Le congrès que le Parti de la Refondation Communiste (PRC) italien, souvent appelé simplement "Rifondazione", vient de tenir du 18 au 21 mars à Rimini était le premier depuis qu'à l'automne 1998 ce parti est sorti de la majorité parlementaire. Deux ans et demi de soutien à la coalition gouvernementale dite de "l'Olivier", dirigée par le démocrate-chrétien Romano Prodi, à sa politique anti-ouvrière et à ses plans d'austérité, avaient entraîné un discrédit et un affaiblissement militant tels que le secrétaire général du PRC Fausto Bertinotti avait préféré retourner à l'opposition, après l'échec de ses tentatives pour obtenir le retrait du projet de loi de Finances.
Cette volte-face du PRC ne s'est pas faite sans casse puisqu'une fraction du parti, regroupée autour d'Armando Cossutta, a choisi la scission pour rester dans la majorité gouvernementale. Ce parti, le PdCI (Parti des Communistes Italiens), est aujourd'hui un des soutiens du gouvernement de Massimo D'Alema qui a succédé à Prodi. Et si la scission n'a entraîné qu'une petite minorité du parti, elle a en revanche entraîné une majorité de ses députés, de ses sénateurs et de ses élus locaux. Le PRC avait passé deux ans à justifier sa politique par des tentatives pour obtenir de Prodi, en échange de son soutien, quelques concessions au moins verbales. Non seulement il devenait évident qu'il n'avait fait que prêter la main à une politique anti-ouvrière, mais le PRC se retrouvait affaibli, isolé à l'extrême gauche de l'arc parlementaire, sans perspective politique crédible.
Rappelons-le, Rifondazione est née en 1991 lorsque le dirigeant du Parti Communiste Italien Achille Occhetto proposa à celui-ci d'abandonner ce nom pour devenir un simple "Parti Démocratique de la Gauche" (Partito Democratico della Sinistra -PDS). Une fraction de l'appareil, s'appuyant sur la réaction d'une partie des militants de base voulant continuer à revendiquer l'étiquette communiste, créa alors Rifondazione Comunista, tandis que le PDS affichait désormais sans la moindre gêne son soutien aux différents gouvernements.
Devenu la véritable colonne vertébrale du gouvernement Prodi, le PDS sous la direction de son nouveau secrétaire Massimo D'Alema abandonnait même son nom de "Parti" pour devenir simplement les "Démocrates de Gauche" (DS) avant que D'Alema lui-même ne profite du retrait de Rifondazione et de la démission de Prodi, cet automne, pour devenir président du Conseil en s'appuyant sur une majorité élargie au centre-droit.
Cependant, à cette fraction de l'ancien PC devenue l'axe du gouvernement et le meilleur défenseur de la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie italienne, Rifondazione n'avait à opposer que des ambiguïtés. Et l'épreuve de la participation à la majorité parlementaire a en grande partie mis à nu la vacuité de cette politique, prétendant représenter une "refondation communiste" sans lui donner aucun réel contenu révolutionnaire et de lutte de classe, et n'ayant d'autre réalité que celle d'une pratique électoraliste et parlementaire.
Une auto-justification qui ménage l'avenir
Ce congrès a donc été, pour le secrétaire général de Rifondazione, Bertinotti, un exercice d'équilibrisme visant à justifier à la fois son choix présent de ne pas soutenir D'Alema et son choix passé de soutenir Prodi.
Malgré le bilan désastreux, Bertinotti a continué de plaider pour ce dernier choix, notamment dans son discours introductif : "Si nous n'avions pas choisi de faire naître le gouvernement Prodi, après la victoire face à la droite de Berlusconi et Fini, et donc si nous avions ôté la possibilité d'essayer de gouverner, nous aurions été balayés de la politique italienne, réduits à un petit groupe extrémiste" a-t-il dit. Et d'ajouter que dans le cadre de la participation à la majorité gouvernementale "nous nous sommes battus pour que l'Etat social ne soit pas frappé, (...) tout le pays l'a vu, personne ne peut faire croire à qui que ce soit que nous avons eu une attitude de renoncement" et qu'ainsi Rifondazione "a permis l'entrée de l'Italie dans l'euro sans le massacre social auquel prétendaient les conservateurs".
