Ainsi, Bush a remporté haut la main l'élection présidentielle américaine. Au-delà de l'écart entre le nombre de grands électeurs respectifs des deux candidats, déterminé par une procédure électorale compliquée, il a obtenu trois millions cinq cent mille voix de plus que son adversaire.
Lors de sa première élection, en 2000, Bush n'avait été désigné président des États-Unis, en dernier ressort, que grâce au jugement favorable d'un juge de la Cour suprême. Il avait pourtant recueilli moins de voix que son adversaire démocrate, Al Gore. Il était déjà arrivé dans le passé qu'un président soit élu avec moins de voix que son adversaire grâce à un système électoral à deux degrés qui attribue, dans la plupart des États, la totalité des grands électeurs d'un État à celui qui a une majorité, même très courte. Le système électoral lui-même apporte déjà des "correctifs" à l'expression du corps électoral. De plus, à en juger par la cascade de contestations et de procès qui a suivi l'élection de 2000, le clan Bush avait apporté quelques "correctifs" supplémentaires là où il en avait la possibilité, en Floride dont le gouverneur est un frère Bush. C'était donc une élection contestable et contestée. Et G.W. Bush entama sa carrière présidentielle en position de faiblesse.
Et voilà que quatre ans après, il est réélu avec une majorité à ce qu'il paraît sans précédent dans l'histoire électorale américaine !
C'est qu'entre-temps, il y a eu le 11 septembre 2001, la destruction des tours jumelles du World Trade Center à New York. Pour la première fois depuis près de deux siècles, les États-Unis étaient atteints sur leur sol.
Bush sut se saisir de l'émotion que cela suscita - ou ses conseillers surent le faire pour lui. Répétant les mouvements de menton devant la télévision, il prit la pose du chef de guerre d'une Amérique attaquée et s'engagea dans une politique de démagogie sécuritaire.
L'élection de G.W. Bush, avec son populisme réactionnaire, ses arguments sécuritaires, son langage moralisateur, son parti pris de fondamentalisme religieux, reflète apparemment l'état d'esprit actuel d'une majorité de l'électorat américain.
Il faut dire que John Kerry - qui, s'il avait été élu, aurait mené la même politique fondamentale que Bush - n'a pas cherché à incarner une politique différente même sur ce terrain. Il a repris à son compte la politique sécuritaire. Il n'a pas pris le contre-pied des préjugés réactionnaires, quand il n'a pas cherché à les flatter ! À plus forte raison, il n'a pas promis que, s'il était élu, il retirerait les troupes américaines d'Irak. En la matière, les électeurs ont sans doute préféré l'original à la copie.
Ce résultat a surpris ici, en France, les médias et les milieux politiques qui, en même temps qu'ils attribuaient un caractère historique à ce vote, ont pris dans leur très grande majorité parti pour John Kerry. Du coup, au lendemain des élections, ils ont passé leur temps à essayer d'expliquer pourquoi les électeurs américains n'ont pas voté comme eux, les journalistes, avaient prévu qu'ils le fassent.
Bush va donc entamer son deuxième mandat. Ce que sera sa politique, son premier mandat en a déjà donné une certaine idée. Il disposera cependant de moyens politiques supérieurs pour la mener, y compris dans ses aspects les plus réactionnaires.
L'article que nous publions ci-dessous est extrait de Class Struggle, une publication de l'organisation trotskyste américaine Spark. Il a été écrit avant la réélection de Bush. Son objet a été de prendre le contre-pied des illusions propagées par ceux qui, au nom de l'idée "tout sauf Bush", dépeignaient sous des couleurs avenantes le Parti démocrate et son candidat. En faisant cependant le point sur la politique de Bush pendant les quatre ans de son premier mandat, il permet de dégager les grandes lignes de ce que peut être sa politique, au moins pendant la période prévisible à venir.
Il rappelle aussi à quel point cette politique non seulement n'a pas rencontré d'opposition du côté du Parti démocrate, mais que celui-ci a bien souvent participé très directement, sinon à son élaboration, du moins à son adoption par le Congrès.
11 novembre 2004
Certaines organisations représentatives des principales fractions de l'électorat du Parti démocrate - comme la centrale syndicale AFL-CIO, des associations de défense des Noirs (NAACP, Urban League), des femmes (NOW), des libertés civiles (ACLU) ainsi que de nombreux militants antiguerre - présentent l'élection de novembre comme un référendum sur le bilan des quatre années du gouvernement Bush.
Il faut ajouter à cette liste plus de quatre-vingts personnalités - notamment Noam Chomsky, linguiste, Barbara Ehrenreich, romancière, Howard Zinn, historien, Daniel Ellsberg, figure du mouvement contre la guerre du Vietnam, et Studs Terkel, homme de radio B, qui toutes avaient soutenu en 2000 la campagne électorale de Ralph Nader (avocat spécialisé dans la défense des consommateurs qui se présente pour la quatrième fois en tant que candidat indépendant), mais qui ont déclaré cette fois que, dans les 15 États présentés comme " décisifs "dans cette élection, il fallait voter pour Kerry et les Démocrates.
