Sous ce titre, le numéro 36 du trimestriel Class Struggle de Spark aux Etats-Unis résume et analyse la série de mesures répressives prises par l'administration Bush entre les lendemains du 11 septembre 2001 et juillet 2002. Dans le contexte actuel, marqué par une vaste opération de mobilisation guerrière contre l'Irak sous le prétexte de combattre le "terrorisme international", nous jugeons d'autant plus utile de publier ci-dessous une traduction de cet article que ce n'est évidemment pas cet aspect de la "démocratie" américaine qu'évoque volontiers la grande presse française.
Moins d'un an après le 11 septembre, le gouvernement Bush peut s'enorgueillir d'un bilan législatif qui aurait rendu jaloux l'ancien directeur du FBI, J. Edgar Hoover, lui-même. Des dizaines de lois, d'ordonnances et de décrets répressifs ont été approuvées à toute vitesse par le Congrès, voire simplement annoncées par Bush sans information préalable du Congrès. Peu de questions ont été posées par les membres du Congrès ou les journalistes des grands moyens d'information. Et quand une timide voix s'est élevée, le gouvernement Bush l'a vite fait taire, au nom de la "sécurité nationale". Ainsi, en décembre 2001, le ministre de la Justice du gouvernement Bush, John Ashcroft, déclarait devant la commission juridique du Sénat : "A ceux qui tentent d'effrayer nos concitoyens épris de paix en agitant le spectre d'une liberté perdue, je dis ceci : par votre attitude, vous venez en aide aux terroristes, car vous ébranlez l'unité nationale et sapez la détermination du pays. Ceux-là fournissent des armes aux ennemis de l'Amérique et empêchent ses amis d'agir".
On le voit, les représentants de la réaction ont aussitôt enfourché le cheval de bataille du 11 septembre et se sont montrés bien décidés à s'en servir.
Ashcroft au congrès : "Votez la loi, sinon..."
Une semaine à peine après l'attentat contre le World Trade Center, Ashcroft déposait devant le Congrès une loi "antiterroriste" d'environ 350 pages et demandait aux élus de la voter dans les trois jours, faute de quoi il les tiendrait pour responsables de la prochaine vague d'attentats qui ne manquerait pas de déferler sur l'Amérique. Désireux de montrer qu'il ne se laissait pas si facilement intimider, le Congrès laissa s'écouler cinq bonnes semaines avant d'adopter le texte. Ayant ainsi montré son "indépendance", il accorda par la suite au gouvernement Bush presque tout ce qui lui fut demandé.
Ce texte législatif a finalement obtenu force de loi quand Bush y a apposé sa signature le 26 octobre 2001. Ses rédacteurs lui ont donné un titre extravagant, Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act (Loi visant à unir et à renforcer l'Amérique en lui donnant les moyens nécessaires à la lutte contre le terrorisme et à sa prévention), à seule fin que ses initiales forment les mots USA Patriot ! Sous prétexte de "lutte contre le terrorisme", le Congrès a accordé au gouvernement des pouvoirs de police étendus qui peuvent être utilisés non seulement dans le cadre d'enquêtes sur le terrorisme, mais dans toutes les enquêtes relevant de l'autorité fédérale. Cette loi autorise, par exemple, les représentants du ministère de la Justice à mettre en détention, sans inculpation et pour une durée indéterminée, tout étranger, "non-citoyen", dont ils estiment qu'il représente une menace. Elle supprime l'obligation pour la police de disposer d'un mandat délivré par un juge pour écouter les conversations téléphoniques ou lire le courrier électronique de quiconque, étranger ET citoyen américain. Elle permet aux policiers de fouiller les lieux de vie et de travail de quiconque, étranger ET citoyen américain, à l'insu de cette personne, c'est-à-dire sans obligation de la prévenir, ni avant ni après. Elle autorise les forces de l'ordre à se faire communiquer les dossiers détenus par le médecin, la banque, l'école, l'université, ou l'employeur de toute personne ; il leur suffit, pour justifier leur démarche devant l'autorité judiciaire, de faire état de leurs "soupçons" à l'égard de cette personne. Enfin, elle donne à la CIA des pouvoirs élargis, lui permettant de recourir aux services policiers de tout le pays afin de mettre sous surveillance des citoyens américains sur le territoire national.
