysage – nous ne pouvons pas oublier l’immense mobilisation de rue que nous avons connue il n’y a pas si longtemps, dans les premiers mois de l’année 2023, contre la réforme des retraites. Qu’en reste-t-il ? Rien du tout ? Quelques progrès dans la syndicalisation de trentenaires ou quarantenaires ? La passivité-complicité politique des appareils confédéraux avec les pouvoirs en place, gouvernementaux et patronaux, est à mesurer aussi. L’intégration des syndicats à l’État est une très vieille histoire mais dont on ne peut ignorer les facettes actuelles. Et il y aurait à échanger sur nos efforts respectifs à faire de l’agitation sur les salaires, sur les conditions de travail… ce que nous pourrions même envisager d’aborder entre nous dans des rencontres ouvrières.
N’y aurait-il rien à discuter entre nous, sur la façon de s’adresser à une jeunesse sensible aux problèmes de société, aux questions climatiques, mais sensible aussi à des théories sur la prééminence des questions d’oppression dites spécifiques qui prendrait le dessus par rapport à l’exploitation de classe et la propriété privée qui fondent (de façon de plus en plus branlante) la société capitaliste ? N’y a-t-il pas un enjeu pour les marxistes révolutionnaires à rallier cette jeunesse qui se politise à des perspectives émancipatrices de classe ? Nous ne prétendons pas être des champions mais avons quelques pistes.
Enfin pour allonger et clore cette longue liste à la Prévert, deux questions encore sur les campagnes électorales. Nous les révolutionnaires sommes partisans de les mener pour y défendre les grandes lignes de notre programme dans une situation donnée. Mais pas tout le Programme de transition, ça va de soi. Il peut donc être de quelque intérêt de discuter avec d’autres pour décider du meilleur choix de ces grandes lignes et de leur formulation. Nous sommes également partisans de les mener pour permettre à un grand nombre de travailleurs de voter dans leur propre intérêt, de faire le geste qui les préserve de voter pour leurs pires ennemis ou faux amis. Mais il nous faut aussi donner l’exemple, trouver une façon de montrer qu’on croit à la force du nombre et à la coopération entre révolutionnaires, donc chercher la voie d’une alliance et de préférence la trouver. Voilà trop longtemps que les révolutionnaires, quand ils se présentent à des élections, le font en s’ignorant mutuellement. C’est quoi, c’est qui, ces révolutionnaires qui parlent de solidarité internationale, de travailleurs de tous les pays qui doivent s’unir, et qui eux-mêmes ne tentent même pas de présenter des candidatures communes à des élections de la bourgeoisie ? Sous prétexte que deux ou trois virgules de leur programme seraient oubliées ? Sous prétexte qu’ils seraient trop « singuliers » à « pouvoir défendre la perspective communiste révolutionnaire »… Ah bon ? Lutte ouvrière serait la seule organisation à occuper le Panthéon du communisme révolutionnaire ? N’est-ce pas un peu dérisoire ?
Si Lutte ouvrière est probablement la plus ancienne et la plus sérieuse des organisations révolutionnaires de ce pays, elle n’a pas trouvé la martingale gagnante, elle n’a pas seule la science infuse, ou ça se saurait après tant d’années d’existence (près de 70 ans en remontant à la fondation de Voix Ouvrière en 1956). De cela aussi il y aurait à discuter, chers et chères camarades.
Nous aussi avons des critiques à votre égard. Nous pensons problématique de continuer à analyser la Russie comme un État ouvrier très, très, très dégénéré ! Nous pensons très problématique de n’avoir aucune politique à l’égard des autres révolutionnaires. Entre autres. Mais nous pensons que nous pourrions néanmoins aller vers une campagne commune. Car l’enjeu est de taille : offrir une perspective à la fraction non négligeable de la classe ouvrière et de sa jeunesse qui, ces dernières années, a participé à des luttes et cherche du côté des révolutionnaires. Ensemble, des révolutionnaires, et au nom des intérêts politiques fondamentaux des exploités et opprimés, nous pourrions donner quelque concrétisation au but de renversement de ce système capitaliste, et même bousculer un peu la machine électorale bourgeoise : oui, urgence révolution !
Dernière preuve qu’il y aurait vraiment besoin de discuter, vous dites quelques bêtises sur notre parti à votre dernière conférence de presse. Cela vous amuse apparemment de dire que « nous sommes divisés » (comme si les oppositions sur des choix étaient un crime et excluaient la solidarité !) ; de dire que le NPA issu du Ve congrès serait composé de « deux bouts » (merci pour les « bouts » !), l’un qui serait « pour soutenir notre campagne » et un autre qui serait « pour se présenter ». Que représente l’un, que représente l’autre, quels sont les termes de nos discussions ? Nous aurions pu vous en faire part, et précisément les discuter à ce rendez-vous que vous avez décliné. Cela vous aurait évité deux ou trois phrases à l’emporte-pièce que des travailleurs conscients ne peuvent prendre que pour des racontars un chouia fielleux.