Bertinotti travestit la réalité car, dans l'histoire récente de l'Italie, les ripostes les plus vigoureuses de la classe ouvrière aux attaques contre ce qu'il nomme "l'Etat social" ont eu lieu à l'automne 1994, sous le gouvernement de droite de Berlusconi, lorsque celui-ci tenta de s'attaquer au système des retraites et dut d'ailleurs démissionner sans y parvenir. En revanche les gouvernements qui lui ont succédé, bénéficiant du soutien des syndicats et de la gauche, ont réussi à porter les mêmes attaques et à les mener à leur terme tout en bénéficiant d'une paix sociale sans précédent. Mais la lutte de classe, les ripostes de la classe ouvrière, ne font pas partie des options sérieusement envisagées par Bertinotti. Fonder sa politique sur une telle perspective, pour lui, c'est se réduire à "un petit groupe extrémiste". Et quand il dit que "nous nous sommes battus", c'est dans l'univers du parlement et des discussions au sein de la majorité gouvernementale, le seul, semble-t-il, où il puisse concevoir de "se battre".
En sortant de la majorité gouvernementale, Bertinotti et les dirigeants de Rifondazione n'ont changé fondamentalement ni de raisonnement politique ni de perspective. Ils tentent seulement d'enrayer leur discrédit et de profiter de leur retour à l'opposition pour reprendre quelques forces. En particulier, ils ont à faire face aux prochaines échéances électorales : en juin auront lieu les élections européennes et, le même jour, des élections administratives pour le renouvellement d'assemblées régionales, provinciales ou communales de certaines villes. Cela doit être pour Rifondazione l'occasion de montrer qu'elle compte encore sur le plan électoral, voire de se renforcer en apparaissant comme la seule opposition de gauche. C'est indispensable si elle veut demain pouvoir marchander de nouveau cette influence.
Bertinotti l'a d'ailleurs déclaré lui-même, son opposition au gouvernement en place se veut une "opposition constructive". Celle-ci vise à ménager la possibilité, pour Rifondazione, de retourner demain dans la majorité parlementaire, voire de participer à une nouvelle combinaison gouvernementale que l'on pourrait présenter comme "plus à gauche". Elle vise même plus immédiatement à pouvoir maintenir des accords avec les autres partis au sein des collectivités locales ou lors des diverses élections, et aussi à obtenir que les autres partis consentent à laisser une place à Rifondazione au sein des institutions. Alors que Bertinotti craint de perdre tous ses députés et sénateurs si les projets de réforme du système électoral se confirment, il tient à maintenir ouvertes des possibilités d'alliance, à montrer que Rifondazione est disponible, prête à collaborer avec d'autres partis dans le cadre des institutions bourgeoises. C'est le sens de ses déclarations laissant entendre que Rifondazione, lors des prochaines élections à la Présidence de la République, pourrait voter pour un candidat avec lequel elle partagerait les "valeurs démocratiques".
Une "alternative de société" illusoire
Mais en attendant que s'ouvrent de nouvelles perspectives dans le cadre du système politique, les dirigeants de Rifondazione doivent, à l'attention de leurs militants et de leurs électeurs en général, donner à leurs manoeuvres l'apparence d'une justification. Bertinotti a résumé celle-ci en déclarant que ce congrès était destiné à définir rien moins qu'"une alternative de société". Tel était en effet le titre du texte présenté par la majorité de la direction de Rifondazione et auquel s'opposait le texte de la minorité trotskyste intitulé "Pour un projet communiste".
Quelle est donc "l'alternative de société" proposée par Bertinotti ? Celui-ci a précisé, dans sa relation introductive au congrès, que "ce n'est pas, ici et maintenant, l'alternative de système à la société capitaliste" sur laquelle il y a selon lui encore à élaborer une "recherche", mais "l'alternative à la société forgée par les politiques néolibérales, (...) à travers une politique de réformes sociales et de nouveau développement, à travers une nouvelle intervention du public dans les domaines de l'environnement, de la reproduction sociale, de la production des biens et services".
On apprend aussi, dans le texte majoritaire, que cette "alternative de société" se relie "aux expériences de mouvements, de forces politiques et aussi de gouvernements qui, au niveau international et dans le cadre européen, conduisent une critique et une lutte contre le libéralisme dans l'actuelle phase de globalisation". Le même texte fait allusion à "une politique de dépense publique de type néo-keynesienne" qui serait une autre réponse à la crise économique.