Dans la foulée des événements du 11 septembre, le gouvernement n'a pas attendu le vote de nouvelles lois ou la publication de nouveaux décrets pour faire arrêter et écrouer de nombreuses personnes, détenues sans mandat et sans qu'aucune charge ait été retenue contre elles. Au moment du vote de la loi USA Patriot, près de 1 000 personnes avaient déjà été incarcérées à la suite de rafles. Les premières inculpations n'ont été notifiées que fin novembre, et seulement à 93 d'entre elles. Aucune de ces inculpations n'était réellement liée aux attentats du World Trade Center. Depuis cette date, un certain nombre de détenus ont été libérés, d'autres ont été expulsés. D'autres encore sont toujours en détention. Personne, en dehors d'un petit nombre de collaborateurs du gouvernement, n'a la moindre idée du nombre de personnes détenues, et encore moins de leur identité. Quant à Zacarias Moussaoui, il avait été arrêté avant le 11 septembre. De toute évidence, les services policiers du gouvernement fédéral n'avaient pas besoin d'obtenir une autorisation légale avant de passer à l'action.
Et pourtant, le vote de la loi USA Patriot marque une étape importante, car elle autorise officiellement les services policiers à faire ouvertement ce qu'ils faisaient déjà en secret ou en utilisant divers prétextes plus ou moins légaux.
Cette loi modifie aussi la définition légale du terrorisme, qui devient si large qu'elle comprend presque toute action ayant pour but un changement de politique de la part du gouvernement. La seule restriction que comporte cette définition, c'est qu'il doit s'agir d'"actions mettant en jeu la vie humaine". Une personne peut donc être arrêtée, si elle est impliquée dans des "actions dont le but est d'influencer la politique du gouvernement en ayant recours à l'intimidation ou à la coercition". En d'autres termes, des grévistes qui bravent une injonction de la cour en maintenant un piquet de grève peuvent être arrêtés aux termes de cette loi, s'il y a violence. Il en est de même de ceux qui participent à une manifestation contre la guerre. Quiconque s'est déjà trouvé dans un piquet de grève ou une manifestation sait que la violence est souvent le fait de la police et lui sert de prétexte pour arrêter grévistes et manifestants. Les formulations de la nouvelle loi ne sont évidemment pas le fait du hasard, comme l'a montré le ministre de la Justice de Caroline du Sud, quelques jours après le vote de la loi, en accusant publiquement cinq dockers d'être des "terroristes". L'acte "terroriste" qu'il leur reprochait étant d'avoir participé, sur un piquet de grève, à des heurts violents avec la police... près de deux années plus tôt.
Dès le vote de la loi, Ashcroft a déclaré que les agents des polices locales et du FBI avaient reçu comme instruction d'"interroger" plus de 5 000 jeunes gens entrés aux Etats-Unis au cours des deux années précédentes, en provenance du Moyen-Orient et d'Asie du Sud-Est. Ces jeunes gens n'étaient soupçonnés d'aucun délit, mais ils allaient quand même être "interrogés" par la police, c'est-à-dire harcelés et intimidés en raison de leur origine et de leur âge.
Des tribunaux militaires (uniquement pour les étrangers et pour les résidents d'origine étrangère... et pour les citoyens)
Puis Bush a publié un décret déférant les "non-citoyens" accusés de "terrorisme" devant des tribunaux militaires. La procédure réglementant les "procès" devant ces tribunaux militaires est particulièrement odieuse. C'est le président, ou quelqu'un qu'il a lui-même désigné, qui décide qu'une personne sera accusée de "terrorisme" ; c'est aussi lui qui désigne les militaires qui feront office de juges et de jurés, de procureur et d'avocat de la défense. L'accusé a le droit de faire appel à un défenseur civil, mais celui-ci ne pourra assister aux auditions pour lesquelles le procureur aura demandé le huis clos même si l'ensemble des auditions ont lieu à huis clos. Des éléments de preuve peuvent ne pas être communiqués à l'accusé ni à son avocat, mêmes s'ils ne sont pas classés "secret défense" ; il suffit pour cela que Bush, ou son représentant, déclare que ces éléments de preuve "pourraient" compromettre la "sécurité nationale". L'accusé lui-même peut être interdit de tribunal et donc mis dans l'impossibilité de voir ses accusateurs comme de répondre aux accusations portées contre lui. La déclaration de culpabilité ne requiert qu'une majorité des deux tiers et non l'unanimité (sauf pour les crimes passibles de la peine de mort). Les procès peuvent se dérouler en secret, sans même que la population soit informée de leur existence. Aucun autre tribunal ne peut réviser la décision du tribunal militaire. Enfin, même si l'accusé est déclaré innocent par le tribunal militaire, il peut être maintenu en détention pour une durée indéterminée sur simple décision du gouvernement. Le président ou son représentant peuvent donc, à leur fantaisie, déférer devant un véritable tribunal d'exception non seulement ceux qui sont entrés illégalement dans le pays, mais n'importe qui parmi les 18 millions de personnes nées à l'étranger qui détiennent en toute légalité un titre de séjour.
