Italie - La scission du PC et la Refondation communiste

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novembre 1991

Depuis février 1991, le Parti communiste italien n'existe plus en tant que tel. La majorité, menée par le secrétaire général Achille Occhetto, a décidé d'abandonner l'appellation "communiste". Estimant sans doute que, à tant faire de mettre des distances entre lui et son passé, mieux valait en mettre une grande, il s'est transformé en un Parti démocratique de la gauche, le PDS (Partito Democratico della Sinistra), qui n'a donc ni référence communiste, ni même socialiste ou social-démocrate.

L'opération cependant ne s'est pas faite sans douleur ; sur le plan électoral, le "nouveau" parti connaît des débuts difficiles et semble perdre des voix tant sur sa droite que sur sa gauche. Sur le plan militant, toutes les forces de l'ancien PCI sont loin d'avoir suivi Occhetto dans son initiative.

En effet, une fraction s'est opposée au changement de nom, et une scission a eu lieu. Elle proclame son intention de maintenir l'appellation "communiste", sous le nom de Mouvement de la Refondation communiste (MRC). Le fait notable est qu'elle semble avoir emmené avec elle une fraction non négligeable de l'ancien parti, en particulier une fraction de la base ouvrière. Il n'y a pas d'illusion à avoir sur la direction actuelle du MRC, formée essentiellement de transfuges de l'appareil dirigeant de l'ancien parti communiste, qui n'ont nullement rompu avec sa politique passée. Mais le fait qu'une fraction du PC ait tenu, malgré la pression politique qui le poussait à l'abandonner, à marquer son attachement à l'étiquette communiste, reste un fait important pour l'avenir du mouvement ouvrier en Italie.

Les diverses "sensibilités" de l'ancien PCI

Il faut d'abord rappeler les circonstances de la scission de ce parti qui fut, pendant longtemps, le plus fort parti communiste d'Europe occidentale.

Il y a certes longtemps que de fait, plusieurs tendances coexistaient en son sein. Si le Parti communiste italien avait pu occuper une telle place, atteignant dans les années soixante-dix 35 % des voix dans les consultations électorales et regroupant deux millions d'adhérents, c'était justement grâce à la politique de ses dirigeants successifs qui, comme Togliatti, puis Longo et Berlinguer, avaient réussi à faire cohabiter ces tendances.

On trouvait donc au sein du PC une aile, dite des miglioristi, ouvertement partisans depuis longtemps d'abandonner l'étiquette communiste et de revendiquer la place du PCI, sur l'échiquier politique, comme celle d'un parti réformiste tout à fait semblable à la social-démocratie allemande ou au parti travailliste anglais. On y trouvait aussi une aile "gauche" dont le leader traditionnel Pietro Ingrao s'était spécialisé dans les appels à la "sensibilité" communiste d'une fraction de la base, évoquant pêle-mêle le passé antifasciste, la lutte des partisans, les grandes luttes sociales et la solidarité anti-impérialiste avec le tiers monde. Et enfin on y trouvait un "centre" tentant de se maintenir à égale distance de ces deux sensibilités, capable aussi de zigzaguer de l'une à l'autre.

Ce fut notamment le cas de Berlinguer, secrétaire général du parti jusqu'à sa mort en 1984. C'est sous sa direction que le PC, de 1975 à 1979, s'engagea dans le soutien ouvert à une politique d'austérité et se fit le défenseur de l'État et de l'ordre contre les actions terroristes des Brigades rouges. Mais c'est sous sa même direction que s'opéra, à partir de 1979, une sorte de tournant gauche qui le fit sortir de la majorité gouvernementale, dont le PC faisait officiellement partie sans toutefois être admis à avoir des ministres, pour proclamer son appui aux luttes sociales ; ce radicalisme - du moins au niveau des discours - allant en 1980 jusqu'à affirmer le soutien de son parti à l'occupation des usines Fiat en lutte contre des licenciements massifs - "au cas ou cette occupation aurait été décidée."

Cette politique n'empêchait pas le PC de jouer dans tous les cas son rôle de trahison des luttes ouvrières en les conduisant à l'impasse et en ne donnant aux travailleurs d'autre perspective que de "bien voter" aux élections suivantes. Mais elle permettait au moins de faire coexister au sein du parti les différentes composantes : les ailes les plus gestionnaires placées à la tête de municipalités, voire de régions entières, et dont les miglioristi étaient au fond l'expression politique ; un certain nombre de bureaucrates syndicaux sinon plus à gauche, du moins plus sensibles aux pressions des travailleurs ; enfin une base populaire traditionnelle, notamment dans les quartiers, les petites entreprises ou dans une fraction de la jeunesse.