Mais où Bertinotti a-t-il trouvé des gouvernements qui "conduisent une critique du libéralisme" ? Le texte majoritaire explique qu'il existe "une position de type néo-social-démocrate, représentée en particulier par les socialistes français et plus nettement encore par le gouvernement de gauche français lui-même, qui tout en agissant à l'intérieur des rapports sociaux de production de type capitaliste, veut injecter dans la société actuelle une dose de réformes pour éviter les conséquences sociales des politiques libérales, des logiques de marché et de liquidation de l'Etat social."
L'exemple qu'invoque Bertinotti n'est donc pas comme on aurait pu le croire sur une autre planète, mais dans le pays voisin, la France, où le gouvernement Jospin si l'on comprend bien serait, sinon l'exemple d'un gouvernement proposant "l'alternative de société", du moins celui d'une recherche dans cette direction. Dans sa relation introductive, le secrétaire général de Rifondazione parle même "du lancement, d'un intérêt extraordinaire pour nous aussi, des expériences de gouvernement de la gauche plurielle en France", et invoque aussi le dirigeant social-démocrate allemand Lafontaine à l'appui de l'idée qu'il existe une tendance à rechercher cette "alternative de société".
On savait l'Italie et la France séparées par une chaîne de montagnes, les Alpes, et même avec le Mont-Blanc par le sommet le plus haut d'Europe. On ne peut croire cependant que cela suffise à obscurcir la vue de Bertinotti au point qu'il ne sache pas qu'en matière de privatisations, par exemple, le gouvernement Jospin a plus fait en deux ans que les deux précédents gouvernements de droite réunis et que, comme les autres gouvernements d'Europe, il mène une politique d'austérité, au détriment des services publics essentiels et donc de la population, pour consacrer l'argent de l'Etat à subventionner les grands capitalistes. Si le terme de "néolibéralisme" a un sens, il s'applique parfaitement à la politique d'un Jospin, et l'on se demande bien où se trouvent le "néo-keynesianisme" et "l'intérêt extraordinaire" que Bertinotti décèle dans "les expériences de gouvernement de la gauche plurielle en France".
En fait, si la même politique que Bertinotti critique en Italie quand elle est menée par Prodi ou D'Alema est présentée par lui comme progressiste quand elle est menée en France par le gouvernement Jospin, c'est qu'il lui faut bien tenter de donner un peu de crédibilité à sa perspective d'"alternative de société" en laissant croire qu'elle connaît un début d'application de l'autre côté des Alpes. Mais le simple fait d'oser invoquer un tel exemple devrait suffire à le disqualifier.
Le texte de la "motion 1" se garde bien d'ailleurs de donner à cette politique dite "de réformes" des contours précis. Tout au plus trouve-t-on par exemple la proposition de "régulariser les travaux socialement utiles" (lavori socialmente utili sorte d'"emplois jeunes" mis en place par le gouvernement Prodi et dont la prolongation reste incertaine) ou de créer "une grande agence publique pour le Mezzogiorno", c'est-à-dire tout au plus des promesses de gouvernement au cas où Rifondazione aurait l'occasion d'y participer. Mais non seulement ces propositions sont extrêmement modestes, voire illusoires pourquoi de nouveaux fonds d'Etat "pour le Mezzogiorno" devraient-ils être plus efficaces pour développer le Sud de l'Italie que ceux que l'Etat a dépensés jusqu'à présent sous ce prétexte et qui n'ont enrichi que le grand capital quand ce n'est pas la Mafia ? mais on n'y trouve surtout rien de concret qui soit susceptible de fournir des objectifs de lutte à la classe ouvrière et à la population.
Le texte parle bien, par exemple, de "la défense de l'Etat social", et même de "reproposer le rôle d'intervention de l'Etat social dans les politiques redistributives de la richesse sociale, tout à fait inexistantes après la liquidation de l'échelle mobile". Mais il est tout de même caractéristique que, même dans une telle phrase, l'objectif de rétablissement de cette échelle mobile (système d'indexation des salaires sur les prix dont la suppression a été une étape importante de l'offensive anti-ouvrière de ces dernières années), s'il est suggéré, ne soit même pas clairement formulé. Les dirigeants de Rifondazione, au cas où ils reviendraient dans la majorité gouvernementale, ne veulent même pas s'engager sur un tel objectif, et encore moins qu'il devienne une revendication pour les masses.
