La presse a rapporté certaines critiques venant de participants à la fête de Lutte Ouvrière sur le fait que, dans les interventions d'Arlette Laguiller, il n'y avait rien sur " l'altermondialisme ", " l'anti-capitalisme ", " l'anti-libéralisme " ou l'écologie. En un mot, rien sur ce qui passionnerait et préoccuperait la jeunesse à l'heure actuelle.
Effectivement, il n'y a rien eu dans les discours d'Arlette Laguiller ou, en général, pas grand-chose dans nos propos sur ce qui est cité comme " ce qui passionne la jeunesse ". Cela, parce que ce qui passionnerait la jeunesse n'est pas le véritable problème politique qui se pose à elle. Une partie d'entre elle, peut-être importante, peut se passionner ou se préoccuper pour des problèmes qui ne sont pas ceux qui la concernent vraiment, assez ou le plus souvent, soit par altruisme soit par inconscience. Encore que ces problèmes soient plus souvent évoqués par des gens qui ne sont plus des jeunes.
Les idées en question sont des idées qui sont généreuses, importantes et préoccupantes et qui peuvent provoquer des discussions, de l'intérêt, des vocations parfois, mais ce ne sont pas des idées porteuses d'un changement de société. Les problèmes fondamentaux, réels, ceux qui engagent l'avenir de la jeunesse ne sont pas ceux-là. La jeunesse scolarisée, par exemple, peut se passionner pour ces problèmes-là. Mais le problème qu'elle perçoit, ou qu'elle ne perçoit pas vraiment, c'est qu'il y a bien des probabilités pour qu'une fois terminées des études même longues et difficiles, elle se retrouve sans emploi. Et pour ceux qui auront un emploi, cela risque fort d'être des emplois inintéressants moralement ou intellectuellement, en tout cas pas ceux auxquels ils s'étaient préparés, sans parler du plan financier. Et cette situation, pour la plupart, ne changera pas par un simple " anti-capitalisme " superficiel ou par le combat écologique.
Et il y a une grosse différence entre vouloir plaire à la jeunesse, vouloir être connu et estimé d'elle parce qu'on lui parle des problèmes qui la passionnent, et militer pour essayer de changer la société où elle sera condamnée à vivre durant les cinquante prochaines années.
L'écologie arrivera peut-être à protéger la planète des catastrophes annoncées pour le siècle à venir. Mais s'il est vrai qu'il est juste temps pour changer les choses, les écologistes n'y pourront rien car ils ne cherchent pas à changer le capitalisme, et encore moins à le supprimer, surtout en prétendant que tout le monde est responsable. Les écologistes, même s'ils changent l'environnement dans certains pays, ne changeront pas le présent et l'avenir de la société. Ils ne feront pas que les jeunes d'aujourd'hui ne soient pas, demain, au chômage, et que les villes, qui seront, peut-être, sans voitures et couvertes de jardins, ne soient pas entourées de taudis et de bidonvilles.
Il existe des organisations écologistes qui se disent de gauche, mais qui, en fait, tout politiques qu'elles soient, ne changeront rien car, pour changer quelque chose, il faudrait imposer d'énormes changements à ceux qui dirigent l'économie pour que la recherche du profit maximum ne les empêche plus, même avec la meilleure des volontés, de se préoccuper des dégâts que l'industrie peut provoquer. Le seul espoir dans ce domaine serait que le domaine écologiste devienne une industrie florissante plus rentable que l'exploitation du pétrole ou que la filière atomique. Ou bien que les réserves de pétrole disparaissent par enchantement. Et encore, car on ne peut empêcher la Chine, par exemple, d'utiliser ses réserves de charbon pour se développer ni les grandes puissances, y compris la France, de continuer à utiliser, voire à développer, la filière atomique.
Quand un trust chimique cesse de fabriquer des substances toxiques pour l'environnement, mais qui se vendent bien parce que ce sont des désherbants actifs ou des anti-parasitaires puissants, c'est généralement au bout de dix ou vingt ans d'exploitation qu'il cède à la pression, voire à la législation. Législation qui, justement, tarde à lui être imposée car le législateur n'est pas là pour empêcher le commerce. Et, de toute façon, en dix ou vingt ans, ces produits sont non seulement amortis mais obsolètes et doivent, ne serait-ce que pour des raisons de marketing, être remplacés par d'autres produits. L'Europe vient d'imposer à ses industries chimiques de prouver l'innocuité de tous les produits qu'elles mettront à l'avenir sur le marché. C'est aussi valable pour ceux qui y sont déjà, mais c'est là qu'il y aura des délais.