Il est certain qu'au cours du mandat qui vient de s'écouler, le gouvernement Bush a porté toute une série d'attaques contre la population laborieuse au plus grand profit des riches. Les États-Unis sont maintenant engagés en Afghanistan et en Irak dans deux aventures " impérialistes" d'envergure, qui sont l'équivalent pour cette génération de ce que fut la guerre du Vietnam pour la précédente. Par trois fois, le gouvernement a considérablement réduit certains impôts, pour une valeur totale estimée à plus de 1 700 milliards de dollars sur dix ans ; une quatrième réduction d'impôts au profit des grandes entreprises vient d'être votée par le Congrès. Cette politique se traduit par un transfert de la charge de l'impôt, qui s'allège pour les grandes fortunes et les grandes entreprises et s'accroît pour les travailleurs et les classes moyennes et les pauvres. Selon une étude publiée en août par le bureau du Congrès chargé du budget, " les taux des prélèvements en vigueur... rendent la part d'impôt payée inversement proportionnelle au revenu" . Si l'on ajoute à cela l'augmentation considérable des dépenses militaires nécessitée par les guerres en cours (et les subventions à peine déguisées au secteur de la défense), les réductions d'impôts ont conduit à des déficits budgétaires énormes, qui ont ensuite servi d'argument pour justifier la diminution de programmes fédéraux utiles à la population - par exemple, dans l'éducation, la santé, les services publics. La partie des impôts fédéraux qui est redistribuée aux autorités locales (villes ou États) a elle aussi diminué, entraînant de nouvelles réductions de ces programmes. En même temps, le gouvernement s'est doté de moyens de répression supplémentaires sur la population, notamment en faisant voter le Patriot Act. Enfin, il a ouvertement encouragé et soutenu les idées les plus réactionnaires et rétrogrades, particulièrement en ce qui concerne le droit des femmes à disposer d'elles-mêmes - par exemple, en faisant voter une loi qui interdit ce que les politiciens appellent, hypocritement, l' "avortement par accouchement partiel" .
Deux sales guerres, des attaques contre le niveau de vie des travailleurs, l'augmentation des pouvoirs répressifs du gouvernement, la réduction des droits des femmes, voilà quel était le bilan du gouvernement fédéral trois ans et demi après l'arrivée de Bush au pouvoir.
Un sénat contrôlé par les Démocrates
Mais pendant ce temps-là, que faisaient donc les Démocrates qui étaient en situation de mettre un coup d'arrêt à ces attaques ? Eh bien, ils n'ont même pas essayé.
En effet, il faut savoir qu'au cours des quatre premiers mois du mandat de Bush, le Sénat était également partagé entre Démocrates et Républicains. Les deux partis comptaient l'un et l'autre cinquante sénateurs et se partageaient les présidences de commission. Mais fin mai 2000, les Démocrates devenaient majoritaires au Sénat : Jim Jeffords, sénateur républicain du Vermont, venait de quitter son parti et de s'inscrire comme indépendant, pour protester contre la politique de Bush qu'il jugeait trop " extrémiste" . C'était une bien faible majorité : 50 Démocrates, 49 Républicains et un indépendant. Mais étant donné les règles de fonctionnement du Sénat, elle donnait aux Démocrates tout pouvoir de décision sur les nouvelles lois. Le Démocrate Tom Daschle devint alors le leader de la majorité et les Démocrates raflaient la présidence de la plupart des commissions et sous-commissions du Sénat. Ils pouvaient décider quelle loi passerait la barrière de la commission et serait proposée au vote de l'ensemble du Sénat - et quelle autre ne serait jamais soumise au vote. Non seulement les sénateurs démocrates avaient les moyens de rejeter toute proposition venant de Bush, mais, s'ils appliquaient la discipline de parti, ils avaient le pouvoir plus grand encore d'empêcher qu'un projet contestable soit même soumis au vote.
En 2002, lors de l'élection de mi-mandat, les Démocrates perdaient cinq sièges au Sénat et devenaient minoritaires. Mais cela ne signifiait pas qu'ils étaient sans aucun pouvoir, car les Républicains dominaient de peu. Les Démocrates disposaient de suffisamment de voix pour bloquer toute nouvelle loi, car il ne faut que soixante voix pour mettre un terme à un débat. Ils auraient donc, là aussi, pu empêcher tout projet de loi contestable d'être soumis au vote. Ils avaient théoriquement droit de veto sur toute loi allant à l'encontre des intérêts de la population laborieuse. Mais il aurait fallu pour cela qu'ils aient la volonté d'utiliser ce droit.
Les Républicains, eux, avaient eu recours à cette tactique au cours des deux premières années du mandat de Clinton, quand les Démocrates avaient la majorité au Congrès et au Sénat. Mais les Démocrates n'ont bloqué aucun des projets présentés par le gouvernement Bush.
Les Démocrates approuvent les réductions d'impôt des riches
L'une des priorités du gouvernement Bush était de venir à la rescousse des contribuables les plus fortunés et des grandes entreprises en réduisant leurs impôts. Dès le début de son mandat, Bush présentait un premier plan de réductions d'impôts évaluées à 1 600 milliards de dollars sur dix ans et portant sur les impôts des revenus les plus élevés, les taxes foncières, etc.
Les Démocrates ont commencé par dénoncer ce projet, disant qu'il se traduirait par un déficit budgétaire " irresponsable" . Certains Démocrates lui reprochaient même d'être trop favorable aux riches.
La solution des Démocrates était de proposer une réduction moins importante, évaluée à 900 milliards de dollars sur dix ans. Leur proposition prévoyait aussi quelques miettes pour les gens ordinaires - un geste envers leur base électorale. Mais l'opposition démocrate a à peine ralenti l'adoption du projet républicain.
