Sur le plan économique, 1993 est restée une année de récession. C'est la troisième récession internationale depuis vingt ans où la production de biens matériels ne fait pas que stagner, mais recule franchement.
En 1974/1975, la production industrielle a reculé dans tous les grands pays industrialisés sans exception, de pourcentages s'échelonnant de 0,2 % pour le Japon à 7,7 % pour les États-Unis.
En 1980/1982, nouveau recul international de la production, avec des chutes de 9 % pour les États-Unis.
Cette fois, après avoir été les premiers à reculer en 1990, les États-Unis ont passé le relais à l'Europe : à la France, mais aussi à l'Allemagne, passée pendant si longtemps pour un modèle de réussite.
Chacune de ces récessions, même prise isolément, représente un immense gâchis pour la société. Mais au-delà de l'alternance des récessions et des faibles reprises, sur l'ensemble de cette dernière période de vingt ans la progression de la production a été nettement plus faible que pendant les vingt ans précédents et le chômage s'est accru sans cesse dans l'ensemble des pays industriels, sans même parler des autres. Cela constitue un gâchis plus grand encore, sur le plan économique, social, humain.
L'accroissement du volume des capitaux consacrés aux opérations financières au détriment de ceux consacrés à la production de biens réels a été également le trait permanent de l'économie durant ces vingt ans. La prépondérance de la finance sur l'industrie est, depuis ses débuts, un des aspects fondamentaux de l'impérialisme. Elle a pris au cours de ces vingt ans une ampleur sans précédent. La sphère financière et boursière a pris une importance telle - le volume de l'argent consacré, par exemple, à des opérations financières dans les transactions internationales est estimé cinquante fois plus important que le volume de l'argent consacré à la circulation des marchandises - qu'elle apparaît aujourd'hui complètement déconnectée de la production de biens réels. La spéculation rapporte plus et plus vite que l'industrie. Le capitalisme devient de plus en plus usuraire.
Cette "sphère financière" est monopolisée, à l'échelle du monde, par un nombre restreint de groupes financiers, de grandes banques, de trusts multinationaux. Ces derniers bénéficient du soutien sans faille de leurs États. La politique de tous les gouvernements des puissances impérialistes a été de favoriser la "dérégulation" du marché financier, c'est-à-dire la possibilité pour les capitaux financiers et boursiers de se déplacer d'un bout à l'autre de la planète, sans limite et sans contrôle. Le volume des capitaux susceptibles de se déplacer dans l'espoir d'un profit spéculatif rapide est devenu tel qu'il est sans commune mesure avec ce que les États ont dans leurs réserves, États-Unis compris. Les États sont pratiquement désarmés devant les mouvements spéculatifs attaquant leur monnaie. Après la livre sterling britannique, la lire italienne et quelques autres, le franc français en a fait l'expérience en août dernier et encore aujourd'hui. Comme en a fait les frais le système monétaire européen, dont il y a un an les gouvernants disaient qu'il devait mener à une monnaie unique européenne.
L'endettement des États est tout à la fois la conséquence et une des causes premières de cette prépondérance de la finance sur l'industrie, de la spéculation sur la production.
Les dépenses des États ont joué partout un rôle majeur pour permettre à la classe capitaliste de compenser son manque à gagner du fait de la stagnation des marchés. Les déficits croissants des finances publiques en sont partout la contrepartie.
Cela signifie que la charge et le niveau de la dette publique s'accroissent partout, non seulement en valeur absolue mais aussi en pourcentage de la production.
L'accroissement incessant des intérêts payés par les États reflète le parasitisme croissant du capital. Le grand capital n'a même pas à se donner la peine de s'investir dans la production ni à dépendre pour ses profits des aléas du marché. Les États y pourvoient. A eux la charge de faire payer ce parasitisme à l'ensemble de la population. Le capital a de moins en moins à se préoccuper des moyens de faire payer ses débiteurs, et même d'exploiter les prolétaires lui-même, l'État s'en charge pour lui.