Dans notre parti, nous avons certainement des divergences et des débats. Nous serions pour cela divisés ? En tout cas beaucoup moins que vous le laissez entendre. Car nous sommes solidement alliés pour vouloir que des révolutionnaires osent enfin prendre la responsabilité d’une campagne politique commune pour ces Européennes. Bien sûr nous avons encore des problèmes de fric (mais qui n’en a pas et qui ne se donne pas les moyens de les résoudre ?) et quelques autres liés à notre situation de NPA sorti d’un congrès il y a tout juste un an. Mais nous attachons beaucoup d’importance à la présence d’un pôle révolutionnaire dans ces Européennes. Dans l’intérêt des travailleurs de ce pays et bien au-delà car il va s’agir de l’Europe, de l’Ukraine, de la Palestine et de menaces de guerre généralisée – surtout des grandes puissances de ce monde contre la planète prolétaire. Il va s’agir de populariser l’internationalisme prolétarien.
Alors, circulez, y’a rien à voir ? Et rendez-vous à la fin juin ?
Nous persistons à vous proposer une rencontre pour aborder ces questions.
Avec nos salutations communistes, révolutionnaires, trotskystes,
Le CE du NPA
(issu du Ve congrès),
le 19 décembre 2023
Lutte ouvrière Au NPA issu du Ve congrès de décembre 2022
Pantin, le 13 février 2024
Chers camarades,
Nous avons bien reçu votre lettre datée du 19 décembre 2023, qui se veut chargée d’ironie mais qui est seulement destinée à tenter naïvement de nous forcer la main pour une présence commune aux élections européennes. Alors, autant vous l’écrire tout de suite : nous ne vous servirons pas de marchepied.
« C’est quoi, c’est qui, écrivez-vous, ces révolutionnaires qui parlent de solidarité internationale, de travailleurs de tous les pays qui doivent s’unir, et qui eux-mêmes ne tentent même pas de présenter des candidatures communes à des élections de la bourgeoisie ? Sous prétexte que deux ou trois virgules de leur programme seraient oubliées ? »
Si vous éprouvez la nécessité de créer une nouvelle organisation, c’est que vous estimez que vous incarnez une politique originale, qui ne se réduit pas « à deux ou trois virgules » !
Il est dans la logique des choses que lorsque deux organisations existent de façon indépendante, elles assument avoir des choses différentes à dire, pas moins durant les élections que dans les journaux, tracts ou affiches qu’elles publient dans leur existence quotidienne. Les accords possibles répondent à des questions techniques, par exemple la possibilité d’avoir des élus en s’alliant ou la volonté de rassembler un nombre significatif de votes sur un thème précis. Dans ces élections, il n’y a aucune raison particulière et tactique de faire un accord.
Face à la question fondamentale de la guerre impérialiste, dont la guerre en Ukraine est une expression, vous êtes incapables de tenir une orientation révolutionnaire et lutte de classe. Et il ne s’agit pas là de deux ou trois virgules oubliées ! En épousant le seul « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », vous avez apporté votre petite caution à la politique menée par Biden et le camp impérialiste occidental.
Sur un événement aussi important pour l’avenir car, vous en convenez vous-mêmes, cette guerre s’inscrit dans une montée des rivalités internationales et la menace de guerre mondiale, vous avez été incapables de maintenir une position d’indépendance de classe, alors même que les pressions qui se sont exercées sur les révolutionnaires n’étaient pas très fortes. Que direz-vous dans six mois ? Que direz-vous si la France et le territoire français lui-même sont confrontés aux bombardements, voire à une invasion ? Qu’il faut s’unir avec « les bourgeois pensant français », comme l’ont défendu certains trotskystes pendant la Deuxième Guerre mondiale ?
En oubliant la lutte de classe à l’échelle du monde, vous ne faites que reprendre à votre compte l’objectif politique de Zelensky et, surtout, de Biden et Macron ! Vous le faites d’une façon plus hypocrite que le NPA tendance Poutou-Besancenot qui, lui, a pris ouvertement position pour la livraison d’armes au régime de Zelensky, mais le résultat politique est le même : vous vous êtes retrouvés dans le même camp que votre propre impérialisme !
