Le 18 avril 1992, le président Najibullah, leader depuis 1986 du Parti démocratique populaire afghan (PDPA) au pouvoir, prenait la fuite sous la protection de la délégation spéciale de l'ONU. Au même moment, son ministre des Affaires étrangères annonçait la conclusion d'un accord avec la résistance en vue de sa "participation" au pouvoir, façon élégante sans doute de ne pas parler de reddition.
Onze jours plus tard, le 27 avril, une poignée de ministres effectuaient la passation des pouvoirs aux membres du "Conseil Islamique de Gouvernement", arrivés le matin même de leur quartier général d'exil de Peshawar, au Pakistan. Cette cérémonie, délibérément symbolique car organisée le jour même du 14e anniversaire de la prise du pouvoir par le PDPA, n'était d'ailleurs destinée qu'aux caméras des chaînes de télévision occidentales. Car le gouvernement du PDPA n'avait plus guère à remettre que quelques grosses Mercedes officielles. La réalité du pouvoir était déjà aux mains des moudjahidin en armes qui occupaient la capitale depuis deux jours, tandis que policiers, militaires et fonctionnaires avaient soit rallié depuis quelque temps déjà le camp des vainqueurs, soit disparu prudemment.
Il aura néanmoins fallu près de trois ans de combats, après le départ des dernières troupes soviétiques du territoire afghan, pour que les moudjahidin s'emparent finalement du pouvoir. Preuve que le régime du PDPA, tout déconsidéré et affaibli qu'il était, ne tenait pas grâce à la seule présence des troupes soviétiques.
Depuis quatorze ans l'Afghanistan vit une guerre civile dans laquelle, selon des estimations très approximatives de l'ONU, 12 % de la population auraient déjà trouvé la mort. Mais loin d'y mettre un terme, le changement de pouvoir en a déclenché une autre, opposant cette fois certains des groupes qui forment la résistance. Cette guerre n'est d'ailleurs pas nouvelle. Les assassinats politiques ou les massacres entre groupes rivaux de la résistance semblent avoir été chose courante. Et aujourd'hui c'est cette guerre larvée qui a surgi sur le devant de la scène, prenant d'abord la forme de combats de rues lors de l'occupation de Kaboul, puis de combats d'artillerie et d'aviation pour le contrôle des positions stratégiques proches de la capitale, combats qui se poursuivent toujours à l'heure où nous écrivons.
Les ressorts de cette guerre civile ne sont pas nouveaux non plus. Ce sont les divisions nationales et religieuses qui, bien qu'en partie masquées pendant l'occupation soviétique, servent depuis toujours de levier à tous les ambitieux aspirant au pouvoir. Des divisions qui, de surcroît, ont été creusées et attisées, par la politique et les rivalités des grandes puissances depuis plus d'un siècle.
Une zone-tampon entre les grandes puissances
Situé sur une route traditionnelle entre l'Europe et la Chine dont l'usage remonte à l'époque grecque, l'Afghanistan d'aujourd'hui est un mélange de huit ethnies principales, elles-mêmes parfois divisées par des différences de langues ou de religions (islamique pour la quasi-totalité, mais sunnite à 20 % et chiite à 80 %). Le groupe ethnique le plus important, celui des Pachtounes, qui fournit depuis des siècles les dirigeants du pays, représente 40 % de la population. Puis viennent les Tadjiks (25 %), les Hazaras (7 %), les Ouzbeks (5 %) et de plus petits groupes, Aimaq, Turkmènes, Beloutches et Nouristanis.
Pendant longtemps, l'Afghanistan n'a guère attiré les convoitises des grands empires conquérants, sans doute parce que l'exploitation du peu de richesses naturelles qu'on lui connaissait était rendue malaisée par ses chaînes de très hautes montagnes. Le pays était de fait intégré à un ensemble géographique plus vaste, comprenant également le Pakistan, l'Iran et le sud des républiques ex-soviétiques du Tadjikistan, d'Ouzbekistan et du Turkmenistan, dans lequel les populations circulaient à peu près librement.