Dans le même temps, ces tournants de Berlinguer ne l'empêchaient pas de poursuivre lui aussi, même si c'était d'une façon plus prudente et calculée que ne l'auraient souhaitée les miglioristi, sur la voie d'une social-démocratisation ouverte du PC. Ce fut lui l'artisan du strappo, la "déchirure" d'avec l'URSS, opérée lorsqu'il déclara en 1982 que le PC italien ne se reconnaissait plus aucun modèle de socialisme et que, pour lui, "la force propulsive de la révolution d'Octobre [était] épuisée." Mais l'équilibrisme berlinguérien n'a pas survécu à son promoteur. Après sa mort, les tiraillements au sein de l'appareil du PC sont devenus plus visibles. Le secrétariat général a d'abord été confié à Alessandro Natta, choisi semble-t-il surtout pour son absence de pesanteur propre, avant de passer à Achille Occhetto, porte-parole d'une sorte de "nouvelle génération" au sein de l'appareil, apparemment surtout pressée d'arriver ; d'autant plus pressée que les signes d'un déclin électoral du parti semblaient s'accumuler.

Le tournant d'Occhetto et la création du PDS

Occhetto restera peut-être dans l'histoire comme une sorte de Gorbatchev du Parti communiste italien qui, à l'égal de l'original soviétique, aurait, pour asseoir son pouvoir, impulsé une évolution qu'il était incapable de maîtriser. Il a d'abord comme de juste assené au parti son poids de "mots nouveaux" censés illustrer un "nouveau cours" politique. Puis à l'automne 1989, dans le contexte de la chute du mur de Berlin et des changements politiques dans les Démocraties populaires d'Europe de l'Est, il a choisi de se lancer dans un tournant décisif : le changement de nom du parti.

Tout en proclamant qu'il fallait un changement fondamental, car selon lui l'appellation "communiste" était désormais dépassée, Occhetto s'entourait d'un certain nombre de précautions visant à garantir aux différentes tendances du parti une sorte de pluralisme interne propre à conjurer le risque d'éclatement. Le nouveau nom devait être choisi après une ample discussion, ouvrant la voie à une assemblée prétendant à rien moins qu'à être une sorte de "constituante" de la gauche italienne ouverte aux sensibilités écologistes, féministes, social-démocrates, tiers-mondistes, catholiques... et autres s'il s'en trouvait.

Dans un premier temps, si l'annonce de l'abandon de l'étiquette communiste provoqua bien des remous à la base du parti, ceux-ci ne semblaient pas en mesure de compromettre l'opération politique d'Occhetto. Une fraction du parti, sous la direction du tandem Ingrao-Natta, constitua bien un "front du non" à l'abandon de l'étiquette communiste, qui regroupa autour de sa motion 30 % des voix des adhérents. Mais elle proclama en même temps sa volonté de maintenir à tout prix l'unité. Elle se portait en somme candidate pour continuer à incarner une sorte de tendance "communiste", tout en restant au sein de ce parti attrape-tout que cherchait à constituer Occhetto, ce qui aurait dû permettre à celui-ci de continuer à couvrir, sur sa gauche, le même espace électoral, sans avoir pour autant les mains liées pour tenter de couvrir un espace plus grand sur sa droite.

Et pourtant l'opération d'Occhetto, qui était censée par l'adoption d'une étiquette nouvelle prévenir les risques de déclin électoral et politique, semble aujourd'hui l'avoir plutôt accéléré.

Occhetto a bien fait adopter par le congrès de février 1991 le nouveau nom, tenu secret jusqu'au dernier moment dans une tentative dérisoire de ménager une sorte d'effet d'annonce ; le PC ou du moins sa majorité est bien devenu un simple "Parti démocratique de la gauche", le PDS. Mais Occhetto n'a pu empêcher que se produise une hémorragie de cadres, d'adhérents et semble-t-il d'électeurs autour de l'initiative du Mouvement de refondation communiste. Tandis que, comme on pouvait s'y attendre, aucune tendance de quelque poids parmi les écologistes, pacifistes, féministes et autres catholiques auxquels avait fait appel Occhetto n'a manifesté d'intérêt et ne semble disposée à venir donner quelque crédibilité à cette "constituante" qui selon Occhetto aurait dû faire de son nouveau parti une sorte d'axe rassembleur de la gauche.