En fait, comme l'a montré par la suite l'arrestation de José Padilla, le gouvernement ne fait aucune différence entre les citoyens et les "non-citoyens". Padilla, qui est citoyen américain, a été appréhendé puis livré aux militaires qui l'ont mis en détention sans procès, sans comparution devant un juge et sans que la moindre charge ait été retenue contre lui. L'administration s'est contentée d'affirmer que Padilla "pourrait" un jour fabriquer une "bombe sale" et qu'il était un "combattant ennemi". Cette affirmation, qui ne reposait sur aucune preuve ni infraction, a suffi pour priver Padilla de tous ses droits en tant que citoyen américain. Voici ce qu'a déclaré à ce sujet le très conservateur Cato Institute, dont les prises de position sont habituellement favorables à Bush : "L'administration Bush vient de faire une extraordinaire démonstration de force, à la fois écrasante et troublante. Elle prétend qu'il suffit que le gouvernement déclare qu'une personne est un "combattant ennemi" pour pouvoir la garder en détention sans jugement. Le gouvernement n'a même pas besoin d'accuser cette personne d'un délit et encore moins de présenter des éléments de preuve y compris si le détenu est un citoyen américain, appréhendé sur le sol américain."
Par la suite, le gouvernement Bush a présenté une multitude d'autres mesures répressives. Il souhaite, par exemple, que les agents des douanes aient le droit d'ouvrir et de lire à volonté le courrier à destination de l'étranger, sans avoir besoin d'un mandat pour ce faire (les douaniers ont déjà le droit d'ouvrir le courrier en provenance de l'étranger). De nouveaux décrets ont levé les quelques restrictions inscrites dans la loi USA Patriot pour limiter la surveillance et le harcèlement policiers. Aujourd'hui, les personnes appréhendées pour infraction aux lois relatives à la délivrance de visas et à l'immigration peuvent être détenues pour une durée indéterminée, si le gouvernement le demande y compris si elles n'ont jamais été accusées d'aucune infraction ou si un juge de l'immigration ordonne leur mise en liberté.
L'association American Civil Liberties Union a rapporté qu'en juin, un certain nombre de personnes avaient reçu la visite d'agents du FBI parce qu'on les avaient entendues critiquer le président Bush. Ainsi, en Californie, un employé du téléphone à la retraite a été entendu par le FBI parce qu'il avait dit publiquement durant sa séance de culture physique dans un gymnase : "Bush n'a pas de quoi être fier. C'est un larbin des grandes compagnies pétrolières et tout ce qui l'intéresse au Moyen-Orient, c'est le pétrole". Une étudiante de l'université de Durham en Caroline du Nord a reçu la visite d'agents du FBI qui l'ont accusée d'avoir en sa possession du "matériel antiaméricain". Ce matériel s'est révélé être un poster qui montrait Bush tenant une corde avec un noeud coulant et qui portait comme légende "We hang on your every word" (jeu de mots qui signifie à la fois "nous sommes suspendus à vos lèvres" et "nous pendons sur demande") allusion au fait que Bush est un partisan de la peine de mort. L'un et l'autre ont de toute évidence été dénoncés au FBI ou à d'autres services policiers par des témoins ou par des personnes qui les surveillaient.
De tels faits montrent bien l'atmosphère que l'appareil d'Etat a réussi à créer. En juillet, Bush a enfoncé le clou en demandant aux postiers, aux employés du gaz, de l'électricité, du téléphone, bref, à tous ceux qui pénètrent dans les foyers "d'être en alerte et de rapporter tout ce qui peut sembler suspect au FBI ou à la police locale". Manifestement, toute critique du gouvernement Bush est considérée par la police comme hautement "suspecte".
Un recul considérable
Fin mai, Ashcroft a annoncé que de nouvelles "directives" seraient données à tous les enquêteurs fédéraux et pas seulement à ceux qui enquêtaient sur des personnes soupçonnées de terrorisme. Entre autres choses, ces directives permettent au gouvernement d'espionner en toute légalité une organisation et ses membres, même si ni l'une ni les autres ne sont soupçonnés d'activités délictueuses. Elles laissent au FBI le champ libre sur Internet, l'autorisant à pénétrer n'importe quel site ou forum de discussion et à recueillir des informations sur les personnes qui s'y connectent.