Début mars, la Chambre des représentants à majorité républicaine votait le projet de réduction des impôts tel qu'il avait été présenté à l'origine par le gouvernement Bush. Tous les Républicains l'ont soutenu ainsi que dix Démocrates qui ont rompu la discipline de parti et voté avec les Républicains.
Le projet s'est alors retrouvé devant le Sénat où ni les uns ni les autres ne disposaient de la majorité. Les Démocrates ont fait semblant de s'opposer à Bush en présentant leur propre projet de réduction des impôts qui a été rejeté par 61 voix contre 39. Ils n'avaient même pas obtenu toutes les voix des sénateurs de leur propre parti.
C'était en réalité un geste purement propagandiste car, après ce vote, la direction démocrate du Sénat a proposé d'adopter le projet Bush avec seulement quelques modifications d'importance secondaire. Le tout s'est déroulé très rapidement. Début avril, le Sénat adoptait la réduction d'impôts par 63 voix contre 35 - douze Démocrates ayant voté pour.
Daschle, leader des sénateurs démocrates, a alors prétendu que les changements insignifiants obtenus par son parti étaient une victoire sur la Maison Blanche, car la loi finalement votée par le Sénat représentait " seulement" 80 % de ce que Bush voulait au départ. C'était évidemment une manœuvre pour essayer de cacher le fait que, dans un Sénat où personne n'avait la majorité, les Démocrates avaient procuré une victoire écrasante à un projet de loi qui était une attaque d'envergure contre la classe ouvrière et les classes moyennes.
L'année suivante, début 2002, le gouvernement Bush proposait une série d'abattements fiscaux au profit des entreprises. Puis, il liait cette proposition au financement temporaire d'une mesure rallongeant de treize semaines le versement d'indemnités de chômage. Le financement par l'État de cette mesure n'était prévu que pour une période initiale de six mois, se terminant juste après les élections de novembre, alors que les abattements fiscaux, eux, devaient être permanents. Cette fois, les Démocrates étaient majoritaires au Sénat, mais ils ont emboîté le pas aux Républicains et utilisé le financement des caisses de l'assurance-chômage par l'État comme excuse pour soutenir le projet de loi de Bush qui est passé comme une lettre à la poste, avec 85 voix contre 9.
En novembre 2002, lors des élections de mi-mandat, les Démocrates perdaient des sièges à la Chambre des représentants et au Sénat. Ils ont alors prétendu que, par la faute des électeurs, ils n'étaient pas assez forts pour s'opposer à Bush. Ils ont jeté l'éponge et expliqué qu'ils ne pouvaient rien faire de plus que critiquer Bush et les Républicains. Ainsi, Gene Taylor, député démocrate du Mississipi déclarait : " Ils prennent l'argent des travailleurs avec les prélèvements obligatoires (cotisation retraite, cotisation Medicare), mais cet argent ils l'utilisent pour réduire les impôts d'autres catégories sociales" . Le souci des Démocrates était évidemment de faire oublier qu'en 2001 et 2002, ils avaient approuvé la loi de finances qu'ils dénonçaient maintenant.
Ce qui est encore plus significatif, c'est qu'à la mi-octobre 2004, à la veille de l'élection, seuls quatorze sénateurs démocrates ont voté contre la réduction d'impôts de 136 milliards de dollars accordée aux grandes entreprises. Alors même qu'ils prétendent s'opposer à ces allégements d'impôts, la majorité des Démocrates vote pour, même en pleine campagne électorale !
Kerry et les Démocrates affirment aujourd'hui que s'ils sont élus ils augmenteront les impôts des riches, comme, paraît-il, Clinton l'avait fait quand il était président. On imagine le sourire de satisfaction des possesseurs de grandes fortunes et de leurs comptables étant donné ce qu'a vraiment fait Clinton !
Comme Kerry aujourd'hui, le candidat Clinton avait en effet promis d'augmenter les impôts des contribuables les plus riches. Et au cours de sa première année au pouvoir, disposant d'une très forte majorité démocrate dans les deux chambres du Congrès, il fit adopter une loi de finances qui comportait une petite augmentation du taux d'imposition théorique des grandes entreprises et des riches. Mais il s'agissait avant tout d'une hausse formelle, destinée à cacher les autres dispositions de la loi qui multipliaient les possibilités d'obtenir des dégrèvements et d'échapper à l'impôt. Le taux d'imposition avait augmenté sur le papier, mais les impôts réellement versés par les entreprises tombèrent de 24,5 % des bénéfices déclarés en 1994 à 21,3 % cinq ans plus tard. Quant aux nantis, ils n'eurent pas à se plaindre non plus. En 1997, Clinton fit adopter une réduction de l'impôt sur les revenus du capital provenant de la vente d'actions, de bons du Trésor, de propriétés immobilières et autres " investissements" , qui passa d'un taux déjà faible de 28 % à 20 %.
Clinton était tout simplement plus malin que Bush : il parlait d'augmentation d'impôts quand il diminuait les impôts des entreprises et des riches.