Le PS, un point d'arrivée pour le PDS ?

Tandis que le renouvellement des cartes montrait que le PDS ne retrouvait qu'une partie des adhérents de l'ancien PCI, un certain nombre d'élections partielles semblaient attester que le changement de nom n'avait pas enrayé, mais accéléré son déclin électoral. Pour n'en citer qu'un, le plus significatif au moins par le nombre d'électeurs concernés, les élections régionales de Sicile de juin 1991 n'ont donné que 11,9 % des voix au PDS, en chute de 7,5 % sur les régionales de 1986 et de 3,4 % sur les élections provinciales de 1990, un an seulement auparavant. Le PDS perdait des voix sur sa gauche, au profit de Refondation communiste, mais aussi sur sa droite, au profit du PS ou de la Démocratie chrétienne.

Pour l'instant, Occhetto semble donc avoir raté en partie son opération, au moins sous la forme qu'il ambitionnait. Du coup, au sein même du PDS, son autorité est souvent mise en cause et les combats font rage entre l'aile des miglioristi qui trouvent comme toujours que le tournant à droite n'a pas été assez net et décidé, et l'aile de la "gauche" ingraienne qui a choisi d'accompagner Occhetto mais semble toujours se demander si, vraiment, elle a fait le bon choix.

En revanche, plus l'opération politique occhettienne semble faire long feu, plus elle semble bénéficier d'un accueil favorable du côté de son principal concurrent électoral : le Parti socialiste de Craxi qui, au début, lui avait fait plutôt grise mine. Il était clair en effet dès le début du "tournant" d'Occhetto que le débouché naturel du PDS était, sous une forme ou sous une autre, l'unité avec le PS. Toute la question est de savoir à quelles conditions ces appareils concurrents pourront se fondre. Or, plus le PDS apparaît affaibli et sans initiative politique, moins les conditions d'une fusion - ou d'une unité électorale lui ouvrant la voie - semblent poser problème : ce seront les conditions de Craxi.

Au fond, une fois retombée toute la mousse faite par Occhetto autour de son projet, ce point d'arrivée correspond sans doute simplement à ce qu'il escomptait et à ce que visait avec lui toute une partie de l'appareil du PC : trouver un débouché politique en se rangeant sans condition derrière le Parti socialiste, moins fort électoralement sans doute, mais disposant de l'avantage d'être admis à faire partie des coalitions gouvernementales. Du coup d'ailleurs, une fraction de la bourgeoisie italienne espère que l'hypothèque que faisait peser sur le système politique l'existence d'un parti communiste électoralement fort, mais exclu des combinaisons parlementaires, sera rapidement levée. L'Italie vit depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale sous le régime de l'alternance politique impossible et des coalitions parlementaires dont l'axe obligé est la Démocratie chrétienne. Le PS de Craxi peut espérer, en bénéficiant de l'appoint du PDS, devenir, face à la Démocratie chrétienne, l'axe d'un rassemblement de gauche qui permettrait à l'Italie de connaître comme les autres pays européens l'alternance au pouvoir de partis de gauche et de partis de droite... menant de toute façon la même politique.

Si c'est le cas, on pourra dire alors que l'opération Occhetto - il vaudrait mieux dire alors l'opération Occhetto-Craxi - aura réussi, au moins pour ce qui est de son vrai contenu politique. Globalement une partie de l'appareil de l'ancien PC aura peut-être ainsi trouvé, enfin, cette place de gestionnaire des affaires de la bourgeoisie qu'elle recherchait depuis si longtemps. Mais il n'est pas encore dit pour autant que Craxi fera place égale à toutes ses composantes. Et si l'espace électoral occupé par le PDS se réduit, il est prévisible que la lutte en son sein entre les différentes tendances qui ont appuyé le tournant occhettien risque de s'aviver, voire que certaines cherchent le salut dans une fuite individuelle.

La Refondation communiste, un projet politique flou

En ôtant à Occhetto une partie des forces militantes et des électeurs qu'il comptait entraîner avec lui, la Refondation communiste compte évidemment pour beaucoup dans les difficultés du PDS.

