Pendant l'année 2006, comme les années précédentes, on a vu beaucoup de grèves sur les deux îles de Martinique et Guadeloupe, territoires situés à 7 000 kilomètres de la « métropole », ex-colonies françaises des Caraïbes, qui sont considérés aujourd'hui comme des « départements » français dits d'outre-mer (DOM) !
La population de ces deux DOM avoisine aujourd'hui les neuf cent mille habitants qui vivent sur une superficie totale d'un peu moins de 3 000 kilomètres carrés.
Certaines de ces grèves, où les travailleurs ont fait preuve de courage et de combativité, ont eu dans les îles un réel retentissement ; mais il faut comprendre que cela s'explique aussi du fait de l'exiguïté de ces territoires. Même un conflit social dans une petite ou même très petite entreprise peut avoir un écho, des effets importants sur la conscience des travailleurs, en dépit de la faiblesse numérique des entreprises concernées.
Dans la plupart des conflits dont nous parlerons ici, il s'agit d'entreprises regroupant quelques dizaines, rarement plus d'une centaine, de salariés.
Ces grèves ont particulièrement touché des entreprises du commerce, de la distribution ou de l'agriculture. Mais pas seulement, car certains services privés ou de type parapublic, crèches, garderies, formation, etc., dépendant plus ou moins de budgets accordés par les assemblées locales, et l'Université Antilles-Guyane, ont connu aussi des mouvements sociaux.
Certaines grèves avaient l'objectif, pour les salariés, de se défendre contre des licenciements, des fermetures d'entreprise, des retards de salaires... Mais on a vu également de nombreux mouvements plus offensifs où les travailleurs mettaient en avant des revendications de salaires substantielles. Beaucoup de ces grèves ont parfois duré plusieurs semaines et quelques-unes plusieurs mois, voire plus d'une année (cas de la grève des salariés de Danone-Guadeloupe).
Evidemment, nous ne pouvons pas faire ici le récit de toutes ces grèves, nous parlerons de quelques-unes qui ont particulièrement capté l'attention des travailleurs des Antilles. Notamment en raison de leur durée, parce que l'affrontement avec les patrons s'est prolongé quelquefois sur deux ou trois mois, voire plus d'une année. Mais, en fin de compte, les travailleurs ont souvent réussi à arracher une partie de leurs revendications.
Une situation dominée par le chômage et la pauvreté
Les grèves de 2006 se sont déroulées sur un fond de détérioration de la situation et de pauvreté grandissante.
Même pour ceux qui ont un emploi plus ou moins régulier (en CDI ou saisonniers, CDD, etc.), il faut sans cesse se battre ne serait-ce que pour avoir le minimum. Pour être payé à temps, pour le paiement de ses heures supplémentaires, sur le calcul du temps travaillé, sur les jours fériés, sur les primes dues : sur tous ces problèmes-là, il y a toujours beaucoup de conflits sociaux, de grèves localisées qui ne débouchent pas forcément sur des possibilités d'extension du conflit, car le contenu même des revendications reste souvent étroitement lié à des problèmes et des conditions propres à chacune de ces entreprises.
Depuis cinq ans, les chiffres du chômage sont en augmentation sur les deux îles : près de 30 % de la population active. Par rapport au taux du chômage en France hexagonale, qui est déjà élevé, on se rend compte que les Antilles, comme les autres DOM, sont dans une situation très dramatique. Ce chômage pèse fortement sur la vie économique et sociale, l'emploi est la première préoccupation de toute la population laborieuse. Il faut ajouter que nombre de travailleurs non comptés comme chômeurs ont des emplois à temps partiel (certains employés des supermarchés) ou saisonniers (travailleurs de la banane, de la canne et du sucre) ; d'autres ont des emplois dits « aidés » qui sont particulièrement précaires.
Le chômage total ou partiel est donc encore plus élevé que les chiffres officiels. Et selon les dires même des salariés de l'ANPE, leur hiérarchie les oblige à radier le plus possible de demandeurs d'emploi !