Alors, le texte présenté par Bertinotti peut bien affirmer ailleurs que, pour Rifondazione, "le paradigme de la centralité de la contradiction de classe et du travail salarié" reste "fondamental", cela n'est qu'à l'image du bavardage réformiste de Rifondazione, un langage prétentieux, faussement intellectuel et volontairement obscur qui n'est là que pour pouvoir masquer le vide de ses perspectives, ou plutôt le fait que celles-ci se limitent à retrouver une situation et un rapport de forces électoral lui permettant d'être admise de nouveau dans la majorité gouvernementale, voire au gouvernement lui-même.
De l'opposition de 1996 à celle de 1999
Lors du précédent congrès, en 1996, à un moment où Rifondazione était engagée dans le soutien au gouvernement Prodi, une opposition s'était déjà manifestée par une "deuxième motion" opposée au texte majoritaire présenté par Bertinotti, deuxième motion qui avait recueilli 16 % des voix dans les assemblées préparatoires. Cette motion était à l'initiative de plusieurs groupes. L'un était l'association Quatrième Internationale, liée au Secrétariat Unifié dont fait partie en France la LCR, qui édite la revue Bandiera Rossa et dont le dirigeant le plus connu est Livio Maitan. Un autre était l'"association marxiste révolutionnaire Proposta", groupe trotskyste non lié au Secrétariat Unifié, qui édite la revue Proposta et dont le représentant le plus connu est Marco Ferrando. Il faut y ajouter le groupe de Giovanni Bacciardi, groupe de tradition plus stalinienne surtout représenté en Toscane et qui a quitté Rifondazione peu après le congrès de 1996 pour tenter de créer une "confédération des communistes auto-organisés".
Le groupe de Livio Maitan, lui, s'il est bien resté dans Rifondazione, ne fait plus partie de l'opposition puisque pour ce congrès de 1999 il a rejoint la majorité bertinottienne. Dans une déclaration de vote signée par 23 membres du Comité politique national, dont Livio Maitan, au cours de sa réunion des 19 et 20 décembre dernier, ce groupe a ainsi expliqué que dans son jugement sur la politique du parti, il lui fallait "partir de l'essentiel, du fait que le PRC ait échappé in extremis à l'attirance (...) du centre-gauche, mettant fin à une position ambiguë et objectivement subalterne". Et, constatant que "le parti est aujourd'hui à l'opposition, offrant ainsi une référence politique aux fermentations sociales et aux mouvements de masse qui se produisent", le groupe de Maitan a choisi de voter le document majoritaire présenté par Bertinotti.
Ce groupe aurait souhaité, semble-t-il, pouvoir se démarquer de la motion majoritaire en présentant des amendements à celle-ci. Mais le règlement adopté par la majorité excluait, justement, qu'il y ait des amendements présentés à l'échelle nationale. Aussi, même si la déclaration de vote du groupe Maitan comportait quelques nuances, celui-ci est apparu comme totalement aligné sur les positions de Bertinotti. Dans certaines villes, ce sont même des membres du groupe Maitan qui ont été désignés pour présenter, dans les assemblées du parti, le document majoritaire. Cela correspond d'ailleurs au fait que le départ des cossuttiens à l'automne a été l'occasion, pour des militants de l'association Quatrième Internationale, d'exercer de nouvelles responsabilités à différents niveaux du parti. Mais en se ralliant aujourd'hui à la majorité bertinottienne, en affirmant publiquement que rien d'essentiel ne l'en sépare, le groupe de Maitan abandonne aussi ouvertement la perspective de la lutte pour un parti ouvrier révolutionnaire indépendant des organisations réformistes.
La motion "pour un projet communiste"
Après le départ du groupe de Bacciardi, après le ralliement de Maitan à la majorité bertinottienne, le seul groupe restant à l'opposition était donc le groupe Proposta, autour de Marco Ferrando, qui a proposé cette fois encore une "deuxième motion" intitulée "Pour un projet communiste". Et même si l'on peut discuter de nombreux aspects de ce long texte, on ne peut que se féliciter qu'il soit resté des militants soucieux de continuer à s'adresser à l'ensemble des adhérents de Rifondazione pour défendre devant eux une perspective communiste. Ils ont d'ailleurs recueilli un écho certain.