Mais, au 19e siècle l'empire britannique, qui incluait alors l'Inde et le Pakistan d'aujourd'hui et dont l'influence s'étendait à l'Iran, s'inquiéta des tentatives de l'empire tsariste pour se frayer un passage vers la mer à l'est de l'empire ottoman rival. L'Afghanistan devint bientôt la seule barrière entre les empires russe et britannique, et par là même l'enjeu d'une longue lutte pour sa domination.
Par deux fois, en 1839 et en 1878, les troupes britanniques tentèrent de pénétrer le territoire afghan. Par deux fois elles échouèrent. En 1881, néanmoins, la dynastie régnante ayant été renversée avec l'aide de la Grande-Bretagne, celle-ci obtint un certain nombre de droits sur l'Afghanistan, en particulier le contrôle de sa politique extérieure.
C'est sur la base de ce rapport de forces que furent définies en 1893 les frontières actuelles du pays. La ligne Durand, du nom du haut-fonctionnaire britannique chargé de la tracer, Sir Montagu Durand, obéissait aux seuls impératifs stratégiques de la Grande-Bretagne, comme en témoigne par exemple le tracé aberrant du corridor de Wakhan, cette étroite bande de très hautes montagnes qui se prolonge à l'est jusqu'à la Chine, dont le seul but était d'éviter la moindre frontière commune entre les deux empires. Les droits des peuples firent les frais de ces découpages. Les Britanniques coupèrent en plein dans les territoires ethniques traditionnels. Les Pachtouns furent ainsi coupés en deux, entre le Pakistan et l'Afghanistan, division qui, depuis l'indépendance du Pakistan en 1947, a entraîné une rivalité territoriale permanente entre les deux pays. Les Beloutches, eux, se trouvèrent écartelés entre ces deux pays et l'Iran de surcroît. Tandis que, du côté russe, la frontière établie coupa également en deux les minorités tadjik, turkmène et ouzbek.
En 1919, à l'issue de la troisième guerre anglo-afghane, la Grande-Bretagne perdit le semi-protectorat qu'elle exerçait sur le pays. Mais du coup, l'Afghanistan se tourna tout naturellement vers son autre grand voisin. Il fut le premier pays au monde à reconnaître le nouveau régime soviétique avec lequel il noua des liens politiques et économiques, codifiés par une série de traités de coopération et de non-agression.
Le partage du monde entre les grandes puissances à l'issue de la Seconde Guerre mondiale entérina cette situation de fait, plaçant le pays en partie dans la sphère d'influence soviétique. Au début des années cinquante, le régime afghan rechercha une augmentation importante de l'aide militaire américaine. Celle-ci lui fut refusée, les États-Unis ne voulant pas compromettre leur influence naissante sur le Pakistan, voisin rival des Afghans. Ce refus poussa l'Afghanistan à resserrer encore plus ses liens avec l'URSS. Jusqu'à la fin des années soixante, l'aide militaire et technique soviétique représenta les deux tiers du total de l'aide étrangère reçue par l'Afghanistan. Non seulement l'armée de la monarchie afghane fut équipée en grande partie par l'URSS mais la plupart de ses officiers furent formés dans les académies militaires soviétiques, tout comme d'ailleurs une partie des fonctionnaires royaux. De fait, pendant toute cette période qui dura jusqu'au milieu des années soixante-dix, l'Afghanistan fit partie intégrante de la sphère d'influence soviétique, sans que personne à l'Ouest n'y trouve d'ailleurs à redire.
Le déclenchement de la guerre civile
En 1975, le dictateur Mohammed Daoud, qui avait renversé la monarchie deux ans auparavant, commença à prendre ses distances vis-à-vis de l'URSS pour se tourner vers l'Iran et l'Arabie Saoudite, espérant sans doute en obtenir des subsides, et peut-être un appui politique contre les ambitions pakistanaises et les mouvements de rébellion intégristes de plus en plus actifs dans le pays.