Réclamer une autre mondialisation ou renverser le capitalisme ?
D'un autre côté, il y a des organisations d'extrême gauche qui, dans leur volonté de séduire et de gagner la jeunesse, font la promotion de toutes les idées qui la font vibrer. Elles ne cherchent pas à lui apprendre quoi que ce soit. Elles se contentent de la flatter. Évidemment, cela peut leur donner un succès de popularité. Mais cela n'entraîne pas les jeunes qu'elles peuvent séduire à agir dans le sens d'une transformation sociale. En fait, c'est un choix ! C'est-à-dire que, même si ces organisations se disent révolutionnaires, elles ne le sont pas, bien qu'elles parlent d'anti-capitalisme, vocable utilisé pour ne pas parler de révolution, ni surtout de révolution sociale, ni de socialisme, ni de communisme.
Mais on ne refera pas la société par un simple " anticapitalisme ", ou par l'écologie ou l'altermondialisme qui serait un refus de la " mondialisation actuelle dominée par les trusts " comme disent les altermondialistes, qui seraient donc partisans d'une autre mondialisation : une mondialisation où les échanges ne seraient pas inégaux et où l'on empêcherait la concurrence internationale de faire des dégâts. Mais, même si l'on ajoute l'anticapitalisme à l'altermondialisme, cela ne peut pas aboutir, sans renverser le capitalisme.
En effet, qu'est-ce que la mondialisation ? Les échanges commerciaux et financiers internationaux datent des tout débuts du capitalisme. Après la révolution industrielle, ils se sont multipliés car c'étaient, dans un sens, des échanges de produits industriels et, dans l'autre, la recherche de matières premières. Cela a dominé tout le 19e siècle et la première moitié du 20e siècle.
Dans la concurrence internationale, sont apparus le phénomène colonial et l'impérialisme, où un certain nombre de pays industrialisés ont colonisé ou dominé de grands territoires en Afrique, en Asie et en Amérique latine, voire en Europe de l'Est ou au Moyen-Orient. Ils ont transformé ces pays en chasses gardées sur lesquelles, le plus souvent par la force, ils ont empêché les industriels des autres pays de mettre la main.
Les capitalistes des métropoles se procuraient dans ces territoires des matières premières à bon marché, d'autant plus bon marché qu'ils utilisaient le travail servile ou celui d'hommes " libres " obligés de travailler à très bas coût, voire gratuitement par le travail forcé. La main-d'œuvre était donc déjà largement sous-payée ou même pas payée du tout. Cela a empêché, au 19e siècle, le développement économique et l'industrialisation de ces contrées. Cela a duré jusqu'à la deuxième moitié du 20e siècle, après la Deuxième Guerre mondiale qui a vu l'émancipation de ces territoires coloniaux ou semi-coloniaux.
La bourgeoisie française face à la mondialisation
Juste après la Deuxième Guerre mondiale, il fallait " relever la France " comme l'Europe. Le patronat avait un besoin impératif des travailleurs. Oh, alors, l'horaire de travail n'a pas été réduit, il fallait " produire d'abord ", à tel point que c'est même un général réactionnaire, Charles De Gaulle, arrivé au pouvoir dans des circonstances exceptionnelles, qui a imposé un grand nombre de nationalisations car les capitaux privés n'avaient pas les moyens de faire les avances nécessaires à la reconstruction des entreprises et il fallait que ce soit l'État qui les fasse. Il fallait à tout prix relever en premier la production d'énergie, charbon et électricité, les transports, la production d'acier, pour que toutes les industries du pays puissent fonctionner.
Bien sûr, les banques américaines auraient volontiers prêté, avec intérêt, les fonds nécessaires, mais De Gaulle, au nom du capitalisme français, préférait que le redressement économique se fasse sur le dos des travailleurs plutôt qu'en amputant la fortune de la bourgeoisie française en la laissant s'endetter pour enrichir les banquiers américains.