Dans une certaine mesure, les promoteurs de la scission, qui ont laissé jusqu'au dernier moment planer l'incertitude sur leurs intentions, ont pu ravir à Occhetto l'effet d'annonce sur lequel il comptait lors du congrès de Rimini pour lancer le PDS. Ils ont annoncé au même moment qu'ils ne participeraient pas à ce congrès, et appelé les adhérents à des meetings pour le maintien de l'appellation communiste. Mais le succès de ces meetings - le premier, à Rome, a rassemblé plusieurs milliers de personnes - s'il était inattendu pour la presse, ne venait pas de rien.

En fait, les dirigeants de Refondation communiste avaient sans doute fait leur choix depuis assez longtemps. L'un de ceux-ci, Armando Cossutta, était depuis le début des années 1980 l'animateur d'une tendance prosoviétique au sein du parti, qui s'était opposée notamment au strappod'avec l'URSS proclamé par Berlinguer, et dont les motions recueillaient bon an mal an quelques 2 % des voix des adhérents. Le prosoviétisme en question a évidemment perdu de son sens au fil des ans et de l'évolution politique de l'URSS elle-même, mais les cossuttiens n'en sont pas moins restés une tendance structurée disposant de positions non négligeables, notamment dans les zones de vieille implantation du PC comme les villes ouvrières du Nord, ainsi que dans l'appareil syndical de la CGIL.

C'est sans doute cette tendance qui a fourni à l'opération Refondation communiste le support le plus cohérent. Mais sur le plan politique elle s'est rapidement effacée derrière d'autres, qui pouvaient l'aider à perdre l'image de staliniens attardés qui lui était attachée.

Le principal renfort est venu de Sergio Garavini, parlementaire de l'ancien PC au passé de bureaucrate syndical, pas particulièrement à gauche d'ailleurs puisqu'il ne se différenciait guère du reste de l'appareil CGIL lorsque celui-ci endossait la responsabilité de bien des accords signés contre les travailleurs. En tant que syndicaliste, il n'avait pas été un personnage de premier plan dans les luttes de tendances de l'ancien PC. Il pouvait apparaître comme un porte-parole, pas trop marqué par son passé, de cette base du parti qui voulait continuer d'apparaître comme "communiste" sur le plan politique, et comme liée aux luttes des travailleurs sur le plan social.

Mais si la Refondation communiste était donc axée au départ sur le tandem Cossutta-Garavini, il n'est pas indifférent de constater que, de plus en plus, c'est le second qui s'est imposé comme son principal porte-parole.

Officiellement, les contours politiques du Mouvement de la refondation communiste seront dessinés par un congrès prévu pour décembre 1991. Mais Garavini les a en fait déjà formulés. On peut dire que la revendication de l'étiquette "communiste" est en fait la seule chose vraiment claire dans cette politique. Dès qu'il s'agit de définir le contenu de ce mot, tout devient confus et vague à souhait.

Ainsi, dans un article récent (Notiziario Comunistadu 12 septembre dernier), intitulé A quel parti nous pensons, Garavini déclare bien que "les idées communistes ne sont pas effacées mais resurgissent des conditions actuelles du monde capitaliste et du sous-développement, ainsi que de la crise d'un modèle autoritaire et étatique comme avait fini par l'être l'URSS". Mais c'est pour ajouter aussitôt : "Nous voulons fonder un Parti communiste capable en premier lieu d'être l'interprète de ces traditions du PCI qui en ont fait une expérience historique grande et autonome" [...] "refonder et donc réinterpréter les idées communistes". Garavini a des lunettes déformantes qui lui permettent de voir en Togliatti un antistalinien avant l'heure pour oublier aussitôt que c'était surtout un précurseur d'Occhetto qui poussa le PC italien, un des premiers, sur la voie de la social-démocratisation ; ou bien de ne retenir de Berlinguer que ses quelques phases de radicalisme verbal, en oubliant qu'il fut d'abord surtout celui qui engagea le parti dans le soutien ouvert à un gouvernement d'austérité !

Dans le même article, Garavini précise encore - si l'on peut dire - qu'il pense "à un parti qui ne soit pas un résidu de l'ancien PCI", mais "une relance critique de la tradition communiste". Et d'ajouter qu'il s'agit de "dépasser le schéma du parti centralisé et d'appareil, du centralisme démocratique, des chefs et de la base, du sectarisme et de l'autocritique".