Bush prétend que ces changements sont nécessaires pour lutter contre des organisations basées à l'étranger comme Al Qaida. Mais ces nouvelles directives ne s'appliquent qu'à des organisations basées aux Etats-Unis et à des citoyens américains ! En fait, les services policiers prennent prétexte des attentats du 11 septembre pour imposer un retour en arrière.
Les nouvelles directives d'Ashcroft remplacent celles qui avaient été mises en place en 1976, à la suite des recommandations faites par une commission d'enquête du Sénat. La création de cette commission elle-même était le reflet d'une hostilité générale de la part de la population face à l'espionnage des citoyens organisée par le gouvernement et aux assassinats politiques de citoyens américains dans les années soixante et soixante-dix, à l'époque du mouvement noir et du mouvement contre la guerre du Vietnam.
La commission du Sénat concluait en 1976 : "De trop nombreuses personnes ont été espionnées par de trop nombreux services gouvernementaux et trop de renseignements ont été recueillis. Le gouvernement a souvent demandé que des citoyens soient secrètement mis sous surveillance en raison de leurs convictions politiques, même quand ces convictions ne comportaient aucun risque de passage à des actes illégaux ou violents au bénéfice d'une puissance étrangère hostile aux Etats-Unis. Le gouvernement, sur la base de renseignements fournis par des informateurs dont l'identité est gardée secrète, mais aussi à l'aide de techniques comme les écoutes téléphoniques, la pose de micros, l'ouverture discrète du courrier, la visite par effraction de domiciles, a recueilli une quantité énorme de données sur la vie personnelle, les opinions et les associations des citoyens américains. [...] Des groupes et des personnes ont été harcelés et perturbés en raison de leurs opinions politiques et de leur style de vie. [...] Des méthodes brutales et indignes ont été utilisées : tenter de briser des couples par des courriers ou des appels anonymes, perturber des réunions publiques, faire exclure des personnes de leur profession et provoquer entre certains groupes cibles une hostilité pouvant entraîner des affrontements meurtriers. Les services de renseignements se sont mis au service des objectifs personnels et politiques des présidents et des autres dirigeants du pays." Le rapport du Sénat ne disait pas ouvertement que les services policiers avaient commandité l'assassinat de militants, mais il le laissait entendre. Par contre, il accusait ouvertement le gouvernement d'avoir été à l'origine de la création de "US", une organisation dirigée par Ron Karenga, afin de faire assassiner des membres des Black Panthers, et d'avoir créé de toutes pièces la rivalité sanglante opposant ces deux organisations. Le Congrès, prenant acte des recommandations de ce rapport, avait alors demandé au ministère de la Justice d'établir de nouvelles "directives" en 1976 et de faire le ménage dans ses services et dans la police.
Ces directives étaient un moyen de répondre aux critiques formulées contre le FBI, la CIA et autres services gouvernementaux tout en leur laissant assez de marge de manoeuvre pour qu'ils continuent sur la même voie. Comme l'ont montré les actions qu'ils ont entreprises par la suite, le FBI et les autres services policiers n'ont absolument pas été handicapés par les directives de 1976, même s'ils ont dû, à l'occasion, s'expliquer devant des tribunaux quand leurs agissements étaient un peu trop arbitraires.
Il serait naïf de croire que ces directives protégeaient vraiment la population. Pourtant, on peut dire que le FBI, la CIA et les autres services policiers n'étaient pas très heureux des restrictions qui leur avaient été imposées en 1976. De toute évidence, ils préfèrent n'être soumis à aucun contrôle quel qu'il soit, y compris un contrôle effectué par une autre partie de l'appareil d'Etat.