En effet, malgré la défection des deux groupes précités, la "motion 2" présentée par le groupe de Marco Ferrando a recueilli au total 16 % des voix dans le parti, l'ensemble des cercles locaux de Rifondazione ayant tenu des assemblées pour discuter et voter sur les deux motions. C'est le même résultat que la "motion 2" de 1996, du moins en pourcentage car entre temps le nombre d'adhérents de Rifondazione a diminué. Cela représente un peu plus de 5 400 voix sur 34 800 votants (et 75 000 inscrits à jour de leur carte de 1999) et il faut noter aussi que dans certaines fédérations, le pourcentage est nettement plus important. Ainsi la "motion 2" obtient 57,75 % des voix dans la province de Savone et 31,77 % à l'échelle de la région, la Ligurie. Elle recueille 19,85 % des voix dans une grande ville comme Turin, et 20,52 % à l'échelle de la région du Piémont, 17,78 % à Milan même si le résultat est plus faible sur l'ensemble de la Lombardie (15,09 %), 17,24 % à Naples, 22,57 % en Calabre.
A l'échelle du petit groupe de militants qui a défendu la "motion 2" à l'intérieur de Rifondazione, ce résultat n'est certes pas négligeable. Ils ont en effet démontré qu'une fraction de la base du parti n'est nullement satisfaite de la politique bertinottienne. Après deux ans de soutien à la politique de Prodi, elle n'accepte pas les explications du secrétaire général de Rifondazione qui continue à justifier son soutien au gouvernement, hier, pour mieux continuer à défendre, aujourd'hui, une perspective purement réformiste. Et ils ont démontré, de plus, que cette fraction critique du parti se retrouve dans une politique clairement communiste.
Mais l'objectif de Marco Ferrando et du groupe Proposta, qui sont à l'initiative de la "motion 2", est-il seulement de permettre aux militants de Rifondazione partisans d'un véritable "projet communiste" de se compter lors des congrès du parti ? En tant que militants se réclamant du trotskysme, on peut penser que leur objectif reste la construction d'un véritable parti ouvrier révolutionnaire. Mais alors des questions se posent : l'objectif est-il de transformer Rifondazione en un tel parti ? Cela paraît évidemment impossible car le poids de l'appareil et des militants attachés à une pratique institutionnelle et électoraliste est bien plus grand que celui des militants attachés aux idées révolutionnaires et à la lutte de classe, et tout ce poids contribue précisément à empêcher que ce dernier courant se renforce, ne serait-ce qu'en démoralisant et en décourageant ceux qui voudraient s'orienter sérieusement dans cette direction.
Alors, s'agit-il au moins de proposer cet objectif à la fraction du parti qui a voté pour la "motion 2", c'est-à-dire d'en faire une fraction qui s'oriente de façon cohérente vers la formation d'un parti ouvrier révolutionnaire ? Cela nécessiterait d'avoir pour cette fraction de véritables objectifs d'implantation, d'intervention, de formation de militants dans une réelle pratique communiste. Cependant, le texte de la motion ne comporte pas d'indication dans ce sens ou plutôt, lorsqu'il comporte des objectifs d'organisation, ceux-ci semblent plus formulés à l'adresse des organismes dirigeants du parti qu'à l'adresse de militants qui, à la base, pourraient s'en servir et les mettre en pratique dans leur intervention quotidienne. De plus, le texte comporte sur ce plan au moins une ambiguïté importante dont il est nécessaire de discuter.
Ainsi, pour formuler quel objectif ils proposent à Rifondazione en matière d'organisation, les promoteurs de la motion "Pour un projet communiste" déclarent qu'il faut "récupérer et actualiser une conception gramscienne du parti comme intellectuel collectif et engagé dans la lutte pour l'hégémonie dans les masses". En revanche, on ne trouve pas de référence au bolchevisme, ni à la Troisième Internationale, même si on trouve dans la motion une référence à la Révolution d'Octobre.
