Le XXXe congrès du PCF qui s'est tenu du 23 au 26 mars à Martigues, a-t-il été le congrès de la "mutation" comme le laissaient entendre ses dirigeants ? Robert Hue, prudent, l'a qualifié, dans son discours de clôture de congrès "fondateur du nouveau Parti Communiste des années 2000". Ce qui lui a permis de donner une satisfaction toute verbale à la fois à ceux que démangent l'envie de jeter par dessus bord ce qui reste de l'héritage passé, y compris l'étiquette communiste, et à ceux qui restent encore attachés à cette référence communiste.
En parlant ainsi de mutation, Hue et les dirigeants du PCF visent à donner l'impression que leur parti serait entré dans une phase radicalement nouvelle de son histoire, sans pour autant rompre la continuité avec le passé.
Pendant les mois qui ont précédé le congrès, les dirigeants du PCF comparaient l'importance du congrès de Martigues à celui du congrès de Tours. Mais le poids des mots ne remplace pas l'insignifiance du contenu. Quoi de commun avec ce congrès de Tours à l'occasion duquel la majeure partie de l'ancien parti socialiste touché par le souffle de la révolution prolétarienne de Russie avait marqué sa volonté de s'engager sur le chemin de sa transformation en un véritable parti communiste révolutionnaire ?
Mais il est significatif que Hue dans son discours a daté le début de la mutation du milieu des années trente, c'est-à-dire de la période où la bureaucratisation en URSS avait déjà étouffé le souffle de la révolution et où elle avait réussi à transformer les partis communistes extérieurs à l'URSS du moins ceux qui ont survécu en appendices de la bureaucratie soviétique. Et la continuité dans laquelle Hue entend se situer est celle de la lente transformation de ce parti, d'instrument de la bureaucratie, en un parti politique aspirant à servir la bourgeoise de son pays avec comme ambition politique suprême de la servir au niveau le plus élevé, c'est-à-dire au gouvernement.
Ce qui est devenu dans une des interventions de Hue : "Il ne fallait pas manquer les rendez-vous auxquels l'Histoire en train de se faire convoquait les communistes". "Je pense ici, a-t-il ajouté, à la véritable mutation réalisée dans les années trente pour porter le jeune Parti Communiste à l'avant-garde aussi bien des luttes pour la démocratie et les libertés que des luttes sociales. Je pense à l'audace créatrice qui a fait de ce parti un artisan essentiel du rassemblement dans la lutte contre le fascisme, puis du Front populaire et des conquêtes sociales qui en résultèrent. Je pense à ce que fut le rôle des communistes dans la Résistance, contre l'occupation nazie, puis à la Libération, avec la part qu'ils prirent au redressement de la France et aux innovations économiques et démocratiques qui marquèrent cette période. Je pense aux grandes luttes contre les guerres coloniales."
C'est évidemment un résumé historique enjolivé pour les besoins du public. D'abord, parce que cette histoire a été loin d'être ce long fleuve tranquille et surtout consciemment dirigé jusqu'à la "mutation" d'aujourd'hui. Certes, le Parti Communiste tel qu'il est sorti du congrès de Tours était encore loin d'être un parti communiste révolutionnaire au sens où l'entendait à cette époque l'Internationale Communiste, c'est-à-dire un parti ayant pour objectif politique d'organiser la classe ouvrière en vue de la conquête du pouvoir contre la bourgeoisie. Mais sa transformation en appendice de la bureaucratie a fermé la possibilité qu'il le devienne. Et, à partir du moment où l'URSS, pour les besoins de sa politique extérieure, avait, suivant l'expression de Trotsky, réconcilié le PCF avec sa bourgeoisie, le destin du PCF était bien plus dépendant de l'évolution du rapport des forces entre la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie française que d'un projet politique choisi par les dirigeants du PCF.