Avec le reflux des mouvements de protestation, à la fin des années soixante-dix, le FBI et les autres services policiers de l'Etat ont tenté de se débarrasser petit à petit des restrictions imposées à leur action, grâce à des décisions judiciaires, des modifications législatives et des décrets présidentiels qui leur étaient favorables. Cela s'est accéléré après l'attentat d'Oklahoma City, quand le gouvernement Clinton s'est servi de la réaction suscitée par cet acte terroriste pour faire adopter une loi relative à la "lutte contre le terrorisme et pour une application effective de la peine de mort". Une des parties essentielles de cette loi n'avait rien à voir avec le terrorisme, mais visait à limiter les possibilités d'appel et nombre de pourvois autorisés aux condamnés à mort. Elle interdisait, par exemple, qu'au-delà d'une certaine étape de la procédure, un condamné à mort puisse soumettre de nouveaux éléments de preuve afin de tenter d'établir son innocence. La loi présentée par Clinton autorisait aussi le gouvernement à interdire une organisation, non pas parce que ses membres avaient commis des infractions, mais parce que le gouvernement "croyait" que cette organisation pouvait dans l'avenir être à l'origine d'attentats terroristes. En d'autres termes, l'appareil d'Etat avait l'autorisation d'agir de la façon la plus arbitraire. Le gouvernement Clinton ne s'en est pas privé, interdisant des organisations qui n'avaient commis aucun délit, mais qui contestaient la politique américaine. Par contre, deux organisations pakistanaises ayant toute une série d'assassinats politiques à leur actif n'ont pas été interdites (il semble que, dans ce cas, le gouvernement américain tenait particulièrement à maintenir de bonnes relations avec le gouvernement pakistanais qui soutenait ces groupes).
En utilisant les attentats du 11 septembre et l'appel à l'"unité nationale" comme prétextes pour s'en prendre aux libertés démocratiques, Bush a accéléré un processus déjà bien engagé. Et il a pu rétablir l'ancienne situation sans que personne n'ose s'y opposer.
Selon Bush, entre liberté et sécurité, il faut choisir
Les instituts de sondage disent que, s'ils devaient choisir entre la prévention d'actes terroristes et la perte de quelques droits démocratiques, la plupart des citoyens américains choisiraient le premier terme de l'alternative. Mais, comme c'est souvent le cas dans les sondages, le "choix" proposé n'en est pas un. Les révélations qui ont suivi les attentats du 11 septembre l'ont montré : certains droits individuels étaient déjà bafoués, des masses énormes de renseignements étaient à la disposition des enquêteurs, mais rien de tout cela n'a empêché les attentats. Les faits le prouvent : on n'empêche pas le terrorisme par la simple répression. L'Etat d'Israël fait tous les jours la démonstration qu'il est impossible de prévenir le terrorisme par la répression, même une répression très dure.
Il est normal que, dans un pays qui n'a jamais eu à subir d'attaque sur son propre sol, la population ait réagi aux événements du 11 septembre avec horreur. Mais ce sentiment a été instrumentalisé par la classe dirigeante et les politiciens à son service, Bush en tête.
Depuis le jour où les avions ont frappé le World Trade Center, ils n'ont pas cessé de bombarder le pays de propagande patriotique. Le sommet a été atteint le jour de la fête nationale, le 4 juillet, qui a été célébrée cette année dans une débauche de patriotisme teinté de militarisme. Ils ont averti, à plusieurs reprises, de l'imminence de nouvelles attaques terroristes. Au début, ils ont présenté les attentats à l'anthrax comme la poursuite des attaques de terroristes étrangers. Cette histoire a été vite oubliée quand il est apparu que ces attentats étaient probablement le fait d'une personne liée à la recherche militaire américaine, mais ils ont alors évoqué la possibilité d'attentats contre des centrales nucléaires ou d'attentats à la "bombe sale". Bref, depuis un an la population subit une propagande tendant à lui faire croire qu'elle est assiégée.
En même temps, Bush s'est présenté comme le chef de la résistance au terrorisme. La radio et la télévision rapportent en permanence les "petites phrases" concoctées par ses conseillers, du style : "Il s'agit d'une guerre entre les bons et les méchants, et ce sont les bons qui gagnent."
Bush a utilisé la guerre en Afghanistan quels qu'aient été par ailleurs les autres mobiles des Etats-Unis dans cette affaire pour donner l'impression qu'il faisait quelque chose pour venger les victimes du 11 septembre et pour attaquer le mal terroriste à la racine. Après l'Afghanistan, il s'est mis à parler de "l'axe du mal" et de la guerre qu'il allait mener au nom du peuple américain contre les réseaux terroristes du monde entier. Sur la base d'un scénario qu'on pourrait croire emprunté au film Star Wars, son gouvernement explique que cette guerre risque d'être quasi permanente, qu'on n'en verra pas les résultats avant plusieurs années ou qu'on ne les verra pas du tout, mais qu'elle sera d'autant plus efficace qu'elle restera secrète .
Le fil conducteur de toute cette propagande c'est le slogan United We Stand (l'union fait la force). Bush appelle tous les citoyens à le rejoindre dans un grand mouvement d'"unité nationale", en oubliant allègrement tout ce qui le sépare des citoyens ordinaires, lui et les membres de la classe dirigeante qu'il représente. Et les organisations syndicales acceptent de jouer leur rôle, accréditant ce mensonge destiné à ligoter les travailleurs.