On le voit, le langage de Garavini ne le différencie guère en fait des différentes formes de "refondateurs communistes" que l'on voit apparaître sous différentes latitudes et notamment en France. Tous, à part l'étiquette "communiste", se caractérisent par ce brouillard verbal - commun au fond à tous les réformistes - incluant quelques évocations confuses de traditions souvent contradictoires, aussitôt suivies d'affirmations de la nécessité de les "dépasser", les "synthétiser", les "refondre" ou les "réinventer" sans jamais se lier les mains par un programme clair - celui-ci étant toujours "à élaborer" - ni par la revendication d'une filiation politique précise, ni par un bilan critique un tant soit peu honnête des politiques de leurs prédécesseurs ; enfin et surtout, ce langage évite soigneusement toute référence de classe.

Les succès de la Refondation

L'identité politique du groupe dirigeant du MRC est donc celle d'un groupe issu de l'appareil stalinien, en phase de renouvellement de son langage mais pas de sa politique. En revanche, ce qui fait l'originalité de la Refondation communiste italienne est surtout le succès relatif qu'elle a connu, au moins jusqu'ici.

Les "refondateurs" et autres "reconstructeurs" communistes français, au sein du PCF ou sur ses franges, en incitant ce parti à prendre un tournant plus décidé sur sa droite, en direction du PS et d'une nouvelle Union de la gauche à laquelle justement le PCF vient de se brûler les ailes, n'ont guère trouvé d'écho auprès de sa base ouvrière. En revanche, la chance des refondateurs communistes italiens est d'avoir pu s'appuyer sur la résistance de la base du parti au moment où la majorité de celui-ci prenait le virage occhettien. Alors que les refondateurs français cherchent un espace à occuper entre le PCF et le PS - dans la perspective visible de rejoindre ce dernier - dans le cas italien c'est la majorité du PC qui, dans sa course précipitée vers la droite, a ouvert au tandem Garavini-Cossutta un espace à occuper sur sa gauche.

Derrière les phrases creuses d'un Garavini, il y a cette fraction de l'ancienne base du PC qui a tenu à continuer à se revendiquer d'une étiquette communiste.

Les mesures que l'on a de cette base, à travers les succès de la Refondation communiste italienne ne peuvent être pour l'instant que partielles, mais elles témoignent tout de même d'une influence non négligeable. Des quelque 1 500 000 adhérents revendiqués par l'ancien PCI, le MRC en regrouperait aujourd'hui entre 150 000 et 200 000, contre 900 000 pour le PDS. Mais dans certaines grandes villes, c'est entre la moitié et le quart des adhérents de l'ancien PC qui auraient rejoint le MRC : dès mars 1991, quelque 6 000 adhésions étaient annoncées à Turin, 19 000 en Toscane, 12 000 à 13 000 dans les régions de Milan et de Rome. De toute évidence, la scission était en fait loin d'être improvisée. Au moins dans un certain nombre de cas, ce sont des fractions entières de l'appareil de l'ancien PC qui sont venues.

De plus, nombre d'adhérents de l'ancien PC, qui s'en étaient éloignés dans les dernières années, semblent être revenus à cette occasion, en choisissant de se joindre à Refondation communiste. S'y sont ajoutés un certain nombre de militants de l'ancienne extrême gauche, ayant eux aussi abandonné l'activité politique les années précédentes, en même temps que celle-ci s'écroulait.

Il faut dire qu'à l'extrême gauche, la seule force qui aurait peut-être pu attirer le milieu communiste déçu par le tournant d'Occhetto était le petit parti Democrazia proletaria, qui regroupait encore quelques milliers d'adhérents et recueillait de l'ordre de 1,5 % des voix dans les différentes élections. Mais précisément, cette organisation était en phase de dissolution, elle aussi, entre ses différentes "sensibilités" et venait de perdre toute une fraction de ses élus, partis rejoindre les écologistes. Dans ces conditions, au cours d'un congrès tenu au mois de juin, Democrazia proletaria a choisi de se dissoudre et de rejoindre Refondation communiste, fournissant à celle-ci un appoint sans doute non négligeable de militants, mais aussi d'électeurs.

Sur ce dernier plan, le plan électoral, on ne dispose que du résultat des quelques élections partielles qu'a connues l'Italie depuis l'éclatement du PC. Aux élections régionales de Sicile citées plus haut, le MRC a obtenu 3,2 % des voix, contre 11,9 % au PDS, dont le résultat était en recul de 7,5 % sur l'ancien PCI. Mais en juin, aux élections municipales d'Andria, petite ville de 90 000 habitants proche de Bari, le MRC a obtenu 13,1 % des voix et le PDS seulement 12,5 % - contre 30,6 % des voix en 1986 pour l'ancien PCI dont PDS et MRC se sont donc partagé les voix à peu près également. Et dans un certain nombre de communes, le MRC a de la même façon montré qu'il amenait avec lui une fraction non négligeable du potentiel électoral de l'ancien PC.C'est assez, en tout cas, pour inquiéter Occhetto et le PDS et pour faire qu'au sein de celui-ci, un certain nombre de membres de l'appareil semblent toujours se demander s'il faut vraiment aller avec Occhetto. C'est le cas notamment au sein de la gauche ingraienne du PDS, dont nombre de membres peuvent craindre de faire les frais d'une éventuelle fusion entre le PDS et le PS.