Cela dura jusqu'à la " guerre froide " où les États-Unis prêtèrent, voire donnèrent par le plan Marshall, de l'argent à l'économie européenne pour ne pas que les classes populaires de bon nombre de pays d'Europe, surexploitées, se révoltent et se tournent vers l'Est. De Gaulle n'était plus, depuis peu, au pouvoir, et il n'a pas eu à accepter ce marchandage, mais s'il l'avait été, il l'aurait probablement accepté car il a toujours défendu les intérêts du capital français, même au nom de la " France libre ".
L'économie française fut remise en selle à partir des années cinquante pour deux dizaines d'années. Puis la crise revint, avec des hauts et des bas, mais elle ne s'est pas arrêtée.
La puissance du capitalisme américain venait de son énorme marché intérieur, grâce à la taille de sa population solvable. Car les États-Unis étaient plus un véritable continent qu'un État et, à une époque, plus de 80 % de tout ce qu'ils produisaient dans tous les domaines étaient consommés par le marché intérieur américain. C'est-à-dire que leur industrie, leur agriculture, leur commerce pouvaient fonctionner et même tourner rond sans avoir besoin de trop exporter. De plus, au sortir de la guerre, le dollar était la seule monnaie acceptée pour les échanges internationaux et, comme c'était leur Banque centrale qui imprimait les dollars, les États-Unis n'avaient quasiment pas besoin d'exporter beaucoup, voire pas du tout, pour payer les importations qui leur étaient nécessaires.
En ce qui concerne l'Europe, elle était sortie de la Deuxième Guerre mondiale comme elle y était entrée divisée entre une multitude d'États, morcelée sur le plan humain, morcelée sur le plan commercial. Chaque frontière était une barrière douanière quasi infranchissable pour les productions que les capitalistes de chaque pays voulaient protéger, les renchérissant ainsi sur le marché intérieur. Mais, comme les autres faisaient de même, les exportations étaient difficiles, empêchant ainsi la production de s'élargir.
C'est de là que vint l'idée de la nécessité d'unifier l'Europe, en supprimant les barrières douanières et en créant une monnaie unique susceptible de concurrencer le dollar, car le marché intérieur pouvait ainsi s'étendre à une population égale ou supérieure à celle des États-Unis, même si elle n'était pas aussi solvable, à l'époque.
Il faut dire qu'un marché à l'échelle de l'Europe avantage avant tout les très grandes entreprises. Et ce problème s'est posé d'autant plus que, depuis la fin de la guerre, il y a eu une augmentation considérable, voire colossale de la productivité, d'abord à cause des progrès technologiques et de productions, sinon nouvelles, du moins très améliorées.
Il faut aujourd'hui vingt fois moins, sinon cinquante fois moins d'heures de travail (en réalité de minutes, aujourd'hui) pour produire une automobile qu'en 1950 et on pourrait prendre aussi l'exemple du transport aérien. Les avions se sont complexifiés mais leur fabrication a nécessité, relativement, de moins en moins de travail et leur utilisation a été de plus en plus efficace. En 1950, les plus gros avions comportaient au plus cinquante sièges et n'étaient pas capables de traverser l'Atlantique sans faire une escale aux Açores. Aujourd'hui, les plus gros dépassent les cinq cents places et sont capables d'emmener leurs passagers aux antipodes d'un seul coup d'aile.
Bien sûr, fabriquer un avion demande plus de travail de nos jours qu'en 1950, mais quand on compare ce qu'ils sont capables de faire aujourd'hui - par exemple, un aller-retour sur l'Atlantique avec quatre cents ou cinq cents passagers en moins de 24 heures, au lieu d'un aller-retour pour cinquante passagers en quatre jours -, un seul avion peut transporter en quatre jours au-dessus de l'Atlantique 4 000 passagers, soit quarante fois plus qu'un avion de 1950. Et aucun marché national européen n'aurait pu être suffisant pour amortir la production de tels appareils.
Le problème qui se posait aux industriels et même aux commerçants français, comme les grandes surfaces qui se sont créées depuis et les chaînes de distribution, c'est que la population française ne leur suffisait plus comme cliente. Il fallait être capable de vendre d'abord sur tout le marché européen, puis au monde entier, pour être capable de concurrencer les USA ou le Japon.