Une des différences entre vous et nous, c’est que nous prenons au sérieux le capital politique légué par les révolutionnaires qui nous ont précédés, car il constitue notre unique boussole. Et, contrairement à vous, nous restons fidèles au cap donné par Liebknecht lors de la Première Guerre mondiale : « L’ennemi principal est dans notre propre pays. »
Pour revenir aux élections européennes, si nous avons décidé de présenter une liste conduite par Nathalie Arthaud et Jean-Pierre Mercier, sans nous allier à qui que ce soit, ce n’est pas parce que nous pensons « avoir la science infuse », ni avoir trouvé « la martingale gagnante », pour reprendre vos expressions, qui témoignent d’une totale incompréhension de ce que nous recherchons. Nous avons une politique, que nous menons depuis près de 70 ans, comme vous le soulignez. Nous formons nos militants à intervenir sur la base du programme communiste révolutionnaire, en nous fixant l’objectif d’implanter ces idées dans la classe ouvrière. Nous n’avons jamais changé d’attitude, et nous pouvons revendiquer une continuité politique, à la différence de bien des militants et des organisations se revendiquant du trotskysme.
Alors que les bourgeoisies des puissances impérialistes, leurs états-majors, leurs représentants politiques, disent ouvertement qu’ils se préparent à entraîner le monde dans une nouvelle guerre mondiale, nous tenons à nous présenter seuls pour défendre les idées de lutte de classe, celles du Manifeste communiste de Marx, pour affirmer que l’avenir de toute la société dépend de la capacité des travailleurs de se donner un parti révolutionnaire pour renverser le pouvoir de la bourgeoisie.
Votre lettre nous a été adressée au nom du « NPA issu du Ve congrès de décembre 2022 ». Elle a au moins l’avantage de nous faire connaître votre nouvelle étiquette, qui confirme votre choix de reconstituer le NPA, c’est-à-dire d’assumer la politique passée de cette organisation, comme elle indique la perspective que vous tracez pour vous-mêmes dans l’avenir.
Une chose que vous avez apprise au NPA et à laquelle vous tenez, c’est de pouvoir dire tout et son contraire. C’est d’accepter de faire cohabiter dans un même parti des positions opposées. Mais la godille politique pour unifier à tout prix et, en fait, pour suivre les vents dominants, ne peut pas fonder une politique révolutionnaire qui est, hors des périodes révolutionnaires, une politique à contre-courant.
Pour ce qui est de notre politique, de nos perspectives comme de nos activités quotidiennes, nos 70 ans d’existence en témoignent. Chacun de vos militants comme chacun des nôtres peut la vérifier, la critiquer, l’assumer ou la rejeter. Qu’en est-il de la vôtre ? Pour le moment, rien ne nous garantit que vous sachiez vous-mêmes quelle est votre politique.
Vous mettez en exergue le caractère récent de votre création. Nous sommes au regret de vous dire qu’il faut assumer la responsabilité politique du courant auquel vous adhérez. Pour récente que soit votre existence, vos errements par rapport à l’impérialisme dans la guerre qui se déroule en Ukraine indiquent une absence de fermeté dans votre position politique. Nous ne voulons pas y être assimilés, même indirectement en y étant associés pendant la campagne électorale.
Quant aux divergences qui se réduiraient, selon votre expression, à des points et des virgules, nous n’avons aucune envie de perdre du temps et de brouiller les idées que nous voulons développer.
Vous affirmez : « Nous pensons très problématique de n’avoir aucune politique à l’égard des autres révolutionnaires. » Mais si, chers camarades, ne pas vouloir nous présenter avec vous est une politique !
L’affirmation que Lutte ouvrière n’a pas de politique vis-à-vis des révolutionnaires, si elle vient de vos jeunes, témoigne d’une absence évidente de culture politique. Si elle vient des plus anciens, qui nous ont fréquentés, elle relève d’un mensonge grossier et témoigne du peu de sérieux de celles et ceux qui l’ont propagée. Car un certain nombre d’entre eux ont participé à moult réunions organisées en commun avec d’autres trotskystes, et même avec des capitalistes d’État.
Cela dit, une fois les élections terminées et la question d’une présence commune dans ces élections dépassée, c’est bien volontiers que nous reprendrons la discussion sur un certain nombre de questions, notamment l’évolution de l’ex-URSS et des modalités d’intégration de l’ex-bureaucratie dans le monde capitaliste. À vrai dire, nos différences apparaissent dans nos prises de position dans Lutte ouvrière, Lutte de classe, nos exposés du Cercle Léon Trotsky et nos textes de congrès.
Nous souhaitons que cela puisse se faire avec des participants qui soient suffisamment sûrs de leurs propres idées et de leur propre engagement pour pouvoir aborder ces questions avec un minimum de sérieux.
Recevez, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.
Le Comité exécutif de Lutte ouvrière