Mais le régime de Daoud, corrompu et dominé par une aristocratie à l'avidité insatiable, devenait de plus en plus brutal, faisant ainsi l'unanimité contre lui. Et, en avril 1978, suite à une nouvelle vague de répression, un groupe d'officiers liés au PDPA renversa le régime de Daoud, semble-t-il avec l'assentiment d'une grande partie de la population, et porta au pouvoir un gouvernement présidé par Mohamed Taraki, le secrétaire général du PDPA, qui entreprit aussitôt de renouer les rapports passés avec l'URSS.
Les commentateurs occidentaux eurent tôt fait de présenter l'affaire comme un coup d'État "communiste". Mais présenter le PDPA comme un parti "communiste", même au sens stalinien du terme, relevait plus de la propagande antisoviétique que de la réalité. Avant tout, le PDPA était une organisation nationaliste faite de petits-bourgeois cultivés des villes - en réaction contre le monopole exercé par l'aristocratie sur la vie économique et sociale - dont bon nombre, en particulier les fonctionnaires, avaient fait leurs études au contact des assistants techniques soviétiques, voire en URSS même.
Le nouveau régime entreprit alors une série de réformes, dont une réforme agraire. Mais même lorsque ces réformes allaient dans le sens du progrès pour les couches populaires, les dirigeants du PDPA les mirent en œuvre avec les méthodes propres aux petits-bourgeois qu'ils étaient, en comptant plus sur la brutalité et la répression que sur l'adhésion consciente et la participation active des gens à qui elles étaient censées profiter. Et du coup au lieu de voir dans ces réformes des mesures en leur faveur, les couches populaires n'y virent qu'une manœuvre du pouvoir central contre les chefs religieux. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que ces réformes aient fini par renforcer l'autorité des chefs religieux au lieu de l'affaiblir, et qu'elles aient offert à ces mêmes chefs religieux le levier qu'ils recherchaient pour soulever la population contre le régime.
Dès mars 1979, des mouvements de rébellion armée se manifestaient dans toutes les provinces du pays et certaines régions du sud-est étaient en situation de quasi-sécession. L'armée et la gendarmerie se mirent à se décomposer. En octobre 1979, la moitié des effectifs d'une armée qui comptait 85 000 hommes avait disparu, rejoignant souvent avec leurs armes les groupes de guérillas.
Ce fut à ce moment qu'Amin, le nouvel homme fort du régime, tenta une volte-face désespérée et chercha le soutien des chefs tribaux et des dignitaires islamiques, en faisant connaître son intention de prendre ses distances avec l'URSS.
Du coup, le 12 décembre, les troupes soviétiques entraient en Afghanistan, tandis qu'à Kaboul des unités de l'armée éliminaient Amin et portaient au pouvoir Babrak Karmal, le rival d'Amin au sein du PDPA. Aussitôt, 2000 prisonniers politiques étaient libérés et des mesures d'apaisement vis-à-vis de l'Islam étaient annoncées. Ainsi commençait l'occupation militaire soviétique qui devait durer jusqu'au 13 février 1989, date du départ du dernier soldat soviétique.
A l'évidence l'intervention soviétique n'avait pas pour but de protéger la population afghane de la dictature d'Amin ni de la menace grandissante d'une réaction intégriste. Au contraire, les dirigeants soviétiques agirent bien avec tout le mépris des grandes puissances pour les sentiments des peuples. Ils intervinrent pour maintenir dans leur sphère d'influence, y compris contre les aspirations de la population, un pays qu'ils considéraient comme leur satellite et qui menaçait pour la deuxième fois de prendre ses distances.
Mais, en face, l'indignation affichée par les puissances occidentales était pure hypocrisie. A un moment où la prise du pouvoir de Khomeiny en Iran menaçait la région d'un déferlement intégriste, l'intervention soviétique ne pouvait que servir la politique de l'impérialisme, en évitant dans l'immédiat une victoire intégriste en Afghanistan et en contenant les risques que l'instabilité politique afghane pouvait faire courir à l'ensemble de la région. Il est d'ailleurs plus que probable que, même si l'on écarte l'hypothèse d'une concertation explicite entre les grandes puissances en préalable à l'intervention soviétique, l'URSS a dû tenir compte dans sa décision d'intervenir des avantages évidents qu'y verrait l'impérialisme, ce qui lui a sans doute permis de penser que l'impérialisme ne riposterait pas.