Évidemment, tous les producteurs capitalistes n'étaient pas dans la même situation. Un petit coin du marché français pouvait suffire à beaucoup, surtout s'ils étaient protégés par des droits de douane. Mais ce ne sont pas les petits producteurs, même capitalistes, qui font la loi dans cette société, ce sont ceux qui concentrent entre leurs mains des quantités énormes de capitaux.
Les premiers ont résisté, mais ils ont dû finalement s'incliner et, tant bien que mal, ils essaient aujourd'hui de trouver des créneaux qui leur permettent de survivre, voire de se développer. Mais peu à peu, ils se font absorber et entrent dans le grand jeu des rachats et des reventes, en entier ou par morceaux, jusqu'à ce qu'ils ne trouvent même plus preneur.
Au début par exemple, l'Europe a prétendu protéger les petits agriculteurs par des subventions mais, maintenant quand on regarde, ce sont les plus gros qui touchent le maximum de subventions. En France, ce sont les céréaliers ou les betteraviers, et en Angleterre... c'est la reine, car elle est la plus importante des propriétaires terriens anglais.
C'est à cette évolution que s'est ajoutée, à partir des années cinquante, la fin des colonies. Au 19e siècle, les grandes puissances européennes possédaient d'énormes territoires, en Afrique, en Asie, voire en Amérique latine. Il y eut alors un échange très inégal. Ces colonies étaient des chasses gardées avec lesquelles chaque pays colonisateur était le seul à pouvoir commercer. La colonie fournissait des matières premières à bas prix, grâce à l'esclavage pendant un temps, puis au travail largement sous payé, voire au " travail forcé ", c'est-à-dire pas payé du tout. La métropole y vendait des produits manufacturés, pas forcément de bonne qualité, c'est-à-dire à relativement bas prix, mais avec une marge bien supérieure à ceux qui se vendaient sur le territoire métropolitain.
Autour des années cinquante, ces territoires devinrent indépendants. À partir de ce moment-là, toutes les grandes puissances industrielles pouvaient vendre n'importe où et exploiter n'importe qui. Les barrières juridiques n'existant plus, la concurrence capitaliste mondiale est devenue plus large et plus acharnée. Puisque les capitalistes du monde entier purent, à partir de cette période, vendre ou acheter n'importe où et à n'importe qui, cela renforça évidemment la concurrence, mais l'exploitation des populations ne fut ni pire ni meilleure. C'est cette fin des marchés fermés et réservés que représentaient les colonies pour leurs métropoles impérialistes respectives qui a créé la situation actuelle que l'on appela plus tard " la mondialisation ". Mais ce n'était que l'évolution logique d'un phénomène qui avait débuté dans les années 1800, au moment de l'industrialisation de l'Europe.
Les populations elles-mêmes des pays européens ont, du temps des colonies, bénéficié de l'exploitation des peuples coloniaux. En effet, les capitalistes des métropoles achetèrent la paix sociale chez eux, là où réside leur puissance, en opprimant beaucoup moins les populations européennes, même les plus opprimées comme celles de l'Est européen, que les peuples des colonies.
C'est ainsi que nombre de prolétaires européens purent, avant la Première Guerre mondiale et entre les deux guerres, manger des oranges, des bananes, du chocolat, boire du café (cependant mélangé à de la chicorée, moins chère), du vin d'Algérie ou du rhum des Antilles.
" ratisser large " ou rassembler des militants conscients ?
Autrement dit, c'est la fin des colonies qui est à la base de la " mondialisation ". Et lutter pour une autre mondialisation, plus humaine, c'est-à-dire pour réformer l'impérialisme, n'a pas vraiment de sens sans supprimer le capitalisme et le marché capitaliste mondial.
Pour œuvrer à supprimer le capitalisme, il faut être socialiste, communiste et révolutionnaire, et pour cela, s'employer à construire des partis réellement révolutionnaires. Comme la seule classe révolutionnaire est le prolétariat, c'est-à-dire les travailleurs, qu'ils soient jeunes ou vieux, on ne peut pas s'adresser spécifiquement aux idées de la jeunesse lorsqu'elles ne sont pas celles-là. On ne peut pas leur parler d'écologie, d'altermondialisme, en un mot parler seulement leur langage dans l'espoir qu'ultérieurement, ils deviendront des militants révolutionnaires.