Le paiement des intérêts de la dette est en passe de devenir un des principaux postes budgétaires dans la plupart des États. Mais l'accroissement de ce poste signifie des coupes claires dans les autres. Voilà pourquoi les équipements collectifs régressent et toutes les formes de service public (éducation, santé, etc.) se dégradent, même dans les pays industrialisés les plus riches. Voilà pourquoi les systèmes de sécurité sociale cèdent partout la place aux systèmes de garanties payantes pour les couches aisées et à la charité, privée ou institutionnalisée, pour les autres. La dégradation des services publics s'ajoute au chômage, à la baisse de la masse salariale, pour accentuer l'inégalité au sein de la société.
Paupérisation croissante d'un côté, concentration croissante de la richesse de l'autre : toutes les crises de l'économie capitaliste conduisent à une concentration du grand capital. La crise actuelle a considérablement accru la mainmise sur l'économie d'un nombre restreint de groupes financiers.
L'intense mouvement de concentration de capitaux des années 80 s'est déroulé à l'échelle internationale. Si la mondialisation des monopoles les plus puissants est aussi vieille que l'impérialisme, la déréglementation de la circulation des capitaux a favorisé les fusions, les acquisitions, à l'échelle internationale.
Jamais sans doute dans le passé les liens de l'économie internationale n'ont été aussi denses et dans d'aussi nombreux secteurs. Quelques groupes gigantesques organisent l'activité économique de centaines de milliers, voire de millions d'hommes dans un grand nombre de pays de la planète.
Mais, en même temps, ces grands groupes continuent à s'appuyer sur leurs États nationaux dans cette économie qui prétend avoir comme fondement le marché libre. Mais, malgré toutes les négociations du GATT, comme malgré tous les prétendus acquis du "marché unique européen", le marché n'est nullement "libre". Il est seulement le lieu de confrontation des rapports de forces.
Ce sont les pays sous-développés qui sont les principales victimes de cette évolution dans le domaine des relations entre pays. Si certains pays pauvres, en nombre limité, ont réussi à accrocher leur développement économique aux intérêts de grands groupes industriels, en leur fournissant notamment une main d'œuvre bon marché, des continents entiers, comme l'Amérique latine et surtout l'Afrique, sombrent dans la misère et la famine.
Les tentatives pour maintenir ou accroître le profit capitaliste ont pris au cours des vingt ans passés, sur le plan technique, une grande variété de formes. Elles ont cependant toutes consisté à réduire la part de la classe ouvrière. En réduisant partout le niveau de vie de la classe ouvrière, en en transformant une fraction croissante en chômeurs, assistés ou non, le capitalisme décompose et pourrit toute la société.
La collaboration des États et des organismes internationaux sous l'autorité des États-Unis a permis à la bourgeoisie, jusqu'à présent, d'éviter que les vagues spéculatives et les bulles financières successives se traduisent par un effondrement économique comparable à ce qui s'est produit dans les années trente. Mais au rythme où vont les choses, le capitalisme finira par étouffer la production et rendre le chômage catastrophique, de façon progressive peut-être, mais aussi sûrement qu'il l'a fait il y a soixante ans de façon brutale.
C'est une économie, une société en crise profonde. La bourgeoisie n'a aucune autre issue à proposer à cette crise que la gestion au jour le jour, en imposant aux masses exploitées des conditions d'existence de plus en plus dures. Seule la renaissance du mouvement ouvrier, sur une base révolutionnaire, peut ouvrir devant la société des perspectives : celles du bouleversement radical des rapports de propriété, l'expropriation de la bourgeoisie et le remplacement du système économique capitaliste par une économie socialisée et planifiée.
C'est pourquoi les perspectives ouvertes par la révolution russe de 1917 sont toujours d'actualité.
26 octobre 1993