C'est ainsi, pour ne considérer que les épisodes les plus marquants de ces ruptures, qu'en 1939, la signature du pacte germano-soviétique contraignit le PCF à rompre cette "union sacrée" qui s'était établie en 1935, au travers de l'accord dit de "Front populaire". Une rupture qui tenait bien plus au tournant opéré par Staline, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, qu'à la volonté des dirigeants communistes français. Mais de toute façon, ni la bourgeoisie française, ni son personnel politique ne lui avaient laissé un autre choix. Réconciliation pendant la Deuxième Guerre mondiale, quand le PCF fit allégeance à De Gaulle, à partir du moment où l'URSS stalinienne se retrouvait du côté des "alliés", c'est-à-dire dans le camp des impérialismes dits "démocratique", puis lors de la période qui, au lendemain de la "Libération" vit pour la première fois le PCF participer au gouvernement, d'abord celui de De Gaulle, puis après le départ de ce dernier, aux côtés de la SFIO et de la Démocratie chrétienne. Eloignement à nouveau quand, en 1947, le PCF fut chassé du gouvernement par ses partenaires socialistes, au moment où commença la "guerre froide", ce ne fut pas de bon gré qu'il accepta d'être ainsi écarté des postes de gestion des intérêts de la bourgeoisie française. D'autant qu'il n'avait pas démérité dans son rôle. Il s'était montré le défenseur loyal et zélé des intérêts bourgeois, usant de son autorité sur la classe ouvrière pour lui imposer de s'atteler à la reconstruction de l'appareil de production de la bourgeoisie.
Et puis, bien sûr, il faut traduire les images idylliques utilisées par Hue pour décrire ces étapes où le PCF s'est mis au service de la bourgeoisie. Car, par exemple, les innovations économiques qui ont marqué la période de la "Libération" consistaient à mettre tout le poids, toute l'autorité du PCF sur la classe ouvrière pour lui imposer des conditions de vie et de salaires que la bourgeoisie n'aurait pas été capable de lui imposer sans le PCF. Et, quant à la participation du PCF de cette époque aux "grandes luttes contre les guerres coloniales", elle ont consisté à justifier en 1945 le bombardement de Sétif pour rétablir le pouvoir colonial en Algérie.
Jeté du gouvernement en 1947 malgré les services rendus, le PCF n'y retrouva une place que trente-cinq ans plus tard, en 1981, lorsque Mitterrand lui concéda quatre strapontins de ministres. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir durant ces trois décennies, quémandé à chaque fois qu'il en avait l'occasion, une place au gouvernement. Hue a beau jeu de répondre à ses détracteurs que dans le domaine de la participation au gouvernement de ministres communistes, il n'innove pas. Ses devanciers à la tête du parti, d'abord Maurice Thorez, puis Georges Marchais, ont pratiqué la participation, avec le même zèle qu'aujourd'hui. A chaque fois, le PCF usa de son crédit dans la population laborieuse pour faire accepter par la classe ouvrière les pires mesures anti-ouvrières. Ceux qui, aujourd'hui, reprochent à l'actuel secrétaire général d'avoir accepté la participation gouvernementale, et opposent son attitude à celle de ses prédécesseurs oublient ou feignent d'oublier ces aspects, qui ne furent pas secondaires, du passé.
En fait, le principal problème d'aujourd'hui pour Hue, est celui auquel a été déjà confronté son prédécesseur, Marchais, à savoir le déclin électoral du PCF. Rappelons que le Parti Communiste représentait un quart de l'électorat au lendemain de la guerre, influence qui, avec des variations de l'ordre de 4 ou 5 %, s'est maintenue jusqu'au début des années soixante-dix. Puis vint la signature du Programme commun de gouvernement en 1972 avec le Parti Socialiste. Et, à partir de là, a commencé le recul électoral au profit du Parti Socialiste. D'élections en élections, le Parti Communiste allait payer d'avoir lié son destin à celui du Parti Socialiste.
Et le pire pour la direction du PCF, pendant ces quelque trois décennies, c'est que, quelle qu'ait pu être la tactique adoptée, le déclin s'est révélé inexorable. Le PCF a eu beau s'éloigner de ses partenaires de l'Union de la gauche après l'échec de la candidature de Mitterrand en 1975, puis répondre favorablement à l'invitation de Mitterrand d'entrer au gouvernement en 1981 puis le quitter en 1984, il n'a cessé de perdre des voix au profit du Parti Socialiste. Rappelons cette participation gouvernementale de 1981 à 1984, la première après trente-cinq ans d'abstinence. Le Parti Communiste a cautionné la trahison des promesses faites par Mitterrand et le Parti Socialiste. Il a cautionné les premières vagues de mesures anti-ouvrières, les suppressions d'emplois massives dans la sidérurgie, l'attitude abjecte de Mauroy et de son gouvernement à l'égard des travailleurs immigrés grévistes de Talbot ou de Citroën. Trois années qui ont désorienté, démoralisé les travailleurs, découragé bien des militants du PCF, obligés qu'ils ont été par leur direction de justifier auprès des travailleurs des mesures injustifiables. Les dégâts ont été tels qu'il n'a pas suffi de sortir du gouvernement pour reconquérir le crédit perdu. D'autant moins que, tout en ne faisant pas partie du gouvernement, le PCF a continué à lui apporter son soutien dans les moments où cela était nécessaire et puis, même hors du gouvernement, le PCF n'avait pas d'autre perspective que d'y revenir.