Des dirigeants syndicaux impatients de prouver leur loyauté
Six jours après les attentats du World Trade Center, John Sweeney, président de l'AFL-CIO, annonçait lors d'une cérémonie à la mémoire des victimes que sa confédération allait "investir" 250 millions de dollars dans la reconstruction de New York et qu'il en attendait autant des grandes entreprises du pays. Il attend toujours...
Sweeney a aussi expliqué que les syndicats avaient décidé de renoncer "pour l'instant" à s'engager dans des négociations dures ou dans des grèves de grande envergure. Il a été rejoint à la tribune par Tom Donahue, président de la Chambre de commerce des Etats-Unis, qui a demandé aux grandes entreprises de ne pas licencier même s'il était prévisible qu'elles vivraient des temps difficiles. Les entreprises ont répondu... en s'empressant d'annoncer des plans de licenciements et de suppressions d'emplois encore plus importants qu'avant le 11 septembre. Fin octobre, plus d'un demi-million de suppressions d'emplois avaient déjà été annoncées. Sweeney a bien sûr reproché aux entreprises de ne pas avoir respecté l'"accord" conclu, mais pour autant les syndicats n'ont pas rompu leur engagement.
En fait, depuis cette date, si les syndicats ont reproché à Bush ses priorités en matière de politique intérieure ou ont protesté parce que les aides accordées par le gouvernement après le 11 septembre ne prenaient pas en compte le sort des travailleurs touchés par les conséquences des attentats, ils n'ont à aucun moment osé mettre en doute l'idée que la "guerre contre le terrorisme" était la priorité de l'heure.
Au contraire, ils ont uni leurs voix à celles des plus bruyants supporters de l'"unité nationale". Ils ont participé à de nombreuses manifestations patriotiques dont ils étaient parfois à l'origine. Ils ont tout fait pour apporter, à l'avance, leur soutien à Bush dans sa guerre contre l'Afghanistan. Dans les jours qui ont suivi l'annonce par Bush des premiers bombardements sur ce pays, ils ont publié dans les journaux des publicités qui disaient : "Nous soutenons notre président".
Il est vrai que dans les mois qui ont suivi le 11 septembre, l'atmosphère qui régnait dans la classe ouvrière était assez tendue. Mais l'allégeance totale des syndicats envers Bush a privé la classe ouvrière de toute perspective durant cette période. Plus précisément, elle a permis de rallier les travailleurs à la perspective patronale, c'est-à-dire à l'idée que travailleurs et employeurs ont des intérêts communs.
Lors de son congrès bi-annuel de décembre, l'AFL-CIO a certes reproché à Bush de mener, aux Etats-Unis, une guerre contre les travailleurs, mais il a aussi fait voter un "Appel à la justice". Cet appel proclamait : "Nous vivons aujourd'hui une période nouvelle et difficile de l'histoire de notre pays, pleine de menaces et d'incertitude. Des difficultés et des sacrifices nous attendent et nous devrons relever de grands défis. Nous ne devons pas seulement combattre les terroristes qui veulent nous détruire, nous et tout ce que nous représentons, mais aussi redoubler d'efforts pour mettre fin aux problèmes sur lesquels prospèrent les despotes et les démagogues du monde entier : la pauvreté, la répression et le manque d'espoir. Nous devons aussi rétablir la sécurité intérieure du pays et sa vitalité économique."
Les patrons n'ont sans doute pas pu se retenir d'applaudir.
Sous prétexte de combattre une menace extérieure, les forces de répression s'en prennent à la classe ouvrière
Les travailleurs doivent avoir conscience du fait que les nouvelles lois censées lutter contre le terrorisme seront utilisées contre eux quand ils se mettront à lutter et ils doivent y être prêts.
Dans le passé, des lois adoptées pour faire face à une menace extérieure ont déjà été utilisées, à l'intérieur du pays, contre des travailleurs en lutte pour défendre leurs propres intérêts. Ce fut le cas en 1919 et 1920, après l'énorme vague de grèves de 1919, au cours de laquelle le prolétariat industriel avait pu mesurer sa force. Le ministre de la Justice d'alors, Alexander M. Palmer, organisa les Palmer raids, une série de rafles destinées officiellement à faire la chasse aux "étrangers en situation irrégulière". Mais les rafles en question n'étaient pas conduites au hasard. Elles étaient surtout dirigées contre les militants ouvriers, étrangers ou non, qui avaient organisé les grèves. Des dizaines de milliers d'entre eux furent arrêtés sans mandat et jetés en prison pour des périodes plus ou moins longues, sans avoir été entendus par un magistrat ou jugés. Des milliers d'autres furent tout simplement expulsés du pays. Certains furent jugés sur la base d'accusations montées de toutes pièces.