Bien sûr, Gramsci a été un partisan de la Troisième Internationale en Italie. Ses textes, ses références au parti "intellectuel collectif" et bien d'autres, reflétaient une volonté de traduire l'expérience et le programme de la Troisième Internationale dans la réalité italienne. Mais justement, Gramsci les traduisait à sa façon, et celle-ci n'était pas exempte d'ambiguïtés. Dans le meilleur des cas, cela reflétait une assimilation de l'expérience bolchevique qui était loin d'être totale. Aurait-elle fini par le devenir, c'est une question que l'incarcération de Gramsci et sa mort sous le fascisme ont laissée ouverte, mais le fait est que les successeurs de Gramsci à la tête du PC italien se sont servis ensuite de toutes ces ambiguïtés pour justifier leur pratique réformiste, au nom d'une "voie italienne vers le socialisme" qui était surtout pour eux une voie pour prendre des distances idéologiques avec le communisme et le bolchevisme.
Alors, revendiquer Gramsci mais pas le bolchevisme, c'est dans le contexte du mouvement ouvrier italien une concession, qui peut être grave, à certains cadres issus du PC et qui, quand ils veulent retourner aux sources, peuvent être plus enclins à se réclamer d'une conception "gramscienne" du parti que d'une conception léniniste, justement du fait que cette conception "gramscienne", qui n'a jamais pu acquérir de contours bien précis, reste donc moins contraignante que la conception léniniste et laisse plusieurs directions ouvertes.
Sans doute, il ne suffirait pas de se revendiquer de la tradition bolchevique, léniniste et trotskyste dans cette "motion 2" pour la faire passer dans les faits, ni bien sûr en ce qui concerne l'ensemble de Rifondazione, ni même pour la petite fraction qui s'est retrouvée dans cette motion "Pour un projet communiste". Mais au moins cela pourrait-il être revendiqué comme un objectif politique. Et le fait de ne pas le faire, au profit d'une référence gramscienne plus ambiguë, peut traduire justement l'absence d'objectifs clairs en matière d'organisation, d'intervention, d'élaboration d'une réelle pratique politique révolutionnaire et de classe.
Alors, les militants qui veulent réellement s'orienter vers la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire peuvent se réjouir du fait que la définition d'un "projet communiste" recueille, à la base d'un parti comme Rifondazione comunista, un succès d'estime face à la politique majoritaire de Bertinotti. Mais ils doivent aussi être conscients que cela ne peut être encore que la prémisse d'un tel projet et que cela laisse bien des questions ouvertes.
L'enjeu aujourd'hui
Les tâches des révolutionnaires aujourd'hui, dans un pays comme l'Italie, ne peuvent d'ailleurs se mesurer à la seule aune de la vie interne de Rifondazione comunista. L'arrivée au pouvoir du gouvernement D'Alema est une étape marquante dans une évolution politique, celle du Parti Communiste Italien, un parti qui fut le plus important parti communiste d'Europe occidentale. Ce parti stalinien a volé au secours de l'Etat italien menacé d'écroulement après la chute du fascisme ; il a contribué après 1945 à la reconstruction économique et politique en faveur de la bourgeoisie ; il a toujours largement prêté son concours à la stabilité politique du pays lorsque la bourgeoisie a fait appel à son sens des responsabilités. Cela a été le cas avec le "compromis historique" de la fin des années soixante-dix, et encore tout au long des années quatre-vingt.
D'autre part, le PC italien a bénéficié pendant des années du fait d'apparaître comme la seule force d'opposition politique. A la différence de la France, où le Parti Socialiste a été longtemps maintenu dans l'opposition du fait de la stabilité du pouvoir de De Gaulle et de la droite gaulliste, le PS italien a été, dès les années soixante, associé aux majorités de centre-gauche et s'y est compromis et discrédité. Ainsi, sur la base d'une pratique politique social-démocrate, le PC a pu occuper dans les années soixante et soixante-dix un espace politique important, que l'on peut comparer à celui occupé par le Parti Socialiste en France à partir des années soixante-dix.
Cependant, pendant toutes ces années, le PC italien a continué à maintenir formellement l'étiquette communiste et, si cette étiquette n'avait depuis longtemps plus aucun sens pour les dirigeants du parti, elle continuait d'en avoir un pour nombre de militants à la base. Ceux-ci continuaient ainsi à se rattacher, même si c'était de façon confuse, à une tradition politique qui est celle de la lutte de la classe ouvrière pour son émancipation, sociale et politique, par le renversement du capitalisme et la transformation révolutionnaire de la société.