Les rivalités attisées par la guerre
Sur le papier le régime reconnaissait les droits des minorités ethniques. Mais, en fait, il s'efforça d'utiliser à ses fins le nationalisme pachtoun et ses prétentions traditionnelles à diriger le pays. S'appuyant sur l'appartenance de la plupart de ses cadres à cette ethnie, il tenta d'en appeler à l'unité nationale pachtoune contre les groupes de la résistance accusés d'être les instruments de l'expansionnisme du Pakistan qui les finançait (sans doute d'ailleurs avait-il raison au moins sur les arrière-pensées du régime pakistanais).
Dans d'autres régions du pays, le régime chercha à jouer sur d'autres rivalités nationales. Ainsi, par exemple, dans le nord-ouest, il finança et arma une milice ouzbek de 40 000 hommes, sous la direction d'un chef de clan, le "général" Abdul Rachid Dostom, qu'il chargea du rétablissement de l'ordre dans des régions tadjiks.
Quant aux leviers de la religion, le régime du PDPA s'en servit tout autant que nombre de ses adversaires de la résistance. Déjà au lendemain de la prise du pouvoir, tous les discours et communiqués officiels devaient commencer par "Bismillah" (au nom d'Allah) tandis que les ministres étaient invités à se faire voir à la prière du vendredi dans les mosquées de la capitale. Puis, sous Babrak Karmal, les récitations de versets coraniques réapparurent à la radio et un programme de construction de mosquées et d'écoles religieuses fut lancé.
Côté "résistance", la multiplicité même des organisations reflète bien les rivalités qui n'ont cessé de la traverser. Il faut dire tout d'abord que la "résistance" est en fait antérieure à l'arrivée au pouvoir du PDPA. C'est en 1973, après le renversement de la monarchie par Daoud que les premiers maquis musulmans intégristes se sont formés sous l'impulsion d'étudiants. A l'époque ils furent accueillis à bras ouverts par le gouvernement pakistanais alors dirigé par Ali Bhutto, qui leur offrit le "sanctuaire" de Peshawar. Ce fut d'ailleurs avec le soutien de Bhutto, sinon à son instigation, que ces mouvements organisèrent le soulèvement manqué de la vallée du Panjshir, en juillet 1975. Mais déjà, la résistance intégriste était divisée suivant des clivages nationaux : d'un côté le Hezb-e-islami (parti de l'Islam) pachtoun, dirigé par Gubulddin Hekmatyar ; de l'autre le Jamiat-e-islami (conseil de l'Islam) tadjik, dirigé par Rabbani.
Par la suite, et surtout après la généralisation de la lutte armée à l'ensemble du pays, nombre d'autres groupes sont apparus. Certains ont rejoint assez tardivement la résistance, parmi lesquels trois partis dits "modérés" partisans d'un retour à la situation d'avant l'arrivée au pouvoir du PDPA, voire même d'un retour à la monarchie, qui représentaient chacun la clientèle d'une ou plusieurs familles aristocratiques. D'autres étaient des scissions, sur une base régionale, des principaux partis existants, tel le Hezb-e-islami (Khalès), scission de l'organisation de Hekmatyar basée dans la région frontalière du Ningrahar. D'autres encore étaient des émanations plus ou moins directes de pays étrangers, comme le Ittehad, financé par l'Arabie Saoudite. Les chiites avaient leurs propres organisations, dont neuf pro-iraniennes regroupées au sein du front Wahdat basé à Téhéran, et une dixième anti-iranienne, le Harakat, basée à Peshawar. A quoi il fallait ajouter les guérillas intérieures, ouzbeks, nouristani et hazara en particulier, non représentées à l'extérieur du pays, et en particulier pas à Peshawar où était regroupé le gros des forces de la résistance. Sans parler bien sûr des rivalités entre clans, voire entre personnalités, qui pouvaient exister au sein même de ces différentes organisations.