Conséquence de cette situation, on trouve aussi un nombre de Rmistes en très forte augmentation, plus de 30 000 titulaires sur chacune des îles, et là aussi, les pourcentages sont très supérieurs à la moyenne nationale française.
Tous les domaines concernant la population laborieuse relèvent d'une situation dramatique. C'est ainsi que le logement a pris un retard considérable parce que, pendant plusieurs années, le présent gouvernement a réduit les investissements pour les logements sociaux et on assiste aussi à un ralentissement de la construction de logements sociaux.
Dans un tel contexte, les travailleurs qui ont un emploi, stable ou précaire, tentent par tous les moyens d'améliorer des salaires qui sont juste au smic ou en dessous (du fait d'horaires partiels de travail) et se défendent aussi farouchement lorsqu'ils se sentent attaqués, lors des diminutions d'horaires ou des licenciements purs et simples.
Tout au long de l'année 2006, on a vu des mouvements défensifs : contre une mise à pied, contre un licenciement, contre une diminution du temps de travail, contre des tentatives de certains patrons de ne pas payer tout leur dû aux travailleurs. Certains, par exemple, font mine « d'oublier » les heures supplémentaires. Certaines grèves se sont déclenchées sur une attaque ou une injustice des patrons (nomination ou promotion arbitraire), puis se sont poursuivies avec des revendications plus offensives sur les salaires, les conditions de travail - les travailleurs jugeant qu'étant obligés de se battre contre une injustice du patron, il valait mieux réclamer aussi une augmentation de salaires.
Mais, il y a eu beaucoup de grèves démarrant directement sur les salaires, réclamant des augmentations souvent substantielles. Toutes ces grèves exigeaient des travailleurs un véritable acharnement, une véritable combativité. Car les patrons font durer les grèves face aux revendications des travailleurs, de façon à les décourager, à les démoraliser. Pourtant, depuis plusieurs années, cette attitude des patrons n'est pas parvenue à faire baisser le niveau des grèves. Car, d'une année sur l'autre, les salariés ont continué à s'engager dans des luttes parfois longues, portés par le sentiment que, de toute façon, ils n'auront rien s'ils ne se battent pas, que c'est le seul moyen d'arracher une amélioration quelconque. L'attitude des patrons est perçue pour ce qu'elle est et lorsque les travailleurs se mettent en grève, ils savent d'avance à quoi s'attendre ; ils savent qu'ils auront en face d'eux des patrons de combat, des gens qui ne cèderont que devant la menace de perdre beaucoup d'argent.
Cette mentalité de combat est, pour l'instant, très ancrée parmi les travailleurs. Cela fait que même lorsqu'une catégorie utilise des moyens qui pourraient gêner les autres travailleurs, par exemple des barrages sur la route, des coupures d'électricité, coupures d'eau, blocage des ponts, etc., dans la plupart des cas la réaction des autres catégories de travailleurs est, jusqu'ici, la compréhension et même la sympathie. Quelquefois elles sont exprimées ouvertement par certains, disant : « De toute façon, demain, nous serons aussi obligés de faire pareil pour nous défendre ».
On pourrait citer beaucoup d'exemples de ces grèves défensives ou offensives, mais nous nous limiterons à parler de quelques-unes qui ont particulièrement marqué l'opinion et suscité des commentaires et des réflexions parmi les travailleurs.
Les grèves qui ont marqué en 2006
L'une des grèves qui ont marqué l'opinion durant l'année 2006 fut celle des travailleurs de Danone. Elle a commencé le 7 juin 2005, s'est prolongée en 2006, au total elle a duré plus d'un an.