D'ailleurs, les travailleurs, même salariés, ne sont pas une classe absolument homogène. Dans le passé, on distinguait les " cols blancs " des " cols bleus ", selon une expression anglaise, pour désigner les employés ou les ouvriers. Cette distinction existe encore en grande partie, bien que ces catégories se soient beaucoup interpénétrées et que, souvent, dans un même couple, la femme soit employée et l'homme, travailleur manuel. Mais il y a les " petits chefs ", les cadres petits et grands, les techniciens ou les ingénieurs. Toutes ces couches sont plus ou moins proches de la petite bourgeoisie et plus ou moins influencées par l'idéologie ou la morale sociale de la bourgeoisie. Elles évoluent vers celle-ci ou vers la classe ouvrière, selon les circonstances, en isolant parfois les travailleurs les moins rétribués ou, au contraire, en s'associant à eux contre le patronat. L'idéologie, la conscience de beaucoup de ces couches est fluctuante, et les salariés du bas de l'échelle ne sont pas à l'abri des idées perverses, xénophobes ou racistes. C'est dire que le rôle principal d'un parti réellement révolutionnaire, son activité, son utilité, sont aussi de défendre la conscience sociale, la conscience de classe, au sein de toutes les catégories du monde du travail et, plus particulièrement, des plus exploitées et des moins cultivées.
Pour être des militants révolutionnaires, il faut une conscience, des convictions sociales qui se placent du point de vue de la classe ouvrière, la classe dont les intérêts politiques et sociaux sont fondamentalement opposés à ceux de la bourgeoisie. Même et encore plus si l'on est un intellectuel.
Un militant doit être le plus cultivé possible, connaître et comprendre l'histoire des sociétés, comprendre et avoir une claire vision de la transformation radicale de la société actuelle. C'est nécessaire pour construire des partis révolutionnaires constitués de militants compétents, dévoués à cette idée et prêts à avoir une solidarité de parti telle que les décisions, les choix qui peuvent être faits dans la préparation de la lutte soient exécutés par tout le monde comme par une armée, mais une armée sans hiérarchie, où la discipline est un choix volontairement consenti. Pour cela, il faut, nécessairement, des idées et une volonté communes.
Évidemment, il ne faut pas que cela se transforme en dictature d'un appareil. Il faut une démocratie totale au sein du parti. C'est pourquoi il faut recruter des militants formés, cultivés et conscients, aptes à juger et aptes à décider, c'est-à-dire créer des partis dont actuellement les jeunes ne veulent pas.
C'est pour surmonter cette opposition et pour s'adapter à ces sentiments de la jeunesse et à ses idées que certains militent pour créer des partis multiformes, rassemblant des réformistes, des communistes ayant tiré un trait sur les défaites du passé qualifiées " d'erreurs ", des agrégats plus que des partis dont la cohérence est réduite au minimum et où la discipline n'existe pas.
On peut, cela s'est fait et s'est vu, regrouper ainsi des assez grands partis ayant beaucoup de succès dans certaines périodes, y compris de relatifs succès électoraux, qui ont été et seront toujours incapables d'agir sur les événements et, surtout, qui seront fatalement incapables d'intervenir dans une révolution sociale car ce n'est pas pour cela que leurs membres, plus réformistes que révolutionnaires, militent et sont préparés.
Depuis le début de la campagne des élections législatives, la LCR semble avoir modifié certains de ses axes. C'est ainsi que l'on peut lire, dans le numéro du 31 mai 2007 de Rouge, en parlant des projets de Sarkozy et de ses ministres :
" Face à cette machine de guerre 100 % antisociale et 100 % réac, pas de demi-mesures à l'eau de rose. Il faut défendre, par la lutte et aux législatives, un programme 100 % anticapitaliste, qui s'oppose point par point à la politique du gouvernement ".
De son côté, Olivier Besancenot aurait déclaré sur Canal+ (d'après Reuter) qu'il fallait l'émergence d'un nouveau parti " anti-capitaliste et plus seulement anti-libéral ".