Hue, lui, ne semble pas disposé aux mêmes zigzags que son prédécesseur. Il est pour continuer à participer au gouvernement. Il ne tente même plus d'exercer un chantage à la rupture. Il se contente de rappeler au gouvernement socialiste que celui-ci a besoin du PCF bien au-delà de l'arithmétique parlementaire.
Car, quel que soit le déclin de l'influence électorale du PCF, quels que soient même le déclin de sa présence dans la classe ouvrière, la diminution du nombre de ses militants ouvriers, il reste encore le parti le plus influent parmi les travailleurs. C'est cette influence qui le rend utile au gouvernement socialiste. En fait, Hue se trouve dans la même configuration que celle où se trouvait Marchais au moment de la participation des ministres communistes dans le premier gouvernement de l'ère mitterrandienne, mais avec un rapport de forces plus défavorable encore. C'est grâce à son influence dans la classe ouvrière, c'est-à-dire grâce à sa capacité d'atténuer, de canaliser dans une certaine mesure, le mécontentement des travailleurs qu'il garde ses ministres. Mais plus il joue le rôle de pompier, au service du gouvernement socialiste, plus il se déconsidère, et moins il a des chances de reconquérir son crédit et surtout son électorat.
Ce que Hue appelle avec grandiloquence la mutation n'est que la dernière tentative en date, après bien d'autres, de la direction du PCF d'élargir son électorat. La nouveauté, si l'on peut dire, de ses propositions consiste surtout à essayer de capter les vents dominants du côté de la petite bourgeoisie de gauche ou du côté des syndicalistes réformistes dont l'état d'esprit ressemble beaucoup à la catégorie précédente. Les mesures prises tiennent d'ailleurs d'un inventaire à la Prévert : pour les femmes, la parité à la direction ; pour la seconde ou la troisième génération d'immigrés ou pour les associations, l'intégration dans la direction de militants d'origine maghrébine ; pour montrer que le parti n'est pas coupé de la réalité sociale, l'intégration à la direction de militants issus du dit mouvement social. Et si Fodé Sylla ne s'est pas retrouvé bombardé à la direction, c'est parce qu'au dernier moment il a refusé de prendre sa carte. Et, aux dernières nouvelles, le PCF se prépare à s'engager dans une grande campagne... pour réclamer que le gouvernement français instaure la taxe dite Tobin.
Reste un autre aspect, lié au premier : la mutation organisationnelle dont Hue se fait le champion. Là encore, il innove moins qu'il n'y paraît et se contente de mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs.
Ce ne fut qu'un épisode sans lendemain, mais significatif : Maurice Thorez avait proposé ni plus ni moins, en 1945, l'unification du PCF et de la SFIO en "un grand parti ouvrier". Et si cela ne se fit pas, c'est que d'un côté les dirigeants sociaux-démocrates s'y refusèrent, que ni la bourgeoisie française, ni l'impérialisme américain n'auraient de toute façon accepté une telle démarche et que, d'autre part, Staline n'y était pas favorable, préférant garder à sa disposition un instrument qui lui restât dévoué.
Ce fut Marchais qui, en 1976, prit la décision d'abandonner la référence à la dictature du prolétariat figurant encore dans les statuts du parti à cette époque. Et le même prit l'initiative d'abandonner la référence au "centralisme démocratique". Ces références étaient devenues depuis longtemps formelles. Mais leur rejet avait valeur de symbole, marquant la même volonté que Hue de faire de gestes marquant la rupture avec le passé fondateur du PCF.
Certes aujourd'hui Hue prétend aller au-delà de ses prédécesseurs. Ainsi, il a proposé de modifier la structure organisationnelle du PCF, à la fois à la base, en assouplissant les règles d'appartenance au parti qui n'étaient pourtant guère contraignantes en gommant des statuts la référence à la cellule. Dans le même temps, il a modifié les règles d'accession aux instances dirigeantes en les rendant plus souples. Pourront désormais y accéder de droit des notables, élus, personnalités dites "du mouvement social". Mais si dans la forme cette réforme se veut significative d'un changement, elle ne fait qu'entériner une situation déjà ancienne. Les notables ont, comme dans tous les partis de la bourgeoisie, mais aussi au sein du PCF, une liberté de manoeuvre, disposent de véritables fiefs qu'ils gèrent comme bon leur semble.