La grève a démarré sur des problèmes de respect de la convention collective des produits laitiers et le paiement des heures supplémentaires, non payées depuis plusieurs années. Les calculs du syndicat UGTG qui a dirigé la grève, montraient que le patron avait omis de payer environ 5 000 euros depuis l'année 2000, à chaque employé ! Tout en reconnaissant la justesse du calcul, le patron a évidemment refusé de payer cette somme. A la place, il a proposé le versement de 250 euros par agent. La ténacité dont ont fait preuve ces travailleurs, 21 ouvriers de la production de yaourts, 10 chauffeurs-livreurs, a soulevé l'estime et la sympathie de tous les travailleurs. Après un an et quatre jours de grève, ces travailleurs ont obtenu, selon le syndicat UGTG, l'application de la convention collective, des augmentations de salaire de 4 à 6 % pour les salariés de la production. Les chauffeurs ont obtenu un fixe de 1 600 euros ainsi qu'une commission sur les ventes. Les grévistes réclamaient aussi que le temps de pause pour les repas soit payé par le patron et la rétroactivité du paiement des heures supplémentaires dues. Ces points-là n'ont pu être arrachés, et vont être défendus aux prud'hommes.
Durant tout le conflit, médiateurs et « facilitateurs » sont intervenus pour s'interposer entre grévistes et patronat. Mais tous ces gens-là, en fait, se situaient dans le camp du patron. Tout comme la préfecture : Danone-Guadeloupe importait des yaourts venant d'ailleurs et, comme les grévistes s'opposaient à leur distribution, la préfecture a fait escorter les camions par des forces de police.
Cette grève s'est accompagnée de nombreuses manifestations devant le Conseil régional. De nombreux syndicats et organisations politiques ont apporté leur soutien aux grévistes. Puis, après plusieurs mois de conflit, le syndicat UGTG a brandi la menace de généralisation du conflit, au moins dans les secteurs où il est bien implanté. Cela a peut-être pesé dans la décision du patron de Danone de faire quelques concessions. Mais ce sont aussi la détermination et l'acharnement des grévistes qui ont fait reculer ce patron.
Mais, jugeant sans doute que les travailleurs étaient arrivés au bout de leurs forces, après plus d'un an de grève, le patron a tenté et réussi un mauvais coup contre les travailleurs. Juste après la reprise du travail, il a décidé de réprimer certains grévistes pour des faits qui s'étaient déroulés durant la grève (blocage des camions de yaourts, injures, altercations, échauffourées, etc.). Il a licencié cinq employés et procédé à une mise à pied de 15 jours, sans solde, pour quatre autres. Parmi ces travailleurs figurent deux délégués du personnel, un délégué syndical. L'affaire a été portée devant les prud'hommes. Pour l'instant, malgré les protestations du syndicat, de l'inspection du travail, le patron de Danone a maintenu ses sanctions. Mais selon le syndicat des travailleurs de Danone et leur centrale, l'UGTG, l'affaire n'est pas réglée. Pour l'instant, ils attendent les résultats des prud'hommes, mais il n'est pas dit que l'affaire en restera là.
En Martinique, c'est la grève des employés du casino Plazza Batelière qui a capté l'attention des travailleurs et mobilisé les militants de la CGTM en soutien aux grévistes. Commencée le 31 mars, cette grève a duré plus de trois mois. Les grévistes, qui furent au départ la moitié du personnel (comptant environ 80 salariés), réclamaient une augmentation de 100 euros net par mois, en expliquant que l'entreprise, dont ils connaissaient bien le fonctionnement, le chiffre d'affaires, les bénéfices, pouvait largement payer une telle augmentation. Et ce d'autant plus que le véritable patron était un « béké » (grand planteur blanc) connu, Hayot, considéré comme l'un des plus riches de la Martinique.
En réponse à leur revendication, les patrons proposaient 105 euros étalés sur trois ans. Mais les grévistes ont tenu bon en opposant leur revendication : 100 euros tout de suite. Tout au long de la grève, les travailleurs sont descendus dans les rues, manifestant, dressant des barrages aux alentours de l'entreprise.
La CGTM, dont la section syndicale locale dirigeait le mouvement, a fait appel au soutien des travailleurs d'autres entreprises ; à plusieurs reprises, elle a appelé à des actions de soutien aux grévistes du casino. Les patrons de leur côté, quotidiennement, répandaient des mensonges sur les grévistes, disant qu'ils voulaient détruire le casino, faisant aux salariés un chantage permanent à la fermeture. Finalement, ils ont proposé une prime de 300 euros, mais assortie d'un accord d'aménagement du temps de travail plus défavorable que ce qui existait déjà dans l'entreprise.