Et bien entendu, tout au long de la guerre, tous ces groupes se sont trouvés en compétition les uns avec les autres. Que ce soit pour le contrôle des zones de guérilla. Ou pour la répartition des fonds et des livraisons d'armement des États-Unis, du Pakistan, de la Chine, de l'Arabie Saoudite, de l'Égypte et de l'Iran, pour ne citer que les principaux pourvoyeurs, un pactole considérable puisqu'on estime qu'à elle seule l'aide militaire américaine se serait montée à quelque 2,5 milliards de francs par an entre 1981 et 1989. Ou encore pour la récolte de fonds et le recrutement de volontaires parmi les quelque trois millions d'Afghans réfugiés au Pakistan ou les centaines de milliers réfugiés en Iran. Sans parler d'une compétition encore moins avouable, mais apparemment encore plus féroce, pour percevoir les "droits de passage" sur le trafic de l'opium dont la production a plus que triplé au cours de la guerre dans les zones pachtounes frontalières du Pakistan.
La situation créée par la chute du PDPA
L'écroulement du régime du PDPA a encore quelque peu compliqué la situation politique puisque, avant même que la victoire soit acquise, des pans entiers de l'appareil d'État et des forces politiques qui participaient au régime ont rallié l'une ou l'autre des organisations de résistance, ou bien ont formé de nouveaux groupes qui ont conclu des alliances avec les vainqueurs.
Il est par ailleurs difficile d'estimer le poids réel dans le pays de chaque organisation. Certaines, par exemple, comme les partis dits "modérés" n'étaient guère présentes sur le terrain de la guérilla mais pourraient disposer d'une influence réelle sur les notables des campagnes. Mais ce qu'on peut dire, c'est qu'il n'existe que deux organisations ayant une présence à peu près nationale et disposant d'un appareil militaire important : le Jamiat-e-islami et le Hezb-e-islami, tous deux intégristes.
A l'origine, c'est le Jamiat-e-islami qui a pris l'initiative de la constitution d'une grande coalition regroupant l'ensemble de la résistance. Les plans ont été poussés très loin, jusqu'à prévoir un calendrier précis pour la mise en place des organes exécutifs après la prise du pouvoir. En tout, dix organisations ou regroupements devaient y participer à égalité. Un Conseil islamique de gouvernement, comportant cinq représentants par organisation, devait prendre en main le pouvoir dès la chute de Kaboul pour une durée de deux mois à l'issue de laquelle il aurait cédé la place à un Gouvernement Islamique intérimaire, avec pour président Rabbani, le leader du Jamiat-e-islami et pour premier ministre un représentant du Hezb-e-islami. Ce gouvernement intérimaire aurait alors à son tour eu à charge de mettre en place des institutions définitives.
Or, avant même que Kaboul soit tombé, le Hezb-e-islami a saisi pour prétexte la participation des milices ouzbeks de Dostom à la coalition, pour s'en retirer, en arguant du fait que Dostom était un ancien auxiliaire du régime du PDPA. Cette rupture s'est presque immédiatement transformée en lutte ouverte lorsque les guérillas du Hezb-e-islami se sont engagées dans une course de vitesse contre les autres formations pour occuper Kaboul et ses abords. D'où les combats qui n'ont guère cessé depuis la chute du PDPA.
Malgré cette défection, la coalition a suivi son plan. Sur le terrain, c'est un chef de guerre tadjik, membre du Jamiat-e-islami, Ahmad Shah Massoud, qui semble l'homme fort de la situation et paraît solidement établi militairement, disposant en particulier d'une grande partie des ressources humaines et matérielles de l'armée de l'ancien régime. Mais, à peine installé à Kaboul, le Conseil islamique de gouvernement laisse déjà apparaître des failles béantes. Sur les 50 représentants qui devaient le constituer, seuls 30 ont pris leur poste. Les neuf organisations chiites pro-iraniennes du front Wahdat ont déjà claqué la porte de la coalition. Et certains groupes préfèrent ne pas trop s'engager, et maintiennent des rapports autant avec le Conseil qu'avec le Hezb-e-islami.