Évidemment " 100 % anti-capitaliste " et " anti-capitaliste et plus seulement anti-libéral ", ce pourrait être un progrès. Mais, encore une fois, que veut dire " anti-capitaliste " ? Parle-t-on de détruire le capitalisme ? Il ne semble pas. Bien sûr, on peut dire que cela transparaît derrière les mots, une image subliminale en quelque sorte. Mais si on peut penser que certains la voient, d'autres n'en ont pas conscience, et en particulier ceux que l'on attend dans ce nouveau parti.
En effet, si l'on regarde ce programme 100 % anti-capitaliste que Rouge publie sous l'article précédemment cité, que l'on trouve également au verso des professions de foi de candidat(e)s de la LCR (voir en annexe de cet article), programme intitulé " Imposons des mesures d'urgence ", nous ne pouvons vraiment pas être contre ces mesures qui nous rappellent quelque chose, nous pouvons seulement noter que, pour un programme 100 % anti-capitaliste, il manque quand même quelque chose.
Bien sûr, il s'agit d'un programme électoral et pas de prôner la révolution dans un tel programme en disant : " en votant pour nous, vous votez pour le communisme, le socialisme et la révolution ". Krivine l'a fait, en substance, en 1969, mais nous, nous ne l'avons jamais fait. Cependant, face à la crise sociale qui s'aggrave, nous avons avancé dès 1995 un objectif réellement " anti-capitaliste " qui, si les travailleurs l'imposaient un jour, ne serait pas une dualité de pouvoir politique, mais serait l'ébauche d'une dualité de pouvoir économique. C'est d'ailleurs pour cela qu'il figure dans le Programme de transition, écrit en 1938 par Léon Trotsky.
On remarquera que le programme de la LCR, prétendument 100 % anti-capitaliste, est à nouveau une collection de revendications où chacun de ceux qui pourraient constituer ce parti 100 % anti-capitaliste pourrait trouver ce qui lui convient. En termes électoralistes, cela s'appelle " ratisser large ".
Bien sûr, si des mouvements sociaux importants éclatent, certaines de ces revendications ont plus de chances que d'autres d'être imposées, comme une partie des augmentations de salaires ou la réquisition des logements vides, ou encore quelques milliers ou même dizaines de milliers d'emplois dans les hôpitaux ou, au lieu de simples déclarations, quelques mesures sur " l'enjeu écologique " et quelques lois inappliquées sur l'égalité des droits, etc. Mais tout cela n'est absolument pas insupportable pour le grand capital et ne mettra pas le monde du travail, même s'il s'agit des " nouveaux salariés ", en situation meilleure par rapport à la puissance du capital, contrairement à ce qu'exprime la dernière phrase du programme reproduit plus loin.
Le programme et la composition du parti à construire ne sont pas indépendants des buts que l'on se donne.
Si le but est un changement de société, c'est-à-dire une révolution sociale, violente ou non, mais pas simplement une politique réformiste, il faut construire un parti révolutionnaire et qui le soit ouvertement, y compris et avant tout pour ses membres. C'est en fait très difficile dans les périodes de recul de la conscience collective des exploités, comme c'est le cas actuellement, mais ce n'est pas une raison pour y renoncer.
Par contre, si ce qu'on recherche, c'est construire un parti - et " construire " n'est pas le mot exact car il faudrait plutôt dire " rassembler " - dont les militants ne s'affichent pas comme révolutionnaires et dont la politique ne le soit pas, c'est une tout autre chose.
Un parti large, sur la base préconisée par la LCR, ne peut qu'être un parti réformiste de plus. Il peut réussir, mais ce ne serait qu'un succès de façade, un soufflé de belle apparence, mais rien qu'un soufflé.
Un rapport qui vient d'être publié, ou plus exactement qu'une indiscrétion a rendu public, sur les relations entre la police et la population du département de la Seine-Saint-Denis signale, dans ses conclusions, que la disparition du Parti communiste, de ses militants, des associations qu'il animait, a laissé cette population en friche et que c'est la principale cause de la situation morale dans ce département. En fait, ses auteurs prétendent que le Parti communiste a trop donné l'habitude d'être assistée à cette population. Quant à la police - et ce n'est qu'un détail, car cela n'est pas notre sujet - le rapport conclut qu'elle a une grande part de responsabilité dans la coupure de la population de ce département avec les autorités.