Car au fil du temps, le PCF est devenu un parti de notables. Même s'il n'a pas été que cela, et qu'il ne l'est pas encore tout à fait.
Deux éléments l'ont freiné dans cette évolution et ont réfréné les tentations de ses dirigeants. D'une part, pendant longtemps, les liens de dépendance avec l'URSS stalinienne, et d'autre part les attaches, issues de son histoire et de ses traditions, qu'il conserve encore avec la classe ouvrière, et plus généralement avec la population laborieuse, dans les entreprises et dans les quartiers populaires.
Cette situation a joué dans le fait que, bien que sa direction et la majeure partie de ses cadres étaient fortement tentés par le désir de s'intégrer, de s'installer dans les rouages de l'appareil bourgeois, la bourgeoisie française et ses dirigeants politiques ont refusé de considérer que le PCF était un parti "comme les autres". Et cela en dépit des preuves que celui-ci avait données, au fil de l'Histoire.
Depuis, les liens avec la bureaucratie stalinienne n'existent plus, même en tant que fantasme de la bourgeoisie. Et pour cause.
Restent les liens avec la classe ouvrière, sa sensibilité à son égard. Bien que le PCF ait su, chaque fois que nécessaire, affronter directement les travailleurs, non seulement en cautionnant des mesures qui allaient à l'encontre de leurs intérêts, mais même lorsqu'il s'est agi de briser leurs luttes, bien qu'à cet égard il ait maintes fois eu l'occasion de faire ses preuves, et qu'il n'ait pas hésité à le faire, le PCF garde encore une sensibilité particulière, des attaches qui en font encore un parti différent.
Cependant c'est sa liaison avec la population laborieuse qui lui confère la possibilité d'agir comme la courroie de transmission de la politique gouvernementale, celle de la bourgeoisie, au sein de la classe ouvrière.
Robert Hue se défend de pratiquer le grand écart avec d'un côté un pied dans le gouvernement et l'autre dans la classe ouvrière tout au moins il prétend ne pas en être gêné. Ce qui apparaît certain, c'est que la direction tient par dessus tout à garder le pied solidement posé dans le gouvernement. Robert Hue peut évidemment prendre pour une reconnaissance de l'efficacité de sa politique la décision de Jospin, lors du récent remaniement gouvernemental, de lui accorder un strapontin ministériel de plus.
Et plus encore, il peut se prévaloir de l'accord PCF-PS en vue des prochaines municipales. C'est cet accord qui permet à des milliers de membres du parti, plus ou moins transformés en notables dans les municipalités ou à leur tête, de sauvegarder leur position.
Mais, même en période de relative paix sociale, la position de la direction est difficile à tenir et, si la presse a trouvé habile la gymnastique verbale d'un Gayssot destinée à faire croire que la privatisation d'Air France par exemple n'était pas vraiment une privatisation, les militants et les sympathisants du PCF dans la classe ouvrière ne sont pas naïfs au point de gober cela. Pas plus que les militants du PCF qui participent au mouvement des chômeurs, voire qui le dirigent, n'ont apprécié qu'un ministre communiste puisse prendre parti pour les CRS envoyés pour les chasser des ANPE que les chômeurs avaient occupées.
Mais, il serait infiniment plus difficile encore pour la direction du PCF de garder l'équilibre avec la reprise des luttes. Les militants du PCF présents dans la classe ouvrière, connaissant ses problèmes, vivant sa vie, prendront leur part dans ses luttes et pour nombre d'entre eux, seront dans les premiers rangs. Plus les luttes prendront de l'ampleur, plus il sera difficile pour la direction de prétendre pouvoir être à la fois des deux côtés de la barricade.
Que fera alors la direction du PCF ? L'avenir le dira. Ce qui est certain, c'est que cet avenir ne dépend pas seulement de ce que veut et de ce que fait la direction en place, mais aussi de ce que veulent les milliers de militants ouvriers du parti qui, même si leur nombre va en diminuant, même si beaucoup s'éloignent d'un parti dont la politique ne les satisfait pas, constituent sa véritable richesse.