Mais tout cela n'est encore pas ce qui compte le plus. Bien plus que les rapports numériques des adhérents et des électeurs, c'est la présence militante dans la classe ouvrière qui est, du point de vue des révolutionnaires, le facteur le plus important à mesurer. C'est sans doute aussi ce qui est le plus difficile à estimer aujourd'hui. Cependant, il semble bien que ceux qui parmi les militants de l'ancien PCI ont rejoint Refondation Communiste, proviennent essentiellement de la base ouvrière de l'ancien parti.

Le rapport entre le nombre d'adhérents de l'ancien PC qui ont rejoint le PDS et ceux qui ont rejoint le MRC ne donne qu'une idée très déformée de ce partage. En Italie plus qu'ailleurs, le fait de prendre sa carte à un parti est souvent lié à des questions de clientèle bien plus qu'à des convictions politiques. L'ancien PCI, parti gestionnaire de nombreuses municipalités, régions, et même d'administrations en dépendant plus ou moins directement, a ainsi pu gonfler ses effectifs d'adhérents fonctionnaires, petits-bourgeois, élus en tout genre venus vers lui comme on va vers un parti disposant d'une part de pouvoir. Et l'on peut penser que ceux-ci ont préféré rester avec la majorité du parti, celle qui semblait la plus assurée de continuer à dispenser un certain nombre de menus avantages.

En revanche, l'aile la plus militante de l'ancien parti, qui était très minoritaire dans la masse de ses adhérents, semble avoir rejoint le MRC dans une proportion plus grande que ne le laissent penser les rapports numériques cités plus haut. Et la plupart des témoignages indiquent qu'il s'agit bien souvent de militants ouvriers, restés attachés à une image "communiste", et en tout cas combative et radicale, de leur parti. Même si évidemment ce type de militants n'est pas absent du PDS lui-même.

Le fait est que le MRC a pu, en l'espace de trois mois, donner des preuves de sa capacité militante en organisant deux manifestations centrales - l'une à Milan pour "la défense des droits des travailleurs et de la Constitution", l'autre à Rome, à la rentrée, contre les orientations du projet de loi de Finances - avec dans les deux cas quelques dizaines de milliers de participants ; deux manifestations dont le caractère ouvrier était très apparent. Et il semble bien que les ouvriers de l'ancien PC qui ont rejoint le MRC soient loin de se limiter aux bureaucrates syndicaux qui formaient une partie des responsables cossuttiens, mais soient aussi pour une grande part de simples adhérents pas particulièrement membres de l'appareil, par exemple des travailleurs d'entreprises petites ou moyennes.

Quelle évolution possible ?

On peut dire malheureusement que réciproquement, en à peine quelques mois d'existence, le groupe dirigeant de Refondation communiste a déjà donné de nombreuses preuves de son extrême sensibilité aux pressions venant de sa droite.

On le voit bien sûr dans les textes cités plus haut et qui précisent son orientation politique. On l'a vu dès la manifestation organisée en juin, censée donner l'image d'un parti d'opposition, mais qui à côté d'une défense des travailleurs invoquait aussi une défense... de la Constitution de la République italienne et de ses soi-disant aspects "démocratiques", voire "sociaux" - un des poncifs traditionnels du PC et la marque de ce qu'il faut bien appeler le crétinisme parlementaire et électoraliste qu'il a imprimé à toute la gauche italienne. Mais le fait le plus significatif a été la question du nom du nouveau parti.

Dans un premier temps, Cossutta et Garavini avaient manifesté leur intention d'appeler le nouveau parti tout simplement Parti communiste, revendiquant ainsi l'héritage abandonné par Occhetto. Cette détermination n'a cependant pas passé l'été 1991 ni supporté la campagne redoublée déclenchée, en Italie comme ailleurs, à la suite du putsch manqué de Moscou, contre toute appellation "communiste", surtout accolée au mot de "parti", dénoncée par la presse et les hommes politiques comme la marque évidente de "nostalgiques" des "dictatures totalitaires" de l'Est. Le groupe dirigeant a sauté sur l'occasion pour proposer que, pour éviter cette accusation, la dénomination "refondation" reste au parti, à côté du mot "communiste".