La grève a duré 101 jours. Les grévistes ont repris le travail sur un accord qui ne leur donnait pas entièrement satisfaction, mais qui n'était pas négligeable : une augmentation de 45 euros au 1er juillet 2006, puis de 35 euros à partir du 1er novembre 2006.
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En Guadeloupe, la grève des ATER (attachés temporaires d'enseignement et de recherche), donc des personnels contractuels, a marqué la rentrée scolaire 2006-2007. Ils se sont mis en grève parce qu'au mois de septembre 2006, ils ont constaté que la prime de vie chère de 40 % du salaire consentie aux fonctionnaires travaillant dans les DOM avait disparu. Cela représente pour certains des pertes de 500 à 600 euros, par rapport à des collègues titulaires qui font le même travail. Le 29 septembre, ils se mirent en grève, entraînant d'autres enseignants titulaires et des étudiants. Finalement, toute l'Université Antilles-Guyane (UAG) se trouva paralysée pendant deux semaines. Là aussi, les grévistes se sont montrés actifs, se rendant dans les établissements scolaires, descendant dans la rue pour expliquer à la population le motif de leur grève, cherchant et obtenant le soutien des syndicats. Les universitaires de Martinique firent aussi deux jours de grève de solidarité. Finalement, l'administration de l'UAG, couverte par le ministère de l'Education nationale, a reculé et rétabli les 40 % pour tous les ATER, même après 2007.
Sur les deux îles, outre ces mouvements qui furent particulièrement remarqués, tout au long de 2006, il y a eu toute une série de grèves moins importantes. La liste de ces grèves a commencé en Martinique, en janvier 2006, avec la grève des salariés du garage Mercedes. En Guadeloupe, dans les premiers mois de 2006, on a assisté à la mobilisation des salariés de l'AFPA, à la grève des personnels des sociétés de gardiennage à l'appel de l'UGTG, à la grève des employés communaux des Abymes, à l'appel de militants de l'UGTG et de l'UNSA. Cette grève a duré 15 jours. Les revendications portaient sur l'application de dispositions légales, la signature d'arrêtés restés en souffrance, la nomination d'agents qui avaient réussi à des concours et examens, le remboursement de trop perçus sur la CSG, autant de dysfonctionnements qui pénalisaient financièrement des agents.
La série de grèves a continué sur les deux îles tout au long de l'année. Le 28 avril, en Martinique, le SCSTPPA-CGTM (syndicat des chauffeurs salariés transporteurs de produits pétroliers), tout nouveau syndicat dans ce secteur, a déclenché la grève : 21 chauffeurs de camions-citernes sont restés immobiles dans le parking de la raffinerie de pétrole SARA, attendant les réponses des patrons à leurs revendications. Ils ont obtenu des augmentations de salaires et des améliorations de leurs conditions de travail après avoir paralysé pendant 24 heures une grande partie de la distribution de carburant dans les stations services.
Les syndicats en Guadeloupe et en Martinique
La plupart de ces grèves ont été essentiellement dirigées, animées, soutenues par les principaux syndicats des deux îles.
Le syndicat ayant le plus de syndiqués en Martinique est la CGTM (CGT de Martinique) dont la secrétaire générale est une camarade connue de Combat Ouvrier. Rappelons que c'est en 1990 que cette camarade a été élue, lors d'un congrès qui proposait le redressement du syndicat, jusqu'alors dirigé par des militants du Parti communiste (PCM). Ceux-ci, mis en minorité, préférèrent provoquer une scission plutôt que d'accepter le vote des délégués du congrès.
Depuis lors, autour de cette camarade, des militants de Combat Ouvrier, mais aussi d'autres formations politiques, se sont battus pour faire de la CGTM un syndicat capable de représenter et défendre honnêtement et activement les intérêts des travailleurs de Martinique. Au cours de tout conflit, ceux-ci voient la CGTM s'investir et leur apporter son soutien, populariser et expliquer leurs revendications auprès des autres travailleurs.