En ce qui concerne les coupes claires dans les prestations sociales que les Démocrates portent au débit des Républicains, n'oublions pas que c'est sous Clinton que les suppressions les plus importantes ont été faites - notamment, quand l'aide aux familles avec enfants à charge a été remplacée par un système temporaire d'aide sociale (" Il faut mettre fin au système d'aide tel que nous le connaissons" , répétait Clinton). La fin de ce programme vieux de soixante ans a non seulement privé des millions de personnes parmi les plus pauvres des prestations minimales qui leur permettaient de manger et d'avoir un toit, mais elle a aussi privé des millions d'enfants de l'accès à Medicaid, c'est-à-dire à une couverture médicale. Clinton a poursuivi dans la même direction en effectuant à plusieurs reprises des coupes dans les programmes Medicare (assurance maladie des plus de 65 ans), Medicaid (assurance maladie des plus pauvres) et celui des bons de nourriture.
Comme les Républicains le font aujourd'hui, Clinton invoquait le déficit du budget pour justifier ses décisions. Et comme c'est le cas aujourd'hui, ces réductions des aides sociales servaient à accorder des dégrèvements d'impôts aux grandes entreprises et aux grandes fortunes.
Guerre en Irak : les Démocrates poussent à la roue
Aujourd'hui, la très coûteuse et impopulaire guerre en Irak pèse de tout son poids sur les élections. L'argument officiel de Kerry et des Démocrates consiste à dire que la guerre en Irak est une " mauvaise guerre au mauvais moment" . Cela permet à Kerry d'apparaître comme critiquant la guerre alors même qu'il dit qu'il la mènera jusqu'à la "victoire", quitte à envoyer plus de soldats si nécessaire, qu'il enverra aussi plus de soldats en Afghanistan et qu'il sera " plus dur" avec l'Iran et la Corée du Nord, les deux autres pays du diabolique " axe du mal" dénoncé par Bush. Kerry et les Démocrates, comme Bush et les Républicains, utilisent tous les mensonges de la prétendue " guerre contre le terrorisme" pour justifier la guerre et les attaques menées ici contre la population américaine - comme les uns et les autres le faisaient dans le passé quand ils invoquaient la " menace communiste" .
Mais si, comme le disent aujourd'hui Kerry et les Démocrates, la guerre en Irak est une " mauvaise guerre au mauvais moment" , qu'ont-ils fait pour l'empêcher ? Étant donné la majorité dont il disposait au Sénat en 2001 et 2002, le Parti démocrate avait les moyens d'arrêter la marche à la guerre en bloquant toute résolution favorable au déclenchement d'hostilités et en refusant de voter les crédits de guerre. Évidemment, il n'a fait ni l'un ni l'autre.
Au printemps et au début de l'été 2002, quand le gouvernement Bush tentait de préparer l'opinion afin d'obtenir son soutien à la guerre, les sondages montraient tous que la population américaine y était massivement opposée. Au même moment, Démocrates et Républicains nous ont refait leur numéro de duettistes qui jouent à ne pas être d'accord : d'un côté, Bush disait qu'il n'avait pas besoin du vote du Congrès pour déclencher la guerre, de l'autre, les prétendues colombes du Parti démocrate insistaient pour que Bush demande au Congrès de se prononcer sur la question. Les Démocrates reprochaient même au président de bafouer la Constitution et d'empiéter sur les prérogatives du Congrès. Mais ce n'était rien d'autre que de la poudre aux yeux. Les Démocrates voulaient paraître s'opposer à la guerre voulue par Bush, alors qu'en réalité ils lui apportaient leur soutien.
Ce petit jeu n'a pas duré longtemps. Bush acceptait finalement de consulter le Congrès et de soumettre une résolution sur la guerre au vote des députés et des sénateurs. La direction du Parti démocrate, reprenant les mensonges de Bush sur les prétendues armes de destruction massive, les armes nucléaires, les missiles, les armes chimiques et biologiques détenues par Saddam Hussein, ainsi que ses prétendus liens avec les terroristes d'Al Qaida, a alors annoncé qu'elle soutiendrait la motion en faveur de la guerre dans les deux Chambres. C'est même Richard Gephardt, leader de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, qui a rédigé la résolution autorisant le déclenchement de la guerre. Les Démocrates ont prétendu qu'en échange de leur soutien, Bush avait accepté plusieurs de leurs conditions - comme la nécessité d'obtenir le soutien de la " communauté internationale" . En fait, telle qu'elle était rédigée par Gephardt, la résolution autorisait Bush à utiliser la force armée " comme il l'estimerait nécessaire et approprié" afin de défendre la nation contre " la menace permanente que représente l'Irak" . Les Démocrates n'ont même pas posé comme condition que Bush demande une deuxième fois l'autorisation du Congrès avant de déclencher les hostilités - cela les aurait mis en première ligne au moment de prendre la décision d'entrer effectivement en guerre.
Cette résolution a été adoptée à toute vitesse par les deux chambres, Républicains et Démocrates confondus. Quelques dissidents démocrates du Sénat ont failli en retarder l'adoption en demandant une prolongation des " débats et délibérations" , mais il a été mis fin à toute discussion par 75 voix contre 25 - alors que les Démocrates disposaient de la majorité au Sénat. Le 11 octobre, la résolution était votée à une forte majorité par les deux chambres du Congrès : la Chambre des représentants à majorité républicaine la votait par 296 voix contre 133 - 81 Démocrates ayant voté pour ; quant au Sénat à majorité démocrate, il l'adoptait avec une majorité proportionnellement encore plus grande de 77 voix pour et 23 voix contre, une majorité de 29 sénateurs démocrates l'ayant approuvée.