La même chose se répéta après la Deuxième Guerre mondiale, avec le maccarthysme. Cette répression, organisée à l'initiative du sénateur Joseph McCarthy, prétendait lutter contre les espions à la solde de l'Union soviétique, mais fut en réalité utilisée contre les militants de la classe ouvrière qui avaient dirigé les grandes grèves des années trente, celles des années de guerre et la grande vague de grèves de 1946. Le gouvernement eut recours à des lois et des décrets pour emprisonner ou expulser des militants, et à une répression brutale visant à intimider la population et à contraindre certaines personnes à s'accuser elles-mêmes ou à accuser des tiers, afin de briser le moral et la combativité de la classe ouvrière. A cette époque aussi des personnes furent arrêtées sans mandat et détenues sans qu'aucune charge ait été retenue contre elles, ou furent chassées de leur maison, licenciées par leurs employeurs le tout sous la direction du nouveau tsar du FBI, J. Edgar Hoover. Puis, sous le prétexte qu'ils avaient volé des documents relatifs à la bombe atomique, les époux Rosenberg furent exécutés, afin de terroriser les membres du mouvement de protestation de l'époque.
Quelques années plus tard, toujours à l'instigation de J. Edgar Hoover, c'est le mouvement noir qui devint la principale cible de ce genre de pratiques. En quelques années, des dizaines de militants furent assassinés. Des centaines d'autres furent appréhendés sous de fausses allégations et incarcérés pendant des années dans l'attente de leur jugement. Des milliers de militants furent mis sous surveillance et harcelés. Le but de toutes ces manoeuvres policières était d'empêcher les militants de continuer leur activité politique pendant cette période. Et ce n'est pas sans raison que les familles de Malcolm X et de Martin Luther King affirment aujourd'hui que l'appareil d'Etat a joué un rôle dans leurs assassinats.
Plus récemment, en dépit des nouvelles directives de 1976, les différents services policiers ont eu recours à des méthodes similaires pour combattre les militants politiques ou les organisateurs de grèves. Le cas de Mumia Abu Jamal, victime d'un complot visant à lui faire endosser un meurtre, en est un parfait exemple. Le véritable crime de Jamal est d'avoir dénoncé dans son émission de radio la corruption de la police de Philadelphie, ses agissements criminels et sa brutalité. Les charges qui pèsent contre lui ont de toute évidence été inventées de toutes pièces, au point que le Parlement européen lui-même a demandé au gouvernement des Etats-Unis de lui accorder un nouveau procès.
Au cours de la dernière décennie, de nombreux syndicats, y compris celui des mineurs, celui de l'automobile et la plupart des autres syndicats de Détroit, ayant organisé des grèves ont été menacés de poursuites au titre de la loi sur les rackets. Des syndicats de Détroit ont été menacés de la sorte parce qu'ils avaient demandé à leurs syndiqués de rejoindre les grévistes de la presse quotidienne sur les piquets de grève. Le syndicat des mineurs n'a pas été simplement menacé : lors de la grève de Pittson Industries (en 1989-1990), le syndicat et ses dirigeants ont été mis en accusation et reconnus coupables, un jugement qui aurait pu leur valoir de nombreuses années de prison et des amendes qui auraient complètement ruiné le syndicat. Une fois la grève terminée et alors que l'entreprise elle-même avait retiré sa plainte, le gouvernement Clinton a fait appel et demandé que les peines de prison et les amendes soient maintenues. Cela montre que, sur le plan légal, l'appareil d'Etat peut toujours trouver un prétexte quelconque, même s'il s'avère infondé, pour tenter d'empêcher la classe ouvrière de se défendre. C'est dans ce but qu'ont été créés les différents services policiers de l'appareil d'Etat et c'est à cela qu'ils ont été formés.
L'histoire nous le montre de façon évidente : la police a ouvertement recours à des méthodes antiouvrières et racistes, et les droits démocratiques comptent peu pour elle quand elle a décidé de passer à l'offensive.
"L'union fait la force" : une autre façon de demander aux travailleurs de faire des sacrifices
Bush et le patronat, avec l'aide des syndicats eux-mêmes, se servent de la campagne actuelle sur le thème de l'unité nationale pour lancer de nouvelles attaques contre les travailleurs et augmenter les subventions aux entreprises.