Ainsi, malgré sa pratique réformiste profondément et depuis longtemps ancrée, la direction du vieux PC italien ne s'est finalement décidée à renier ouvertement la tradition et l'étiquette communistes qu'en 1991. En contrepartie, le parti qui en est issu, les DS, est aujourd'hui un parti de gouvernement essentiel pour la bourgeoisie italienne, jouant à peu de choses près le même rôle que le PS en France ou les différents partis sociaux-démocrates des autres pays d'Europe, et son dirigeant D'Alema a été admis au poste de président du Conseil des ministres. Les dirigeants DS au gouvernement, appuyés sur la collaboration des syndicats, se révèlent les meilleurs agents des attaques anti-ouvrières de la bourgeoisie italienne. Il en résulte une démoralisation et une désorientation profondes de la classe ouvrière et de ses militants.
Face à cela, il est heureux bien sûr qu'une fraction de l'ancien PC ait tenu à continuer à revendiquer l'étiquette communiste en donnant vie à Rifondazione comunista. Cependant, sous la direction d'hommes comme Bertinotti, cela a été pour mener en fait la même politique collaborationniste que le vieux PC italien, pour reproduire son réformisme et son électoralisme sans même stopper réellement l'évolution qui le menait vers la droite, vers l'affirmation d'une politique social-démocrate de gestion de la société bourgeoise et de renoncement à la transformer. Même aujourd'hui, même après avoir été contraints de retourner à l'opposition, l'affirmation de "l'alternative de société" bertinottienne n'est rien d'autre que cette affirmation, honteuse, que les dirigeants de Rifondazione comunista, malgré leur étiquette, n'aspirent à rien d'autre qu'à jouer leur rôle dans la gestion de la société bourgeoise, sous prétexte de tenter de la réformer alors qu'ils savent eux-mêmes que c'est impossible.
Il est donc vital de continuer à affirmer la validité de la perspective de la lutte de classe et de la transformation communiste de la société. Et tant mieux, dans ces conditions, si 16 % d'un parti comme Rifondazione se reconnaissent dans cette démarche. Même si c'est peu, cela peut être une étape dans le regroupement de militants attachés à cette perspective. Mais l'enjeu n'est pas seulement d'affirmer cela, et encore moins de ne le faire que dans le cadre nécessairement limité d'un parti comme Rifondazione.
Car l'enjeu des années qui viennent est bien celui-ci : celui de la renaissance d'un véritable parti communiste, d'une véritable direction révolutionnaire de la classe ouvrière. Cela ne comporte pas seulement la revendication d'un programme dans un congrès. Cela comporte une pratique, la formation de militants intervenant dans les luttes petites et grandes de la classe ouvrière, capables d'y gagner son estime et sa confiance, de remporter des succès dans la lutte de classe, d'aider les travailleurs à surmonter leur démoralisation et à reprendre confiance dans leurs propres forces. On ne peut faire dépendre l'accomplissement de cette tâche de l'adoption de ce programme par la majorité d'un parti comme Rifondazione, ce qui est d'ailleurs impossible. C'est dès maintenant qu'il faut affirmer cette perspective, et on ne peut le faire seulement dans les congrès de "Refondation Communiste". Il faut se donner les moyens de le faire devant l'ensemble de la population, devant l'ensemble de la classe ouvrière.
Les voies pour la renaissance d'un véritable parti communiste prolétarien ne sont pas écrites d'avance, ni en Italie ni ailleurs. La tendance qui se reconnaît aujourd'hui dans le "projet communiste" de la "motion 2" du congrès de Rifondazione peut être seulement le témoignage qu'après des années de crise, de transformations et de reniements de la direction de l'ancien PC italien, il reste à la base d'une des tendances qui en est issue des militants décidés à revendiquer l'identité communiste. Mais cela peut n'être qu'un soubresaut de plus dans la longue dérive du PC italien vers la social-démocratie, alors qu'il faudrait au contraire souhaiter que ce soit réellement le début d'un réarmement politique pour cette fraction de militants.
Il peut peut-être dépendre, en effet, des militants qui se sont reconnus dans la "motion 2" de ce congrès qu'elle ne se limite pas à témoigner de la permanence d'un courant communiste à la base de Rifondazione mais qu'elle devienne, avec d'autres sans doute, un élément de la reconstruction d'un parti défendant véritablement, devant l'ensemble des travailleurs, une perspective révolutionnaire communiste.