Après que les États-Unis eurent déclenché contre l'Irak une guerre qui a vite tourné au désastre, plusieurs Démocrates ont pris leurs distances vis-à-vis du gouvernement Bush, l'accusant de les avoir " trompés" . Mais cette prise de position politicienne ne les a pas empêchés de voter fidèlement tous les crédits de guerre demandés par le gouvernement Bush. Par deux fois, en avril 2003 et juillet 2004, le Sénat a approuvé à l'unanimité - c'est-à-dire sans qu'aucun Démocrate ne vote contre - les crédits de guerre supplémentaires. En octobre 2003, quelques sénateurs démocrates, dont John Kerry et John Edwards, ont bien refusé de voter les crédits de guerre, mais tout le monde savait que ces votes étaient avant tout des gestes destinés à faire pièce à Howard Dean, qui caracolait à ce moment-là en tête des candidats à l'investiture démocrate parce qu'il semblait s'opposer à la guerre.
Personne ne peut raisonnablement penser que la guerre en Irak n'a été voulue que par Bush. Elle est tout autant la guerre des Démocrates.
En fait, les préparatifs de cette guerre avaient déjà commencé sous Clinton. C'est lui qui le premier a répandu les mensonges dont Bush s'est ensuite servi pour justifier la guerre. En 1998, Clinton accusait l'Irak d'être une " nation hors-la-loi" associée à " un axe impie de terroristes, de trafiquants de drogue et de gangs internationaux de criminels" . Clinton disait alors que Saddam allait " continuer et tout faire pour reconstruire son arsenal de destruction massive" , ajoutant : " Si nous ne réagissons pas aujourd'hui, Saddam et tous ceux qui seraient tentés de le suivre s'enhardiront demain. L'enjeu est d'une gravité extrême. Un jour ou l'autre, d'une façon ou d'une autre, je l'affirme, il utilisera cet arsenal" .
Le reste du Parti démocrate disait la même chose. Voici ce que déclarait en 1998 Tom Daschle, pour justifier la guerre, cinq ans avant Bush : " Écoutez, nous avons pratiquement épuisé tous les moyens diplomatiques à notre disposition afin d'obliger les Irakiens à respecter leurs propres engagements et le droit international. Alors, quelle autre solution nous reste-t-il sinon de les contraindre à le faire ?" . Quant à John Kerry, il affirmait prendre régulièrement connaissance des informations présentées à la Commission du Sénat chargée du renseignement, qui confirmaient, disait-il, l'existence d'armes de destruction massive et la connivence de Saddam avec des terroristes se préparant à attaquer les États-Unis. Kerry est même allé jusqu'à se vanter d'être favorable à l'utilisation de troupes terrestres en Irak, ce qui le positionnait " loin devant le commandant en chef, et probablement loin devant mes collègues et une bonne partie du pays. Mais c'est ce que je pense." (Extrait du Boston Globe du 23 février 1998).
Pourtant, les mille pages du rapport Duelfer de la CIA, publié en octobre 2004 et basé sur les rapports de l'agence de renseignement, entre autres ceux dont Kerry avait eu connaissance en 1998, ont confirmé que, dès 1992-1993, la CIA affirmait que Saddam avait détruit toutes ses armes de destruction massive ainsi que les installations qui lui auraient permis de les reconstruire - et qu'il n'avait jamais essayé de reconstituer ses stocks.
Non, Bush et Cheney ne sont pas les seuls à avoir menti à propos des armes de destruction massive. Clinton, Gore, Daschle, Gephardt et Kerry en ont fait autant. Si Bush a pu mentir au sujet des armes de destruction massive afin de justifier la guerre, c'est parce que les Démocrates lui avaient déjà préparé le terrain. Comme ils l'avaient fait pour la guerre que Bush a finalement déclenchée en 2003, après que le gouvernement Clinton eut bombardé régulièrement l'Irak et dévasté le pays avec son embargo économique - une politique qui, au cours de ses huit années au pouvoir, a coûté la vie à deux millions d'Irakiens.
La guerre contre l'Irak a été menée par les Démocrates aussi bien que par les Républicains. Les uns et les autres sont complices dans cette affaire.
Les deux partis approuvent le Patriot Act
Aujourd'hui, l'ACLU, le Centre des droits constitutionnels, l'Association des juristes et de nombreux autres groupes de défense des libertés civiles dénoncent le gouvernement Bush pour les atteintes aux libertés fondamentales que sont le Patriot Act, l'emprisonnement des citoyens sans procès, les rafles, qui ont conduit à l'incarcération de milliers de personnes sous les prétextes les plus futiles et le renforcement de l'appareil de répression, incarné par le premier magistrat du pays, John Ashcroft, un intégriste d'extrême droite.
Mais il y a une question que ces groupes ne posent jamais : pourquoi les Démocrates n'ont-ils pas empêché le vote du Patriot Act ? Pire, pourquoi l'ont-ils voté des deux mains ? Au Sénat, où les Démocrates disposaient de la majorité, le vote a été presque unanime. Seul Russell Feingold a voté contre. Quant à la Chambre des représentants, elle l'a adopté par une majorité écrasante de 357 contre 66.
Aujourd'hui, le Patriot Act est si impopulaire que près de 350 autorités locales ainsi que les parlements de quatre États ont voté des résolutions s'opposant à cette loi ou la critiquant. Les Démocrates ont essayé de faire machine arrière et ont prétendu qu'ils ne connaissaient pas le contenu de la loi au moment du vote. Dans le film Fahrenheit 9/11, le député John Conyers de Détroit, membre démocrate de la Commission judiciaire de la Chambre des représentants, explique à Michael Moore que la plupart des députés qui ont voté cette loi de 350 pages ne l'avaient pas lue.