Quant au Hezb-e-islami de Hekmatyar, c'est non seulement la principale organisation pachtoune mais aussi probablement la plus importante des organisations de la résistance. Elle revendique un million de membres et aurait 100.000 étudiants dans les universités et écoles qu'elle organise parmi les réfugiés au Pakistan. C'est aussi l'organisation la mieux structurée et la mieux armée.
C'est en effet elle qui a longtemps reçu la part du lion dans les livraisons d'armes du Pakistan et des USA. Car, du temps où la résistance était dans l'opposition, et de ce fait contrainte à une relative unité, l'impérialisme pouvait financer le Hezb sans se soucier de son intégrisme. Mais le processus de prise du pouvoir pose évidemment les problèmes de façon différente. Il entraîne forcément une certaine recomposition des forces au sein de la résistance en même temps qu'une attitude différente de la part des USA, vis-à-vis du Hezb-e-islami en particulier, dont ils ne souhaitent sûrement pas l'accession au pouvoir.
Les risques et les enjeux d'une poursuite de la guerre civile
Pour l'instant on n'en est encore qu'à une partie de bras de fer entre deux appareils militaires plutôt qu'à une guerre civile à proprement parler. Mais, à moins d'un compromis toujours possible, on voit mal dans l'état actuel des choses comment cette partie de bras de fer pourrait trouver une issue sans que les combats ne s'élargissent à une tout autre échelle, ne serait-ce que parce qu'Hekmatyar contrôle un vaste territoire à cheval sur l'Afghanistan et le Pakistan.
En outre, même en cas de compromis, la fragilité de la coalition resterait entière. Car, évidemment, les rivalités ethniques et claniques qui jouent dans la lutte pour le pouvoir ne doivent pas masquer les rivalités d'intérêts pour la conquête de l'État qui, dans un pays pauvre, reste pour les privilégiés ou ceux qui aspirent à cette position la principale source de prélèvements sur l'économie.
Enfin, il y a des facteurs d'instabilité politique dans le reste de la région qui peuvent à la fois contribuer à alimenter l'instabilité politique en Afghanistan et s'en nourrir.
Même si toutes les puissances de la région, qu'il s'agisse du Pakistan, de l'Iran, de l'Inde ou de la Turquie, proclament à qui veut les entendre qu'elles sont prêtes à tout pour appuyer les efforts de l'ONU et le nouveau pouvoir, chacune d'elles a aussi sa carte à jouer et ses intérêts à défendre.
D'un côté, chaque ethnie afghane a un prolongement dans un ou plusieurs des pays voisins, qui tous sont marqués d'une certaine instabilité politique. De l'autre, le principal gardien de l'ordre régional qu'était l'URSS n'est plus là pour remplir cette tâche. Au contraire certaines de ses anciennes composantes, comme on le voit aujourd'hui avec le Tadjikistan, étalent un vide étatique qui les rendent vulnérables à la contagion afghane en même temps que susceptibles de communiquer leur propre instabilité à l'Afghanistan.
Bref, l'existence d'un vide étatique - ou si l'on veut d'un trop plein d'appareils concurrents - persistant en Afghanistan menace de conduire à la formation d'une poudrière à l'échelle de la région. C'est d'ailleurs bien cela qui inquiète depuis longtemps les USA. C'est pour cela que depuis deux ans, ils tirent la sonnette d'alarme à propos du surarmement de la résistance afghane. C'est pour cela que l'ONU a déployé tant d'efforts pour encourager la constitution d'une coalition entre les groupes de la résistance, pour aider à l'intégration dans le nouveau régime de pans entiers de l'ancien. Pour l'impérialisme l'impératif du moment c'est de combler au plus vite le vide étatique en Afghanistan.