C'était céder à l'opinion ambiante, mais aussi par la même occasion aux tendances qui, au sein de Refondation communiste mais aussi en dehors (ainsi dans la gauche "ingraienne" du PDS) se prononcent contre l'adoption d'une forme de "parti" et pour celle d'un vague "mouvement", "instrument d'identité et d'autonomie politico-culturel". Il s'agit bien sûr de ce type de bavardages par lesquels les "nouvelles gauches" de tous les pays tentent de dissimuler leur vacuité derrière des mots "nouveaux". Mais en l'occurrence il s'agissait pour les dirigeants de Refondation communiste de démontrer leur ouverture... vers la droite et en particulier vers une partie de la gauche ingraienne. Celle-ci n'est pas en manque en effet d'intellectuels bavards - dont les principaux prototypes, tels Lucio Magri, sont issus de l'ancien groupe du Manifesto - qui ne font pas mystère de leur disponibilité à se recycler du coté de la Refondation communiste pour peu que celle-ci veuille bien faire place à ces spécialistes des "nouveaux langages" en tout genre.

Il semble d'ailleurs qu'à l'approche du congrès, le poids spécifique des différentes composantes au sein du groupe dirigeant se modifie. Les ex-prosoviétiques comme Cossutta semblent en passe d'être remerciés ou en tout cas de passer largement sous la table, à l'occasion par exemple de leur mise en cause dans les "révélations" sur les financements des PC occidentaux par l'URSS, pendant que se dessine une sorte de front des "nouvelles gauches" qui, de Garavini aux ex-dirigeants de DP, semble lancer des ponts en direction de l'aile ingraienne du PDS.

Un enjeu prochain est d'ailleurs évidemment les accords électoraux que Refondation communiste pourrait conclure avec le PDS et, au-delà, le PS et les partis du centre, dans une éventuelle coalition d'"alternative de gauche".

Les signes s'accumulent donc pour indiquer que les militants de l'ancien Parti communiste qui ont pu voir dans la création de Refondation communiste l'espoir d'un retour à une politique claire d'opposition de classe risquent fort d'être déçus dans un proche avenir. Et c'est malheureusement logique.

Un enjeu

Il y a bien des années que les différents partis communistes ont rompu avec toute politique révolutionnaire pour s'engager dans une politique de collaboration de classe, voire de soutien ouvert à la politique de la bourgeoisie. C'est ce qui les a conduits à abandonner aussi, de façon honteuse d'abord, de façon de plus en plus ouverte ensuite, les caractéristiques politiques qui étaient les leurs à l'origine : leurs références à la dictature du prolétariat, au léninisme, au communisme, au marxisme en général. Le Parti communiste Italien a été l'un des pionniers sur cette voie et le tournant d'Occhetto prétendait bien être le pas ultime sur ce chemin pavé d'abandons.

Comme les autres, pourtant, le PC italien avait hérité de ses origines une forme particulière de lien avec la classe ouvrière, notamment l'existence en son sein de militants ouvriers liés à leur classe, combatifs et parfois radicaux, attachés à cette image "communiste" de leur parti même s'il y avait beaucoup à dire du contenu politique qu'ils pouvaient lui donner. C'est cela qui a rendu l'évolution si lente, si prudente de la part de dirigeants attentifs à ne pas provoquer de rupture avec cette base qui restait malgré tout un de leurs appuis sociaux. Pour pouvoir marchander cette influence dans la classe ouvrière auprès d'éventuels partenaires politiques, encore fallait-il la conserver.

La Refondation communiste italienne fournit l'exemple d'une rupture qui n'a pu être évitée et qui, pour une fois, a eu lieu sur la gauche d'un parti communiste, ou plus précisément de la part d'une fraction qui, à un certain moment, n'a plus suivi la marche forcée vers la droite où l'entraînaient ses dirigeants.