Et pourtant, en 2001, le même Conyers avait déclaré au New York Times qu'Ashcroft, qui se rendait au Congrès pour y présenter le projet de loi qui allait devenir le Patriot Act, lui avait affirmé qu'il n'était " absolument pas question de remettre en cause la Constitution" . Le président de la Commission judiciaire du Sénat, Patrick Leahy, un Démocrate du Vermont , rassurait le public : "Il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous séparent. Nous avons tous la même Constitution". Conyers et Leahy faisaient tous deux partie, avec John Kerry, de la délégation du Congrès qui avait rencontré Ashcroft et d'autres députés afin de mettre au point la loi. Certains membres du Congrès n'ont peut-être pas pris la peine de la lire , mais Conyers, Leahy et Kerry l'avaient sûrement lue - à moins qu'ils n'aient dormi pendant les réunions avec Ashcroft. Kerry a même déclaré que le Patriot Act était un " compromis raisonnable" .
Non, le Patriot Act n'a pas été seulement l'affaire de Bush et Ashcroft ; les chefs démocrates du Congrès y ont participé. Encore aujourd'hui, le Comité politique démocrate, organe officiel des sénateurs démocrates, explique que le Patriot Act " a été le fruit d'une coopération entre les deux partis" . C'est vrai. Et les sénateurs démocrates en sont fiers. Le Comité résume ainsi leur exploit : le Patriot Act " fournit aux forces de l'ordre les armes dont elles ont besoin pour combattre le terrorisme tout en protégeant les libertés de chaque citoyen américain. La loi améliore de façon significative la capacité des forces de l'ordre et des services de renseignement à faire des écoutes téléphoniques et à surveiller les courriers électroniques et les communications Internet .+
Les " libertés du citoyen" ne servent ici que de paravent à l'espionnage et à la répression de la population.
Faut-il en être surpris ? Les Démocrates n'ont jamais été de fervents défenseurs des libertés civiles. Ce sont les mouvements de masse des années soixante et soixante-dix qui ont contraint le gouvernement, la police et le FBI à renoncer aux pratiques les plus scandaleuses contre la population. Mais depuis, les politiciens des deux partis n'ont pas manqué une occasion de lever les restrictions imposées aux forces de l'ordre et de ramener les choses à leur état antérieur, en utilisant le prétexte de la lutte contre le crime, puis contre le terrorisme.
C'est ce qu'a fait Clinton quand il était au pouvoir. En 1994, son gouvernement fit passer un projet de loi anticriminalité réactionnaire, digne de la droite. Ce projet fourre-tout comportait des dispositions très sévères pour les auteurs de crimes fédéraux coupables de récidive, autorisait la condamnation à mort pour une soixantaine d'actes criminels contre deux précédemment, aggravait les peines et les rendait incompressibles, pour éviter qu'elles ne soient réduites par des juges considérés comme trop " mous" envers les criminels, et prévoyait des subventions aux États qui obligeraient les prisonniers à purger plus de 85 % de leur peine.
Un an plus tard, à la suite de l'attentat à la bombe d'Oklahoma City, le gouvernement Clinton faisait passer en force une loi dite " antiterroriste et pour une peine de mort effective" . Elle donnait à l'Immigration and Naturalization Service (INS, Service de l'immigration et des naturalisations) une plus grande facilité pour déporter les personnes nées à l'étranger et simplement soupçonnées d'être des terroristes, sur la base d'éléments de preuve que l'INS n'était pas tenu de communiquer à l'accusé. Elle supprimait d'autre part toute possibilité d'appel devant les tribunaux. Elle accordait au FBI une plus grande liberté en matière d'écoutes téléphoniques. Il est intéressant de noter que l'un des principaux chapitres de cette loi n'avait rien à voir avec le terrorisme, mais visait à limiter le nombre de pourvois en appel que pouvait déposer un condamné à mort ainsi que les motifs recevables pour introduire un tel appel - par exemple, une fois passée une étape précise de la procédure, la loi ne permettait pas aux condamnés à mort d'apporter y compris des preuves de leur innocence. Le projet de loi de Clinton donnait aussi au gouvernement le droit d'interdire une organisation sur la base non pas de délits qu'elle aurait commis, mais de la " conviction" du gouvernement que cette organisation pourrait dans l'avenir commettre des actes terroristes. En d'autres termes, l'appareil d'État était libre de se livrer à l'arbitraire. Le gouvernement Clinton ne s'en est d'ailleurs pas privé et a, par la suite, interdit des groupes qui n'étaient coupables d'aucun acte répréhensible, mais qui contestaient sa politique.
Autrement dit, quand Ashcroft est arrivé au département de la Justice, le cadre légal lui permettant, par exemple, d'organiser des rafles parmi les immigrés d'origine arabe existait déjà, grâce au gouvernement Clinton. Venant à la suite de la loi antiterroriste de Clinton, votée en 1995, le Patriot Act n'a été que la cerise sur le gâteau.
Le droit à l'avortement bafoué
La différence entre Démocrates et Républicains est censée être particulièrement nette dans tout ce qui relève d'un prétendu " choc des cultures" entre les deux partis. De ce point de vue, la principale question est évidemment celle du droit des femmes à l'interruption volontaire de grossesse. En octobre 2003, un projet de loi interdisant une technique d'avortement utilisée tardivement après le troisième mois de la grossesse a été présentée un moment comme la ligne de démarcation entre les deux " cultures" .