Par exemple, le gouvernement Bush, après avoir osé dire que les attentats du 11 septembre avaient gravement touché une économie en pleine reprise, s'est empressé d'ouvrir des crédits aux compagnies aériennes crédits qui ne seraient maintenus que si les compagnies faisaient accepter à leurs travailleurs des baisses de leurs salaires, de leurs avantages sociaux et de leurs conditions de travail, pourtant spécifiés par contrat. Les syndicats d'American West et de U.S. Air ont déjà accepté de modifier leur contrat ; ceux d'United Airlines ont indiqué qu'ils étaient prêts à étudier la question. Pour donner un répit aux compagnies sidérurgiques, Bush a annoncé la création temporaire de tarifs douaniers, mais il a aussi fortement incité les entreprises à réduire leurs coûts leurs coûts salariaux évidemment. Bethlehem Steel a déclaré être en cessation de paiement, puis a rapidement annoncé qu'elle ne pourrait maintenir son activité que si les travailleurs acceptaient de nombreux sacrifices.
De façon générale, le 11 septembre a été utilisé comme prétexte pour passer à l'offensive contre la classe ouvrière et pour verser encore plus de subventions aux grandes entreprises. Sous prétexte qu'il fallait de l'argent pour mener la guerre contre le terrorisme, Bush a proposé une augmentation considérable du budget militaire mesure approuvée par le Congrès. Cela signifie que des sommes encore plus considérables qu'auparavant ont pris le chemin des coffres des grandes entreprises, et que, pour financer le tout, des coupes claires seront effectuées dans les programmes sociaux et les services publics. Le seul budget à ne pas avoir été réduit ou gelé est celui de l'éducation, mais cela ne signifie pas grand-chose car la contribution fédérale est de toute façon minime. D'autre part, l'augmentation prévue de ce budget était destinée à des programmes d'aide aux familles désireuses de retirer leurs enfants du système public pour les inscrire dans des écoles confessionnelles, voire dans des programmes d'"éducation à domicile".
Il en a été de même au niveau local et à celui des Etats : partout, les autorités ont tenté de détourner une partie des sommes consacrées aux budgets sociaux en direction des entreprises en utilisant le même prétexte, les attentats du 11 septembre.
On ignore quelle sera la réponse des travailleurs aux demandes de sacrifices qui leur ont été adressées, mais on sait qu'ils ont déjà été victimes d'une attaque en règle de la part des patrons sous forme de suppressions d'emplois. Au cours des derniers dix-huit mois, les grandes entreprises ont déjà licencié plus de deux millions de travailleurs, dont près de la moitié avant les attentats contre le World Trade Center. Avant le 11 septembre, les patrons parlaient de "restructuration" ; aujourd'hui, les dirigeants de l'AFL-CIO parlent de la nécessité de "rétablir la vitalité économique" du pays. Mais quel que soit le terme employé, les conséquences sont les mêmes pour la classe ouvrière : la réduction du nombre d'emplois et l'utilisation de la menace du chômage pour augmenter la charge de travail.
Quel que soit le prétexte avancé par les patrons, les travailleurs doivent réagir, sous peine de devoir reculer encore plus.
Au cours des dernières années, la classe ouvrière a laissé son niveau de vie se dégrader sans réaction d'ensemble. Cela a encouragé les patrons à intensifier leur offensive. Des travailleurs sont dépossédés de leur retraite, perdent leur emploi, voient leur salaire et leurs avantages sociaux réduits y compris ceux qui étaient censés être "garantis" par des contrats signés par les syndicats. Nous devons réagir si nous ne voulons pas continuer à reculer. Mais nous devons aussi être conscients que, le jour venu, nous aurons à faire face à un appareil d'Etat qui dispose maintenant d'un arsenal répressif renforcé.
Aujourd'hui, les syndicats ont le petit doigt sur la couture du pantalon : ils nous expliquent que, devant les menaces contre la "sécurité nationale", nous devons nous rassembler derrière Bush, c'est-à-dire accepter une limitation de nos droits démocratiques, et même une réduction de notre niveau de vie.
Mais comment pourrions-nous nous rassembler derrière ceux qui mènent l'offensive dirigée contre nous ? Nous devons au contraire nous préparer à réagir à leurs attaques en règle contre notre niveau de vie et nos conditions de travail, ainsi que contre nos droits démocratiques. Car ces attaques sont inséparables l'une de l'autre.