Cette réaction d'une partie de la base ouvrière est de toute façon un fait politique réconfortant. Bien sûr, c'est une fraction de l'appareil de l'ancien PC qui a choisi de se placer à sa tête, au nom de la Refondation communiste, et il est évident qu'il n'y a, dans cette revendication politique de la part de dirigeants au long passé de bureaucrates réformistes, aucun souci réel de retour à la tradition révolutionnaire, mais tout simplement un calcul. Dans un pays où une fraction notable de la classe ouvrière et de ses forces militantes est de tradition communiste, cette fraction d'appareil a pu vérifier qu'il y avait encore là un fonds de commerce électoral à exploiter, des postes dans l'appareil syndical à occuper, et finalement une place à prendre qu'elle n'aurait guère eu de chance de trouver dans le cadre du PDS, voire du regroupement PDS-PS. La seule condition pour occuper cette place était de maintenir une image, même floue à souhait, de défenseurs des intérêts ouvriers contre le capitalisme, et elle n'était tout compte fait pas trop difficile à remplir.

C'est le jeu que les promoteurs de Refondation communiste ont choisi de mener sur l'échiquier politique italien ; en espérant pouvoir ensuite, en bons dirigeants réformistes qu'ils sont, négocier avec d'autres cette force et cette influence qu'ils auront réussi à maintenir. Tout ce qui en sort est quelques bureaucrates au langage "gauche" - et encore - comme les dirigeants de Refondation communiste en offrent l'exemple. Et il serait absurde, de la part de révolutionnaires, de croire qu'il puisse y avoir ainsi une sorte de génération spontanée d'une direction révolutionnaire, et surtout de cautionner cette idée et ces bureaucrates.

C'est pourquoi ceux qui croiraient que leur rôle consiste désormais à servir de conseilleurs aux Garavini, aux Cossutta ou à quelques autres pour les aider à éclaircir leurs idées sur l'avenir d'un communisme qui est le cadet de leurs soucis, non seulement se tromperaient totalement mais contribueraient à tromper la base ouvrière de Refondation communiste.

C'est une toute autre opportunité qu'offre en fait la création de ce mouvement. Du simple fait de la scission qui a eu lieu, de la discussion qui l'a accompagnée, nombre de militants ouvriers sont aujourd'hui conduits à se reposer bien des problèmes, et des problèmes fondamentaux : celui de l'avenir de la classe ouvrière, des buts de son combat, de ses moyens politiques, des perspectives à donner à la lutte de classe. Ils le font bien sûr en restant marqués par leur passé, leur expérience politique et notamment avec toutes les déformations électoralistes, légalistes, nationalistes, contractées dans l'ancien parti. Mais c'est peut-être justement maintenant qu'un certain nombre d'entre eux peuvent être amenés, par ce qu'ils viennent de vivre, à jeter un regard critique sur ce passé et à remettre en cause un certain nombre de leurs propres conceptions.

Cela est d'autant plus possible que des militants d'origines diverses, issus du Parti communiste mais aussi de différentes traditions de l'extrême gauche se retrouvent dans Refondation communiste, autour de la même intention affichée de redonner vie à la tradition communiste en rompant avec certaines erreurs du passé - même si les dirigeants du MRC se gardent bien de préciser quelles elles sont. Cela veut dire, pour la première fois depuis bien longtemps, que ces militants ont la possibilité de débattre et d'agir ensemble, comme des militants d'un même parti. C'est la fin - au moins momentanément - d'une coupure, existant depuis des décennies, entre les militants révolutionnaires - les trotskystes en particulier - et la base ouvrière communiste restée dans les partis staliniens. Et cette occasion de discuter toutes les questions du communisme, de la lutte de classe et de son avenir, rend peut-être possible, sinon de gagner au moins une partie de cette base ouvrière à une véritable politique révolutionnaire - car c'est aussi une question de crédit et une question de période - du moins de tisser des liens avec elle, de l'influencer et peut-être de gagner certains de ses membres.

Encore faut-il bien sûr qu'il y ait des militants pour le tenter, pour comprendre aussi que le problème pour eux n'est pas de compter influencer les dirigeants de Refondation communiste ou d'infléchir leur langage. Il est de combattre leur politique en essayant de prendre appui sur les réactions de classe que celle-ci ne manquera pas de susciter à la base du parti. Une base que l'expérience d'autres tromperies aura peut-être rendue moins prête à en subir passivement de nouvelles.

La présence de tels militants serait en tout cas indispensable pour que les travailleurs qui, aujourd'hui, reportent leurs espoirs dans Refondation communiste ne comptent pas d'ici quelque temps, eux aussi, parmi les déçus d'une énième édition d'une aventure réformiste ; fût-elle conduite sous la marque "de gauche" du tandem Garavini-Cossutta.