La CGTM obtient à elle seule autant de voix que les autres syndicats lors des élections prud'homales. Il y a, à côté d'elle, la CSTM (Centrale syndicale des travailleurs martiniquais), un syndicat influencé par les militants du MIM (Mouvement indépendantiste martiniquais), dont le dirigeant est président du Conseil régional. Il y a aussi la CDMT (Centrale démocratique des travailleurs martiniquais), ex-CFDT, aujourd'hui dirigée par un secrétaire général issu de l'organisation trotskyste, GRS, liée à la LCR. L'autre CGTM-FSM, animée par des militants du PCM, n'a guère réussi à se développer, même si elle existe dans certains secteurs, tels que le bâtiment, l'hôtellerie, où elle vient de diriger avec succès la grève des employés du Club Med.
En Guadeloupe, le principal syndicat, l'UGTG (Union générale des travailleurs guadeloupéens), est dirigé par des militants issus du mouvement indépendantiste. Celui-ci a eu son heure de gloire dans les décennies soixante-dix et quatre-vingt. Mais ensuite, la principale organisation politique indépendantiste, l'UPLG, (Union populaire pour la libération de la Guadeloupe) s'est effondrée ; elle a perdu ses élus dans les assemblées locales, tandis que ses militants syndicaux, ceux qui s'étaient liés aux luttes des ouvriers agricoles, puis d'autres secteurs ont pris leurs distances par rapport à l'UPLG. Ce sont ces militants qui animent l'UGTG, quasiment tous salariés ou permanents du syndicat. Ils ont fait de l'UGTG une organisation originale, syndicale, basée sur une implantation réelle dans de nombreuses entreprises et secteurs, mais se comportant dans sa structure et ses façons de faire comme une organisation nationaliste. Son drapeau n'est pas le drapeau rouge, mais le drapeau national guadeloupéen, brandi dans toutes les manifestations. En dépit des références de l'UGTG, lors de ses congrès, à la lutte contre l'exploitation, son but principal est l'indépendance de la Guadeloupe.
Les rapports des militants et dirigeants de l'UGTG avec les travailleurs ne sont pas des rapports démocratiques. Ils ne s'en cachent pas, c'est leur conception. C'est la direction syndicale, les élus de l'UGTG, qui décide des revendications, des grèves, des voies et moyens, des modalités, pas les assemblées des travailleurs ou de grévistes.
Cependant, la combativité de syndicats de l'UGTG est très appréciée par les travailleurs, même si dans beaucoup de grèves, il n'y a aucune transparence, ou peu, sur ce qui est discuté, négocié, signé avec les patrons et les directions.
Dès que, dans une entreprise, les militants de l'UGTG sont face à ceux d'autres syndicats, ils cherchent à imposer leur point de vue plutôt que de s'adresser aux travailleurs concernés pour que les points de vue différents leur soient soumis, pour décider des actions à mener, de leur but et de leur forme. Cette attitude est notamment source de conflit avec les militants de la CGTG.
La CGTG, elle, moins implantée que l'UGTG, ayant un rayonnement bien moindre, a connu de nombreuses années de difficultés face à la montée de l'UGTG, dont elle tente difficilement de se relever. Pendant de nombreuses années, la politique timorée, modérée, peu combative de sa direction, a provoqué une hémorragie de nombreux syndicats de base qui sont allés renforcer l'UGTG. Par exemple, dans la canne à sucre, les usines sucrières, les supermarchés, les grands hôtels, les collectivités locales, les municipalités, etc.
Depuis 2004, un camarade de Combat Ouvrier a été élu secrétaire général de la CGTG. Militants de Combat Ouvrier et du Parti communiste (PCG) se sont entendus pour poursuivre le redressement de ce syndicat. La CGTG est bien moins implantée que la CGTM mais, depuis trois ou quatre ans, elle cherche et parvient à jouer mieux son rôle d'organisation au service des luttes des travailleurs.
En 2007 comme en 2006, les travailleurs se battent !