L'expression " avortement par accouchement partiel" a été inventée en 1995 par Charles Canady, député de Floride, pour désigner cette technique. Cet homme de droite, hostile à l'IVG, cherchait ainsi à diaboliser une technique médicale relativement nouvelle et rarement employée, la " dilatation-extraction" , utilisée avant tout pour protéger la vie et la santé de la mère. L'expression de Canady est démagogique et fausse d'un point de vue médical, mais elle a été utilisée par les Démocrates comme par les Républicains et elle est vite devenue le cri de ralliement des extrémistes de droite pour relancer la croisade anti-avortement.
La façon dont ce projet est finalement devenu une loi en bonne et due forme montre que la différence entre Démocrates et Républicains en ce qui concerne l'avortement est beaucoup plus mince que ne veulent l'admettre les sympathisants démocrates. Quand le projet a été présenté à la commission compétente du Sénat, Barbara Boxer, sénatrice de Californie et championne auto-proclamée des droits relatifs à la procréation, a eu recours à une manœuvre. Elle a ajouté au texte de loi une déclaration proclamant l'accord du Sénat avec les conclusions de l'arrêt Roe vs Wade (qui reconnaît le droit à l'IVG pour des raisons non thérapeutiques) - comme si ce genre de déclaration était d'une quelconque utilité devant la grave menace que représentait cette loi si elle était adoptée. À l'époque, Boxer déclara hypocritement qu'elle voulait donner au Sénat l'occasion de dire officiellement, par un vote, son accord avec le droit des femmes à disposer d'elles-mêmes. Mais les sénateurs hostiles à l'IVG ont sauté sur l'occasion que leur offraient leurs collègues soi-disant favorables à la liberté de choix des femmes. Finalement, le vote approuvant l'interdiction de la technique incriminée a été unanime, recueillant 93 voix contre zéro, y compris donc les voix de ceux qui se disaient pour la liberté de choix. Quand le projet de loi a été présenté pour discussion à la Chambre des représentants, le passage reconnaissant aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes avait été supprimé et c'est la version modifiée qui a été soumise à nouveau au Sénat. Une fois de plus, les Démocrates n'ont pas dénoncé le projet de loi pour ce qu'il était : une attaque en règle. Il a été adopté par 64 voix contre 33. Dix-sept Démocrates ont voté pour et assuré son succès. Parmi eux, Tom Daschle, leader des sénateurs démocrates, et d'autres prétendus partisans du droit à l'avortement - par exemple, Blanche Lincoln, sénatrice démocrate de l'Arkansas, qui déclarait : " Je suis, disons, à 99 % pour le droit des femmes à disposer d'elles-mêmes" , avant de s'incliner devant le 1 % restant et de voter la loi. Daschle s'est pour sa part défendu en disant qu'il avait soutenu la mesure parce qu'il pensait qu'il était préférable de laisser les tribunaux fédéraux établir la jurisprudence à ce sujet. Non, il aurait été préférable que la loi ne fût jamais votée.
En réalité, le soutien apporté par les Démocrates à cette loi n'est pas une surprise. À deux reprises sous le gouvernement Clinton, le Congrès a voté des lois semblables, avec un large soutien du Parti démocrate. Les deux fois, Clinton a opposé son veto, pas parce qu'il n'était pas d'accord avec leur contenu, comme le Parti démocrate voudrait nous le faire croire aujourd'hui. Non, Clinton a expliqué qu'il était personnellement contre la technique médicale que la loi voulait interdire, mais qu'il avait dû user de son droit de veto parce qu'elle était contraire à la Constitution.
A trois reprises l'année dernière, des juges fédéraux ont refusé d'appliquer la loi pour des motifs constitutionnels. Cependant, même si la Cour suprême se prononce contre la loi, son adoption a quand même été un recul pour les femmes et pour le droit au contrôle des naissances. En interdisant une technique médicale, même pour une durée brève, le Sénat s'est montré prêt à interférer avec ce qui devrait relever du choix médical, réservé à la femme et à son médecin. Et il ne fait aucun doute que les politiciens des deux partis ne se gêneront pas pour plastronner et tenter demain d'exploiter cette loi s'ils pensent que c'est dans leur intérêt.
En fait, il faut se rappeler que ce ne sont pas les Républicains, mais les Démocrates qui sont à l'origine de la plus grande limitation apportée au droit à l'interruption volontaire de grossesse. C'est l'amendement Hyde de 1977 qui a interdit l'utilisation de fonds fédéraux au bénéfice des femmes pauvres désirant une IVG. Cette loi a été adoptée par un Sénat à majorité démocrate et une Chambre des représentants très majoritairement démocrate, et signée par un président démocrate, Jimmy Carter. À plusieurs reprises par la suite, les Démocrates au pouvoir auraient pu l'annuler, mais ils n'ont même jamais soulevé la question. Comme ils n'ont jamais envisagé de pénaliser les hôpitaux qui refusaient de pratiquer des IVG ou d'obliger les écoles de médecine qui n'enseignaient plus les techniques d'IVG à reprendre cet enseignement.
En fait, en matière d'IVG, le bilan des Démocrates au Congrès et au gouvernement est nul. Ils n'ont aucunement protégé les femmes. Ils ont remis en cause et limité leurs droits et n'ont rien dit quand d'autres attaquaient ces mêmes droits.