Il n'était évidemment pas nécessaire de faire une enquête officielle pour savoir et comprendre cela. Mais les gouvernants sont tellement coupés des réalités qu'il leur faut toujours passer par des experts pour voir ce qui crève les yeux, c'est-à-dire le vide créé par la disparition du Parti communiste et de ses militants (notons qu'ils n'ont pas tous disparu, on les rencontre encore mais ils n'ont pas le moral).
Un autre sujet lié à ce fait est la " rénovation " qu'exigent certains des dirigeants du Parti socialiste. La discussion n'est pas encore vraiment engagée publiquement, bien qu'elle ait lieu de fait depuis la désignation de Ségolène Royal comme candidate à la présidentielle.
Le problème du Parti socialiste, c'est qu'effectivement une période qui a débuté il y a un tout petit peu plus de trente ans, semble se terminer. Cela est dû aussi au déclin, électoral cette fois, du Parti communiste français.
En effet, la gauche, et en particulier le Parti socialiste, n'a pu accéder au pouvoir en 1981, avec l'élection de Mitterrand, que grâce à l'alliance avec le Parti communiste qui possédait encore un électorat populaire relativement important. Le Parti communiste ramassait des voix sur la gauche du PS pour les apporter à ce dernier. C'était la caution de gauche du PS vis-à-vis de l'électorat populaire. En récompense, mais aussi par besoin, Mitterrand a offert des places de ministres au PCF en 1981, mais le PC n'a pas pu tenir devant les mesures anti-populaires prises par ce gouvernement, telles que - pour ne citer que celles-ci - le blocage des salaires ou, sur le plan moral, les propos du Premier ministre Mauroy parlant, à propos d'une grève à Citroën-Aulnay, de " grève des ayatollahs " sous prétexte que beaucoup d'ouvriers de cette usine étaient des Maghrébins (ils le sont encore).
Dans toute cette période, le PC s'est déconsidéré vis-à-vis de son électorat traditionnel et a tenté de se débattre, soit en faisant démissionner - de force - ses ministres du gouvernement, soit en présentant au premier tour un candidat contre Mitterrand.
Le pire pour le PC est, cependant, que Mitterrand avait promis, à destination du patronat, du centre et même de la droite, d'anéantir le PC. Le pire du pire est qu'il y a réussi. Mais la société est un organisme vivant et il y a souvent des effets rebonds. Aujourd'hui, le PC est électoralement au plus bas (il se relèvera peut-être, mais rien ne le laisse prévoir). Ce qui fait que le Parti socialiste a électoralement perdu un point d'appui absolument nécessaire pour lui et qu'il ne marche plus que sur une jambe, ce qui le gêne beaucoup pour gravir les marches du pouvoir.
Alors, la rénovation dont parlent les dirigeants du Parti socialiste, ce ne peut plus être qu'un recentrage sur sa droite, c'est-à-dire au centre. La fusion avec Bayrou n'est pas à l'ordre du jour mais elle pointe à l'horizon car, pour 2012 et la suite, il n'y a manifestement pas d'autre issue.
Il reste à souhaiter au Parti socialiste que Bayrou ne joue pas le rôle de Mitterrand et que l'avenir du Parti socialiste ne soit pas celui du PC.
Nous avons fait un long détour pour expliquer que le balancier politique et social va de plus en plus vers la droite et qu'il n'y a que deux choix possibles.
Le premier est d'imiter les choix de la LCR et de tenter de construire un parti " 100 % à gauche " et " 100 % anti-capitaliste ", c'est-à-dire réformiste, à gauche du PS, c'est-à-dire socialiste-radical, à moins que ce soit radical-socialiste. Cela revient à essayer de prendre la place du PCF, débarrassé du boulet de l'URSS, de la " dictature du prolétariat " et de Cronstadt et parfumé d'écologie, d'altermondialisme et de bons sentiments en tous genres (y compris à l'égard des travailleurs).
Le second, c'est d'essayer de construire un parti révolutionnaire qui recrute sur la base de la révolution sociale. C'est celui que nous avons choisi depuis que nous existons et c'est un choix que nous n'avons aucune raison d'abandonner car, pour l'avenir du monde, il n'y en a pas d'autre.
19 juin 2007