En ce début de 2007, tout comme en 2006, des grèves ont continué à marquer la situation sociale. En Martinique, c'est la longue grève des salariés du Club Med qui vient de s'achever tandis que se prolongent en Guadeloupe la grève des personnels de l'AFPA, celle des cliniques privées, celle de la Générale des Eaux. En février-mars 2007, au moment du démarrage de la récolte des cannes à sucre, les travailleurs de l'usine sucrière de Gardel, après plusieurs semaines de négociations et une journée de blocage de l'usine, ont fait céder les patrons sur une augmentation de salaire et différentes concessions aux travailleurs.
Au moment où nous écrivons, les travailleurs de la société Générale des Eaux (GDE), en Guadeloupe, sont en grève depuis le 22 février 2007 (à l'appel de la CGTG). Il s'agit d'une entreprise plus importante que les cas habituels rapportés ici. Elle regroupe, sur toute l'île, 400 salariés répartis en différents sites chargés du réseau d'eau potable. La GDE est le fermier chargé de la commercialisation de l'eau, mais c'est une autre société (un syndicat intercommunal) qui est chargée de l'entretien et de l'extension du réseau. La grève a démarré contre une décision arbitraire de la direction de GDE qui a nommé un salarié, sur son seul choix, sur un poste de responsable, sans suivre la procédure prévue dans l'accord d'entreprise. Or celui-ci précise que « pour tout poste vacant, la Direction devra lancer un appel à candidature et devra informer le personnel par voie d'affichage... ».
Depuis de nombreuses années, la direction de la Générale des Eaux cherche à réduire l'influence du syndicat CGTG qui, traditionnellement, est le plus combatif de l'entreprise et a toujours mené des grèves âpres couronnées de succès. Cela la conduit à faire de la promotion de gens dociles ou anti-CGTG, ce qui contribue aussi à diviser les travailleurs.
Le patron de GDE, avant le déclenchement de la grève, a refusé de prendre en compte les demandes du syndicat et les a traitées par le mépris, aussi bien localement qu'en France où siège la direction générale. Aujourd'hui, la grève se poursuit avec des coupures d'eau limitées et tournantes, touchant surtout les zones touristiques où se trouvent les grands hôtels. En même temps, les grévistes ont décidé de s'adresser aux usagers. Dans leur intérêt et dans celui des grévistes, ils réclament la transparence sur tout ce qui se passe au sein de la Générale des Eaux, sur ce que l'affermage de l'eau rapporte à la Générale des Eaux (1,14 euro sur 1,54 par mètre cube). Les grévistes ont expliqué au public que neuf membres de la direction perçoivent un tiers de la masse salariale. Ils ont dénoncé les manœuvres et manipulations en tout genre de la direction, les discriminations salariales, les promotions patronales pour diviser le personnel, etc. Pour l'instant (au 18 mars), malgré les coupures d'eau et les efforts répétés des radios et journaux pour dresser la population contre les grévistes, ceux-ci bénéficient d'une sympathie qui s'est aussi exprimée par des communiqués de soutien venant des travailleurs d'autres entreprises.
Mais en même temps que cette grève, d'autres grèves, commencées il y a plusieurs semaines, se poursuivent ; on parle beaucoup de la grève des cliniques privées où les salariés réclament une augmentation de 2 % et le patron offre 1 %.
Il y a aussi la grève du CFA (Centre de formation des apprentis). Les grévistes du CFA sont en grève depuis le 6 novembre 2006 et ont déposé leur cahier de revendications auprès du président de la Chambre des métiers depuis le 26 octobre. Ils continuent leur mouvement de grève pour obtenir la titularisation de 16 salariés ; ils se battent contre la précarité car certains salariés signent des CDD (contrat à durée déterminée) d'un an depuis 20 ans.
Une autre grève touche l'AFPA (Association de formation professionnelle des adultes) qui est arrêtée depuis un mois. Ce centre de formation a du mal à fonctionner du fait du désengagement des collectivités locales, des crédits de la Région, notamment. Lors de la décentralisation, l'Etat n'a pas transféré les fonds correspondant aux responsabilités qu'il a décentralisées vers les collectivités locales. Avec la décentralisation, le conseil d'administration de l'AFPA est composé d'élus régionaux, de l'Etat, du patronat et des syndicats. Il ne répond plus ni aux demandes des usagers de ce centre, ni aux besoins de ses salariés, car la dotation régionale qui permet de payer les fournisseurs, les dettes sociales, les salaires, est régulièrement versée en retard. Les locaux de l'AFPA sont vétustes, ne sont ni entretenus ni réhabilités. Alors, le personnel s'est mis en grève pour tenter d'obtenir une réelle amélioration de la situation, car il estime que cette structure est utile et, depuis plusieurs dizaines d'années, a formé et inséré plusieurs dizaines de milliers de jeunes Antillais et Guyanais.