Néanmoins, de temps à autre, on entend dire qu'un président démocrate apporterait une certaine garantie en la matière, parce que c'est le président qui nomme les juges des Cours d'appel et de la Cour suprême, et que ces instances sont le dernier recours face aux attaques contre le droit des femmes à des grossesses choisies. Les femmes devraient donc remettre leur sort entre les mains de Kerry - qui a pourtant déjà affirmé qu'il était favorable à de nouvelles limitations du droit à l'avortement (afin que l'avortement soit une chose encore plus rare, a-t-il dit). Il serait aussi d'accord pour nommer des juges partisans de restreindre encore le droit à l'IVG à condition qu'ils n'aillent pas jusqu'à remettre complètement en cause l'arrêt Roe vs Wade. En d'autres termes, cela signifie qu'il est prêt à apporter son soutien à ceux qui veulent continuer à limiter le droit à l'IVG, du moment qu'ils ne remettent pas en cause son cadre formel. Mais aujourd'hui, ce cadre formel n'offre aucune protection à la majorité des femmes de ce pays qui n'ont pas accès à l'IVG, soit parce que les programmes publics d'aide médicale refusent d'en payer les frais, soit parce que là où elles vivent, hôpitaux et cliniques refusent de pratiquer cet acte.
Les arrêts rendus par les juges, les lois que font adopter les gouvernements ne varient pas en fonction des personnes qui occupent les postes de responsabilité, mais en fonction de ce qui se passe dans la société. Ce sont les luttes des années soixante-soixante-dix qui ont contraint le gouvernement et les tribunaux à accorder aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes. L'arrêt Roe vs Wade a été rendu par un juge nommé par le Républicain Richard Nixon et confirmé par une Cour suprême composée de huit juges républicains et un démocrate. Les Républicains n'étaient évidemment pas plus favorables au droit à l'avortement que les Démocrates ; ce sont les luttes qui ont finalement contraint le gouvernement à reconnaître ce droit fondamental.
Comment s'opposer a la politique de Bush
L'appel de Kerry et des Démocrates est fondé sur le même argument éculé : en pratique, ils représentent le " moindre mal" et ils sont les seuls dans l'opposition à pouvoir contrer Bush.
Nous avons vu ce qu'ils veulent dire quand ils parlent de contrer Bush " en pratique" . Ils n'ont même pas réussi à ralentir le rythme de ses attaques. Les Démocrates se justifient en disant qu'ils étaient en minorité. Mais personne ne se demande pourquoi, quand les Républicains ont la majorité et que les Démocrates sont en minorité, ces deniers semblent incapables de bloquer les programmes républicains alors que, lorsque ce sont les Républicains qui sont en minorité, ils réussissent très bien à empêcher les Démocrates de faire passer les lois qu'ils proposent - sauf les lois à portée symbolique.
Si les Républicains peuvent bloquer les projets de loi démocrates, surtout quand il s'agit de droits syndicaux, de salaire minimum, de la santé, pourquoi les Démocrates n'en font-ils pas autant quand il s'agit de la guerre, de réductions d'impôts pour les riches ou de limitations du droit à l'IVG ? Et ce n'est pas tout : pourquoi les Démocrates semblent-ils prêts, quand c'est nécessaire, à fournir aux Républicains les voix qui leur manquent afin de faire adopter leurs textes ? Les Républicains votent de façon disciplinée pour imposer leur programme, pas les Démocrates - à tout le moins, quand il s'agit de défendre les intérêts des travailleurs. Ce petit jeu politique fonctionne tant que la population n'est pas mobilisée.
En fait, cette histoire de " moindre mal" fait partie des arguments destinés à convaincre les électeurs de placer leurs espoirs dans le Parti démocrate, de faire élire des Démocrates, ou, comme disent certains, de les contraindre à redresser la tête, à faire " que les Démocrates soient à nouveau des Démocrates" , à construire " l'aile démocrate du Parti démocrate" et autres fariboles. Et entre deux élections, la population n'a rien d'autre à faire qu'à attendre la prochaine.
Ce qui compte le plus n'est pas de savoir qui occupe la Maison Blanche, mais si la population est organisée et mobilisée pour ses propres revendications. Quand les gens se mobilisent, quel que soit le parti au pouvoir, ils font avancer les choses. Par exemple, ce sont les grands mouvements des travailleurs des années trente-quarante qui ont frayé le chemin au système de retraite, à l'assurance-chômage, qui ont mis fin au travail des enfants et créé la législation sociale. Ces acquis ont ensuite été consolidés et étendus grâce aux luttes du mouvement noir des années cinquante, soixante et soixante-dix. Ils ont été obtenus tantôt quand les Républicains étaient au pouvoir, tantôt sous des gouvernements démocrates. Des réformes législatives ont été faites sous le président démocrate Johnson, mais il y en a eu encore davantage sous Nixon, Républicain archi-conservateur, parce que les luttes sociales étaient alors très puissantes. Ce qui comptait, c'était ce que faisait la population, pas qui était au pouvoir.
La seule question posée par l'élection de 2004, pourtant présentée comme une élection d'une importance vitale, est en réalité celle de savoir qui va continuer à défendre les intérêts des grandes entreprises et des riches en poursuivant les attaques contre les travailleurs et les pauvres, à l'intérieur et à l'extérieur du pays. On se rendra compte que tout cela n'est qu'une mauvaise comédie quand la population se mobilisera pour défendre ses propres intérêts.
14 octobre 2004