Des luttes dispersées, mais en grand nombre et déterminées
La persistance des conflits sociaux qui se prolongent de 2006 à 2007, montre à quel point d'une année sur l'autre la combativité des travailleurs se maintient, malgré les difficultés de ces luttes, dans une situation où règne un chômage massif.
Comme on l'a vu, bien qu'une partie de ces grèves soit de nature défensive, dans la plupart des cas, comme au Club Med, à Gardel, à la Générale des Eaux ou dans les cliniques privées, il s'agit de luttes pour l'amélioration des salaires et des conditions de travail.
Ces conflits se déroulent de façon dispersée, les uns après les autres ou même les uns à côté des autres, comme en ce moment en Guadeloupe. Ils ne font pas partie d'un véritable plan de luttes calculé, prévu par les directions syndicales, ils ne constituent pas - ou pas encore - un mouvement d'ensemble qui serait seul capable de changer le rapport de forces entre la classe des salariés et le patronat.
Il s'agit de luttes localisées, partielles, parfois avec des revendications corporatistes. Mais malgré cette restriction, il faut bien voir que le fait que des salariés n'hésitent pas à s'engager à fond dans des bagarres avec leur patron, pour arracher quelques améliorations et parfois des réelles augmentations de salaires, est un facteur positif pour l'ensemble des travailleurs, pour le maintien d'un moral favorable à la lutte et favorable pour l'avenir des luttes de plus grande envergure.
Chacune de ces grèves où les travailleurs s'accrochent, se battent avec acharnement pour obtenir qui une augmentation de salaire, qui une amélioration de leur classification ou de leurs conditions de travail, chacune d'elles, du fait de l'exiguïté de pays, a un retentissement qui va au-delà de l'importance de l'entreprise concernée. Une grève de vingt ou trente salariés menée avec détermination provoque autant de sympathie et fait autant parler et réagir dans la population laborieuse que dans un secteur plus important. Et quand il y a le succès, total ou partiel, au bout, c'est un renforcement certain pour l'idée de lutte, pour l'esprit de combativité.
Tous les travailleurs peuvent se convaincre que cela vaut le coup de se battre et constatent qu'en dépit des difficultés et obstacles constitués par l'acharnement des patrons et les mensonges des médias, la lutte est le seul moyen d'obliger un patron à reculer et à faire des concessions.
En dépit de la forme dispersée qu'elles prennent aujourd'hui, on peut affirmer que ces grèves vont compter, demain, dans la préparation de mouvements de plus grande envergure. Les salariés comprendront et décideront, à un moment donné, peut-être aussi sous l'effet de l'action et des explications des syndicats combatifs et honnêtes, qu'il est nécessaire de se donner des moyens plus efficaces, pour créer un autre rapport de forces avec le patronat. Ils comprendront qu'ils peuvent placer la petite classe minoritaire des patrons face à l'action de milliers de travailleurs, agissant ensemble en tant que classe salariée.
On n'en est pas encore là, mais en attendant il est possible de faire des pas dans cette direction. Il est possible de faire en sorte que lors de chaque conflit dans une entreprise donnée, quel que soit le syndicat qui le dirige, les salariés d'autres entreprises et d'autres syndicats manifestent de façon visible et active leur solidarité avec ceux qui sont en grève.
Agir ainsi est un moyen efficace de riposter aux mensonges et aux attaques des patrons contre les grévistes et c'est aussi un moyen de créer et de consolider des liens entre travailleurs d'entreprises ou de secteurs différents. Tout cela comptera pour l'avenir des luttes tous ensemble !
18 mars 2007